La France vient de perdre un de ses chimistes les plus éminents, M. Payen, mort le 13 mai dernier d’une attaque d’apoplexie. Professeur de chimie industrielle à l’École centrale depuis 1830, et au Conservatoire des arts et métiers depuis 1839, M. Payen fut nommé membre de l’Institut en 1842 ; il était chevalier de la Légion d’honneur depuis 1828, officier depuis 1847, et commandeur depuis 1861.
Travailleur infatigable, habile expérimentateur, M. Payen est certainement un des hommes qui ont rendu les plus grands services à la chimie industrielle et à la chimie agricole, par les innombrables travaux qui ont illustré sa longue carrière.
Nous ne ferons que passer rapidement en revue l’ensemble de ces travaux, en les présentant dans l’ordre dans lequel ils ont été exécutés, ce qui pourra mieux donner une idée de la prodigieuse activité de leur auteur.
Vers 1824, M. Payen faisait, avec M. Favre, ses premiers essais pour montrer la valeur, comme engrais, du noir animal ayant servi à la décoloration des jus sucrés.
En 1830, M. Payen présentait à la Société d’agriculture une Notice très complète sur les moyens d’utiliser toutes les parties des animaux morts dans les campagnes.
Ce travail fut couronné par la Société, le 18 avril 1830.
En 1832, il présentait à la même Société quelques observations sur certaines anomalies observées par M. Masclet, dans l’action des os considérés comme engrais.
En janvier 1836, M. Payen prie l’Académie de vouloir bien nommer une commission qui puisse examiner prochainement les procédés mis en usage dans un établissement situé à Javelle, et où s’opèrent les désinfections immédiates et diverses applications utiles à tous les produits de l’abattage des animaux.
Au mois d’août de la même année, M. Payen lit un mémoire sur la composition élémentaire de l’amidon de diverses plantes, de ses parties les plus agrégées, de celles qui se désagrègent aisément et des produits de sa dissolution. Dans ce mémoire, l’auteur annonce que, quelle que soit son origine, quelque variées que soient ses formes et dimensions, quelque différents que soient ses degrés d’agrégation, l’amidon possède toujours la même composition chimique C12H10O10.
Au mois de novembre, il donna l’explication de la coloration en rouge des marais salants, coloration qui apparaît sous forme d’une écume rouge vers l’époque où, par la concentration des dissolutions salines, le sel va commencer à se déposer. Ce phénomène est dû à la présence dans l’eau d’une quantité considérable de petits crustacés incolores primitivement, et qui, au moment où les liqueurs atteignent 23 à 25 degrés de l’aréomètre de Baumé, ne pouvant plus vivre dans ce milieu salin, deviennent rouges, meurent et viennent à la surface sous forme d’écume.
En février 1837, M. Payen présenta un mémoire très important sur la formation des tubercules ferrugineux dans les tuyaux de fonte destinés à l’alimentation des fontaines de Grenoble, et enfin il examina les causes des oxydations locales des différentes fontes et du fer. Ce mémoire, sur lequel a été fait un rapport par MM. Dumas et Becquerel, a eu l’honneur d’être inséré dans le Journal des savants étrangers.
Au mois de juillet, s’appuyant sur l’étude de combinaisons définies de la dextrine avec l’oxyde de plomb et la baryte qu’il a pu obtenir, M. Payen établit la composition de cette substance ainsi que son poids atomique C24H20O20. Il ajouta aussi à son mémoire quelques recherches sur l’amidon, et fixa définitivement sa composition et son poids atomique. Ce mémoire, examiné par une Commission composée de MM. Thenard, Dulong, Dumas, a eu l’honneur d’être inséré au Recueil des savants étrangers.
