Les nombreux lecteurs de La Nature qui s’intéressent à la zoologie ont entendu parler des stations maritimes installées sur divers points des côtes de France et tous connaissent de réputation le laboratoire fondé à Roscoff par le savant membre de l’Intitut M. de Lacaze-Duthiers. Peut-être même quelques-uns se souviennent-ils encore d’un article de ce journal publié en 1875 (n° 128, du 13 novembre, p. 369). Mais à part ceux qui sont venus y travailler et qui ont pu se rendre compte par eux-mêmes de l’organisation si éminemment favorable à leurs études, il y en a sans doute bien peu qui se fassent une idée exacte de ce qu’est ce grand établissement scientifique qui est maintenant une annexe de la Sorbonne. C’est pour ceux-là que je vais en donner une courte description. Mais il faut tout d’abord retracer en quelque mots l’histoire du laboratoire.
La station a été fondée en 1872 ; elle existe donc depuis treize ans, mais on peut dire qu’elle a treize fois changé d’aspect. Ceux qui depuis six ou sept ans y viennent assidûment travailler , trouvent à chaque saison nouvelle une amélioration ou un progrès nouveau.
Une maison louée, un petit hangar dans une cour, peu ou pas de matériel, quatre chambres de travail, tel a été le début de la station, début modeste comme on le voit. Plus tard l’installation d’un aquarium provisoire, qui sans être luxueux ne laissait pas d’être commode, suffit à faire de belles découvertes sur de nombreux animaux.
Un petit bateau servait à l’approvisionnement des quelques travailleurs qui venaient alors à Roscoff ; peu à peu leur nombre augmentant, il fallut songer à s’agrandir, et l’achat d’une propriété définitive fut décidé. Depuis lors M. de Lacaze-Duthiers n’a fait que développer et transformer cette première acquisition. Une grande maison qui fut aménagée en 1879 formait le nouveau laboratoire ; elle était construite dans un grand jardin situé presque au bord de la mer. Je viens d’écrire le mot presque. C’est qu’en effet le jardin était séparé de la mer par un petit chemin. Le plan (fig. 1) montre que ce chemin fait un coude ; autrefois il était tout droit et passait sur la terrasse qui borde aujourd’hui le vivier. Que de démarches, de voyages, de discussions sans fin, que d’encre versée sur le papier (voire même timbré) pour faire céder ce chemin au laboratoire ! Enfin, après des mois de luttes, la victoire est restée à la ténacité de M. de Lacaze-Duthiers, qui put alors commencer l’installation du vivier et de l’aquarium.
Tout cela ne se fit pas d’un seul coup. Une autre amélioration capitale fut apportée en 1882 ; les écoles de la ville qui étaient enclavées dans l’établissement lui furent cédées ; les murs de séparation tombèrent ; l’école est devenue laboratoire, les classes ont été remplacées par des salles de recherches, et l’on ne reconnaît plus aujourd’hui la trace de la séparation primitive, tant le laboratoire forme un tout uniforme. Nul ne sait ce qu’il a fallu de patience pour constituer de pièces et de morceaux un établissement aussi vaste et dont toutes les parties s’harmonisent si complètement.
La même année un parc d’un demi-hectare fut installé en pleine grève en face du laboratoire ; la mer le couvre chaque jour ; c’est une réserve où les animaux pullulent et qui pendant la mauvaise saison, alors que les excursions lointaines ne sont pas possibles, permet de satisfaire aux demandes qui viennent de tout côté. Tout n’est pourtant pas fini. L’an dernier un petit morceau de terre a été acheté pour y installer les appareils hydrauliques destinés à alimenter l’aquarium.
Cette acquisition était indispensable aussi pour qu’on ne vint pas bâtir des constructions sur ce terrain, et priver de lumière la salle des recherches qui se trouve en face. Hélas nous retrouvons là notre ennemi : le petit chemin ! Depuis dix-huit mois les négociations continuent pour la cession de ce maudit sentier, négociations avec la commune, et, ce qui est pire, avec le génie militaire.
Le lecteur connaît maintenant les principales phases d’agrandissements et d’améliorations par lesquels est passée la station de Roscoff. S’il veut me suivre en s’aidant du plan qu’il a sous les yeux, nous allons visiter ensemble les diverses parties du laboratoire. L’entrée principale est située sur la place de la ville dont un des côtés est entièrement formé par les bâtiments de la station. On pénètre d’abord dans un beau et vaste jardin, orné de grands arbres et des fleurs magnifiques que le climat doux et humide de Roscoff fait pousser à profusion. Entrons de suite dans la salle de travail (consulter le plan, fig. 1) destinée aux élèves qui ne faisant pas de travaux spéciaux viennent à Roscoff étudier sur la nature ce qui leur a été enseigné théoriquement dans les cours des écoles et des Facultés. Il y a place pour neuf élèves à chacun desquels le laboratoire otfre deux tables, avec les cuvettes, bocaux, réactifs principaux, microscopes, instruments de toute espèce tant pour l’étude du cabinet que pour la recherche des animaux à la grève. Chaque table est placée devant une fenêtre ; dans cette salle est installé un grand fourneau de chimie. Là tous les élèves sont réunis, de sorte que les explications données par le personnel du laboratoire profitent à tout le monde.
