Épuration biologique des eaux d’égouts

Pierre de Mériel, La Nature N°1581 — 12 septembre 1903
Samedi 4 janvier 2014

Le mot biologique est bien le terme exact, car cette méthode, dont il a été parlé à plusieurs reprises de façon plus ou moins sommaire, et dont nous voulons donner une description complète, fait appel à des êtres vivants, à des bactéries, pour traiter les eaux résiduaires en général, et pour rendre assimilables par le sol les substances diverses qu’elles contiennent.

On sait que la ville de Paris a généralisé simultanément le tout à l’égout et l’épandage des eaux d’égouts pour sa vaste agglomération ; mais on constate maintenant, un peu tard, que ce traitement a de nombreux inconvénients, et qu’il arrive du reste à saturer les terrains d’épandage d’eaux tenant en suspension une foule de germes nocifs. Ce qui a fait croire à l’efficacité absolue de l’épandage et de ce qu’on pourrait appeler l’épuration par la végétation, ce sont des expériences qui étaient en réalité la première manifestation de l’épuration bactérienne. Et l’on comprend qu’à tous les points de vue nous devons en dire quelques mots ici. Ces curieuses expériences ont été faites à la station agricole de Lawrence, aux États-Unis, et par les soins de M. Hiram Mills : on avait constaté que la disparition des matières organiques contenues dans les eaux d’égouts ne se faisait point par filtration continue à travers le sol, et l’on avait d’abord pensé qu’on devait cette disparition aux plantes poussant sur le sol, et qui auraient assimilé cette matière organique. En réalité, le repos qu’on devait laisser aux plantes entre les périodes d’épuration ne leur était point nécessaire à elles-mêmes, car elles sont incapables d’effectuer l’assimilation en question à moins d’une décomposition préalable de ces eaux, mais bien au sol, qui a besoin de s’aérer pour que les êtres vivants qu’il renferme se livrent à l’oxydation de la matière organique. Les plantes ne font même que gêner Je phénomène et le ralentir, car, sur les meilleurs terrains d’épandage en culture, on ne peut arriver à détruire que 80 tonnes de cette matière par hectare, alors que, sur un sol préparé de façon à présenter une perméabilité parfaite, la quantité correspondante dépasse 910 tonnes. Ce sont là les résultats obtenus dès 1887 à la station de Lawrence, et le sol artificiel ne pouvait pas y être considéré comme un véritable sol, au sens où nous entendons ordinairement ce mot, puisqu’il était formé de sable et d’argile cuite, qu’on aurait pu tout aussi bien le composer de scories ou de mâchefer, l’important étant ici qu’il soit perméable et absorbant. Il doit en effet ne pas laisser passer trop facilement l’eau, afin que les microbes aient le temps de jouer leur rôle. Et cependant il est nécessaire qu’il laisse échapper ensuite rapidement l’eau pour que l’air pénètre dans sa masse, en apportant l’oxygène à la seconde série de microbes dont nous allons parler plus loin et dont le rôle est des plus importants.

Il s’agit, en somme, dans l’épuration des eaux résiduaires, de ramener à l’état de matière minérale la matière organique que contiennent ces eaux, par désintégration. Or, comme le rappelait M. Calmette, le savant directeur de l’Institut Pasteur de Lille, et comme le disait aussi M. Léonard P. Kinnicutt devant l’Association américaine pour l’avancement des sciences, les eaux d’égouts (entendues au sens le plus large du mot) renferment deux groupes principaux de substances qui doivent être décomposées : les substances ternaires, cellulose, sucre, amidon, qu’on trouve dans les résidus de légumes, le papier, le linge, etc. ; puis les substances quaternaires, comprenant toutes les matières azotées, débris de viandes, albumines, déjections, etc. Les unes sont transformées en éléments minéraux par des microbes anaérobies, les autres se liquéfient puis se transforment en ammoniaque, et les nitrates apparaissent enfin : ici il faut faire appel au concours des microbes aérobies. Cela revient à dire qu’il faut mettre successivement les eaux d’égouts dans les conditions où les deux armées de minuscules travailleurs ’peuvent vivre au mieux et, par suite, exécuter leur besogne de la façon la plus complète et la plus rapide.

