L’exposition internationale de pêcheries inaugurée avec solennité il y a quinze jours environ par le prince de Galles et la famille royale d’Angleterre, s’annonce comme un vrai succès.
Plus de cinquante mille personnes sont entrées le premier jour, et toute la semaine suivante les visiteurs ont été presque aussi nombreux. L’étranger, quel qu’il soit, qu’il s’intéresse ou non à la pêche, la navigation, trouvera là une distraction d’autant plus appréciée que Londres n’est pas le séjour le plus gai qu’on puisse rêver ; il y trouvera aussi un passe-temps scientifique des plus intéressants. Les premiers jours, on voyait circuler dans ces galeries les quatre cents pêcheurs ou pêcheuses, en costume national, venus de divers points de l’Angleterre et de l’étranger ; les Boulonnaises avec leur coiffure pittoresque, leur toilette de fête, n’ont pas été les moins admirées. Mais, à défaut de cette exhibition de costumes qui n’a rien de commun avec le vrai costume de pêcheurs à peu près identique sur toutes les côtes, les éléments de curiosité ne font pas défaut.
L’exposition, très simplement construite, occupe les vastes jardins de la Société royale d’horticulture et quelques terrains vagues annexes, derrière le nouveau Muséum d’histoire naturelle. Elle s’étend dans le grand quadrilatère limité par Exhibition Road, Queen’s Gate et Hyde Park. Deux immenses galeries en bois, avec toiture vitrée, coupées perpendiculairement par d’autres galeries, occupent la partie centrale ; tout autour une galerie similaire, de moindres dimensions : tel est le plan général.
En pénétrant par l’entrée principale, dans Exhibition road, on se trouve, au sortir du classique tourniquet, dans la vaste salle du conseil de la Société royale, transformée pour la circonstance en un musée de peintures maritimes, anciennes et modernes. La vue se prolonge de ce point jusqu’à l’extrémité de la grande galerie, occupée par l’Angleterre, sur une longueur de plus de 500 mètres. Le coup d’œil, très pittoresque, et été tout simplement merveilleux, si nos bons voisins avaient un peu sacrifié au goût du décor. Quelques filets habilement disposés, des drapeaux, un peu plus d’ornementation, en un mot, aurait agrandi la perspective et agrémenté le tableau.
La nudité des parois et du cintre donne une physionomie trop froide à ce vaste corridor. Dans les sections étrangères, par exemple celles de la Belgique, du Canada, les galeries ont été plus habilement décorées ; sans ajouter à la valeur de l’exposition, on a au moins un spectacle qui flatte l’œil des simples visiteurs. Dans quelques jours, l’exposition sera ouverte le soir, éclairée par un millier de lampes électriques, fournies par quinze compagnies différentes. On verra alors ce que ces détails d’ornementation donneront de relief à cette brillante illumination.
Suivons, si vous le voulez bien, la grande galerie anglaise. Partout s’élèvent des pyramides de cordages, de chaînes et de câbles ; des filets gigantesques s’étendent sur des bateaux de pêche depuis le plus petit modèle jusqu’au plus grand. Ici, tous les engins pour capturer les poissons de petite et grande taille ; là tous les objets utilisés pour leur transport à de lointaines distances. Au passage, regardez un vieux bateau dont la voile rapiécée, faite en partie de lambeaux de linge de table, les bois usés, détériorés, indiquent des États de service tout particuliers. C’est une chaloupe de l’Eira, recueillie près de la côte de la Nouvelle Zemble par le bâtiment The Hope, après un trajet de plus de 800 milles à travers les mers glaciales. L’État du bateau en dit plus long qu’un récit, sur les privations et les souffrances qu’ont dû endurer les malheureux navigateurs. Tout à côté, de petits modèles de bateaux portatifs, fabriqués en plaques de bois léger, reliés par une forte toilé imperméable. Vous enlevez deux ou trois rivets et votre bateau se replie en tous sens, prêt à être emporté sous le bras comme une valise de voyage.
A la droite de cette galerie, l’exposition des appareils de sauvetage, comprenant les appareils de la marine nationale, ceux du ministère du commerce et de la Royal life Boat Institution. Quelques chiffres à l’appui des services rendus par cette société. Elle possède actuellement 275 bateaux postés sur divers points des côtes du royaume. Les équipages de cette flotte de salut ont sauvé, en 1881, 1121 naufragés, en 1882, 884. Depuis sa création en 1824, le total des sauvetages de personnes se monte au chiffre éloquent de 29 600.
