Depuis cinquante ans un observateur très consciencieux et fort perspicace s’est astreint à comparer les variations des taches solaires aux diverses observations météorologiques, cela avec le constant souci d’éviter tout systématisme préconçu.
Ce sont les résultats de ces cinquante années de recherches que nous allons résumer.
Variations périodiques des taches solaires. — Une seule période des taches solaires se vérifie : celle de 11 ans (la période undécennale).
Les taches remarquables reviennent chaque année, à leur anniversaire, à un ou deux jours près.
Le total de toutes les taches observées — à la même date, — pendant des périodes de 30, 40 et 50 ans, fournit une courbe annuelle remarquablement semblable. — Les trois courbes de la fig. 1 tracées pour 12, pour 40 et pour 50 années, présentent un parallélisme indéniable.
Il y a 25 ans, M. Henri Mémery, l’auteur de ces patientes recherches, signala cette observation effectuée sans idée préconçue ni théorie à vérifier. On objecta, à la Société Astronomique de France, que le soleil ne pouvait naître notre calendrier. C’était une boutade ! Puisqu’il existe dans l’année (à un jour près) — un nombre exact (13) de rotations synodiques de 28 jours. les taches qui se forment et reparaissent aux mêmes régions du disque solaire, non seulement peuvent, dès lors revenir en face de la terre après un nombre de rotations solaires multiple de 13, mais encore — ce qui est beaucoup plus important, parce que fait d’observation, — cette curieuse périodicité des taches ressort nettement de toutes les statistiques solaires.
Action « individuelle » des taches solaires. — Les taches ont une courbe très variable, allant de quelques heures à plusieurs semaines, parfois plusieurs mois.
Le rapprochement des courbes de température et de la figuration de l’apparition des taches constate un fait constant, savoir :
La température s’élève quand les taches apparaissent ; Elle s’abaisse lorsqu’elles disparaissent.
La figure 2, relative à 1903, vérifie cette remarque. En particulier, pour les élévations de température des 22-28 février ; 20-26 mars ; 25-30 avril ; 22-26 juin ; etc. La représentation des taches, dans cette figure, ne note que la durée de leur apparition.
Les taches solaires et la température. — La courbe des températures quotidiennes, pour une série d’années, ne monte pas régulièrement de janvier à juin, ni ne descend régulièrement de juin à décembre. De nombreuses irrégularités la sillonnent. Si l’on trace ces courbes pour lui nombre d’années variable, les mêmes irrégularités se constatent.
La figure 3 représente deux de ces courbes, l’une pour Paris de 1874 à 1923 (50 ans), l’autre pour Bordeaux de 1880 à 1929 (50 ans), Au-dessous, la courbe (1880-1929) des taches solaires de la figure 1 est reportée, — on relève la constatation du fait précisé par la figure 2 (année 1903) :
Recrudescence des taches solaires suivie de températures en hausse.
Diminution des taches solaires suivie de température en baisse.
Les dictons sur le temps et les taches solaires. — Si l’on compare les observations de 50 ans de l’Observatoire de Talence (Gironde) de M. Henri Mémery, avec la validité des dictons bien connus touchant l’influence sur le temps :
des Saints de glace (11, 12 et 13 mai), influence provoquée, suivant certains, par les étoiles filantes, ou trouve qu’elle n’existe pas ;
de la Saint-Martin (l’été du 11 novembre), influence attribuée encore aux étoiles filantes, on la trouve tout aussi inexistante ;
des Perséides (1re quinzaine d’août) — dont l’essaim n’a aucune influence sur la température alors que l’intervalle, 1er -15 août, est l’une des époques de recrudescence des taches, la variation de température de cette époque confirme la relation ci-dessus entre taches et températures ;
de la Saint-Médard (pluie, 8 juin), la diminution des taches de la 1re quinzaine de juin (voir fig. 1 et 3) explique ce dicton qui a une base réelle ;
de la Lune Rousse (mi-avril) ; du 10 au 20 avril il y a une diminution annuelle des taches, d’où diminution annuelle de la température qui n’a rien avoir avec la Lune.
Les taches solaires et la pluie. — La pluie obéit à des causes multiples (actions électriques, vents d’ouest et du sud-ouest, etc.
Les comparaisons entre les quantités annuelles de pluie et les moyennes annuelles des taches solaires ne donnent aucun résultat puisque —d’après la relation entre taches et températures — l’ action probable des tache » sur la pluie se montre de sens inverse en été de ce qu’elle est en hiver. En hiver, la pluie coïncide généralement avec une élévation de température ; c’est l’inverse en été.
Par contre, il est remarquable que la pluviosité excessive des années 1930 et 1931 soit survenue à la suite de la diminution très rapide des taches solaires au cours de ces deux années, après le maximum de 1928-1929. On trouverait difficilement deux années consécutives aussi pluvieuses que 1930 et 1931, mais on trouverait difficilement aussi deux années consécutives présentant une diminution des taches solaires aussi importante, après un maximum de la période undécennale.
Les disparitions des taches sont, dans nos régions, très fréquemment, suivies de l’apparition de dépressions, partant, de tempêtes.
Les taches solaires et les séismes.
Si, en regard des variations des taches, on note, chaque jour, les phénomènes météorologiques, séismiques et volcaniques on observe que :
Tous les tremblements de terre importants surviennent lors d’une diminution ou d’une absence de taches solaires.
La cause des variations atmosphériques importantes paraît avoir son siège dans le soleil, pourquoi la cause de séismes ne l’aurait-elle pas aussi ?
Quoi qu’il en soit, le tableau suivant des séismes célèbres est particulièrement remarquable et en accord avec les courbes de la figure 4, représentant les courbes annuelles des taches, de la pluie, des tempêtes et des séismes.
