Le TEMPS, notion si claire, semble-t-il, dans l’exercice habituel de notre activité et les phases de notre existence, se présente, au contraire, quand nous voulons en approfondir la nature ou rechercher les éléments qui concourent à la formation du sentiment que nous en avons, comme particulièrement rebelle à tout examen raisonné et à l’investigation de notre intelligence. Tout comme le nuage dont les contours nous paraissent, de loin, si nets et si parfaitement dessinés, il se dérobe quand nous pénétrons dans son sein ; nous n’apercevons plus que brume informe et insaisissable.
Aussi combien de discussions, combien de controverses, combien d’opinions divergentes sont nées de celte obscurité en laquelle se cache obstinément à notre esprit cette notion de temps cependant si familière à tous dans notre vie courante. Philosophes, métaphysiciens, physiciens, chacun a apporté son point de vue, sa conception propre, le plus souvent liée à des habitudes d’esprit, à la manière de voir ce qui nous entoure, dans le champ de notre existence, et de considérer le temps, soit sous un jour abstrait et comme extérieur à notre propre conscience, soit sous un jour concret pouvant se traduire eu constatations purement matérielles. Pour les uns, le temps est une sorte d’entité planant au-dessus de toutes choses, dominant l’Univers, sans participer à sa vie ; pour d’autres, le temps est une horloge ou un ensemble d’horloges, Mais pour tous, quand la réflexion s’exerce à son sujet, le temps est un élément insaisissable, indéfinissable, indéfinissable peut-être parce qu’il est trop intimement lié à notre propre nature et que, de même qu’on ne saurait demander à un mécanisme de se comprendre lui-même, nous ne saurions nous-mêmes toucher au fond de tout ce qui constitue précisément nous-mêmes.
Aussi, la notion intime de temps parce qu’elle est en quelque sorte plus intérieure, plus immatérielle, moins accessible à notre entendement, jette-t-elle davantage l’incertitude et le trouble dans noire esprit.
Le temps a-t-il une existence en dehors de la matière, plus exactement en dehors des mouvements, des variations, des événements qui se manifestent dans la nature P On peut penser que non. Dans un univers en tout immuable et immobile, il n’y aurait ni passé, ni présent, ni avenir. Le temps est lié à l’activité des choses de la nature. De même qu’il n’y a plus de temps dans la conscience disparue d’un être frappé par la mort, il n’y aurait plus de temps définissable dans un univers inerte et sans vie.
Dénué d’existence en soi, le temps entre dans nos conceptions sous la forme, consciente ou inconsciente, d’un certain ordre que nous mettons dans la constatation de changements survenant dans les éléments offerts à notre observation, changements que nous notons et « numérotons ». C’est en définitive ce numérotage qui constitue le temps, sans, qu’en fait, la nature participe à cette mise en ordre des événements et des phénomènes ; la nature ne sait pas compter. Ce numérotage nous apparaît sous forme concrète dans une horloge dont nous observons les battements, c’est là la forme objective que nous donnons à notre notion du temps ; mais elle existe sous une forme innée et subjective en nous, indépendamment de tout objet extérieur, et sa raison doit être cherchée dans quelque processus biologique inconscient au sein de notre organisme, processus jouant le rôle d’une véritable horloge intérieure.
Il nous faut donc distinguer cette notion intime du temps qui nous est propre, indépendante, pour chacun de nous, du reste de la nature, de celle que nous pouvons construire par l’observation physique des phénomènes naturels et extérieurs. Nous avons du reste tendance à relier celle-ci à celle-là. C’est en effet par comparaison avec notre horloge intérieure, que nous classons, que nous intercalons les phénomènes extérieurs, quittes à y adjoindre consécutivement des interprétations raisonnées plus ou moins légitimes, résultant d’expériences accessoires. C’est ce rattachement à notre sensation propre. de durée qui nous a imposé cette sorte d’illusion de temps universel, dominant, de près et de loin, tous les événements possibles, séparant sans mélange, vis-à-vis de tout ce qui existe, l’avenir du passé, par cette barrière de l’instant présent, si bien défini en nous. Cette, notion, si intimement liée à notre moi, nous la projetons sur le monde extérieur en lui donnant une signification universelle et absolue. Quand nous disons : en ce moment telle chose se passe sur l’étoile Sirius, nous ne pouvons nous résoudre à penser que cette expression puisse n’avoir aucun sens, malgré les démonstrations que nous en donnent les physiciens. Il nous semble que, par la pensée tout au moins, nous pouvons nous transporter instantanément sur Sirius et que, à défaut de possibilité de signalisation physique effective et instantanée, nous pourrions en concevoir une, abstraitement, capable de remplir idéalement ce rôle.
C’est d’ailleurs bien ainsi qu’ont pensé les savants jusqu’à l’avènement des théories de la relativité, mais la relativité est une théorie, c’est-à-dire nue création de l’esprit : théorie féconde d’ailleurs, par la clarté qu’elle apporte dans la coordination et l’explication d’une catégorie de phénomènes, mais théorie, malgré tout, basée sur une définition physique particulière du temps et qui, de ce fait, ne saurait correspondre à une notion absolue du temps en soi.
