Nous avons déjà passé en revue ici même [1] les clefs et les serrures artistiques autrefois employées ; nous nous proposons aujourd’hui de parler des clefs à un point de-vue tout différent, pour en signaler quelques types vraiment curieux par leur forme ou par leur usage.
Voici d’abord la clef stylet. Le concierge est un fonctionnaire qui n’est devenu commun qu’au cours du XIXe siècle, quand on s’est mis à construire ces maisons à six ou à sept étages exigeant un entretien continuel et une surveillance active. Avant, comme aujourd’hui, dans la plupart des villes de province, chaque locataire avait la clef de la porte d’entrée. Et, quand il rentrait tard, le moment dangereux était celui pendant lequel il cherchait dans l’obscurité, qu’éclairaient de rares quinquets, le trou de la serrure. Les « Apaches » de l’époque pouvaient se précipiter sur lui et le soulager de sa bourse et de sa montre, sans préjudice des mauvais coups qu’ils lui prodiguaient à titre de souvenir. Aussi, bien Peu de gens sortaient sans une « permission de minuit ». Canne à épée, casse-tête, pistolet de poche étaient d’un usage général. La clef stylet était, sans doute, moins employée, car elle est fort rare dans les collections, Son panneton est muni d’un stylet qui s’enfonce dans la tige forée, de telle sorte que rien ne la différencie d’une clef ordinaire ; mais en tournant un anneau, le stylet est mis en liberté et il n’y a plus qu’à s’en servir pour défendre sa bourse et sa vie.
Une clef pour gens atteints de manie et d’obsession a été imaginée, en 1868, par un inventeur du nom de Baudet, Elle permet de constater si l’on a bien fermé sa porte, son meuble ou sa caisse lorsqu’on s’est déjà éloigné de chez soi et qu’on a eu la précaution d’emporter la clef. A cet effet, on prend une clef forée quelconque, on en prolonge le forage sur toute la longueur : On taraude ce prolongement et on y introduit une tige filetée dont une extrémité affleure l’intérieur de la clef et dont l’autre, fondue, vient s’engager dans l’extrémité de la broche de la serrure qu’on a eu soin de tailler en forme de tournevis. La fonction de cette combinaison est évidente ; un demi-tour, un tour ou un tour et demi fait saillir ou rentrer d’autant la vis qui fait partie de la clef. La consultation de cet indice permet d’apprécier en quel état on a laissé sa serrure et rassure les gens timorés, oublieux ou toujours inquiets par tempérament.
Les serrures de sûreté ont donné naissance à des clefs minuscules, d’une grande perfection, qui manœuvrent les pièces de la serrure avec une incroyable facilité quand la combinaison est établie.
On a imaginé des serrures telles qu’on ne peut y introduire que sa clef sous peine de déterminer le déclenchement d’un timbre-avertisseur. A l’extrémité de la boîte, renfermant la serrure proprement dite, se trouve un timbre dont le marteau est commandé par un mouvement d’horlogerie. Une tige coudée, maintenue dans un guide à l’une de ses extrémités, s’appuie sur le montant du marteau,tandis que l’autre va s’engager dans une ouverture pratiquée dans la pièce qui sert à recevoir les dents de la clef et qui est faite de manière à avoir très peu de jeu ; elle est fixée au corps de la serrure au moyen d’une vis et elle est terminée à sa partie inférieure par un biseau qui s’engage dans un ressort. En introduisant la clef dans la serrure, elle tournera librement autour de son axe jusqu’à sa rencontre avec la pièce spéciale qui doit fermer le pêne. Si, au contraire, on introduit une fausse clef, sa denture n’étant plus la même que celle de la vraie clef, elle viendra heurter la matrice qui, étant ainsi soulevée, produira le dégagement du biseau retenu dans le ressort ; la tige qui fait corps avec cette pièce sera déplacée, le marteau se trouvera libre et tapera sur le timbre d’une manière continue.
Nous terminerons par la clef passe-partout universelle, dite clef diamant, qui permet à un chef d’établissement, usine, hôtel, lycée ; etc., d’avoir un seul passe-partout ouvrant toutes les portes munies cependant de serrures différentes, tout en permettant de donner à d’autres personnes d’autres clefs ouvrant seulement une serrure, celle de leur chambre ou de la salle dans laquelle est leur travail, ou plusieurs serrures, celles des pièces où les appelle leur service. C’est ainsi, par exemple, que, dans un internat comprenant 250 serrures, le directeur et l’économe auront chacun une clef diamant ouvrant les 250 portes, le surveillant général de la section des grands aura une clef ouvrant toutes les portes de la portion de l’établissement dont il a la surveillance ; le domestique qui fait les chambres des maîtres ou les dortoirs ne pourra ouvrir que ces salles ; chaque maître aura une clef pour ouvrir sa porte, mais non celle du voisin, etc, La clef diamant, imaginée par M. Ch. Deny, permet d’ouvrir jusqu’à 3000 serrures différentes ! Ces serrures n’ont rien de particulier, sauf leur entrée ou garniture ; permettant toutes les combinaisons. Elle se compose d’une base sur laquelle on enfile une série de quinze rondelles de formes et de diamètres intérieurs variables ; mais de dimensions bien déterminées, basées sur un point de départ unique qui correspond à la largeur maximum de la clef. Toutes ces rondelles, une fois placées dans l’ordre choisi, sont soudées ensemble et tournées de façon à former un cylindre percé dans lequel passe la clef. A l’extrémité de ce cylindre sont trois pièces qui, dans leur position normale, viennent obstruer la sortie ; elles sont terminées par des leviers coudés qui se logent dans des cavités. ménagées, sur le cylindre ; celui-ci est finalement placé dans un tube de cuivre qui le protège.
En faisant varier, d’une part, la position respective des quinze rondelles, et, en même temps, la position des ouvertures qui reçoivent les extrémités des leviers, on arrive à un nombre très considérable de combinaisons. Pour chaque serrure, on établit un nombre de quinze chiffres représentant le rayon intérieur de l’une des rondelles et correspondant, à un cran de la clef ; pour avoir le passe-partout général, on rend immuables quelques-uns de ces chiffres convenablement choisis ; c’est-à-dire qu’ils se retrouvent à la même place dans toutes les combinaisons suivantes.
La clef diamant supprime donc, d’une manière complète, l’emploi du trousseau de clefs qui donne à celui qui le porte une certaine importance dont il est fier, sans doute, au début de ses fonctions, mais qui est fort gênant dans la main ou à la ceinture — nous ne parlons pas des poches qui n’y résisteraient pas longtemps — et qui cause une perte de temps considérable par la recherche de la clef nécessaire pour l’ouverture de chaque porte.
G. Angerville