Il a été longtemps de mode de médire du Muséum d’histoire naturelle, et l’on en médit quelquefois encore.
On ne lui pardonne pas toujours d’avoir conservé à peu près intacte la sage constitution qu’il tenait de la Convention.
On a essayé de le soumettre à un régime administratif moins indépendant. Dans certains cours publics, on a représenté ses chaires comme d’aimables sinécures dont les titulaires ignoraient jusqu’à la valeur des richesses qui leur sont confiées. On a raconté à plusieurs reprises que les collections recueillies pour lui s’accumulaient dans de vastes greniers où les caisses n’étaient même pas défaites et dont aucun œil n’avait jamais sondé les mystérieuses profondeurs. Il se rencontre encore de temps en temps des gens qui essayent avec précaution de se faire avouer que les caisses envoyées par Victor Jacquemont dorment, toujours fermées, dans quelque recoin de ces tristes nécropoles.
Pendant très longtemps le personnel du Muséum d’histoire naturelle a été si peu nombreux, ses bâtiments si exigus et si délabrés, ses laboratoires mesquins, sa dotation si faible, qu’il a fallu, en effet, des miracles incroyables d’ordre et d’énergie pour conserver intactes les magnifiques collections qui y affluent chaque jour.
Aujourd’hui se manifeste, dans ce Muséum longtemps si délaissé et pourtant si populaire, un vigoureux mouvement d’expansion, au triple point de vu des collections, de l’enseignement, des travaux scientifiques. Une galerie de paléontologie vient d’être créée et admirablement aménagée par M. Albert Gaudry. Un spacieux et magnifique monument qui sera ouvert au public en 1889 [1], va recevoir les collections de zoologie dont la presque totalité, classée et cataloguée, pourra être exposée ; les missions scientifiques encore récentes des passages de Vénus, celles du cap Horn, du Travailleur et du Talisman, ont enrichi ces collections d’inappréciables trésors. Ces deux dernières campagnes, si habilement organisées et si courageusement dirigées par M. Alphonse Milne-Edwards (1835 — 1900) ont ajouté une page des plus brillantes aux annales de la science française.
De vastes laboratoires destinés aux chaires d’anatomie végétale, de culture, de géologie, de minéralogie, d’anthropologie seront inaugurés à la rentrée prochaine, au 53 de la rue de Buffon, sous la direction respective de MM, Van Tieghem, Cornu, Daubré, Des Cloiseaux, de Quatrefages.
L’établissement de quinze bourses de doctorat d’agrégation n’avait pas peu contribué à vivifier l’enseignement du muséum. Cette mesure vient d’être complétée par une Création qui est une véritable innovation pour notre enseignement supérieur, et qui est due à l’initiative de l’illustre directeur de Muséum Fremy, libéralement soutenu Par M. Liard, recteur de l’Enseignement Supérieur, et M. Burdeau, député, rapporteur du budget de l’Instruction Publique. Une fois le grade de docteur obtenu, les jeunes gens aptes à faire avancer la science, éprouvent souvent le plus grand embarras à trouver les moyens de continuer leurs recherches originales. Les créations de bourses s’adressent presque partout aux élèves ; elles ouvrent l’accès de certains grades mais le grade une fois obtenu, la bourse se ferme, et les nécessités de la vie imposent au jeune docteur l’obligation de donner des leçons élémentaires ou d’écrire au courant de la plume des articles d’actualité. Aucune autre carrière que celle de la pédagogie ou de la vulgarisation ne lui est ouverte pour le moment.
Pour remédier à cet état de choses et permettre à des jeunes gens d’une valeur reconnue de continuer à consacrer à la science un temps précieux M. Fremy, commençant à réaliser l’organisation des carrières scientifiques, a obtenu l’institution, près le Muséum, de places de stagiaires, peu rémunérées à la vérité (2 400 francs), encore trop peu nombreuses, mais qui permettront aux plus remarquables élèves de l’établissement, d’attendre, en concourant au progrès scientifique dans notre pays, que s’ouvrent pour eux les positions définitives du Muséum et surtout les maîtrises de conférences et les chaires dont les Facultés des sciences sont abondamment pourvues. Familiarisés par leur séjour au milieu de magnifiques collections avec l’infinie variété des formes vivantes, presque tous licenciés ès sciences physiques et agrégés des sciences naturelles en même temps que docteurs, ils constitueront des recrues de premier ordre pour nos universités, où les fonctions d’examinateur cumulées avec celles de professeur exigent une instruction générale étendue et des aptitudes professionnelles dont le doctorat ne fait pas la preuve. Le Muséum justifiera ainsi la place qui lui a été assignée par son décret d’organisation à la tête des institutions dans lesquelles peut se recruter le personnel de nos professeurs et de nos savants.