La confrontation des événements extérieurs immédiats avec notre notion subjective du temps résultant de nos sensations intérieures de durée, constitue la notion commune de temps. A côté de cette notion, conforme au « sens commun » pourrait-on dire, se placent parallèlement les notions de temps scientifique et qui, jusqu’à un certain point, en restent logiquement indépendantes. Physiquement, le temps n’est autre chose que le terme dont nous accompagnons certaines mesures physiques que nous attachons à l’observation des événements, suivant une convention bien définie, mais pouvant comporter un certain choix, par conséquent de l’arbitraire. L’idée subjective du temps en est exclue en principe ; comme cependant, nous gardons les mêmes termes pour nous exprimer dans le langage scientifique, il pourra arriver, et cela arrive en effet, que certaines lois physiques ainsi exprimées, soient en contradiction avec le « sens commun », parce que les mêmes termes n’auront pas la même signification dans les deux points de vue. En raison même de la liberté qui peut subsister dans les définitions purement physiques du temps, des théories logiques, également admissibles, pourront conduire au surplus, par la même confusion des termes, à des conclusions en apparence contradictoires. Des définitions différentes du temps pourront servir de base h des théories explicatives des phénomènes. Elles seront plus ou moins simples, mais également valables du point de vue de la vérité scientifique. Il n’y a en physique, ni temps vrai, ni temps faux, mais seulement des temps définis, plus ou moins commodes, plus ou moins bien adaptés à notre compréhension ou coordination des phénomènes de la nature.
En dehors « des temps » définis conventionnellement par des mesures physiques et qui sont une création de la science, il n’existe en définitive que le temps subjectif, propre à chaque être pensant et dont l’intime nature reste pour nous mystérieuse, obscure, impénétrable et incompréhensible.
Le temps des physiciens
Abandonnons ces considérations générales pour examiner avec quelque attention le temps, tel qu’il est effectivement défini, mesuré et utilisé par les physiciens.
Nous entrons ici dans un domaine concret en lequel notre propre et intime sensation de temps étant éliminée et une fois choisies nos représentations conventionnelles, aucune ambiguité ne saurait être à redouter.
Le premier des problèmes qui se pose est le suivant :
Étant donné un système invariable S, immobile ou en mouvement par rapport à d’autres systèmes (mettons la Terre par exemple), servant de support aux observateurs et à leurs instruments, il s’agit de définir le temps, sous forme concrète et mesurable en chacun de ses points. Du seul point de vue de la logique scientifique, cette distribution du temps dans le système est arbitraire. Nous pouvons imaginer, placée en chaque point, une horloge, une montre, de nature et de marche quelconques, horloge devant nous permettre en définitive un numérotage des événements se produisant en ce point. Ces montres, toutefois, doivent satisfaire à la condition de continuité, à savoir que : deux montres voisines doivent marquer des heures voisines, d’autant plus qu’elles sont plus rapprochées. Aucune difficulté logique à cette condition. Si A et B sont deux points voisins, un observateur, ou un signal physique quelconque, franchissant [1] d’une manière continue l’intervalle AB, doit trouver en A et B des heures voisines.
A ces seules conditions, nous pouvons faire toutes les études de la physique : mesurer des vitesses, des accélérations, chercher des lois dans les phénomènes naturels. Ces lois pourront avoir une expression compliquée, variable d’un lieu à l’autre, et même, en un lieu déterminé, d’un instant à l’autre. Sur la surface terrestre, ainsi arbitrairement aménagée chronométriquement, nous pourrions trouver que les hirondelles volent plus vite en Algérie qu’en France, que la vitesse d’un train avec une même température maintenue dam ; le foyer de sa locomotive, aurait des valeurs différentes, suivant les lieux traversés, qu’une pensée mettrait, suivant les pays, plus ou moins de temps pour se développer, etc. Malgré leur complication, les lois obtenues traduiraient des relations dans les phénomènes de la nature, et du seul point de vue de la logique de la science, représenteraient la vérité scientifique. Sans doute, nous devons rechercher la simplicité, nécessaire à notre intelligence, mais du point de vue absolu de l’expression de la vérité en soi, elle n’est nullement indispensable et ne représente qu’une commodité avantageuse pour l’esprit.
Si nous changeons le mode de définition et de répartition du temps, c’est-à-dire des indications horaires, aux divers points du système S, l’expression des lois naturelles est modifiée également. Nous pourrions trouver, par exemple, avec une répartition horaire convenablement choisie, que la vitesse d’un train dont le foyer de la locomotive est à température constante, est elle-même constante en tous lieux (abstraction faite des courbes et des rampes). On n’aurait évidemment rien changé à la nature profonde des choses ; mais nous dirions maintenant que la vitesse du train est constante alors qu’elle était dite variable dans le premier système horaire.