On sait bien parmi les spécialistes qu’on doit beaucoup à Schloesing, à Müntz, à Muller, à Marié-Davy, pour la connaissance de l’action de ces bactéries, et qu’en somme, Mourras s’était inspiré des vrais principes en combinant. sa fosse à vidange automatique. Aujourd’hui, c’est surtout en Angleterre, et aussi un peu en Allemagne et aux États-Unis, qu’on applique couramment et de façon satisfaisante la méthode biologique dont nous venons d’indiquer les bases. On a d’abord commencé par recourir aux lits bactériens de Dibdin, composés d’une couche de coke recouverte de cailloux ; mais il n’y avait qu’une seule nature de lit, lit qui s’encrassait rapidement, et alors on se voyait obligé de le laisser au repos, précisément pour permettre aux microbes aérobies d’agir. Ce fonctionnement intermittent est impraticable dans une agglomération où il faut épurer Ies eaux d’égouts d’une manière continuelle, et Cameron a imaginé de traiter les eaux dans ce qu’il appelle des fosses septiques, avant que de les faire passer sur les lits dont nous venons de parler, et qui seront dorénavant consacrés à l’action des bactéries aérobies. Ces fosses septiques sont un peu comme des fosses Mourras ; les matières s’y accumulent durant un temps assez long pour qu’il s’y développe à l’abri de l’air un nombre respectable de microbes anaérobies, qui solubilisent les matières insolubles : du reste, le temps voulu pour cela n’est pas considérable, puisqu’il ne dépasse pas vingt-quatre heures, et l’on comprend que cette période s’accorde parfaitement avec les besoins sanitaires. Quand ensuite les eaux, traitées ,de cette première façon s’en vont sur les lits aérobies, constitués de coke, d’argile cuite, de mâchefer, il suffit de quelques heures pour qu’elles soient débarrassées de toutes matières organiques par les bactéries aérobies. C’est cc système mixte que l’on a adopté, et qui se vulgarise maintenant sous le nom de procédé bactérien anaérobie avec double contact aérobie, les lits de contact de cette dernière espèce étant en réalité doubles, comme le montre la figure que nous donnons de l’ensemble d’une installation de ce genre : on y voit une chambre à sable qui reçoit d’abord les eaux et qui n’a qu’un rôle mécanique à jouer. Cette chambre est normalement munie de grilles pour arrêter, les matières lourdes et imputrescibles, pierres, objets métalliques, etc., qui se trouvent dans les eaux d’égout.

Bien entendu, les grandes installations peuvent comprendre une série des dispositifs élémentaires dont nous n’avons fait figurer qu’un seul type, mais les aménagements généraux sont toujours les mêmes. À la suite de la chambre à sable, les eaux gagnent la fosse septique. À ce propos, nous ferons remarquer qu’on a songé à couvrir ces fosses septiques pour maintenir les conditions thermiques constantes, empêcher l’arrivée de l’air, assurer une meilleure fermentation anaérobique, et aussi utiliser à l’éclairage ou au chauffage les gaz qui se dégagent ; mais en fait, dès que cette fermentation a été bien amorcée, il se forme sur le bassin un chapeau, analogue à un chapeau de vinification, qui met suffisamment le phénomène et les bactéries à l’abri du contact de l’air, en même temps qu’un certain dépôt se fait dans le fond du bassin. D’ailleurs, chose curieuse, au bout de quelques mois chapeau et dépôt cessent d’augmenter. La désintégration des substances ternaires donne des bulles de gaz qui vont crever en partie au travers du chapeau, et il ne faut pas croire que les odeurs émises soient insupportables : elles rappellent tout à fait celles que répandent les usines à gaz.

Les eaux sortant du bassin septique, noires et nauséabondes, contenant des substances organiques solubles, sont renvoyées au bout de vingt-quatre heures sur les lits aérobies, établis le plus généralement sur de l’argile tassée, profonds de 1,10m, et dont le fond est garni de tuyaux en terre cuite ; les extrémités de ces tuyaux ne sont. pas jointes et ils peuvent évacuer sur un collecteur commun les eaux qui pénètrent dans leur réseau. Le lit est fait de scories d’usines, de plus en plus fines au fur et à mesure qu’on monte à la surface, et des caniveaux, en éventail assurent la distribution de l’eau en couche mince à la surface de ce lit. Des dispositifs automatiques assurent le remplissage en une heure ; le contact dure ensuite deux heures, la vidange se fait en une heure également (les opérations devant être lentes pour favoriser l’action des bactéries) ; on laisse le lit se reposer quatre heures pour l’aération nécessaire dont nous avons parlé. Au sortir du premier lit, les eaux vont sur le second ; et les choses sont généralement organisées de manière que l’on puisse traiter constamment des eaux, en faisant alterner les périodes de repos ou de travail de divers lits. Ce qui est assez curieux à remarquer, c’est que les lits ne fonctionnent vraiment bien qu’au bout de quelques mois après leur mise en service, quand leur peuplement en bactéries est bien effectué.

Nous ne pouvons prolonger davantage ces explications sur l’épuration bactérienne, mais nous devons du moins noter que le nombre des germes cultivables dans les effluents sortant des lits, n’est plus que de 5 à 10 % de ce qu’on trouvait avant le traitement ; l’eau est réellement épurée et n’est plus altérable, on peut sans inconvénient la rejeter dans les ’rivières Ou l’employer à des usages industriels, et l’ammoniaque que contiennent ces eaux est dans un état à se transformer aisément en nitrate dès qu’il. dispose d’une quantité suffisante d’air pour s’oxyder. Ce système parait donc des plus pratiques et des plus effectifs, il fonctionne rapidement et sûrement, il permet d’épurer trente-six fois plus d’eaux que l’épandage, il n’a pas ses inconvénients caractéristiques et les dépenses même d’installation ne sont pas fort élevées.

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