I. Les origines
Vers le milieu du XVie siècle, un grand nombre de savants distingués avaient l’habitude de se réunir d’abord chez Melchisédec Thévenot, puis plus tard au Louvre chez Claude Perrault, contrôleur des bâtiments royaux, pour s’entretenir de la science et chercher les moyens d’en assurer le développement. Colbert, dont Perrault était le protégé, se joignait quelquefois à eux ; bientôt Louis XIV prit ces réunions sous sa protection et leur assigna pour local la Bibliothèque du Louvre. Telle fut l’origine de l’Académie des sciences. Les académiciens devaient s’occuper de faire en commun des expériences de physique, de chimie, de mécanique et des observations d’astronomie. Les salles du Louvre ne se prêtant point à cet objet, Louis XIV et Perrault conçurent l’idée d’un bâtiment où l’on devait réunir tout ce qui avait rapport aux sciences, et qui serait le palais de l’Académie. C’est ce bâtiment, construit dans un style sévère, mais non sans grandeur, qui porte actuellement le nom d’Observatoire national.
L’édifice fut construit à l’extrémité du faubourg Saint-Jacques. Claude Perrault le distribua en longues galeries, en vastes salles d’une élévation considérable destinées, soit à servir aux séances de l’Académie, soit à contenir les collections des instruments de physique, de mécanique et d’astronomie. Les sous-sols devaient renfermer des laboratoires de chimie, et les observations astronomiques se faire par les fenêtres ou sur la terrasse qui surmontait tout l’édifice ; enfin on se proposait de bâtir dans le voisinage des logements particuliers pour les astronomes de l’Académie et quelques autres savants.
Ce projet grandiose ne fut réalisé qu’en partie ; les académiciens ne purent se faire à l’idée de venir tenir leurs séances dans un lieu aussi éloigné du centre de la capitale, à l’extrémité du faubourg Saint-Jacques, où il n’y avait alors qu’enclos plantés de vignes et quelques rares couvents. D’ailleurs le mélange des instruments d’astronomie, de mécanique et de chimie n’eût causé que gêne et confusion. Ces réflexions firent changer le premier projet, et lorsque l’édifice était déjà en partie construit, on se réduisit à n’y placer que l’observatoire.
Cet édifice n’a donc point été construit dans le but spécial et direct de satisfaire aux exigences de l’astronomie ; loin de là, c’est presque un bâtiment quelconque dont on s’est servi faute de mieux ; et c’est ce qui explique que depuis J. D. Cassini jusqu’à aujourd’hui, tous les directeurs se sont plaints de l’incommodité du bâtiment, et en ont, au moins dans une certaine période de leur carrière scientifique, demandé, soit la démolition presque complète, soit le transfert.
La construction du Palais de l’Académie fut commencée en 1667 ; le 21 juin de la même année les astronomes de l’Académie, Picard, Lahire, y observèrent le solstice et déterminèrent l’orientation des façades. L’année suivante, J. D. Cassini que, sur la désignation de Picard, Colbert avait appelé à Paris comme astronome de l’Académie des sciences, trouva le bâtiment élevé jusqu’au premier étage. Aussitôt il fit diverses objections au plan qui avait été adopté. Les trois tours que l’on ajoutait à l’angle oriental et à l’angle occidental du coté du midi, et au milieu de la face septentrionale, lui paraissaient empêcher l’usage important qu’on aurait pu faire de ces murailles pour y appliquer quatre quarts de cercle capables par leur grandeur de donner les secondes d’arc. Cassini aurait voulu que le bâtiment fût un grand instrument. Il proposait donc « d’élever les tours jusqu’au second étage et de bâtir au-dessus une grande salle carrée avec un corridor découvert tout à l’entour, pour y placer les quatre quarts du cercle. Il voulait aussi une grande salle, d’où l’on pût voir le ciel de tous cotés, de sorte que l’on pût suivre le cours entier d’un astre d’orient en occident avec le même instrument, et sur le plancher de laquelle on pût tracer la description du chemin journalier de l’image du soleil. » Ces idées n’étaient pas celles de l’abbé Picard, qui en inventant avec Auzout le micromètre à fils, venait de donner le moyen d’obtenir une mesure exacte des angles et par suite de créer l’astronomie de précision. Cet astronome voulait des cercles muraux, des secteurs isolés les uns des autres dans de petites salles. En présence de ces contradictions, Claude Perrault consulta rarement les astronomes ou refusa de suivre leurs avis ; et comme dans son opinion un observatoire devait nécessairement être très élevé, il ne lui parut pas qu’il y eût lieu de changer le plan primitif.
La construction de l’Observatoire fut terminée en septembre 1671, époque à laquelle le bâtiment fut remis entre les mains des astronomes de l’Académie, et où commence véritablement son histoire scientifique.
Nous diviserons cette histoire en quatre périodes :
- 1°Période des Cassini (1671-1793) ;
- 2°Période de la Convention (1793-1795) ;
- 3°Période du Bureau des longitudes (1795-1854) ;
- 4°Période des Directeurs indépendants (1854 - nos jours).
