M. Matignon, le savant chimiste, est mort subitement le 18 mars dernier au cours d’une Assemblée des professeurs du Collège de France, alors qu’il y défendait avec ardeur les titres d’un candidat. Nous résumons sa carrière scientifique d’après l’éloge prononcé à l’Académie des Sciences par M. Borel.
« Camille Matignon était né à Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes, dans l’Yonne, le 3 janvier 1867. Il entra en 1886 à l’École Norn1ale supérieure et devint à sa sortie de cette École en 1889 préparateur de Marcellin Berthelot, au Collège de France. Il prépara sa thèse de doctorat qu’il soutint en 1892, et pour laquelle il obtient le prix Saintour du Collège de France. En novembre 1893, il fut nommé maître de conférences à l’Université de Lille.
Après avoir été nommé professeur adjoint à l’Université de Lille en 1897, Camille Matignon devint en 1898 maître de conférences à la Sorbonne et fut chargé en même temps par son maître Marcellin Berthelot de le remplacer au Collège de France. Il devait devenir quelques années plus tard, en 1903, professeur suppléant au Collège de France et, après le départ de M. le Chatelier à la Sorbonne, il lui succéda dans sa chaire de chimie. minérale au Collège de France.
Sa carrière universitaire marque ainsi une remarquable unité, puisque, en dehors de son court séjour à Lille, elle se passa tout entière au Collège de France. Les premiers travaux de Camille Matignon se rattachent à ceux de Berthelot, et ont été faits en collaboration avec lui, au moyen de la bombe calorimétrique. Ils sont trop nombreux pour qu’on puisse les signaler tous, et ils valent surtout d’ailleurs par les lois générales qu’ils ont permis de préciser ou de dégager.
Parmi ces lois, il faut citer tout d’abord la suivante : la substitution d’un radical dans une molécule organique fait varier l’énergie interne de cette dernière d’une quantité fonction à la fois de la nature de la substitution et de la grandeur de l’atome servant de liaison au radical. Il faut aussi signaler l’extension aux réactions chimiques de la loi de Trouton de laquelle il a déduit plusieurs conséquences importantes, relatives notamment aux moyens de prévoir a priori et en toute certitude l’allure d’une réaction donnant naissance à un gaz.
Pendant la guerre, il fut amené à orienter son action vers la synthèse des composés azotés pour la fourniture desquels nous étions tributaires de l’étranger. Il fut ainsi conduit à s’intéresser aux questions industrielles et à donner une large part de son activité à la Société de Chimie industrielle. Il assuma les fonctions très lourdes de Rédacteur en Chef de la publication de cette Société, Chimie et Industrie, et lui apporta de fréquentes contributions personnelles. Il réussit à donner à cette nouvelle revue une ampleur et un éclat qui furent très profitables au bon renom de la Science française.
Il avait ainsi acquis, soit comme animateur de la Société de Chimie industrielle, soit comme Président de la Société chimique de France, une grande et légitime autorité, dans tous les milieux s’intéressant soit à la chimie pure, soit à la chimie appliquée. Sa disparition prématurée est une grande perte pour la Science française. »