Sans doute, trouverons-nous aussi, par ce même choix horaire, que les hirondelles volent avec la même vitesse en Algérie et en France, et que beaucoup d’autres phénomènes se seront régularisés. Ces propriétés s’étendront-elles à tous les phénomènes, à la durée de la transmission de la lumière, à la durée d’évolution d’une cellule organique, à celle du développement d’une pensée. Rien, à défaut de constatation effective, ne peut l’indiquer ; l’affirmer à priori, serait formuler un postulat justiciable d’une expérience directe, quelque difficulté que celle-ci puisse présenter dans la pratique. C’est donc avec une grande circonspection qu’il faut formuler des conclusions générales, non justifiées par des déductions d’une logique rigoureuse.
Nous avons donc, du seul point de vue logique, toute liberté pour le choix d’une répartition définie du temps en tous les points du système S, choix arbitraire de la « montre » placée en chaque point, choix arbitraire du procédé de comparaison de ces montres placées en des points différents. Le seul élément pouvant nous servir de guide serait la recherche d’une plus grande simplicité d’expression formelle des lois naturelles, d’une plus grande simplicité dans la coordination, la représentation, l’explication de ces lois, à notre sens humain. Mais le terme « simplicité » est seulement dans notre esprit, il signifie facilité d’accession à notre entendement dont les capacités de compréhension sont limitées. La nature, dans son organisation, ne s’est sans doute pas conformée à cette notion de simplicité telle que nous l’entendons et qui nous est propre.
Une autre règle d’ordre pratique peut consister dans la recherche de définitions s’accordant avec notre sens habituel des choses, le sens commun, dans le domaine de notre activité vitale habituelle. Il est clair par exemple qu’il serait déraisonnable que, pour un observateur fixé en un point du système S, la montre placée en ce point indiquât des heures décroissantes ou non successives pour des événements qui, en ce même point, sont jugés successifs par l’observateur dont l’appréciation résulte de sa propre sensation interne de durée et de temps. Mais ici encore, on peut dire que des définitions physiques différentes, tout en concordant avec nos notions habituelles d’espace et de temps, dans les limites naturelles de l’application que nous en faisons, peuvent devenir divergentes hors de ces limites et dans lin domaine que la physique ne peut cependant négliger.
Le choix arbitraire que nous pouvons faire dans la répartition horaire et purement physique attachée à un système invariable S, indique la différence profonde de nature des notions d’espace et de temps, La distance de deux points A et B du système est définie sans ambiguïté. Elle s’obtient en comptant le nombre de mètres que nous pouvons placer entre A et B ; nous savons qu’il existe un chemin rendant ce nombre de mètres minimum [2] ; minimum définissant pour nous la distance des deux points, sans que nous puissions imaginer et utiliser d’autre méthode de représentation et de mesure.
Au contraire, l’intervalle de temps séparant deux événements survenant, l’un au point A, l’autre au point B du système invariable S (dit invariable, si les distances mutuelles des divers points restent invariables) ne comporte pas de définition unique. C’est pour nous, physiciens, la différence des heures marquées par les montres en A et B aux instants où sont survenus, en ces points, les événements considérés, différent sous la dépendance du choix que nous ayons fait pour la répartition horaire dans le système S. En particulier, les événements seront dits simultanés si les heures lues en A et B sont identiques. La définition de la simultanéité est donc toute conventionnelle, sans signification profonde.
Même pour les événements qui se produisent en un point donné A du système, l’intervalle de temps évalué entre deux événements comporte de l’arbitraire puisque le choix dans la nature des montres ne nous est pas logiquement imposé ; la montre placée en A, peut être mécanique, chimique, électro-magnétique, biologique, psychique, et rien, à moins d’expériences directes, ne nous assure de leur équivalence.
Seule, la simultanéité de deux événements se produisant au même point A, c’est-à-dire la coïncidence, a un sens absolu, exempt d’ambiguïté.
Un autre point qui mérite examen est le. suivant. Nous disons : un mobile partant de A et parvenant à B. Nous attachons un sens de succession bien déterminé tt cette expression. Si nous marquons des points de division A1, A2, A3,… , cela signifie pour nous que le point A1 a été atteint après le départ en A, que le point A, a été atteint après le point A1,… , ainsi de suite. Cela a-t-il un sens physique parfaitement défini. Évidemment non, si nous laissons toute sa généralité à la répartition horaire choisie dans le système S, auquel appartiennent les points A. Le mobile (ou le signal) a coïncidé avec les points A1, A2, A3,… , aux heures t1, t2, t3,… marquées par les montres placées en ces points. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que t, t1, t2,… varient d’une manière continue, sans qu’on ait nécessairement t12…
Cela choque le sens commun, évidemment.
Doit-on penser, qu’on peut ou même qu’on doit, avant tout, harmoniser les définitions horaires avec le sens commun. une telle possibilité n’est pas toujours assurée. Nous pourrions convenir par exemple, qu’un mobile, un signal se dirige de A vers B, si, imposant à un observateur, en admettant que ce fut toujours possible, de se déplacer avec le mobile ou le signal, cet observateur jugerait, d’après sa notion physiologique du temps, qu’il atteint successivement les points A1, A2, A3,… B.
Un autre point de vue est celui du principe de distinction entre la cause et l’effet. Si nous produisons un signal en A, signal lumineux par exemple, dont l’effet, c’est-à-dire la constatation, sera faite au point H, nous pourrons imposer à notre distribution horaire cette condition que l’heure marquée en B, au moment où l’apparition du signal y est constatée, soit supérieure à celle marquée en A, à la source du signal.