A la suite de cette salle on trouve en tournant à droite deux grandes pièces : ce sont la bibliothèque et la salle des collections. On y a peu à peu rassemblé les ouvrages principaux concernant la faune de Roscoff et de la Manche, les cartes, les plans utiles à consulter, puis de nombreux mémoires spéciaux et enfin une petite bibliothèque littéraire. La collection scientifique renferme la plus grande partie des animaux habitant les environs de Roscoff ; à chaque échantillon correspond une fiche donnant une foule d’indications sur l’habitat, le mode de pêche, les diverses conditions biologiques spéciales à chacun des animaux. Dans quelques années, en dépouillant les renseignements qu’à chaque saison les naturalistes accumulent ainsi, on aura un ensemble de faits des plus précieux pour la faune des côtes de France. Deux magasins qui se trouvent à la suite de ces pièces, occupent le centre du laboratoire ; ils sont ainsi plus à la portée des salles de travail et l’on peut donner rapidement à chacun les objets qu’il désire. Après le magasin se trouve l’ancienne classe de l’école des garçons qui peut contenir trois travailleurs, et celle de l’école des filles qui lui succède à angle droit renferme huit autres places. Arrêtonsnous un instant dans cette vaste pièce. Elle se décompose en huit stalles dont chacune est mise à la disposition des naturalistes faisant des recherches originales. La figure 2 en représente une, et toutes sont semblables ; trois tables y sont disposées en fer à cheval dont le travailleur occupe le centre ; une des tables est réservée aux cuvettes renfermant les animaux ; celle du milieu supporte les instruments d’optique ; elle est placée en face d’une fenêtre donnant un jour excellent, grâce à l’orientation éminemment favorable du bâtiment. Enfin la troisième table est occupée par les objets délicats, les dessins, les notes, c’est en quelque sorte le bureau du travailleur ; des étagères, des portemanteaux, un petit meuble complètent l’installation. Il va sans dire que le laboratoire fournit gratuitement aux personnes qui font des recherches absolument tout ce qui peut leur être utile.
Quatre de ces stalles sont situées au nord avec vue sur la mer, les quatre autres ont vue sur le jardin. Elles sont séparées les unes des autres par une simple cloison, et s’ouvrent toutes sur un large corridor central qui conduit jusqu’à l’aquarium. Avant d’y arriver, on trouve deux cabinets se faisant face, destinés l’un au maître de conférences, l’autre au préparateur. Ils sont identiques comme disposition aux salles des travailleurs. Le laboratoire peut donc recevoir à la fois vingt-trois travailleurs et leur offrir une installation complète.
L’aquarium est une immense pièce, de 50 mètres de long, sur 10 de large, vitrée sur toute l’étendue des deux grands côtés. Actuellement elle n’est occupée que par des bacs provisoires destinés à être remplacés à bref délai par vingt grands bacs de 600 litres chacun et deux bassins ovales de 3 à 4000 litres, construits sur le modèle de celui qui donne à Banyuls de si bons résultats. A l’extrémité de l’aquarium, se trouve un magasin contenant les dragues, filets de tous genres, fauberts, qui servent à la rechercbe des animaux. C’est là aussi que l’on rassemble le gréement des deux bateaux du laboratoire le Dentale et la Laura. Au-dessus de ce magasin, est installé le cabinet de travail du directeur.
Une large terrasse sépare l’aquarium du vivier ; ce grand bassin a 38 mètres de long sur 35 de large ; il est rempli, grâce à un système de vannes, pendant la haute mer, et l’eau s’y trouve enfermée à la marée hasse, ce qui permet d’avoir une réserve d’animaux vivant dans des caisses et des paniers en attendant que les ressources du laboratoire permettent une installation plus perfectionnée. Ce bassin est représenté dans la figure 3. C’est le côté nord du laboratoire vu de la grève ; on y distingue aussi l’aquarium, le jardin au-dessous du clocher, et une partie de la plage qui sert de port pour les bateaux de la station.
Je ne puis manquer de signaler en passant l’extrême commodité que présente au travailleur la proximité de la salle de recherches de l’aquarium, du vivier et enfin de la mer.
Tout cet ensemble de salles qui constitue la partie scientifique du laboratoire occupe le rez-de-chaussée, Le premier et le second étage sont occupés par les logements des travailleurs. Quatorze chambres à coucher sont mises à la disposition des personnes qui désirent y habiter ; sans être luxueuses, elles sont très suffisamment confortables, et offrent ce grand avantage d’être tout près des salles de recherches, ce qui permet d’observer à loisir les animaux que l’on étudie à toute heure du jour ou de la nuit.
Tout au laboratoire est absolument gratuit : les salles de travail, les instruments, les réactifs, les bateaux, les chambres d’habitation, sont mis à la disposition de tous avec une égale libéralité, et cette absence de distinction entre riches ou pauvres, français ou étrangers, est la source d’une charmante cordialité et d’une bonne entente qui ne se démentent que bien rarement entre les travailleurs.
Parlerai-je encore de la richesse de la faune de Roscoff ! Elle est devenue proverbiale parmi les zoologistes, comme peuvent l’attester les 265 naturalistes qui ont travaillé au laboratoire. Les très nombreux et remarquables mémoires qui y ont été faits, les 25 docteurs qui y ont trouvé les matériaux de leurs thèses, les 12 licenciés qui les y finissent actuellement, me dispensent d’insister. Je renvoie le lecteur aux Archives de zoologie expérimentale fondées par M. de Lacaze-Duthiers ; il y trouvera dans quatorze volumes la collection des travaux faits à Roscoff.
Il ne reste donc plus guère à souhaiter à Roscoff que le prompt achèvement de l’aquarium ; mais pour cela il faut que nous possédions ce malheureux petit chemin. Après cette dernière victoire, la station sera complète, et notre cher maître, M. de Lacaze-Duthiers, pourra jouir à son tour au milieu de ses élèves de tous les avantages de son œuvre, avantages que jusqu’à présent il a offerts aux autres, mais dont il n’a lui-même guère profité.
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