Pour obtenir ces résultats, il a dû non seulement étendre ses collections, mais encore modifier son outillage. De vastes laboratoires d’enseignement et de recherches qui occupent aujourd’hui une bonne moitié de la rue de Buffon lui ont été annexés et sont libéralement ouverts à qui veut chercher ou apprendre. Grâce à l’activité de nos voyageurs et de nos missionnaires, les êtres vivants ou fossiles les minéraux et les roches de tous les points du globe s’y donnent, en quelque sorte, rendez-vous et fournissent aux étudiants et aux maîtres d’inépuisables sujets d’étude ; mais c’est là l’étude de la nature morte, et pour donner tous les résultats qu’elle comporte, elle doit être sans cesse contrôlée par l’étude des êtres vivants. C’est pourquoi ont été fondées ailleurs les stations zoologiques maritimes, dont la nécessité s’impose à ce point, qu’en Angleterre l’initiative privée vient de constituer à Plymouth un magnifique établissement de ce genre, digne de rivaliser avec celui qu’a fondé à Naples le docteur Dohrn.
Le Muséum d’histoire naturelle, dont les services sont si multiples, dont le personnel scientifique compte presque autant de naturalistes que toutes nos Facultés de sciences réunies, qui est non seulement un établissement d’enseignement, mais une sorte de comité permanent d’étude de toutes les questions agricoles industrielles et commerciales dans lesquelles interviennent les êtres vivants, le Muséum d’histoire naturelle devait être doté, lui aussi, d’un laboratoire maritime. Une aussi grosse machine ne pouvait imposer sa clientèle à l’une des stations déjà fondées sur l’exemple si brillamment donné par M. de Lacaze-Duthiers sans l’absorber entièrement. Aussi, dès 1881, l’assemblée des professeurs du Muséum demandait-elle au Ministre de l’instruction publique la création d’un laboratoire maritime relevant directement de l’établissement qu’elle dirige et placé à Saint-Vaast-la-Hougue (Manche), localité peu éloignée de Paris et illustrée par les travaux de zoologistes tels que Henri et Alphonse Milne-Edwards (1835 — 1900), de Quatrefages, Audouin, Claparède, Grube, Jourdain, de botanistes tels que Thuret, Bornet. Grâce à l’inépuisable sollicitude que M. Liard, directeur de l’enseignement supérieur, porte au développement de nos institutions scientifiques et dont il a déjà donné tant de preuves au Muséum, le vœu des professeurs du Muséum est enfin exaucé. Le point le plus riche de cette admirable plage de Saint-Vaast, où les prairies de Zostères s’étendent à perte de vue aux grandes marées, est Tatihou, presqu’île dix-huit heures par jour, île pendant six heures. Là se trouvait un lazaret [2] qui n’avait jamais été utilisé et ne répondait plus aux besoins actuels du commerce. Ce lazaret, composé de onze bâtiments presque neufs, a été cédé par le Ministère du commerce au Muséum d’histoire naturelle : les onze bâtiments qu’il comporte actuellement n’ont besoin que d’insignifiantes modifications intérieures et de l’installation hydraulique spéciale pour être aménagés en laboratoire.
Nous donnons (fig. 1) un plan d’ensemble de l’Institut zoologique du Muséum tel qu’il va être réalisé sous la haute direction de M. André, l’éminent académicien à qui l’on doit les nouvelles galeries et les nouvelles serres du Muséum, par M. Dauphin, l’habile architecte qui a construit l’École des sciences et lettres d’Alger. L’eau de mer, retenue d’abord dans un bassin-vivier à écluses, se rendra dans une citerne où elle déposera les matières qu’elle tient en suspension. Elle sera élevée de là dans des bassins étanches établis dans les combles du laboratoire et d’une capacité suffisante pour permettre, trois fois par jour, le renouvellement total de l’eau des bassins et aquariums. Ceux-ci, placés pans une vaste salle du rez-de-chaussée, auront une capacité totale d’environ 30 m3, non compris un bassin extérieur destiné à recevoir les gros poissons.
