Voir dans « atomes » n° 1, le début de cette étude, dont l’auteur, qui est maintenant conseiller scientifique pour les télécommunications au Ministère de l’Air et au Ministère de la Production aéronautique britannique, effectua en 1935 les premiers essais pour localiser les avions par le radar.
C’est à la suite d’un accord d’échange convenu avec notre confrère britannique : « Discovery », que nous avons pu publier cette étude. Grâce à cette amicale convention, nous aurons la faveur de présenter, dans nos prochains numéros, d’autres articles signés des personnalités scientifiques d’ outre-Manche.
Même dans les premiers jours de la guerre, nous avions déjà une faible proportion de nos avions mêlés aux avions ennemis. Un problème qui se posa donc était de trouver un moyen de distinguer les avions amis des adversaires. Ceci fut réalisé en montant sur chacun de nos avions un petit appareil appelé I. F. F. [1], qui, lorsqu’il recevait les impulsions du radar, envoyait presque aussitôt une réplique .amplifiée et codifiée de celles-ci, disant ainsi : « Je suis un ami », ou encore : « Je suis un ami de telle ou telle catégorie ».
L’Indicateur de Position.
Nous avons vu les dispositifs C.H., C.H.L. et I.F.F. , qui permirent de gagner la bataille d’ Angleterre de jour. Il fallait maintenant assurer le succès de la bataille de nuit. La précision obtenue dans la localisation des avions n’était pas suffisante pour permettre à un chasseur d’apercevoir son ennemi sans s’approcher très près de lui. AUSSI, dès les débuts du radar anglais, on construisit le dispositif A.I. dans lequel tout le système émetteur-récepteur occupait si peu de place qu’il pouvait être monté sur chaque avion de chasse.
Comme ce système n’avait qu’une portée comprise entre 2,5 et 4 miles, un intermédiaire était nécessaire pour amener le chasseur de nuit jusqu’à l’endroit où il pouvait prendre contact avec l’adversaire en se servant de son propre appareil de radar (installation A.I.) L’équipement intermédiaire appelé G.C.I. [2] est réalisé en ajoutant au système C.H.I. [3] un dispositif qu’on appelle P. P. I. (plan position indicator) qui sert d’indicateur de position.
Dans ce dispositif, au lieu de faire partir l’échelle des distances du côté gauche de l’écran du tube cathodique, nous pouvons la faire partir du centre de cet écran et, de plus, nous pouvons la faire tourner autour du centre en concordance exacte avec la rotation de l’antenne du système C. H. L. qui émet un faisceau de 12° à 15° d’ouverture.
Si, au lieu de laisser apparaître le « blip » comme une encoche sur l’échelle des distances, nous utilisons le signal qui arrive pour augmenter l’éclat du spot, la position de ce spot brillant nous donnera en coordonnées polaires la position de l’avion sur le plan, d’où le nom de P. P. I.
En fait, ce que l’on mesure, c’est une distance oblique et non sa projection horizontale, mais l’erreur ainsi obtenue est pratiquement négligeable, sauf pour les distances très courtes.
Comme le radio-faisceau a une certaine largeur, il serait faux de croire que la région brillante qui correspond à un écho donné, est un véritable spot. En réalité, c’ est un secteur de lumière très étroit dans la direction radiale, mais couvrant la plus grande largeur du faisceau. L’ orientation de la cible qui produit l’écho peut cependant être estimée avec une bonne précision en prenant le point central du secteur et la distance de l’écho est donnée par le bord intérieur de ce secteur lumineux.
C’est donc grâce à la combinaison des systèmes C.H. et C.H.I. sur les côtes, du G.C.I. à l’intérieur des terres et du dispositif A. I. sur les chasseurs de nuit, que l’on remporta, aux débuts de 1941, avec succès, la partie nocturne de la bataille d’Angleterre. Le P. I. survivra à cette bataille, dans ses applications aux transports maritimes et aériens.
Parallèlement à l’équipement A.I., on réalisa un équipement semblable destiné aux avions de la défense côtière et de l’aéronavale pour l’attaque des sous-marins. Ces sous-marins venaient à la surface la nuit ou par temps de brouillard. Il y avait aussi intérêt à ce qu’un avion puisse se cacher derrière un nuage pour observer un bateau.
