Par une des plus grandioses synthèses scientifiques qu’ait vues naître notre siècle de la science, l’illustre Maxwell donna des preuves irréfutables de l’égalité de vitesse de la lumière et des actions électrodynamiques, il en conclut que les deux phénomènes sont propagés par un mouvement semblable du même milieu, l’éther, et que les ondulations lumineuses ne diffèrent que par leur rapidité des oscillations produisant l’induction électrodynamique. Mais les démonstrations de Maxwell ( [1].), enfermées dans de délicates formules, étaient demeurées peu connues en dehors du monde des physiciens de profession, et il restait à en donner une preuve populaire et tangible ; c’est ce qu’a fait M. Hertz, aujourd’hui professeur à Bonn, où il a remplacé Clausius. La belle méthode qu’il a imaginée a ouvert un domaine dans lequel bien des physiciens et des géomètres ont travaillé et travailleront encore. MM. Sarasin et de la Rive ont été des premiers à perfectionner les méthodes de M. Hertz, précisant sur un point important la nature des phénomènes ; l’éminent géomètre, M. Poincaré, de son côté, traitait, de main de maitre, certaines parties de la théorie vérifiées par M. Bjerknes, élève successivement de M. Poincaré et de M. Hertz. Nous citerons, parmi les physiciens qui ont traité en France la question expérimentale avec le plus de succès, M. Blondlot, de Nancy, et M. Pérot, de Marseille.
Si « comparaison n’est pas raison », on peut néanmoins tirer un éclaircissement de la représentation hydraulique des phénomènes électriques. Deux fioles à niveau étant réunies par un tube large se mettront en équilibre par une série d’oscillations, si, pour une cause quelconque le liquide est dénivelé, tandis que, si le tube est étranglé, l’égalité de hauteur se rétablira par un mouvement lent et asymptotique. De même dans certaines conditions de capacité et de résistance efficace, d’un système composé de deux boules séparées par un petit intervalle, une décharge électrique passant d’une boule à l’autre sera asymptotique, tandis qu’elle sera oscillatoire dans d’autres cas.
Lorsque les oscillations atteignent le nombre de plusieurs centaines de millions par seconde, les effets d’induction deviennent considérables, et l’action, se propageant avec une vitesse de 300000 kilomètres par seconde, produit dans l’espace des stries de tension, analogues aux ondes sonores dans l’air ou dans un autre corps. Ces ondes ne se propagent pas dans les conducteurs ; elles glissent à leur surface lorsqu’elles leur sont tangentes, ou se réfléchissent lorsqu’elles les coupent. Surtout elles peuvent, comme les ondes sonores, produire des ventres et des nœuds fixes si elles reviennent sur elles-mêmes.
Au début de ses recherches, M. Hertz avait cru trouver que les ondes, cheminant dans les fils, avaient une vitesse égale seulement à 0,6 de celle de la lumière. Il ne donnait du reste ce résultat que comme provisoire et peu certain. Cette opinion a été infirmée par de premières expériences de MM. Sarasin et de la Rive. Mais ces consciencieux et habiles observateurs ne s’en tinrent pas là ; jugeant que les dimensions trop exigües de leur laboratoire de Genève pouvait prêter à la critique, ils abattirent les cloisons, sans du reste modifier le résultat. Enfin, à la prière de M. Hertz lui-même, ils se décidèrent à opérer sur une plus grand échelle, et transportèrent leurs appareils dans la salle des turbines, de l’usine des forces motrices du Rhône.
La figure qui accompagne notre article représente l’énorme installation de ces expériences. On voit, à droite, l’appareil excitateur, celui qui produit l’étincelle oscillatrice. L’action électrodynamique se propageant dans tous les sens frappe à 15 mètres de distance le miroir de zinc de 8 mètres de hauteur sur 16 de largeur ; elle revient sur elle-même, et, dans la perpendiculaire abaissée de l’excitateur sur le miroir, on peut observer des ventres et des nœuds d’oscillation ; il suffit, pour cela, de promener sur cette ligne des cerceaux de fil métallique, presque fermés, et ne laissant ouvert qu’un très petit intervalle. Dans les nœuds d’oscillation, on ne perçoit rien de particulier ; dans les ventres, au contraire, l’étincelle induite éclate d’une manière continue entre les petites boules qui limitent l’intervalle. Pour observer dans l’obscurité et opérer plus commodément, les expérimentateurs avaient construit un tunnel de bois dans l’axe duquel on constatait le phénomène.
Connaissant l’inter-nœud des oscillations,on en déduit la longueur d’onde, qui en est le double ; on sait, d’autre part, calculer le nombre d’oscillations par seconde qui produisent une action dans le cercle récepteur, analogue aux résonnateurs ( [2]) acoustiques de Helmholtz , et portant le même nom. Ce nombre, multiplié par la longueur d’onde mesurée, donne la vitesse de propagation des actions électrodynamiques. Cela suppose, bien entendu, que dans la série des interprétations que nous venons de donner, on n’a commis aucune erreur de raisonnement, point sur lequel tous les physiciens ne sont pas d’accord.
Cela posé, MM. Sarasin et de la Rive ont retrouvé, par leur grandiose installation, identiquement le résultat qu’ils avaient observé en petit : la vitesse de propagation des actions électrodynamiques à l’air libre est la même que le long des fils, c’est-à-dire à leur surface et non à leur intérieur, où elles ne se propagent pas du tout. Par le procédé dont nous venons d’esquisser brièvement le principe, M. Blondlot a du reste démontré d’une manière directe que cette vitesse est, aux erreurs d’expériences près, égale à celle de la lumière.
Mais les recherches ne s’arrêtent pas là. La mesure de la vitesse de propagation des ondulations électriques dans divers milieux a fait l’objet de quelques travaux dont les résultats sont fort intéressants. M. Cohn a trouvé, par exemple, que la vitesse dans l’eau est 8,5 fois plus petite que dans l’air, et c’est précisément la valeur de l’indice de réfraction de l’eau pour les ondulations électriques trouvée par M. Ellinger. Le carré de ce nombre 72, est très voisin de la valeur en apparence paradoxale trouvée par un grand nombre d’observateurs pour la constante diélectrique de l’eau ; l’indice de réfraction de l’alcool, égal à 4,9, conduit à la même vérification ; ainsi le veut la théorie de Maxwell.
Mais on peut établir, avec l’optique, d’autres parallèles intéressants. Nos lecteurs se souviennent des admirables expériences qui ont conduit M. Lippmann à fixer les couleurs par la photographie. La lumière réfléchie sur un miroir de mercure forme, dans la plaque de collodion, des stries qui déterminent la demi-opacité d’une série de plans parallèles équidistants. L’expérience due à M. Hertz, mais que MM. Sarasin et de la Rive viennent d’exécuter dans des proportions qui n’ont pas été égalées jusqu’ici, est en tout analogue à celle de M. Lippmann ; et, si l’on admet avec la plupart des physiciens que les ondes lumineuses et électriques ne diffèrent que par leur grandeur, les deux expériences sont identiques, aux dimensions près, qui sont dans le rapport de 1 à 10 000 000.
On n’eut pas osé espérer, il y a dix ans seulement, que les idées de Maxwell recevraient, à si bref délai, une confirmation aussi éclatante et aussi tangible.