Vers la fin de décembre, M. Payen a lu un mémoire relatif à la distribution des matières azotées dans les organes des végétaux. Dans ce mémoire, l’auteur étudie surtout l’action de ces substances et le rôle qu’elles jouent dans la nutrition des plantes, et il montre que les liquides nourriciers qui s’élèvent des radicelles jusqu’aux dernières limites des parties aériennes, charrient en forte proportion la matière azotée, et non seulement l’accumulent dans tous les organes naissants, mais encore la déposent sur toute l’étendue des conduits qu’ils parcourent. Il a vu que tout organe naissant renferme en abondance une matière azotée, et que cette matière va toujours en diminuant à mesure que l’organe se développe, relativement à la matière non azotée qui devient peu à peu tout à fait prédominante. Ce fait est général. Comme conséquence de ses observations, l’auteur est amené à expliquer le rôle des substances employées jusqu’ici pour conserver les bois. — Ce mémoire a été inséré au Recueil des savants étrangers.
Vient ensuite un mémoire sur les acétates et le protoxyde de plomb.
Le 29 janvier 1838, M. Payen est présenté par la section d’économie rurale, comme un des candidats à la place vacante, par suite du décès de M. Teissier.
Au mois de mars, M. Payen présenta un rapport sur les phénomènes résultant de la congélation des pommes de terre. On était habitué, dans ce cas, à rejeter les pommes de terre comme impropres à la nourriture des animaux. Et, en effet, elles ont acquis une saveur âcre : de plus, les fabricants de fécule les refusaient comme ne fournissant plus que 3 ou 4 % de fécule au lieu de 15 à 17. M. Payen a montré que la fécule n’avait été nullement altérée, mais que la gelée ayant eu pour résultat de détacher et d’isoler les unes des autres les différentes cellules ou utricules dans lesquelles sont contenus les grains de fécule, celles-ci ne pouvaient plus être déchirées par la râpe, et dès lors la fécule restait dans la pulpe. M. Payen proposa, dans ce cas, de faire servir les pommes de terre à l’alimentation des animaux en les faisant sécher rapidement, après qu’elles ont été gelées.
En décembre 1838, M. Payen présenta un mémoire très important qui fut inséré au Recueil des savants étrangers sur la composition de la matière ligneuse. L’auteur montra qu’il ne fallait pas considérer la matière ligneuse comme formée par une seule et même substance, ainsi que les analyses de Gay-Lussac et de Thénard avaient pu le faire pressentir. Il montra qu’il existe dans le bois deux substances distinctes : le tissu primitif isomère avec l’amidon, la cellulose, et de plus une matière incrustante qui remplit les cellules et constitue la matière ligneuse véritable. La première de ces deux substances résiste à beaucoup d’agents tels que l’acide nitrique, par exemple, qui dissolvent la seconde et permettent ainsi de la séparer complètement.
Il présenta ensuite un mémoire sur le ligneux, sur les états différents d’agrégation du tissu des végétaux, sur la composition comparée des membranes animales et végétales, sur ’la présence du sucre de canne dans les fruits du cocotier et dans ceux du cactus, puis un mémoire sur la nutrition des plantes, et une note sur les engrais.
En mai 1840, M. Payen obtient le grand prix de physiologie expérimentale pour son travail sur l’amidon.
Au mois de juin, M. Payen présente un nouveau mémoire sur la composition chimique du tissu propre des végétaux et sur les différents états d’agrégation de ce tissu, mais surtout au point de vue de l’anatomie et de la physiologie végétales.
A la fin de ce mois, il est présenté par la section d’économie rurale comme un des candidats pour’ la place vacante par suite de la mort de M. Turpin.
En août 1840, M. Payen fait une communication sur l’étude de certains principes inorganiques déposés au milieu du tissu de plusieurs figuiers, corps découverts par M. Meyen, et qui avaient fait le sujet d’une note à l’Académie.
En 1841, M. Payen fait quelques observations sur le beau procédé de conservation des bois, récemment imaginé par M. le docteur Boucherie.
Au mois de mars, il communique l’analyse de l’eau du puits de Grenelle, exécutée dès que les eaux eurent surgi du sol.
Au mois d’août, il fait paraître un mémoire, fait en collaboration avec M. Boussingault, sur les engrais et sur leur valeur comparée.