La mesure de la distance oblique entre l’avion et le bateau s’effectue par le procédé que nous avons déjà décrit à propos des stations terrestres, tandis que l’orientation relative de la cible se fait par la technique du faisceau balayant : Cette technique a de nombreuses applications dans les équipements C.H.L. et G.C.I. déjà cités, dans le pointage des canons antiaériens., dans l’équipement S.L.C. qui permet de braquer directement un faisceau lumineux sur sa cible et dans de nombreux types de radars utilisés dans les transports maritimes.
Nous avons déjà indiqué dans les paragraphes précédents que le faisceau lumineux optique avait un grave défaut : lorsque le faisceau de lumière a laissé échapper sa cible, on ne sait pas comment la rattraper rapidement. Le balayage par un faisceau radioélectrique élimine complètement ce défaut.
En effet, il est très facile de faire varier un faisceau radioélectrique, de quantités égales, autour d’une position moyenne, et ceci avec des amplitudes de quelques degrés. L’écho venant d’une cible donnée varie pendant un tel cycle et la position de cette cible peut être facilement et exactement déterminée en observant cet écho.
Grâce à ce procédé, un avion équipé contre les sous-marins peut être constamment dirigé par le sous-marin qu’il poursuit. De plus, un contact visuel avec le sous-marin peut être maintenu si l’avion possède à côté du radar un projecteur lumineux spécial appelé « Leigh-Light »).
C’est par l’emploi de tous ces procédés que l’on a pu remporter la première phase de la bataille de l’Atlantique.
Un fait cependant vient s’ajouter à tout ceci : c’est l’installation dans les sous-marins ennemis d’un récepteur radioélectrique leur permettant de plonger avant que le chasseur n’ait eu le temps de les atteindre pour les attaquer.
Cette parade ennemie avait été prévue bien avant son utilisation et nous y reviendrons en parlant du radar centimétrique.
Nous n’avons pas besoin d’insister sur les détails des applications de ces principes généraux aux différents modes de défense.
Tous les dispositifs décrits ont des défauts et sont d’un emploi limité, en ’particulier à cause de la largeur du faisceau radioélectrique qui provoque une « illumination » trop forte -si l’on peut employer ce terme d’optique.
Nous aurons avec de tels faisceaux une portion mal définie des cibles sur l’écran, une grande difficulté à séparer les indications provenant de cibles très voisines, et des échos provenant de la réflexion des ondes sur le sol ou la mer sur une grande surface.
Tout ceci complique la réception qui est déjà assez difficilement déchiffrable.
On comprend ainsi quel intérêt nous aurions à posséder un système dans lequel un très fin pinceau de radiations balayerait systématiquement, point par point, ta surface que l’on veut observer, de façon que seuls les objets se trouvant dans un petit espace renvoient des échos à un instant donné. Si on répète ce balayage systématique suffisamment vite, te faisceau d’électrons du tube cathodique qui correspond au faisceau radioélectrique émis dessinera et redessinera sur l’écran du tube une image nette et bien définie de la position des objets réfléchissants situés sur le sol.
Radar centimétrique.
La réalisation de ce système ne peut se faire qu’avec des longueurs d’ondes beaucoup plus faibles que celles employées jusqu’ici, car Il n’y a pas d autre moyen pour avoir des faisceaux radioélectriques fins que d’utiliser des radio-miroirs de plusieurs longueurs d’onde d’ouverture et ce n’est que si la longueur d’onde peut être abaissée à 10 cm, ou plus bas, que des miroirs d’ouverture suffisante (mesurée en longueur d’onde) peuvent être transportés par des avions ou même des bateaux.
Il fallait donc posséder des émetteurs puissants et des récepteurs très sensibles aux ondes centimétriques. Ce problème peut être réalisé grâce aux connaissances et à l’ingéniosité des physiciens et grâce aussi à leur zèle.