Bien que la distinction entre la cause et l’effet ne soit pas toujours facile, cette condition doit être évidemment retenue lorsqu’il s’agit d’adopter un mode de distribution horaire.
Mais d’un point de vue scientifique absolu, ces considérations sont inutiles. Nous pouvons construire la science dans un système S, au moyen d’un mode de distribution horaire quelconque, à la condition de ne pas perdre de vue, dans l’expression des lois naturelles qu’on pourra ainsi formuler le mode de distribution choisi.
Le temps en relativité restreinte
Expérience de Michelson et Morley. — Il est utile de remarquer, avant toutes choses, que l’expérience de Michelson est indépendante de tout système adopté pour la mesure physique du temps. Le résultat peut en être exprimé en effet sous la forme suivante :
Soit un système matériel invariable S, et un point quelconque P de ce système. Si de P on fait partir, au même instant, deux signaux lumineux : l’un allant se réfléchir en u point A pour revenir en P, l’autre allant se réfléchir en un second point B, pour revenir également en P, le retour des deux rayons en P a lieu au même instant, si les distances, PA et PB sont égales ; et cela, quelles que soient les directions PA et PB. C’est HI une constatation expérimentale qui n’est nullement liée au mode de répartition horaire dans le système S. A chacun de ces modes, correspondra une expression formelle différente vis-à-vis des lois de propagation de la lumière. Si ce mode est quelconque, on ne pourra pas en conclure, notamment, que la vitesse de la lumière est constante dans toutes les directions.
La même remarque s’applique aux mesures directes de la durée de transmission de la lumière. La méthode consiste le plus souvent à évaluer, avec une certaine horloge placée en P, le temps que met un rayon lumineux, parti de P, pour aller et revenir en P, après réflexion sur un miroir placé en A. Elle donne le temps aller et retour, mesuré avec l’horloge choisie, sans rien indiquer sur les temps respectifs mis pour aller de P en A, et revenir de A en P, indications qui, du reste, impliqueraient, en dehors de toute expérience, le choix dune distribution horaire dans le système dont font partie P et A. On pourrait vérifier que, dans une autre direction PB, après réflexion au point B, à la même distance de P que le point A, on obtient la même durée de trajet aller et retour, mais on en saurait rien conclure sur la constance de la vitesse de la lumière par rapport aux diverses directions.
Dans tous les cas, il n’est pas inutile aussi de remarquer que les signaux lumineux (aussi bien dans l’expérience de Michelson que dans des expériences directes) sont émis par des éléments appartenant au système dont font partie P, A, B, et entraînés avec lui si celui-ci est mobile par rapport à d’autres systèmes. A priori, nous ne sommes pas assurés, à moins d’autres expériences, qu’un signal émis en P a les mêmes propriétés qu’un signal passant en P et venant d’un autre système pouvant être en mouvement par l’apport au premier. Ces remarques sont utiles pour délimiter l’exacte portée logique de I’expérience de Michelson.
Choix du mode de répartition horaire en relativité restreinte. — Il dérive uniquement de l’emploi de signaux lumineux, plus exactement de rayons lumineux.
Soit O, un point origine donné du système in variable S que nous considérons et sur lequel il n’est fait aucune hypothèse de repos ou de mouvement par rapport à d’autres systèmes. Si A est un point arbitraire du système, α le milieu de OA et si, du point α, nous faisons partir, à un instant quelconque, un signal lumineux, l’heure à laquelle il parviendra en A devra être la même, par convention, que celle à laquelle il parvient en O. L’heure est ainsi définie en A d’une manière continue, et rattachée à celle du point O, celle-ci étant définie par une horloge quelconque. Nous définissons de la même manière l’heure en tous les points du système S, doté ainsi d’une distribution horaire. Nous pourrons dès lors, parler, dans ce système, de la vitesse d’un mobile, d’un signal, de la lumière, de la durée d’un phénomène, etc … La vitesse d’un signal, passant en M et N, sera le quotient du chemin MN, par la différence des heures marquées en M et N, lorsque le signal a été perçu en ces points.
Il nous faut maintenant imposer une condition à notre horloge directrice, placée en O. Soient A et A’, deux points placés sur la même droite OAA’, le point A’ se trouvant à une distance de O double de celle du point A. Faisons partir de O, à l’instant zéro, un faisceau lumineux, dont une moitié va se réfléchir en A pour revenir en O à l’heure marquée t, dont l’autre moitié va se réfléchir en A, pour revenir en O à l’époque t’. Il faudra que t’=2t. En d’autres termes, cela revient à dire que nous prenons, comme mesure du temps donné par l’horloge directrice en O, celle qui résulte de la transmission à distance de la lumière, en admettant implicitement, toutefois, que cela est possible. En effet, nous ne sommes pas logiquement, assurés que notre horloge réalisant la condition t=2t’ pour les points A et A’ choisis, elle réaliserait aussi la condition t« =nt, pour un point A » dans la direction OA tel que OA"=nxOA. Cela suppose que, au moins, dans une même direction, la transmission de la lumière se fait avec la même régularité, quelle que soit la distance au point O. Admettons qu’il en est bien ainsi, sans oublier qu’il y a là une réserve, d’autant plus nécessaire que certains savants inclinent à penser que la transmission de la lumière à travers les espaces célestes, pourrait ne pas comporter toute la régularité admise.