En quittant cette grande galerie pour pénétrer dans la galerie circulaire ou pour mieux dire périphérique, nous allons faire la vraie promenade intéressante, une étude d’histoire naturelle, une étude de pisciculture, etc. L’aquarium dont un côté est réservé aux poissons d’eau douce et l’autre aux poissons de mer, s’étend sur une longueur de plus de 200 mètres. Les bassins contiennent les spécimens les plus fantastiques, comme taille ou variétés, de la plupart des poissons connus. J’ai vu là, des homards dont une patte suffirait au repas de l’amateur le plus vorace.
La pisciculture a fait en Angleterre des progrès rapides et les tentatives d’acclimatation des poissons d’outre-mer (Amérique et Australie) tentatives couronnées de succès, ont donné une nouvelle impulsion à cette culture. De nombreux exposants se disputent les récompenses ; de petits réservoirs miniatures, plus coquets les uns que les autres, nous font en un instant parcourir toute la série des transformations du saumon, de la truite et d’autres espèces. À côté, les parcs à huitres, à moules : plus loin la collection d’histoire naturelle et les reproductions en plâtre colorié de tous les poissons du monde. Cette splendide collection a été fournie par les sociétés de pêche et de pisciculture de Londres et de la province ; elle forme un véritable musée, digne de la plus grande attention. La galerie se termine à l’Est par toute la série des produits de conserves, de salaisons ; des vêtements, hottes, surrouets de tous genres, à l’usage des marins. Revenus au point de départ, nous voyons à gauche un marché aux poissons ; chaque jour des bateaux de la Tamise apportent du poisson frais, vendu, de concert avec des salaisons, à des prix, dit-on, intérieurs à ceux de tout autre marché.
Les sections étrangères occupent la partie centrale de l’exposition. Le plan ci-contre donne une idée suffisante de la surface qu’elles recouvrent. Cherchez bien pour trouver la France ; j’ai passé longtemps à côté de la place qu’elle doit occuper sans m’en douter. Je dis qu’elle doit, car rien n’est prêt encore. Cela n’a du reste rien d’étonnant ; une exposition ne serait pas, je crois, une exposition si tout se trouvait prêt au Jour de l’ouverture.
La Chambre de Commerce de Boulogne figure seule pour représenter notre pays. J’ai éprouvé, et ce sera je crois l’impression de tous nos compatriotes, une certaine honte à voir que le Japon, la Chine, voire même les Iles Havai, occupaient un espace plus grand que la France. M. Cochelet, notre commissaire, a dû être péniblement surpris du peu d’intérêt qu’a excité chez nous cette exposition. Eh ! quoi nous n’avons pas à exposer le plus petit modèle de bateau, le plus simple appareil, quand la Belgique, occupe une salle énorme. À qui la faute de cette incurie ? Je ne saurais le dire. Mais la vue de cette petite salle où devant le pavillon de Boulogne, sont échouées comme des épaves, quelques boîtes de sardines, est navrante. L’Italie n’a pas mieux fait ; elle a trouvé le moyen de remplir son compartiment de vitrines de bijoutiers sur corail et sur laques. Le Canada, l’Amérique, la Suède, la Norvège offrent une exposition très complète, très heureusement disposée. Les collections rapportées par la Vega, figurent dans cette section à côté de vitrines remplies des richesses du musée de Gothenhourg. Partout c’est à qui montrera les plus monstrueux spécimens de la faune maritime et fluviale conservés dans d’énormes bocaux ; partout les engins les plus variés et les plus ingénieux.
« Çà et là dans les jardins, sont disposés de petits kiosques pour des expositions spéciales ; au centre des galeries, se trouve le pavillon réservé pour le prince de Galles, somptueusement décoré. Un peu plus loin, le cottage des pêcheurs, puis le pavillon des dragues, les ascenseurs hydrauliques, la pagode chinoise, puis un squelette de baleine mesurant 70 pieds de long, en parfait état de conservation, prêté par le marquis d’Exeter, etc. N’oublions pas enfin les nombreux buffets disséminés dans tous les coins et de vastes restaurants sur les côtés de la grande galerie. Un d’entre eux ne sert que du poisson ; c’est le six pence dining room. Pour douze sous on vous sert un plat de poisson ; le choix en est aussi varié que le mode d’apprêt, ce qui n’est pas peu dire. Au résumé, cette exposition est des plus complètes et des plus intéressantes à visiter, non pas seulement par ceux qui ont un intérêt direct à l’étude de ces questions de pêche ou de pisciculture, mais par n’importe qui. On y passera plusieurs heures et plusieurs journées d’une façon fort agréable, et je ne doute pas que le succès des premiers jours, ne se prolonge pendant toute la durée de l’exposition.
A. CARTAZ