1883 | Tremblement de terre d’Ischia | 28 juillet | Diminution des taches |
Éruption du Krakatoa | 26 août | ||
1887 | Tremblement de terre à Nice | 23 février | |
1902 | Éruption du mont Pelé(Martinique) | 8 mai | |
1906 | Sans Francisco | 18 avril | |
1910 | Valparaiso | 18 août | |
1908 | Messine | 28 décembre | |
1909 | Provence | 11 juin | |
1912 | Katmaï | 6 Juin | |
1923 | Tokyo | 1er septembre | Absence de taches |
Les taches solaires et la prévision du temps. S’appuyant sur ses nombreuses observations continuées pendant 50 ans et qui, dès lors, imposent l’attention aux esprits dénués de systématisme et qui savent que l’observation patiente et sérieuse est la condition première de tout progrès scientifique, M. Henri Mémery s’est essayé à en déduire la prévision du temps :
1° Par les périodes solaires :
Il remarque (Sté Astronomique de France, Sté Astronomique de France, décembre 1927) que les deux hivers 1929 et 1930 seraient probablement aussi froids que ceux de 1829 et de 1830, la période solaire commencée en 1927 ayant présenté des variations identiques à celles de la période solaire commencée en 1823 et l’été de 1927 ayant été froid et pluvieux comme celui de 1823.
Cette prévision, vérifiée en 1929, ne le fut pas en 1930.
Ce désaccord trouve sa raison dans l’évolution comparée des taches en 1830 et en 1930. Alors que l’hiver 1830 présenta une diminution notable des taches, celui de 1930 présente, au contra ire, une recrudescence.
Les maxima solaires de 1828 et de 1928 n’ont pas été rigoureusement semblables.
2° Par le mouvement des taches :
Le 8 mars 1931, M. Henri Mémery fit connaître le temps probable du dimanche 15 mars 1931. Le retour des grandes taches qui avaient contourné le bord ouest solaire le 26 février 1921 devait être suivi d’une hausse de la température et d’un retour du beau temps, ce qui se réalisa.
En terminant la publication des résultats de ces cinquante années d’observations, M. Henri Mémery s’exprime ainsi :
"Il ne semble pas qu’on ait sérieusement cherché dans le Soleil, par les méthodes indiquées dans les chapitres qui précèdent, la véritable cause, des variations et des anomalies atmosphériques.
« On peut comparer la situation des météorologistes à celle de quelqu’un qui chercherait uniquement dans l’installation électrique de sa maison les variations de courant provenant de l’usine centrale ; il est bien évident que ses recherches ne donneraient aucun résultat.
« Or, ici, l’usine centrale, c’est le soleil ; tout le monde le reconnaît, et il serait difficile aux météorologistes de ne pas être de cet avis. Mais presque tout le monde continue les recherches exclusivement dans l’atmosphère, comme si le soleil rayonnait une quantité invariable de lumière et de chaleur, ou comme si les phénomènes visibles sur sa surface ôtaient tout à fait négligeables ».
Tous ces résultats doivent, évidemment, retenir l’attention. Mais ce qu’on ne trouve pas dans la publication [1] que je viens de résumer et ce qui est à signaler, car l’auteur est un savant modeste qui n’a rien d’officiel, c’est l’histoire de cet Observatoire de Talence et de son Directeur.
J’ai connu M. Henri Mémery, sur les bancs de l’école Primaire Supérieure de Bordeaux, il y a cinquante ans. Nous avions une quinzaine d’années et, déjà, la curiosité scientifique ; ce qui nous rapprocha. Je lisais alors avec ardeur, les « Merveilles de la Science » de Figuier, le « Téléphone » de Du Moncel ; M. Mémery, passionné par l’observation du ciel, consacrait ses économies d’enfant, fort modestes, à l’achat de lentilles d’aussi longs foyers que le permettaient ses ressources. Avec des tubes en carton qu’il confectionnait : lui-même, il combinait des lunettes astronomiques. Ce furent les premiers instruments de cet observatoire de Talence que, seul, il a créé, que pendant 50 ans, il a développé et où, seul, tout d’abord, — les siens, avec lui, lorsque, plus tard il se fut créé un foyer, — il a, patiemment, durant cinquante ans , relevé, chaque jour, observations météorologiques et solaires.
La vie nous sépara ; il nous fallait la gagner. M. Mémery devint comptable, il l’est encore ; je rentrai, comme auxiliaire aux P.T.T. qui n’étaient alors (1883) que les Postes et Télégraphes. En 1886, je quittai l’Administration pour la Faculté des Sciences de Bordeaux où une bourse de licence m’était accordée. Licencié ès sciences physiques en 1887, je retrouvai M. Mémery, à une conférence. Son observatoire, déjà, s’était enrichi. Plusieurs années s’écoulent : en 1901, je quitte Bordeaux pour Poitiers et bientôt, je le retrouve aux Congrès de l’A.F,A.S. M. Mémery y retenait l’attention des météorologistes qui, cependant le trouvaient trop audacieux et restaient sourds à cette évidence : le Soleil, dieu énergétique de notre Terre, n’aurait-il donc pas une influence directe et immédiate sur notre atmosphère ? Le premier souci de la météorologie ne devrait-il pas être, — en pur bon sens, — de connaître, d’observer, de noter et de retenir les accidents et les mouvements de la surface solaire ?
Ce clou, M. Mémery a mis cinquante ans à l’enfoncer — envers et contre tous.
Grâce aux 50 ans d’efforts d’un savant aussi modeste que clairvoyant, le clou s’enfonce.
Albert Turpain,
Professeur de physique à la Faculté des sciences de Poitiers.