Au mois de janvier 1842, M. Payen est présenté par la section d’économie rurale, comme un des candidats pour la place vacante, et à la séance suivante, il réunit la majorité des suffrages, et il est nommé membre de l’Académie.
Dans le courant de cette année, il publie quelques notes sur les engrais, sur l’état naturel du sucre dans les betteraves.
En 1843, il publie quelques notes sur les caractères distinctifs qui séparent les végétaux des animaux, et enfin une note sur la composition du sucre gastrique.
En 1844, quelques notes sur l’opium d’Alger, sur l’extraction du sucre de betterave, sur la qualité nutritive des tourteaux de la graine de sésame.
En 1845, quelques notes relatives à l’altération des pommes de terre et à leur maladie.
En 1846, un mémoire sur la composition et la structure de plusieurs organismes des plantes, quelques documents à l’appui des recherches sur la composition des végétaux, un mémoire sur le café et une étude de ses propriétés nutritives, une nouvelle note sur la maladie et les altérations des pommes de terre, et enfin une note sur une maladie de la betterave.
En mai 1847, M. Payen présenta un travail sur la distribution du sucre et de quelques autres principes immédiats dans les betteraves. Il en conclut que le sucre est sécrété pour la plus grande partie dans le tissu qui accompagne le tissu vasculaire, tissu spécial formé par des cellules cylindroïdes étroites, décrites et figurées par M. Decaisne.
Puis un mémoire intéressant sur l’influence des substances grasses sécrétées dans les plantes, sur l’engraissement des herbivores : ce travail ne fait qu’expliquer théoriquement les résultats pratiques obtenus par un Anglais, M. Warnes, qui avait eu l’idée heureuse d’ajouter en certaines proportions de la graine de lin grossièrement moulue aux fourrages des bœufs qu’il voulait engraisser ; enfin un mémoire sur la distribution de la substance amylacée dans la racine d’igname et dans les tubercules d’orchis.
En 1849, M. Payen présente un mémoire important sur la structure et la composition de la canne à sucre, et une note sur les perfectionnements des moyens d’extraire le sucre de la canne.
En 1851, une note sur une végétation microscopique qui attaque le sucre solide.
En 1852, M. Payen publie deux mémoires très-complets sur le caoutchouc et la gutta-percha, sur la composition chimique et les caractères distinctifs de ces deux substances, sur les différents procédés de sulfuration du caoutchouc et enfin sur la composition et les propriétés du caoutchouc vulcanisé par les différents procédés qu’il a cités.
Au mois de juillet paraît un premier mémoire sur la gutta-percha, son origine, son mode d’extraction, ses propriétés, son analyse immédiate, sa composition élémentaire et ses applications ; M. Payen conclut que cette substance, telle qu’elle nous arrive, se compose de trois principes immédiats : le plus abondant doué des propriétés générales de la substance norrmale, qu’il appelle gutta pure, et les deux autres sont des résines indifférentes, l’une blanche cristallisée, l’autre jaune, se fluidifiant très-facilement.
En 1853, plusieurs notes sur les litières, sur les engrais, sur divers agents de conservation des urines et des matériaux du sang considérés comme engrais ; sur l’emploi du soufre pour combattre le blanc du pêcher et du rosier.
En 1855, un mémoire sur les matières grasses et sur les propriétés alimentaires de la chair de différents poissons.
En 1856, une note sur la composition immédiate de l’épiderme et de la cuticule épidermique, sur la composition immédiate du cuir.
En 1857, un mémoire très-complet sur la composition et les produits du manioc. Il en conclut que les tubercules de manioc sont au nombre des plus riches en fécule amylacée, que la variété vénéneuse renferme un poison très-violent, mais volatil, l’acide cyanhydrique, dont il est facile de se débarrasser ; que l’extraction directe de la fécule permet de tirer parti de ces tubercules, très-abondants dans le pays sous forme de cassave ou de tapioka.
En 1859. M. Payen publie un mémoire sur l’amidon et la cellulose ; il fait ressortir les analogies remarquables et les différences caractéristiques qui existent entre ces deux principes immédiats.
