Le vénérable savant qui vient de s’éteindre à l’âge de cent trois ans, est né à Angers le 31 août 1786 et fit ses études à l’Ecole centrale de cette ville. Venu à Paris à l’âge de dix-sept ans, il fut employé par Vauquelin dans sa fabrique de produits chimiques et dirigea ensuite le laboratoire du célèbre chimiste, qui le choisit, en 1810, comme préparateur de son cours de chimie appliquée au Muséum. Chevreul, grâce à ses connaissances déjà grandes et à l’appui de son maître, obtint trois ans plus tard la chaire de chimie au lycée Charlemagne, d’où il passa aux Gobelins comme professeur de chimie et directeur des teintureries, En 1826, il remplaça Proust à l’Académie des sciences et, en 1830, Vauquelin au Muséum. Il devint, en 1864, directeur de cet important établissement scientifique et administra à plusieurs reprises le Jardin des plantes.
Il s’est rendu célèbre par ses recherches sur les corps gras, les matières colorantes et l’harmonie des couleurs [1] . Il fut le premier à donner une théorie exacte de la saponification [2], théorie qui le conduisit à la découverte des bougies stéariques. Enfin, il écrivit un grand nombre de mémoires,
Pendant le siège de Paris, il protesta publiquement contre le bombardement, qui ravagea les serres et galeries du Jardin des plantes. dans la séance de l’Académie des sciences du 9 janvier 1871, il fit consigner l’énergique déclaration suivante : « Le Jardin des plantes médicinales fondé à Paris par édit du roi Louis XIII à la date du mois de janvier 1626, devenu Muséum d’histoire naturelle par décret de la Convention du 10 juin 1793, fut bombardé sous le règne de Guillaume 1er, roi de Prusse, comte de Bismarck chancelier, par l’armée prussienne, dans la nuit du 8 au 9 janvier 1871. Jusque-là il avait été respecté de tous les partis et de tous les pouvoirs nationaux et étrangers. »
En 1874, il fut sur le point de donner sa démission de directeur du Muséum d’histoire naturelle parce que le ministre ne voulait pas nommer M. Vaillant à la chaire de zoologie des poissons. M. Fremy prit, en 1879, la direction effective du Muséum, mais Chevreul conserva le titre de directeur honoraire. En 1883, il devint aux Gobelins directeur du « Laboratoire supérieur de recherches sur la théorie et la constitution des couleurs » fondé spécialement pour lui et il céda la direction de l’atelier de teinture à M. Decaux, Jusqu’à son dernier jour, Chevreul a poursuivi ses travaux, voulant, sans doute, justifier son surnom de « doyen des étudiants de France », et il se plaisait à dire que le travail, joint à une vie simple, est encore le vrai moyen de vivre longtemps .
En 1886, le centenaire de Chevreul fut célébré le 1er septembre, le lendemain du jour où l’illustre savant accomplit sa centième année. Pour célébrer dignement cette fête, ministres, membres de l’Institut, professeurs, savants, étudiants, industriels, se joignirent à la presse qui l’avait organisée.
C’est au Muséum d’histoire naturelle où presque toute l’existence de Chevreul s’est écoulée, que le centenaire fut célébré. Des délégations de toutes les Facultés de France, représentées à Paris pour la première fois dans une grande fête nationale, défilèrent avec tous les invités devant la statue de Chevreul placée dans la grande salle des nouveaux bâtiments du Muséum.
La statue est l’œuvre de M.Guillaume, l’éminent sculpteur, membre de l’Institut. Elle mesure 2m,30 de hauteur. Le doyen des étudiants est assis sur un fauteuil d’une grande simplicité ; il n’a autour de lui ni attributs, ni emblèmes … rien de ce qui peut rappeler aux yeux ses immortels travaux, ses grandes découvertes dans les arts et dans l’industrie. M. Guillaume a voulu que son œuvre fût l’image vivante et touchante à la fois de la vie simple du grand chimiste qui s’est écoulée tout entière dans le travail le plus assidu, toujours exempte d’ambition, loin des bruits vains et tapageurs du monde. La tête, exécutée avec un art infini, est d’une ressemblance frappante. Chevreul parait assister à une séance de l’Académie et écouter avec intérêt la communication des travaux d’un de ses collègues. Son savoir profond, la bonté de son cœur, la finesse de son esprit sont rendus avec une puissance qui ferait le plus grand éloge de M, Guillaume, si cet éloge était encore à faire.