Les journaux quotidiens ont appris à nos lecteurs que le ballon l’Arago, sur le sort duquel il n’était d’ailleurs plus possible de conserver le moindre espoir, a été effectivement englouti dans les flots de l’Océan avec les deux aéronautes qui le montaient, MM. Lhoste et Mangot. Le capitaine Mac Donald, qui a été témoin de la catastrophe, du bord du Prince-Leopold, a envoyé à notre collaborateur M. Wilfrid de Fonvielle le récit des circonstances dans lesquelles elle s’est produite.
Le 13 novembre dernier, pendant qu’il, planait au-dessus de l’Océan, l’Arago fut suivi successivement -par la vigie du cap d’Antifer et par le capitaine de la Georgette, depuis midi jusqu’à deux heures. Pendant ce temps, on avait constaté que l’aérostat avait pris la direction de l’ouest et que MM. Lhoste et Mangot, se voyant abandonnés par le vent qu’ils avaient au départ, avaient tenté de le retrouver dans la haute atmosphère. Soit faute de lest , soit qu’ils aient été surpris par la condensation produite à la chute du jour, soit qu’ils aient aperçu un steamer dans le lit de leur vent, les aéronautes sont venus en contact avec les flots vers quatre heures du soir. Le capitaine Mac Donald, apercevant un aérostat en détresse à la mer, a immédiatement changé la route de son navire et fait des préparatifs pour lancer le canot. Malheureusement, la mer était très grosse, le vent soufflait en tempête et la pluie tombait à torrents. Impossible, dans de pareilles circonstances, de soutenir les chocs épouvantables provenant d’un traînage à la mer. Successivement, les deux aéronautes, étourdis par les lames furibondes qui déferlaient avec rage, ont lâché prise. A chaque fois qu’un d’eux était enlevé et englouti, l’Arago prenait son élan et bondissait dans l’espace, pour retomber bientôt au milieu des vagues déchaînées. Tout à coup, un violent coup de vent abattit la nacelle du ballon, qui chavira, entraînant les deux aéronautes dans la mer, tandis que l’étoffe de l’aérostat se déchirait entièrement. On essaya de se porter au secours des deux naufragés, mais, quand le Prince-Leopold eut atteint l’endroit où les deux voyageurs avaient été engloutis, il était trop tard.
L’aérostation perd dans ces deux jeunes gens des adeptes convaincus, d’une vive intelligence et d’une intrépidité rare, surtout l’aîné, François Lhoste, qui, quoique bien jeune, encore (il n’avait que vingt-huit ans), avait déjà accompli près de deux cents ascensions, dont plusieurs extrêmement périlleuses, et dans trois desquelles il avait traversé la Manche.
Fils d’un grand industriel parisien , François Lhoste s’était pris de passion tout jeune pour l’aérostation, et avait abandonné à dix-huit ans les ateliers paternels pour se consacrer tout entier à cette passion, qui devait lui être fatale à la fin. Il était né à Paris le 2 août 1859, et avait servi aux zouaves. Lhoste était célibataire.
Joseph Mangot n’était encore qu’un amateur, mais un amateur qui promettait. Né à Montdidier (Somme), il n’avait que dix-neuf ans et venait d’être admis au volontariat. Il était attendu à la caserne de Port-Royal le 15 novembre, mais il ne devait pas revenir de la fatale ascension du 13. Mangot avait déjà fait plusieurs ascensions, dont une à travers la Manche, de Cherbourg à Londres , avec Lhoste, son dernier compagnon.