Quelles conclusions peut-on formuler dans les conditions particulières précisées de la distribution horaire qu’on vient d’adopter.
Soient A et B, deux points quelconques, à même distance de O, α et β les milieux de OA et OB. Faisons partir, au même instant, du point O, deux signaux, l’un dans la direction de OA, l’autre dans la direction OB, et supposons qu’en α se trouve un miroir, réfléchissant vers αO la moitié du faisceau dirigé vers OA, l’autre moitié continuant sa route vers αA. Lorsque le signal parviendra en A, la première moitié, réfléchie en α, arrivera en O (cela veut dire exactement que les heures correspondantes en O et A seront les mêmes), en vertu de la définition même de l’heure adoptée en A. Soit t, l’heure à laquelle le signal, parti à l’instant zéro de O, parvient en α ; l’heure à laquelle il parvient en A est 2t, d’après l’hypothèse admise plus haut sur la régularité de transmission de la lumière dans une direction donnée : 2t est aussi l’heure à laquelle le rayon réfléchi en α est de retour en O, d’après la définition de l’heure en A. Donc le temps mis par la lumière, pour accomplir aller et retour le chemin Oα, est égal au temps qu’elle met pour accomplir le parcours simple OA, à une distance double. Enfin, la vitesse de la lumière dans la direction OA, est ainsi égale à $$$ \frac{OA}{2t} = \frac{O\alpha}{t}$$$
Le même raisonnement s’applique sur le parcours OβB, avec un miroir réfléchissant en β ; le rayon parti de O, au même instant zéro, réfléchi en β, revient en O à l’heure 2t’. Mais, d’après l’expérience de Michelson, le retour en O, vis-à-vis de la direction de Oβ a lieu au même instant que le retour en O vis-à-vis de la direction Oα ; donc’ 2t’=2t. Conclusion : la vitesse de la lumière dans la direction OA est la même que la vitesse dans la direction OB. En d’autres termes, la vitesse de la lumière est la même dans toutes les directions ; expression d’une propriété physique subordonnée, il faut le répéter, à la manière adoptée pour définir et mesurer le temps en tous les points du système S.
Il est utile de résumer les conclusions, les seules qu’on peut tirer de l’expérience de Michelson (et aussi des mesures physiques terrestres de la vitesse de la lumière) :
L’heure étant définie en chaque point d’un système au moyen de rayons lumineux émis dans ce système, la vitesse de la lumière issue d’une source attachée au système et mesurée dans ce système, est constantes dans toutes les directions.
On ne saurait en tirer logiquement aucune autre conclusion ; toutefois, ce résultat élimine déjà l’hypothèse d’une propagation de la lumière, dans une sorte d’espace absolu, occupé par un éther hypothétique, immobile, marche pouvant se composer, suivant les lois du mouvement relatif, avec le mouvement du système dans le même espace. Mais, en toute logique, on ne saurait en déduire que la propriété indiquée subsiste vis-à-vis des rayons lumineux, ayant leur source dans d’autres systèmes, en mouvement de translation par rapport au premier. C’est seulement en admettant une telle généralisation, justifiable d’autres expériences, qu’on est conduit aux formules classiques de la relativité restreinte.
Une telle généralisation est d’ailleurs loin d’être évidente. L’expérience de Michelson est réalisée avec une source terrestre ; les mesures précises de la vitesse de la lumière ont été obtenues avec des sources terrestres également. Au surplus, ces expériences s’appliquent à des parcours lumineux réalisant, par des réflexions, des chemins fermés sur eux-mêmes, en particulier, des chemins aller et retour simples ; ce qui élimine ou atténue les différences possibles dans les transmissions de la lumière dans des sens opposés [3]. Seule, des méthodes astronomiques, la méthode de Roemer sur les éclipses des satellites de Jupiter, la détermination de l’aberration, sont des méthodes directes avec des sources extra-terrestres. Malheureusement leur précision est trop faible. Cependant des recherches récentes semblent indiquer que, l’aberration notamment, n’est pas absolument constante, quelle varie avec les étoiles, avec leur spectre et leur vitesse radiale, ce qui tendrait à prouver que la lumière qu’elles émettent ne nous parvient pas exactement avec la même vitesse. Par surcroît, les mesures astronomiques de la vitesse de la lumière, bien que peu précises, paraissent donner des valeurs systématiquement différentes des mesures terrestres. Il y a là, à n’en pas douter, une importante question qui entraînerait quelques retouches à la théorie de la relativité, sous sa forme actuelle, si de telles variations étaient établies avec une absolue certitude.
