Le célèbre inventeur vient enfin de réaliser des essais d’éclairage par la lumière électrique et les descriptions enthousiastes qui nous parviennent permettent de supposer qu’il a perfectionné d’une façon remarquable sa lampe à incandescence, et qu’il est parvenu à éliminer ou à vaincre toutes les difficultés qui ont arrêté jusqu’à présent ses nombreux prédécesseurs dans cette voie.
Après avoir lutté pendant longtemps contre les inconvénients que présente l’emploi des conducteurs métalliques, M. Edison semble y avoir renoncé et leur substitue un conducteur en charbon végétal formé avec des bandes de papier bristol, découpées en fer à cheval, de 5 centimètres de longueur sur 3 millimètres et demi de largeur, et carbonisées dans un moule de fer chauffé à 500 ou 600 degrés.
Ce conducteur est introduit dans une petite cloche en verre que l’on ferme à la lampe, après y avoir fait le vide aussi parfaitement que possible ; il est relié à deux bouts de fils de platine qui traversent le verre et servent à l’entrée et à la sortie des courants.
Il n’y aurait cependant là qu’une modification, peut-être fort heureuse, aux appareils de MAI. de Changy, Lodyguine et autres, que leurs inconvénients bien connus ont fait abandonner. Pour obtenir les résultats si bruyamment annoncés, il faut supposer que M, Edison a trouvé un meilleur mode d’emploi de l’électricité ; on peut croire qu’il obtient l’incandescence par une succession très rapide de courants alternatifs de grande tension, analogues aux courants d’Induction de la bobine de Rhumkorff, mais réglés de façon à éviter l’excès d’élévation de température et la volatilisation du conducteur ; il pourrait ainsi assurer sa durée et empêcher, sur la paroi intérieure de la cloche, le dépôt qui s’y forme rapidement, quand on emploie dans le vide l’incandescence produite par des courants très Intenses. La description du générateur d’électricité, primitivement étudié par Edison, se rapporterait assez bien, du reste, avec la production de ce genre de courants. Il est vrai qu’il devient difficile de comprendre leur emploi avantageux, comme transformation en force motrice. Les renseignements publiés sont, à ce sujet, très Incomplets et très confus.
La conclusion que l’on s’est empressé de tirer de ces expériences est évidemment exagérée ; il ne suffit pas d’avoir une lampe excellente pour que toutes les autres difficultés inhérentes au système soient résolues du même coup, principalement celle de la dépense. On annonce bien que la lumière de chaque foyer équivaut à 16 bougies, soit 1,66 bec carcel ; c’est ce que l’on obtient également avec environ 175 litres de gaz ordinaire, à 0,30 fr le mètre cube, c’est-à-dire au prix de cinq centimes un quart par heure. On estime encore qu’avec un cheval-vapeur de force motrice on peut alimenter 10 de ces lampes, ce qui revient à produire 16 becs carcels de lumière par cheval ; c’est à peu près ce que nous avons vu réaliser bien souvent avec ce mode d’emploi de l’électricité, très inférieur, comme utilisation, à l’emploi de l’arc voltaïque.
Aussi l’économie n’existera que si on emploie pour sa production la force motrice fournie par des machines très puissantes et très perfectionnées ; il faudra donc établir de véritables usines et une distribution analogue à celle du gaz ; ce sont là des dépenses considérables, dont l’intérêt et l’amortissement doivent être compris dans le prix de revient de la lumière.
En outre, comme l’électricité, pas plus sous cette forme que sous les autres, ne peut s’emmagasiner, il reste à savoir comment on arrive à proportionner la production des courants avec les variations énormes de la consommation qui accompagnent un éclairage industriel. Sinon, que devient l’électricité non employée et qui est-ce qui la paye ?
SI, d après les chiffres fournis, on admet, en tenant compte des pertes et des résistances passives, qu’une machine de 120 chevaux alimente un millier de lampes, elle devrait pouvoir varier dans la proportion de 1 à 1000, ou de un demi cheval à 120, et, lors même que cette marche pourrait être obtenue, le prix moyen de la force motrice serait bien au-dessus des chiffres avancés.
Nous sommes, sans doute, encore bien loin de voir la lumière électrique remplacer l’éclairage au gaz ailleurs que dans les applications où sa supériorité est incontestable, et comme la dépense est la question principale, ce n’est pas avec l’incandescence que l’on y arrivera, à moins de découvrir une nouvelle source d’électricité ; c’est à quoi M. Edison ferait bien de consacrer un peu des puissantes ressources dont il dispose.
J. Boulard