Les estuaires et les anses maritimes des tropiques et des régions équatoriales sont les localités favorites des Palétuviers.
S’il est des végétaux utiles à l’homme, il en est qui lui sont hostiles, et on peut dire que dans une certaine mesure, les Palétuviers sont de ce nombre.
Il est notoire pour les Européens qui habitent les pays chauds, que les lieux occupés par ces végétaux ont la réputation d’être malsains. Les arbres n’y sont pour rien par eux-mêmes, mais leur manière de végéter milite en faveur de cette opinion. Leurs racines en effet ne se développent pas comme celles des autres dicotylédones. Lors de la germination de la graine, la racine primordiale s’est déjà développée dans le fruit pendant sa maturation et alors que celui-ci tenait encore au rameau ; puis elle tombe à un moment donné, en quittant le fruit, et portant à son sommet la gemmule encore fort petite ; tandis que le pivot radiculaire s’est allongé pour former un fuseau charnu et pesant, de 20 à 25 centimètres de longueur. La vase au milieu de laquelle se plaisent les Palétuviers reçoit ces singulières graines qui tombent ainsi à pic par leur lourde radicule, laquelle entre facilement dans le sol fangeux : voilà de jeunes Palétuviers qui sont plantés comme par la main de l’homme, sans qu’aucun manque à la reprise, et cela par le seul fait de leur merveilleuse organisation de leurs organes reproducteurs.
Bientôt les feuilles se développent sur leur tige qui s’élève, mais au fur et à mesure, des racines adventives se montrent à des hauteurs diverses sur cette tige, qui d’un côté se ramifiera pour former, une cime ordinairement large et basse, tandis que la partie inférieure est soutenue par de nombreux étais en arceaux ; ce sont ces mêmes racines aériennes maintenant devenues adultes et robustes qui suppléent la racine principale et qui, par leur nombre et leur résistance, vont délier les bourrasques les plus violentes.
On doit penser qu’avec des moyens de se reproduire aussi assurés, les Palétuviers arrivent à s’entre-croiser et finissent en effet par faire le plus inextricable fouillis, accessible seulement pour les caïmans ou autres animaux amphibies, mais surtout favorisant au plus haut point le développement des coquillages et de nombreuses espèces de crustacés. La marée, quelle que soit son importance, découvre en totalité ou en partie le terrain occupé par les arbres, et en remontant, amène des épaves de toute sorte retenus par les racines ; l’on comprend que la matière organique, accumulée, décomposée rapidement et, sans cesse, par l’effet du soleil tropical, dégage des émanations funestes aux humains qui fréquentent ces parages.
Voici ce qu’en dit un témoin oculaire, M. Griffon du Bellay, qui a passé plusieurs années au Gabon :
La vase est le royaume exclusif de cet arbre singulier, là où les eaux de la mer se mélangent aux eaux douces. Les fruits tombent à l’eau par milliers et se maintiennent debout comme des aréomètres, lestés qu’ils sont par le poids de leurs racines, puis s’en vont avec le courant prendre possession des bancs de vase qu’ils rencontrent sur leur route. Cet arbre envahisseur dresse sur les bords des rivières d’impénétrables murailles d’une verdure grisâtre, d’autant plus triste que rien ne vient rompre sa fatigante monotonie.
Les manifestations de la vie ne troublent qu’à de rares intervalles le sommeil de ces solitudes. Cette stagnation de la nature au milieu d’une végétation vigoureuse a quelque chose d’inattendu qui produit une pénible impression. On sent que cette région plantureuse, mais d’où la vie animale est absente, n’est pas faite pour l’homme et il n’en est pas en effet qui lui soit plus mortelle. Tout à l’heure ces eaux à demi stagnantes, aspirées par le reflux de la mer, vont mettre à découvert des bancs de vase inabordables, les racines des Palétuviers vont sortir de l’eau, à demi pourries, couvertes d’huîtres et de moules fangeuses, au milieu desquelles courent avec une singulière pétulance une multitude de petits crabes noirs qu’on prendrait pour des araignées mygales. Toute cette vaste nappe de vase va dégager des gaz sulfhydriques qui étaient retenus dans son intérieur par la pression de l’eau, et qui viennent maintenant éclater à la surface comme des bulles de savon, en répandant une odeur pestilentielle. Pendant la nuit se joint à ces effluves fébrigènes une humidité pénétrante qui saisit et fait frissonner, tandis que des milliers de moustiques s’emparent de l’atmosphère et se ruent sur leur proie.
Cette région n’est pas faite pour l’Européen. L’indigène lui-même n’y vit pas sans faire connaissance avec la fièvre.
Le nom de Palétuvier s’applique à plusieurs espèces du genre Rhizophora, et même à des genres différents, et dont quelques-uns sont de familles distinctes. Le plus répandu est le R. Mangle, puis le Bruguiera gymnrohiza, qui manque à l’Amérique, enfin les genres Ceriops et Kandelia beaucoup moins répandus. Dans les eaux moins saumâtres, c’est-à-dire en s’éloignant de la mer. c’est le genre Avicennia qui est le Palétuvier dominant, puis croit dans les mêmes conditions le genre Ægiceras. Mais le Palétuvier que représente la gravure ci-dessus est bien le R. Mangle, dont le principal mérite est d’avoir un bois très-dur, employé dans l’ébénisterie locale et la petite construction. L’écorce est ce qu’il offre de plus avantageux. Celle-ci en effet est épaisse, assez facile à enlever, et contient une quantité considérable de tannin dont les propriétés sont bien connues.