Dix-huit naturalistes, non compris le personnel administratif, pourront travailler dans le laboratoire où ils auront à la fois le vivre et le couvert, un réfectoire devant être installé, comme à Plymouth, pour éviter les voyages à Saint-Vaast, que l’heure des marées ou l’état de la mer peuvent rendre momentanément difficiles. En outre, un vaste baraquement sera confortablement aménagé pour donner asile aux élèves des Écoles publiques qui ont introduit les excursions au bord de la mer dans l’enseignement pratique des sciences naturelles.
Chaque laboratoire aura son aquarium particulier avec robinets d’eau de mer, robinets d’eau douce et toute l’installation qui peut faciliter les études. En outre, une bibliothèque, une salle de conférences et des collections régionales seront mises à la disposition des travailleurs.
Le laboratoire maritime du Muséum s’efforcera d’ailleurs d’être utile à tous les établissements publics d’instruction, à la disposition desquels il mettra des animaux vivants ou conservés par les meilleures méthodes récemment découvertes, comme il le fera pour les diverses chaires du Muséum elles-mêmes. Il sera non moins utile aux botanistes qu’aux zoologistes qui trouveront dans ce laboratoire impersonnel, comme le Muséum lui-même, toute la liberté et toute l’assistance matérielle et scientifique dont ce grand établissement a depuis longtemps gardé la tradition vis-à-vis des hommes de science qui l’ont fréquenté. Placé dans une région où s’enchevêtrent les terrains primitifs, primaires et secondaires, que la côte coupe successivement, le laboratoire de Saint-Vaast aura à sa disposition une flore et une faune plus variées que partout ailleurs. Les abris granitiques, les phyllades cambriennes, les conglomérats siluriens, les sables, les vases, les calcaires oolithiques lui apporteront leur contingent. Depuis quelque temps l’ostréiculture a pris à Saint-Vaast même une réelle importance. Le laboratoire maritime sera naturellement pour les ostréiculteurs, de même que pour les pêcheurs, un lieu d’études où pourront être faites toutes les recherches profitables à leur industrie, tandis que les parcs à huîtres fourniront à leur tour une faune spéciale, facile à entretenir dans les parcs abandonnés où prospèrent à l’envie, dans des conditions exceptionnelles de tranquillité, tant de formes intéressantes. Telles sont les conditions dans lesquelles est institué le laboratoire déjà ouvert, qui couronne dignement l’organisation de notre Muséum national d’histoire naturelle, et dont quelques difficultés administratives, à peu près levées heureusement grâce à l’habile persévérance de M. le Directeur de l’enseignement supérieur, et nous sommes heureux de le dire, la bonne volonté de tous, ont seules retardé la complète installation.
Avec les admirables galeries dont l’éminent architecte du Muséum, M. André, donnera la primeur au. visiteurs de l’Exposition de 1889, avec ses vastes laboratoires de la rue de Buffon, son laboratoire maritime, les moyens de pêche qui seront mis à sa disposition, sa ménagerie historique, si richement peuplée grâce aux soins vigilants de M. Alph. Milne-Edwards. son jardin botanique que M. Cornu dirige avec tant de sollicitude après M. De caisne, le maître vénéré auquel il a succédé, avec ses serres dont il sera facile, quoi qu’on en dise, de tirer un fort beau parti, son enseignement désormais puissamment organisé au point de vue pratique, comme au point de vue théorique, le Muséum d’histoire naturelle de Paris va présenter un en semble unique au monde, et dont chaque département pourra soutenir avantageusement la comparaison avec les établissements isolés de l’étranger auxquels il correspond. C’est maintenant aux pouvoirs publics à comprendre quel instrument de gloire et de richesse peut être pour le pays une institution qui, malgré tant de circonstances défavorables, a pu trouver en elle-même une aussi grande force d’expansion.
C’est aux pouvoirs publics à en tirer tous les avantages que sa bonne volonté met à leur disposition, à féconder son activité en lui donnant les moyens de s’exercer utilement, en lui demandant tout ce qu’il peut donner.