Le beau temps ne règne pas constamment à Nice, et la pluie y vient quelquefois interrompre « l’éternel printemps sous un ciel toujours bleu » rêvé par les poètes. C’est d’ailleurs fort heureux, car le beau temps perpétuel tue la végétation, chasse l’homme, et crée le désert. Il pleut donc à Nice,mais très rarement, comme du reste dans toute la Provence, dont le rivage mérite réellement le beau nom de côte d’Azur. Dans une année, la couche d’eau pluviale s’élève cependant à près de 800 millimètres ; mais on ne compte que 67 jours de pluie à Nice, 72 à Marseille, tandis qu’il y en a 135 à Paris et 205 à Bordeaux.
Toutefois, ce n’est pas de cette rareté de la pluie que nous voulons parler, mais d’une autre particularité non moins intéressante, à savoir que presque toutes les pluies qui tombent à Nice y surviennent par le vent d’Est, c’est-à-dire par le vent qui accompagne ordinairement le beau temps dans les autres pays. C’est un fait que les observations publiées dans le Bulletin international du Service météorologique français ont vulgarisé depuis longtemps.
Comme exemple nous prendrons l’année 1899, et nous choisirons les observations effectuées chaque jour à sept heures du matin, parce qu’elles sont accompagnées d’une carte qui fait connaître la situation atmosphérique générale au même moment. Sur les 365 observations de l’année, il n’y en a que 13 qui comportent de la pluie : une fois par temps calme, une seconde fois par vent de Sud-Est, une troisième fois par vent de Nord-Est, et 10 autres fois par le vent d’Est. On peut donc dire, en somme, que toutes les pluies signalées sont tombées par des vents de la région Est. — En considérant une plus longue période, les résultats sont analogues.
C’est extraordinaire, et, au premier abord, il semblerait que cela constitue une grave anomalie, une exception tout à fait locale à la loi qui attribue aux vents d’Ouest la majeure partie des pluies de l’hémisphère boréal. Il n’en est rien cependant.
D’abord, si le vent d’Est peut être considéré à Nice comme le vent de la pluie, on peut aussi bien admettre qu’il est le vent du beau temps, car les mêmes observations montrent qu’il y a deux fois plus de belles journées par le vent d’Est que par tous les autres vents réunis. Les deux conclusions, qui paraissent contradictoires, s’expliquent d’ailleurs aisément par la raison que les vents d’Est sont de beaucoup les vents prédominants, et qu’ils règnent pendant les deux tiers de l’année.
Cette large prédominance des vents d’Est dans la région de Nice est due à plusieurs causes. D’abord à l’existence très fréquente de minima barométriques dans le bassin occidental de la Méditerranée ; — ensuite à l’orientation Est-Ouest des montagnes avoisinantes : les Maures, l’Estérel, la Cabrière, et principalement les Alpes mêmes, qui ne tournent vers le Nord-Ouest qu’à partir du mont Mounier ; — enfin aux appels d’air créés de l’Est vers l’Ouest par les forts vents du Sud, et surtout par le Mistral quand il débouche violemment sur la Méditerranée entre les Alpes et les Pyrénées, depuis Marseille jusqu’à Perpignan.
Quant à la coïncidence habituelle de la pluie avec le vent d’Est dans la région de Nice, on doit reconnaître qu’elle est favorisée par la quasi permanence de ce vent, mais on en trouve la vraie cause dans les petites dépressions locales qui se forment très souvent dans le voisinage de la côte, un peu au sud de Nice. Les précipitations atmosphériques sont bien, ordinairement, confinées dans la moitié méridionale des grandes dépressions, mais elles se produisent dans toute l’étendue des dépressions restreintes, et alors le coefficient de pluviosité du vent d’Est devient presque aussi grand que celui du vent d’Ouest. C’est un principe général que nous croyons applicable à tous les pays, et dont nous venons récemment, pour le nôtre, de voir une fois de plus la vérification : du 13 au 14 mai dernier, sous l’influence d’une petite dépression très localisée, il est tombé 27 millimètres d’eau au Puy-de-Dôme et 10 millimètres à Clermont-Ferrand, par un vent d’Est bien établi qui a atteint une vitesse de 23 mètres par seconde au sommet de la montagne. Il n’y a donc pas qu’à Nice que la pluie tombe par le vent ordinaire du beau temps ; et il est même à noter que les longues pluies continues, qui durent 12 et 24 heures, se produisent dans la France centrale plus souvent par les vents d’Est que par les vents d’Ouest. Cela tient sans doute à la marche moins rapide des dépressions qui nous donnent des vents d’Est.
Près des côtes de Provence, ces dépressions locales sont excessivement fréquentes, et les 10 cas de pluie que nous avons relevés pendant l’année 1899, pour Nice, et par vent d’Est à 7 heures du matin, ont coïncidé avec la présence de petites dépressions très caractérisées dont les centres se sont trouvés 4 fois au sud de Toulon, 3 fois au sud de Marseille, 2 fois au sud de Nice, et une fois en Corse. Parmi les cartes ci-jointes, celles des 11 et 24 janvier, 25 février et 19 avril représentent quatre de ces dépressions. Mais il n’y a pas qu’à Nice que l’on observe des pluies par le vent d’Est. Ainsi Marseille en a eu le 16 octobre, Cette le 19 décembre, et les cartes qui se rapportent à ces deux dates montrent que les dites pluies ont encore été produites par deux dépressions fort restreintes dont les centres se trouvaient, pour la première, au sud de Marseille, et pour la seconde au sud de Cette.
Quand il fait beau à Nice par le vent d’Est, la situation barométrique est bien différente. La pression atmosphérique dépasse alors généralement sa valeur moyenne, et le vent d’Est est presque toujours déterminé par une grande dépression dont le centre est assez éloigné, comme on le voit sur les cartes du 16 février et du 21 décembre.
En résumé, on peut dire que les pluies qui se produisent par le vent d’Est sur les côtes de la Méditerranée, et surtout à Nice, ne constituent pas, en réalité, une dérogation à la loi générale qui détermine la répartition des hydrométéores dans les dépressions de notre hémisphère boréal.
L’anomalie n’est qu’apparente, car pluie et vent doivent être attribués à de petites dépressions locales qui se comportent là comme partout ailleurs, mais qui y sont très fréquentes, et dont la formation doit être attribuée au relief des Alpes et des Pyrénées. Nous avons déjà [1] montré, à ce sujet, combien est grande l’influence des Alpes.
J.-R. Plumandon