Quel fut l’auteur de cet utile autant qu’ingénieux instrument ? Une légende en attribue l’honneur à un Scythe du nom d’Anacharsis qui vivait au VIe siècle avant notre ère. La légende, comme nombre d’autres, est certainement fausse, car Homère, antérieur de beaucoup à Anacharsis, cite fréquemment le soufflet et il y avait sans doute au temps de l’Iliade bien des siècles qu’un avisé forgeron avait eu l’idée de lancer sur la flamme de son foyer, pour obtenir une plus haute température, le jet d’air violent sortant d’une peau de bouc poussée.
Beaucoup d’appareils employés aujourd’hui dans l’industrie résultent de perfectionnements apportés à des objets domestiques ; pour le soufflet l’inverse s’est produit. De la forge du métallurgiste en plein vent il a passé peu à peu dans l’appartement.
On peut définir le soufflet, un instrument qui utilise la compression de l’air à l’allumage du feu en produisant un courant d’air forcé. Il se compose essentiellement de deux surfaces, les ais ou flasques, terminées par deux poignées que l’on nomme aussi les manches ou queues et qui servent à manœuvrer, c’est-à-dire à les écarter et à les rapprocher alternativement. A cet effet les ais sont réunis par un morceau de cuir qu’on nomme aussi peau ou quartier. L’un des ais est muni d’une soupape ou âme s’ouvrant de dehors en dedans. Quand on écarte les ais, la pression diminue à l’intérieur de la caisse du soufflet, l’air se précipite par la soupape et gonfle les cuirs.
Le rapprochement comprime l’air emprisonné et le chasse par une petite tuyère dont le rôle est double : elle augmente la vitesse de sortie de l’air et elle permet de diriger le vent au point précis où il est nécessaire.
Les anciens, n’ayant pas de cheminées d’appartement, n’utilisèrent le soufflet que dans les forges ou dans les cuisines. Il est fort probable qu’ils ne consacrèrent pas beaucoup de soins à son ornementation ; les documents manquent d’ailleurs à ce sujet. Le moyen-âge connut aussi le soufflet que l’on désignait alors sous le nom de buffet, du vieux verbe français buffer signifiant souffler, encore employé dans quelques régions notamment en Poitou et dans les Charentes.
Au XIVe siècle. les matières employées ainsi que la décoration étaient luxueuses ; les inventaires nous parlent de « buffets » d’or ou d’argent avec émaux et pierreries. Pendant la Renaissance, le soufflet grandit, il devient énorme comme le beau spécimen en bois sculpté que reproduit notre gravure. On l’orne de dorures, de personnages fantastiques, d’armoires. Les sujets sont très variés mais, presque toujours, au bas est sculpté Eole, dieu du vent, mordant la tuvère.
Le Musée de Cluny, le, Louvre possèdent quelques soufflets de cette époque merveilleusement décorés.
Au XVIIe siècle la sculpture est à peu près abandonnée, les incrustations de nacre, de cuivre, de verroterie sont prédominantes. Chaque époque apportant ses caprices et ses modes, au siècle suivant la marquèterie est surtout employée. Aujourd’hui le soufflet d’appartement porte l’empreinte de la banalité courante qui marque tous les objets usuels et les collectionneurs de l’avenir auront bien peu à conserver de ce qui concerne notre siècle. Si le soufflet d’appartement a peu varié, sauf par la décoration, il n’en est pas de même du soufflet de forge qui a augmenté sa puissance dans des proportions considérables. Le soufflet de forge actuel est disposé de manière à produire un jet d’air continu ; il comprend trois tablettes reliées entre elles par une peau que soutiennent deux ais flexibles. Les deux tablettes inférieures portent chacune une soupape s’ouvrant de bas en haut. Celle du bas, que manœuvre une chaine par l’intermédiaire d’un levier, porte un poids qui la fait baisser quand on cesse de peser sur la chaîne ; la tablette supérieure porte également un poids pour comprimer et chasser l’air emmagasiné en dessous. En tirant la chaine, l’air de la chambre inférieure passe dans la supérieure et est chassé avec force par la tuyère. Quand le forgeron abandonne la chaîne, le poids entraine la tablette inférieure, l’air du dehors pénètre dans la chambre inférieure qui s’emplit pendant que l’autre se vide en partie.
Il faudrait pour être complet décrire les différentes formes de soufflets industriels, parler des soufflets composés de caisses s’éloignant ou se rapprochant, décrire les ventilateurs et parler des machines soufflantes, mais ce serait s’écarter quelque peu du but que nous nous sommes proposé, car l’art est absent de ces applications industrielles ; bientôt même, le modeste soufflet d’appartement, par ce temps de poêles mobiles, de calorifères, de foyers au gaz et à l’électricité, ne laissera plus que le souvenir d’un objet disparu.