De plus, dès le printemps 1939, la petite équipe qui travaillait sur le radar a été fortement augmentée. Quelque quatre-vingt-dix de nos plus brillants jeunes physiciens ont été invités à étudier le radar qui était en fonctionnement le long de nos côtes, à découvrir les améliorations qu’il y aurait lieu d’y apporter et à proposer des solutions à tous ces problèmes. Le besoin urgent des ondes centimétriques s’étant fait sentir, l’équipe que le Professeur M.-L.-E. Oliphant a groupée autour de lui à l’Université de Birmingham entreprit la tâche de fabriquer une lampe d’émission ayant une puissance très supérieure à tout ce qui avait été fait jusque-Ià dans le domaine des ondes centimétriques.
Le Professeur J.-T Randall fabriqua un nouveau magnétron en appliqua t à l’ancien modèle la nouvelle technique des cavités résonnantes. Les premiers efforts dans l’application des ondes centimétriques sont ceux concernant le dispositif A.I. Comme nous l’avons dit, l’effet des échos du sol est d’obscurcir l’écho pr venant d’un avion quelconque ; en particulier, c’est l’écho qui provient du sol directement sous l’avion qui est le ,plus gênant ;. Ceci explique pourquoi le premier type de radar centimétrique a été du type A.l. où un système d’émission astucieux réduit fortement les échos provenant du sol et augmente considérablement la précision de la localisation du bombardier par le chasseur qui l’intercepte. Ce nouvel équipement n’a pas eu affaire à autant de « clients » que son prédécesseur, mais il a rendu d’énormes services, en Afrique du Nord, en Méditerranée, et lors de la libération de l’Europe.
Après les expériences sur le système A.I. on a immédiatement développé le système centimétrique A.S.V. qui devait contrecarrer les postes d’écoute des sous-marins ennemis, postes non encore installés, mais que l’on prévoyait.
Entre mars 1943 et la fin juin, l’emploi de 50 à 100 systèmes centimétriques A.S.V. en plus des systèmes P.P.I, aéroportés, permit de mettre un terme à la menace des sous-marins. A la suite de cet emploi massif des avions équipés avec le système A.S.V., le Führer fut amené à parler d’un « contre temps provisoire de nos sous-marins.. dû à une seule invention technique de nos ennemis » ! Le contre temps « provisoire » se prolongea jusqu’à la défaite de l’ Allemagne. Nous ne pouvons donner ici tous les détails du développement du radar centimétrique ; nous nous bornerons à ses applications les plus importantes.
Le rivage et en particulier les falaises réfléchissent l’écho vers l’avion de sorte que l’image du P.P.I. dans le système A.S.V. représente en gros le pourtour des côtes. Bien plus, un système A.S.V .volant au-dessus des terres reçoit des échos intenses des villes, des hangars, etc, Ce fait a grandement aidé les bombardements de nuit. C’est un autre système appelé H.2S. « gen box » ou « Mickey » qui a été particulièrement utile dans ce cas.
La façon dont les lacs ,et les rivières apparaissent en noir, tandis que les villes apparaissent sous forme de taches brillantes peut se voir sur les photographies des P.P.I., données par les systèmes H.2S. Nous en donnons un exemple fig. G.
C’est par l’emploi de tels procédés que l’on a pu multiplier par un facteur Important le nombre de Jours où le bombardement était possible, même par temps couvert.
Le Gee. Il faut citer encore le « Gee », qui a été le système de radar le plus fréquemment installé. Il ne repose pas sur le principe des échos de radar, mais utilise des pulsations et toutes leurs techniques associées qui sont les caractéristiques essentielles du radar. Sans le « Gee » les raids de 1.000 avions, et, de plus, la concentration des bombardiers de nuit sur leurs objectifs en des temps donnés, n’auraient pu être menés à bien.
Si nous envoyons simultanément des pulsations de deux stations terrestres, un avion équipé avec un récepteur d’impulsions ne peut mesurer sa distance à l’une ou l’autre des stations, parce qu’il ne connaît pas l’instant où ces pulsations sont émises. Mais, il peut mesurer avec quel retard l’une des impulsions arrive sur l’autre et par là de combien B est plus éloigné que H. En fait, il peut déterminer sur quelle courbe, parmi une famille de courbes de même différence de distances (hyperbole), il se trouve. Si une troisième station C émet aussi des pulsations synchronisées, notre avion pourra savoir sur quelle nouvelle hyperbole d’une autre famille il se trouve également. L’avion aura ainsi déterminé sa position sur la carte.