Puis plusieurs notes sur les différents états de la cellulose dans les plantes, sur la composition de l’enveloppe des plantes et des tissus ligneux.
Un mémoire sur la gélose et les nids de Salanganes.
En 1861, un mémoire sur la dextrine et la glycose, produites par l’influence des acides sulfurique ou chlorhydrique ; sur la diastase ; sur la cellulose fibreuse extraite des bois ; sur la glycose incristallisable préparée au moyen du malt.
Un mémoire sur l’amidon des fruits verts,et les relations existant entre ce principe immédiat, ses transformations et le développement ou la maturation de ces fruits.
En 1862, quelques observations à l’occasion d’une communication de M. Reynold sur l’emploi des sulfites dans la fabrication du sucre.
En 1864, quelques observations sur le pyroxyle et le pyroxam, En 1865, deux mémoires sur l’iodure de potassium, où il montra d’abord que l’iodure fourni ordinairement par le commerce n’est pas pur et renferme toujours un peu de carbonate de potasse et un excès d’iode. Enfin, il montre le moyen de distinguer l’iodure et le bromure de potassium du chlorure par l’action que ces deux premiers corps exercent sur l’amidon, qu’ils gonflent au point de lui faire acquérir un volume de 25 à 30 fois plus considérable. Il termine par quelques mots sur l’iodure d’amidon et sur les causes de sa décoloration sous l’influence de la chaleur.
En 1866, M. Payen s’occupe de l’analyse de deux gousses de légumineuses appartenant au genre dialium, qui lui ont été rapportées de la Chine et qui, dans ce pays, tiennent lieu de savon pour lessiver le linge. Il a découvert dans le périsperme une substance gélatiniforme analogue à la gélatine et qu’il a nommée dialose.
En outre, M. Payen a publié un mémoire sur la porosité du caoutchouc, en réponse à une note de M. Graham qui, considérant le caoutchouc comme un véritable tamis dyaliseur, avait dit qu’une mince pellicule de caoutchouc n’a aucune porosité parce qu’elle est absolument imperméable à l’air. 1\I. Payen s’appuie surtout, pour invoquer la porosité du caoutchouc, sur son hydratation au contact de l’air et sur son mode de sulfuration.
En 1867, M. Payen publie, sous le nom de Structure et constitution des fibres ligneuses, un mémoire très intéressant sur les divers échantillons de pâte à papier fabriquées avec le bois, qu’il a remarquées à la grande Exposition internationale. Il passe en revue les principaux procédés employés pour arriver à ce but, et constate que déjà cette fabrication entre pour un dixième dans la production générale de la pâte à papier. L’examen de l’un de ces procédés se trouve être la confirmation des idées théoriques émises par MM. Payen et Brongniart sur la constitution des fibres végétales.
Puis un travail sur l’osmose dans les sucreries.
En 1869, un travail sur la répartition de la potasse et de la soude dans les plantes et dans les terres en culture.
Enfin, au mois d’avril 1871, M. Payen présentait encore à’ l’Académie un mémoire sur le développement des végétaux, sur la cellulose et les matières ligneuses ; enfin, sur l’influence des matières grasses et azotées sur l’alimentation.
Parmi les différents ouvrages publiés [1] par M. Payen, nous citerons :
- Un Précis d’agriculture théorique et pratique, fait en collaboration avec M. Richard.
- Un ouvrage sur les maladies des pommes de terre, des betteraves, des blés et de la vigne.
- Un ouvrage sur les substances alimentaires.
- Un Traité de la distillation de la betterave.
- Un Précis de chimie industrielle.
- Un Rapport sur les substances végétales et animales fait à la commission française du jury international de l’exposition universelle de Londres.
- L’Éloge de M. de Mirbel.
- En 1868, deux brochures intitulées : 1° Huile de pétrole, huiles lourdes des goudrons de houille ; applications au chauffage des générateurs, etc. : 2° Eaux naturelles, leur composition et leurs effets au point de vue de l’alimentation et de l’hygiène.
A. D.