Il ne semble pas, dans tous les cas, que la vitesse d’une source lumineuse puisse s’ajouter purement et simplement à celle de la lumière qui en émane. Des discussions se sont élevées sur ce point, il y a une dizaine d’années. Les observations photométriques et spectroscopiques d’étoiles doubles, d’étoiles doubles à éclipses notamment, paraissent en contradiction avec une telle hypothèse. Mais qu’il puisse y avoir une certaine réaction du mouvement de la source sur celui du rayonnement qui en émane, réaction également en ce qui concerne les circonstances d’émission (types spectraux stellaires), il n’y a à cela rien d’impossible, même rien que de vraisemblable, et, au surplus, conforme à certaines observations astronomiques récentes.
Pour déduire les lois de la relativité de l’expérience de Michelson, il faudrait donc adjoindre aux résultats de cette expérience les deux principes suivants :
1° Dans deux systèmes en mouvement relatif de translation uniforme, les lois physiques de la nature sont identiques ; c’est ce que l’on pourrait appeler le principe de réciprocité.
2° La vitesse de la lumière qui, dans chacun des systèmes, est la même dans toutes les directions, vis-à-vis de sources attachées à ce système, garde le même caractère et la même valeur lorsqu’elle émane de sources attachées à l’autre système ou à un système quelconque en mouvement par rapport au premier.
Le premier principe est accepté, sans grande résistance, par notre esprit. Pour le second, nous sommes, à priori, moins dociles ; d’abord parce qu’il choque quelque peu notre sentiment normal des choses, ensuite parce que nous le jugeons justifiable d’une expérience directe, expérience toutefois qui, en fin de compte, n’a pas été faite. Elle ne peut être obtenue que par des observations astronomiques qui, à ce point de vue, ne sont pas encore assez précises. Il semble, évidemment, que, sur des nébuleuses animées de vitesses radiales de 20000km/s(1/15e de celle de la lumière), des vérifications, sur la valeur de l’aberration à laquelle elles conduisent, doivent être faciles. Des tentatives ont été faites dans ce sens ; en raison des difficultés expérimentales, elles n’ont rien donné de concluant. Ensuite, le calcul de ces vitesses radiales provient d’une application intégrale du principe de Doppler-Fizeau, application extrapolée dont la légitimité commence à être mise en doute dans ce cas ; certains savants expliquent, par des modifications intimes de la lumière à travers l’espace, la déviation vers le rouge du spectre des nébuleuses lointaines. Nous avons quelque tendance à rendre trop universelle notre physique purement terrestre et à accorder trop de crédit à des extrapolations parfois aventurées et incontrôlables.
La lumière reste un élément physique exceptionnel, encore plein de mystère, malgré les théories de plus en plus perfectionnées et plus fécondes dont elle a été l’objet. Les lois de sa propagation nous déroutent ; sa vitesse inaltérable, limitée au nombre fatidique de 300.000 km/s, jouant par ailleurs le rôle d’une vitesse infinie, comporte pour nous quelque chose d’extraordinairement singulier, qui jette un certain trouble dans notre esprit et, en dehors des théories abstraites, d’apparence pourtant raisonnable, ne nous satisfait qu’imparfaitement.
Si nous admettons (cela ne résulte pas de l’expérience de Michelson) que la vitesse de la lumière, dans un système, est indépendante de son origine, c’est-à-dire de sa source, liée ou non au système, les lois de la relativité restreinte s’en déduisent alors immédiatement.
Soit un premier système S, représenté par deux axes Ox, Oy ; S’ un deuxième système représenté par deux axes 0’x’, 0’y’, en mouvement de translation uniforme par rapport au premier suivant Ox. Dans chaque système, on a adopté une répartition horaire, par exemple celle basée sur la comparaison des horloges au moyen de signaux lumineux émis dans le système. Ces deux répartitions horaires sont donc identiques. Supposons qu’à l’instant où coïncident les points O et O’, les horloges placées en ces points, dans l’un et l’autre système, marquent l’heure zéro. L’abscisse du point O’, dans le système S, sera donné par OO’=vt.
Considérons maintenant un événement se produisant en M et constaté par les observateurs des deux systèmes ; ceux du système S notant, pour le lieu et l’instant de cet événement x et t ; ceux du système S’ notant, pour le même événement, x’ et t’. Quelles sont les relations entre x, t, x’ t’ ; comment, étant donnés x’ et t’, par exemple, peut-on obtenir x et t, ou inversement β.
Appliquons le premier principe, ou principe de réciprocité, énoncé plus haut, et supposons connue une relation f(x, x’, t, t’) = O.
Pour les observateurs appartenant au système S, le système S’ s’éloigne vers la droite avec une vitesse uniforme v ; mais pour les observateurs appartenant au système S’, c’est le système S qui s’éloigne uniformément vers la gauche et il y a réciprocité complète entre ces deux mouvements. En changeant le sens des axes, Ox, O’x, S jouerait, vis-à-vis de S’ le même rôle que jouait S’ vis-à-vis de S. En d’autres termes, en changeant x en -x’, x’ en -x, t en t’et t’ eu t, la. même relation doit rester vérifiée, c’est-à-dire : f(-x’,-x, t’, t)=O.
