Parmi les instruments employés dans les études de l’astronomie physique il en est un, peu connu, qui occupe une situation actuellement unique au monde, c’est la grande lunette de l’Observatoire du Mont-Blanc.
En 1890, M. Janssen eut cette audacieuse idée de fonder, à l’altitude de 4810 mètres, un observatoire astronomique et malgré toutes les difficultés d’une pareille entreprise, réussit à la réaliser. Placée au sommet du pic le plus élevé de l’Europe, cette station scientifique affranchit l’observateur de la partie la plus gênante de l’atmosphère terrestre, et, favorable dans tous les cas, permet de tenter certaines recherches qu’il est impossible d’exécuter aux faibles altitudes.
L’instrument le plus important de cet observatoire est sa grande lunette, œuvre du constructeur Gauthier, et qui, sans être un des géants de l’astronomie, possède déjà des dimensions pouvant le faire classer parmi les grands instruments. L’objectif taillé par les frères Henry a 30 centimètres de diamètre et 5,40 m. de distance focale. Un miroir plan de 60 centimètres de diamètre renvoie dans la lunette la lumière des astres à étudier. La monture de cet instrument, ingénieusement combinée, constitue un sidérostat polaire. Un tube fixe, formant enveloppe, maintenu à la partie supérieure par un pivot fixé à la construction, repose à la partie inférieure sur un bâti muni de vis calantes. Grâce à ce dispositif, on peut donner au tube les mouvements nécessaires pour rendre son axe parallèle à la ligne des pôles.
Un premier tube, large de 70 centimètres, sert de support à un autre, plus petit de moitié, qui tourne sur des galets fixés au premier.
A la partie supérieure et en avant de l’objectif est placée une sorte de fourche très solide en fonte de fer supportant le miroir lequel est encastré dans un barillet métallique qui tourne autour de deux tourillons. Ce barillet porte un cercle divisé indiquant à l’observateur la déclinaison du rayon réfléchi par le miroir dans l’instrument. La division est éclairée par une ampoule électrique et visée par une petite lunette, placée près de l’oculaire, et destinée à la lecture de ce cercle. Une roue dentée, liée au barillet du miroir, est mue par une vis tangente fixe, dont le mouvement est commandé par une transmission fixée au petit tube. L’observateur agissant sur une manivelle, fait mouvoir le miroir, tout en lisant la division du cercle de déclinaison ou en observant à l’oculaire. Un objectif de 8 centimètres est fixé au petit tube, et, avec un oculaire placé près de l’oculaire principal, constitue un chercheur puissant ; il reçoit les rayons réfléchis par la partie du miroir, qui, placée près d’un tourillon, n’est pas utilisée par le grand objectif. L’autre partie du miroir non employée envoie la lumière dans un chercheur plus petit.
La partie inférieure du petit tube est solidement reliée à un grand cercle métallique portant sur son pourtour une denture sur laquelle engrène une vis tangente mue par un mouvement d’horlogerie. Ce cercle sert aussi de support aux divers accessoires de l’instrument : oculaires des chercheurs, porte-oculaire de la lunette, manivelle actionnant la déclinaison, et, sur sa face tournée vers l’oculaire, est tracée une division en 24 heures donnant l’angle horaire de l’astre visé.
Le porte-oculaire mérite une attention spéciale. Il est composé de deux tubes de 25 centimètres de diamètre l’un fixe, l’autre mobile par rapport au premier et mû par une forte vis de rappel. Un tube assez long rentre dans le tube mobile, un solide collier de serrage peut le maintenir dans la position choisie.
La grande lunette de l’Observatoire du Mont-Blanc C’est sur l’extrémité de cette dernière pièce que peuvent venir s’attacher, par l’intermédiaire d’un dispositif à baïonnette, les appareils destinés à utiliser la lumière venant des astres étudiés : micromètre, chambre photographique, spectroscopes, etc. L’Observatoire du sommet du Mont-Blanc a deux étages, dont l’un est entièrement enfoui dans la neige. La lunette traverse la paroi nord de l’étage supérieur, le miroir étant à peu près au niveau du toit ; le tube perce ensuite le plancher et se termine dans l’étage inférieur, où se trouve le mouvement d’horlogerie et les pièces oculaires.
