Le laboratoire maritime de Saint-Vaast-La-Hougue

Henri Coupin, La Nature, N°1117 - 27 Octobre 1894
Samedi 28 février 2009 — Dernier ajout vendredi 2 février 2018

Le laboratoire maritime de Tatihou
Format A5 34 pages 4,20 €

Le laboratoire maritime de Saint-Vaast-la-Hougue, dont l’aménagement est commencé depuis plusieurs années (Voy. N° 794 du 18 aout 1888 Le laboratoire maritime du muséum d’histoire naturelle par Edmond Perrier), peut être considéré aujourd’hui comme terminé. A peine en formation cependant, il recevait déjà nombre de travailleurs, venus un peu de tous les coins de l’Europe. Nous-même y avons été « faire une saison », suivant l’expression consacrée aujourd’hui par les naturalistes, pendant quatre années successives, et c’est pour nous un plaisir que de faire connaître avec un peu de détails ce très beau laboratoire, véritable pépinière de naturalistes.

Ce laboratoire dépend, on le sait, du Muséum d’histoire naturelle, et se trouve sous l’active et bienveillante direction de M. Edmond Perrier. Il n’a pas été construit dans le but de servir aux recherches zoologiques. Loin de là, c’est un ancien lazaret, aujourd’hui désaffecté : néanmoins les frais qu’a occasionnés son aménagement sont considérables, beaucoup plus grands qu’on ne se l’imaginerait, étant donné que c’est une annexe d’un établissement aussi peu rétribué que notre Muséum d’histoire naturelle. Il a fallu toute la sollicitude de M. Liard et des professeurs du Jardin des Plantes pour en équilibrer le budget. Celui-ci a été bien employé et, sous le rapport des ressources qu’il offre aux travailleurs, le laboratoire de Saint-Vaast peut rivaliser avec les plus beaux laboratoires d’Europe.

Les bâtiments sont installés dans l’île de Tatihou, un peu au sud de Barfleur, dans la nuque de la tête d’oiseau que dessine la presqu’ile du Cotentin (fig. 3) Tatihou n’est en réalité une île qu’à marée haute ; à marée basse, elle est réunie à Saint-Vaast-de-la-Hougue par un vaste terrain, appelé le Rhun, et occupé en grande partie par des parcs à huîtres. On est donc constamment en relation avec le continent, car on peut traverser le Rhun à pieds presque secs, et, quand la mer est haute ; le bateau attaché à l’établissement, La Favorite, vous transporte en quelques minutes, au moindre désir. Dans Pile, il y a en outre un fort aujourd’hui déclassé, et des pâturages où paissent des bestiaux. On est absolument seuls, ce qui est une excellente condition pour travailler : il n’y a ni casino, ni plage mondaine pour détourner les jeunes zoologistes de leurs devoirs, et la seule distraction à laquelle on puisse se livrer consiste en des bains hygiéniques, excellent repos pour le corps et l’esprit.

Construit entièrement en granit, le laboratoire a un aspect austère qui est bien loin de l’aspect somptueux des stations de Naples, de Plymouth, etc. Entouré par un large mur, criblé de meurtrières, il semble fait plutôt pour repousser des assaillants que pour abriter des zoologistes aux mœurs généralement paisibles. A l’intérieur sont dispersés un certain nombre de bâtiments :

1° une maisonnette pour le sous-directeur, M. Malard, et le marin ;

2° un hangar où sont enfermés les engins de pêche ;

3° une maisonnette avec cuisine et réfectoire ;

4° deux baraquements pour les conférences et les collections ;

5° un bâtiment pour le directeur ;

6° une salle des machines

7° un château d’eau

et

8° les bâtiments où sont installés l’aquarium et les salles de travail ;

L’Aquarium contient douze grands bacs dont la capacité varie de 1 à 5 mètres cubes (fig. 1). Limités en avant par une épaisse glace de Saint-Gobain, les animaux s’y observent avec une grande facilité et y vivent, pour ainsi dire, comme chez eux. L’eau de mer, à marée haute, s’accumule dans une vaste citerne, ou eue se dépouille de ses impuretés et prend une température constante. De là, Peau est conduite par une pompe rotatoire, mue par une machine à air chaud. dans : un réservoir placé à une hauteur de 10 mètres. Cette eau est copieusement distribuée aux différents bacs, où elle entraîne en outre des bulles d’air destinées à augmenter encore l’oxygénation du liquide. Là vivent des Actinies, des Bernard-l’ermite, des crevettes, des spatangues, des poissons, des poulpes, des homards, des étoiles de mer, en un mot, la faune littorale et la faune profonde.

En outre des grands bacs, il y en a une quin zaine de plus petits pour les espèces minuscules et demandant à être examinées de près. Enfin, pour les espèces encore plus petites, on a disposé une multitude de petits aquariums mobiles où l’eau est constamment renouvelée

Les salles de travail, à une ou deux places, ser vent à la fois de chambres à coucher et de salles de recherches. Cette disposition, qui n’existe dans aucun autre laboratoire, est très pratique : on est souvent obligé de se lever la nuit pour voir ce que font les animaux en observation. Dans un coin de la chambre, sur un évier en zinc, on dispose différents aquariums où l’eau est amenée constamment : les animaux y vivent aussi bien que dans les bacs de l’Aquarium ; j’y ai conservé pendant plus d’un mois des Solaster, animaux cependant très délicats, et des petites Seiches dont la vivacité ne s’est pas démentie un seul instant. Les tables, en ardoise, sont bien éclairées, et supportent les instruments nécessaires pour l’histologie et l’anatomie. Espérons qu’un jour on y apportera aussi des appareils pour la physiologie comparée, cette science si intéressante et encore si peu étudiée.

Ce qui fait de Tatihou un séjour particulièrement fructueux, c’est que, sans parler de l’aménagement du laboratoire, la faune s’y montre aussi riche qu’on peut le désirer : bancs de sables, vases épaisses, parcs à huîtres, marées énormes, rochers abondants, plaines de zostères, tout ce que peut désirer un naturaliste s’y rencontre. En outre, grâce à la petite barque, on peut aller, en pleine mer, pêcher au filet fin et ramener ainsi des embryons et des cœlentérés splendides. La figure 4 représente une de ces pêches pélagiques, opérée par MM. Blanc, Gravier, Martin et Fauvel . On voit ces savants, écumeurs de mer d’un nouveau genre, promener le filet à la surface de l’eau et examinant le contenu de la récolte : les animaux sont si transparents qu’il faut une grande attention pour les apercevoir. Pour cela il est nécessaire de renverser la poche du filet et de la plonger dans un vase rempli l’eau. C’est à cette occupation que se livre le zoologiste le plus rapproché du marin et qui n’est autre que M. Blanc, le sympathique professeur de Lausanne. Un autre bateau de plus fort tonnage permet de draguer au large. L’une de nos gravures représente le marin du laboratoire, M. Chatel, ancien capitaine de cabotage, tenant une petite drague et un engin pour récolter les crustacés côtiers (fig. 2). Les fonds sont on ne peut plus variés et par suite, très riches en espèces et très intéressants.

Enfin, nous devons ajouter que l’on prend ses repas au laboratoire même, ce qui est très avantageux à tous les points de vue. Les zoologistes ne sont généralement pas riches et cela constitue pour eux une économie très sensible.

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