D’autre part, pour x=vt ou x-vt=O, le point M reste fixé en O’, c’est-à-dire que x’ est nul. On peut donc écrire
(1) x’=(x-vt)f(x,t)
f(x,t) étant une fonction, pour l’instant inconnue, de x et de t. D’où, en vertu de la propriété de réciprocité
(2) x= (x’ + vt’)f(-x’,t’).
Si la fonction f(x,t) était connue, on aurait ainsi deux équations, déterminant par exemple x’ et t’en fonction de x et t, ou inversement.
Faisons encore l’hypothèse que, si un mobile se meut d’un mouvement uniforme quelconque dans le système S, les observateurs de S’ constatent, pour ce mobile, un mouvement également Il.nifornw, On en déduit alors aisément que-la
fonction f(x, t) est en réalité une constante, de sorte que les équations (1) et (2) s’écriront
(3) x’ = a(x-vt)
(4) x= a(x’ + vt’)
équations dépendant d’un paramètre constant a et déterminant par exemple x’ et t’ en fonction de x et t [4].
Telles sont les relations générales qu’on peut déduire et à priori du seul principe de réciprocité, indépendamment de toute expérience. Pour, la physique, basée sur l’existence d’un temps absolu, le paramètre a était égal à l’unité. C’est l’idée que ce paramètre pourrait bien ne pas être égal à un qui, constituant en somme toute la relativité, a introduit dans la science une atmosphère plus limpide et plus large, et permis la découverte d’horizons nouveaux et si étendus.
Quelle que soit la valeur du paramètre a, les propriétés qualitatives résultant du seul principe de réciprocité, principe si remarquablement simple, restent les mêmes ; elles troublent, si a est différent de l’unité, toutes nos notions habituelles de sens commun. Nous ne nous y étendrons pas ici ; ce sont celles relatives à la contraction du temps et de l’espace, quand on passe du système S au système S’ ; notions devenues aujourd’hui familières en relativité.
Comment déterminer maintenant, et d’une manière effective, le paramètre fondamental a ? Par une expérience évidemment. Si par exemple, nous observons un mobile en mouvement uniforme dans le système S, avec la vitesse mesurée u, et si u’ est d’autre part sa vitesse mesurée dans le système S’, les vitesses u et u’ sont liées par la relation
(5) u’ = a²(u-v)(u’+v)
Connaissant la vitesse de translation relative v, des deux systèmes S et S’, on en déduira ainsi la valeur du paramètre a. En variant les expériences avec des mobiles ou signaux de vitesses différentes (si on le peut), on devra constater la parfaite invariance du paramètre a. Mais ces expériences sont très difficiles à réaliser ; pratiquement impossibles, avec des mobiles ou des signaux qui ne sont pas animés de vitesses extrêmement grandes, car a est très peu différent de l’unité si la vitesse de translation v n’est pas elle-même très grande.
Comme signal de très grande vitesse, celui qui se présente le plus naturellement à l’esprit est le rayon lumineux. Il est un peu inquiétant cependant, en raison du caractère qu’on est conduit à lui attribuer, h savoir, de comporter une vitesse constante et toujours la même clans tous les systèmes en translation les uns par rapport aux autres ; caractère qui ne résulte pas absolument nous le répétons encore, de l’expérience de Michelson, et constitue en fait une hypothèse justifiable d’autres expériences.
Soit C, cette vitesse constante de la lumière. Si un rayon lumineux traverse les deux systèmes S et S’ parallèlement a Ox, on a ici, u=c, u’=c ; par suite d’après (5)
(6) $$$ a^2 = \frac{c^2}{C^2v^2} = \frac{1}{1 - \beta^2} (avec \beta^2 = \frac{C^2}{v^2})$$$
Les formules (3) et (4), avec cette valeur donnée à a et résolues par rapport à x’ et t’ par exemple, ne sont autres que les formules classiques de la relativité restreinte.
Plaçons ici une remarque utile. Dans la distribution horaire relative aux divers points de S par exemple, on a fait usage, pour le réglage des montres placées en ces divers points, de. rayons lumineux (issus de sources attachées au système S). D’après l’expérience de Michelson, la vitesse de ces rayons est la même dans toutes les directions. Les heures indiquées en deux points quelconques A et B devront être les mêmes, si elles marquent l’arrivée en A et B, d’lm même signal lumineux (issus de sources attachées au système égale distance de A et B. n résulte de 111 que, si au lieu d’un signal lumineux pour faire le réglage, on faisait usage d’un mobile, d’un signal de nature quelconque, mais : à transmission uniforme [5] dans le système S, on ne changerait rien à la distribution horaire. Les formules (3) et (4) seraient toujours valables dans ces conditions, qui sont ainsi extrêmement larges ? La distribution horaire pourrait avoir l’origine la plus diverse, optique ou électromagnétique, mécanique, biologique, psychique (un voyageur qui avancerait à la vitesse de un mètre à chaque battement de son pouls, ou encore à la vitesse de un mètre correspondant au temps que met son cerveau à penser deux objets différents…)
Faisons encore la remarque suivante. La vitesse c de la lumière paraît jouer un rôle absolu de limitation pour la vitesse relative d’entraînement v des systèmes S et, S’. Cela ne signifie point qu’on ne puisse envisager des signaux, correspondant à des réalités observables et cheminant avec des vitesses supérieures à c.