« Gee » et son père américain « Loran » ont actuellement couvert une grande partie de la carte du monde avec des grillages de navigation qui servent, soit pour les avions, soit pour les bateaux.
« Gee » a rendu tellement de services dans la bataille de Normandie que le jour « J » a été appelé le jour « G » ; La précision obtenue avec « Gee » est de quelques miles carrés à une distance de 300 miles environ des stations terrestres et environ d’un quart de mile carré aux alentours du milieu de la ligne joignant les deux stations. Cette précision n’était cependant pas suffisante et un nouvel appareil dénommé « Oboe » a été créé qui représente ce qu’il y a de mieux comme radar à longue distance. Nous avons ici aussi deux stations terrestres émettant des pulsations mais qui cette fois sont captées et émises par un système du genre I.F.F. fortement amélioré. Le temps de parcours des impulsions est mesuré avec le maximum de précision possible. Une des deux stations guide l’avion de façon à ce qu’il suive un cercle passant exactement par le point de lâché des bombes pendant que l’autre station indique au pilote quand il se trouve à 8, 6, 4, 2 minutes et 30 secondes d’un autre cercle passant par ce même point de lâché des bombes.
DISPOSITIF DE RADAR D’UN LANCASTER
L’équipement complet d’un avion est constitué par 40 à 50 appareils de radio qui comprennent en tout plus de 300 lampes. Cette figure est destinée à montrer le nombre d’installations nécessaires au bon fonctionnement du radar.
- 1Dispositif H2S appelé encore « œil magique ».
- 2 émetteur télégraphique de l’état-major du Groupe.
- 3 Dispositif « Gee » : système de navigation basé sur les informations provenant de stations terrestres.
- 4 Au retour d’une mission, des stations de repérage et de renseignements guident les bombardiers dès l’approche des côtes anglaises. Les émissions se font à l’aide de longueurs d’ondes connues des équipages.
- 5 « Gonio » de moyenne fréquence servant à donner la direction à l’avion.
- 6 Station principale de « Gonio » émettant un signal convenu si le pilote est sur la bonne voie en direction de l’aérodrome, une série de points s’il dévie à gauche, et une série de traits s’Il dévie à droite.
- 7 Signaux du terrain d’atterrissage. Le contrôle de toutes les opérations de vol e5t fait par téléphone aux stations (8) de haute fréquence du terrain. Le poste de contrôle possède un appareil à très haute fréquence en liaison avec l’antenne ( Il), et un poste radio-téléphonique servant en cas de panne des autres dispositifs de radio.
- 9 et 10. Le balisage à l’intérieur et à l’extérieur du terrain donne au pilote sa distance à la piste d’atterrissage.
- 12. Communication avec les autres avions du groupe par des postes à très haute fréquence.
- 13. Stations de moyenne fréquence espacées d’environ 6 à 7 miles l’une de l’autre.
- 14. Dispositif IFF (identification friend or foe). Système possédant une antenne spéciale destinée à identifier les avions amis des ennemis. En cas de difficulté l’avion attire l’attention des stations terrestres en émettant un signal convenu.
- 15. équipement de protection du bombardier protégeant l’équipage des attaques aériennes.
- 16. Avertisseurs sonores protégeant l’avion des montagnes et de toutes les installations pouvant être des obstacles dangereux. On l’appelle le « Mountain goat » (la « chèvre de Montagne ».)
Par ce moyen le pilote connaît avec grande précision le moment où il doit lâcher ses bombes. On obtient avec l’« Oboe » une précision de l’ordre de 200 mètres dans les conditions de combat, et de l’ordre de quelques dizaines de mètres à l’entraînement résultats très satisfaisants. Ce n’est pas trop exagérer que de dire que la bataille de la Ruhr a été gagnée grâce à cette méthode de radar.
Le radar, même pendant la guerre, n’a pas été uniquement un instrument de destruction. Par l’ampleur de son aide à la navigation maritime et aérienne, en protégeant les navires côtiers des champs de mines, en éliminant les dangers dus au brouillard et aux icebergs (repérables à. des distances de 10 miles) le radar, en temps de paix, contribue grandement à. la sécurité des transports par mer et par air.
Sir Robert WATSON-WATT Fellow of the Royal Society.