Pour se servir de l’instrument, l’observateur le place de manière que les cercles indiquent les coordonnées de l’astre à viser. Il se sert ensuite des chercheurs pour rectifier la direction du miroir et amener, au centre du champ, l’image de l’objet à étudier. Dans les ascensions que je fis de 1903 à 1905 j’ai installé un spectroscope spécialement construit pour cette grande lunette, Ce spectroscope se compose pour la partie optique : d’un collimateur de 60 centimètres de long, d’un prisme de flint à 30 centimètres dont la 2e face est argentée, et de deux lunettes pouvant se substituer l’une à l’autre et ayant respectivement 30 centimètres et 60 centimètres de long. Les rayons venant du grand objectif tombent sur la fente du collimateur, sont rendus parallèles par la lentille de ce premier organe, traversent une première fois le prisme, puis une seconde fois après réflexion sur la face argentée, et sont reçus dans la lunette du spectroscope.
La fente est en nickel poli, elle est légèrement inclinée sur l’axe du collimateur et réfléchit les rayons de l’astre étudié, par l’intermédiaire d’un miroir, dans une petite lunette auxiliaire mise au point sur cette fente et qui permet par suite, en agissant sur les mouvements de rappel de la lunette, de maintenir l’astre visé au point choisi sur la fente. Une seconde lunette auxiliaire reçoit la portion de la lumière qui est réfléchie par la 1re face du prisme, elle a le même but que la précédente. Ces deux dispositifs se complètent et sont à peu près indispensables à tout spectroscope ou spectrographe destiné à l’étude des étoiles ou des planètes. Avec ce spectroscope, on peut indistinctement étudier le spectre oculairement, une échelle divisée, transparente, placée dans l’oculaire servant aux mesures, ou avec une chambre photographique.
Toutes les pièces de cet appareil sont disposées syr un bâti d’aluminium, composé en principe d’une table plane métallique de 5 millimètres d’épaisseur ajourée dans les parties inutiles et renforcée on dessous par des nervures s’entrecroisant dans divers sens.
Le spectroscope ainsi construit ne pèse que 17kg et avec son emballage 30 kg, poids qui est un maximum pour le transport an sommet. Il ne faut pas oublier , en effet, que le transport ne peut se faire qu’à dos d’homme et pour pouvoir installer la grande lunette, les tubes en ont été constitués par des segments dont le poids était inférieur à 30 kilogrammes. Une seule pièce, pesant 62 kilogrammes, ne pouvait être divisée : le miroir plan en verre.
Heureusement, une équipe de bons porteurs, transportant à tour de rôle cette lourde charge sur un petit parcours, put réussir à l’amener jusqu’au sommet.
La conservation des instruments et surtout des parties susceptibles d’oxydation, est remarquable au Mont-Blanc. La sècheresse y est très grande, les modifications dans l’état hygrométrique de l’air n’y produisent que des effets de sublimation. Des cristaux de glace se forment sur les diverses parties extérieures des instruments, les recouvrant parfois d’une sorte de gaine glacée friable et facile à enlever, mais il ne se produit jamais d’eau à l’état liquide pouvant contribuer à la formation de la rouille.
La projection de neige fine, soulevée par le vent comme le sable du désert par le simoun, est l’obstacle le plus grand contre lequel on ait à lutter, car cette neige pénètre par les moindres ouvertures, remplit les tubes, les organes essentiels de l’instrument et force l’observateur à une lutte de tous les instants. Il y a lieu aussi de prendre certaines précautions pour empêcher la production, sur les pièces optiques, des dépôts de givre dus à la respiration. On est, par exemple, forcé de chauffer les oculaires et l’on doit éviter le refroidissement trop rapide de l’objectif lorsqu’on vient d’étudier le soleil.
Cette admirable lunette, placée aux confins de l’atmosphère terrestre, constitue un instrument qui fait honneur à ceux qui l’ont imaginée et construite, par son adaptation parfaite aux conditions spéciales de son fonctionnement au milieu des solitudes glacées du géant des Alpes.