Imaginons par exemple que, dans la direction Oy normale à Ox’, se trouve, très loin, une étoile double à éclipses, constituée par une étoile obscure, tournant autour d’une étoile lumineuse plus petite. La phase d’éclipse totale sera observée par les observateurs placés sur Ox, dans le système S, aussi bien que par ceux placés sur O’x’ dans le système S’. La vitesse de cheminement u de la phase totale sur Ox, par exemple, pourra prendre une valeur quelconque sur Ox, supérieure à celle de la lumière, sans aucune limite assignable ; elle pourrait devenir infinie ; le début de la phase de totalité serait vu alors à la même heure des horloges placées sur Ox. La vitesse u’ sur O’x’ resterait liée à u par la formule (5) d’après le principe de réciprocité, qui lie les événements en coïncidence dans les deux systèmes S et S’ sans aucune hypothèse sur leur nature. Simultanée en tous les points de Ox (au moins dans une certaine étendue), l’éclipse totale ne le serait plus sur les points de O’x’. Il y aura, dans de telles circonstances, matière à vérifications exceptionnellement favorables… lorsque les habitants des diverses planètes pourront se communiquer leurs observations…
Faisons enfin la dernière remarque suivante. On a supposé essentiellement que la distribution horaire dans chaque système tel que S était obtenue par un réglage identique des montres, provenant d’observations de signaux intérieurs au système, c’est-à-dire émis en des points du système. Toutes les conclusions seraient faussées s’il n’en était pas ainsi. Supposons par exemple, pour reprendre l’image des étoiles doubles, que dans chaque système S et S’, on définisse le temps, en chaque point de Ox et de O’x’ par les éclipses observées, c’est-à-dire en leur donnant un numéro d’ordre. Il n’y aura plus ici de loi de réciprocité. La vitesse de la lumière serait, inégale dans les deux systèmes. Deux observateurs attachés respectivement aux deux systèmes et en coïncidence, à un instant donné, au point M, auraient vu, depuis l’origine du temps compté par eux, le même nombre d’éclipses ; il n’y aurait plus de temps local. Il faut donc être très circonspect, dans l’application du principe de réciprocité, lorsque la définition du temps n’est pas exactement précisée, et peut provenir de l’observation de phénomènes extérieurs au système.
Résumons maintenant quelques-unes des conclusions formulées au cours de cet article.
De l’expérience de Michelson, on peut conclure que la propagation de la lumière n’est pas liée à un espace absolu, comme si elle se propageait par exemple dans un éther immobile et non entraîné dans le mouvement des corps matériels, mais on ne saurait en déduire que, lorsque le rayonnement provient. d’une source extérieure au système, sa vitesse dans le système est indépendante de son origine. Il faut, soit admettre cette propriété, soit la vérifier par d’autres expériences. Elle est admise, et même en quelque sorte démontrée, par les théories modernes du rayonnement, mais un léger doute peut subsister sur ce point, en l’absence d’observations assez précises de la vitesse de la lumière provenant de sources extra-terrestres.
Le principe de relativité ou plus exactement de réciprocité. fait abstraction de toute hypothèse d’espace absolu, et de l’existence de l’éther. Il comporte l’existence d’un paramètre (que nous avons appelé a, dont la détermination numérique est difficile. Si a était égal à un, le principe de réciprocité, tout en exprimant un principe de relativité et l’existence d’un temps local dans chaque système, conduirait à des conclusions identiques à celles résultant de la notion et de l’ existence d’un temps absolu.
Si l’on admet que la vitesse de la lumière dans un système est entièrement indépendante de sa provenance, ce paramètre prend la valeur admise, différente de un, clans les théories de la relativité. Les théories électroniques, qui font intervenir de grandes vitesses, paraissent confirmer la valeur attribuée à ce paramètre, ou du moins démontrent qu’il n’est pas égal à l’unité ; de notables écarts du reste, dans la valeur de ce coefficient, restent compatibles avec les faits expérimentaux.
Les théories de la relativité, relativité restreinte, relativité généralisée, malgré que bien des précisions expérimentales restent encore nécessaires, constituent un ensemble harmonieux, et un monument incomparable de la pensée scientifique, une étape nouvelle dans la voie de la coordination par l’esprit humain, des faits de la nature, voie conduisant à des domaines nouveaux, inexplorés et féconds, que la science, après un défrichement systématique, pourra ensemencer avec la certitude d’une riche moisson de découvertes.
Nous avons tenu seulement ici, à préciser quelques notions, souvent un peu flottantes, dans la définition du temps ; flottantes en raison de la difficulté que l’esprit humain éprouve à se débarrasser de nos manières irrésistibles de penser, imposées par notre propre organisation intérieure et l’expérience atavique du contact journalier avec les choses qui nous entourent.
Le 7 décembre 1935.
Ernest Esclangon, membre de l’Académie des Sciences et du Bureau des Longitudes Directeur de l’Observatoire de Paris