Et nous étudierons chacune d’elles à deux points de vue différents : régime intérieur et administratif ; résultats scientifiques obtenus.
III. Période des Cassini
Jean-Dominique Cassini (Cassini 1er ), que Louis XIV appela en France en 1668, remplissait auprès du pape les fonctions d’intendant des eaux et des fortifications ; il était en outre professeur d’astronomie à l’université de Bologne [1]. Pour le décider à passer en France, Louis XIV lui assura une pension de 9000 livres, qui doit être considérée comme une pension d’académicien et non point comme un traitement de directeur de l’Observatoire. Il n’y avait pas à cette époque de fonction semblable, et il ne pouvait y en avoir. Tous les astronomes de l’Académie avaient au même titre le droit et le devoir de se servir, chacun suivant son gré, de tous les instruments que possédait l’observatoire de l’Académie ; et le rôle prépondérant de Cassini est dû non point à un titre officiel, mais à l’influence personnelle dont il jouissait auprès de Louis XIV, influence en vertu de laquelle lui seul demandait et obtenait les sommes nécessaires à l’acquisition et à l’entretien des instruments, aux récompenses à donner aux observateurs, en un mot à tout ce qui pouvait concourir aux progrès de l’astronomie.
Cette même situation se continua sous son fils Jacques Cassini (Cassini Il), sous son petit-fils Cassini de Thury (Cassini III), et sous son arrière petit-fils Jean-Dominique, comte de Cassini (Cassini IV), qui se succédèrent à l’Académie et à l’Observatoire en vertu d’un droit de naissance et d’éducation dont les mœurs du temps nous rendent parfaitement compte.
Le seul savant pensionné directement pour ses fonctions à l’Observatoire était le concierge, qui recevait de ce chef un traitement de 400 livres et le logement. Les concierges de l’Observatoire, toujours membres de l’Académie, ont été successivement : Couplet, calculateur distingué (1671-1744) ; Maraldi, observateur remarquable (1744-1783) ; Méchain, qui a travaillé à la méridienne de France (1783-1785).
Ce système avait cet avantage, compensé d’ailleurs par des inconvénients dont nous parlerons plus loin, qu’il laissait aux astronomes beaucoup de liberté personnelle. Il est en effet fâcheux que des savants également recommandables, mais suivant des voies différentes, soient entièrement soumis à l’un d’entre eux, souvent peu au courant des recherches qu’ils poursuivent ; il est évidemment meilleur que chacun de ces astronomes soit indépendant et responsable dans la partie qui lui incombe, qu’une somme d’argent déterminée, un budget particulier, soit affecté à la branche d’étude dont il est chargé, et qu’il n’y ait entre les différents astronomes d’un observatoire d’autre subordination scientifique forcée que celle nécessaire à l’exécution commune des travaux astronomiques qui les intéressent tous à la fois, et pour l’accomplissement desquels l’établissement a été institué.
À l’époque de la construction de l’Observatoire, les méthodes d’observations astronomiques subissaient une révolution profonde dont les résultats pouvaient encore être douteux pour beaucoup de bons esprits. Les lunettes tendaient à se substituer aux pinnules pour la mesure de la hauteur des astres et pour celle des angles ; Morin avait en 1634 appliqué la lunette aux instruments divisés, et le premier vu les étoiles en plein jour, doublant ainsi la vie des astronomes. En 1666, Auzout et Picard avaient imaginé le micromètre à fil, premier type de tous les micromètres actuellement employés.
Picard comprenant tout de suite que l’emploi des lunettes et des micromètres allait donner à l’astronomie une précision inconnue jusqu’alors, avait, dès 1667, observé les étoiles avec un quart de cercle sur lequel était appliquée une lunette pourvue d’une croisée de fils au foyer de son objectif. Deux ans après le même astronome commençait à observer les étoiles en plein jour à l’instant de leur passage au méridien.
Les vues astronomiques de Picard dépassaient de beaucoup la science qu’on enseignait de son temps ; et le pauvre abbé, plus savant que courtisan, fut facilement éclipsé par Cassini qui possédait à un haut degré l’art de séduire par sa parole facile ; aussi l’Observatoire fut-il achevé plutôt suivant les vues de Cassini que suivant celles de Picard.
L’astronomie que J. D. Cassini avait étudiée en Italie et dans laquelle il s’était, dès 1668, acquis une juste célébrité, consistait en une étude suivie des apparences des comètes et des planètes et non dans la mesure précise de la position de ces corps. À Cassini il fallait des lunettes de grande ouverture et de grande longueur focale propres à montrer les corps célestes avec détails. Picard se serait contenté de lunettes moindres, mais il voulait de nombreux quarts de cercle.
L’Observatoire tel que l’avait compris Perrault et tel qu’il fut achevé le 16 septembre 1671 ne se prêtait qu’avec peine à l’installation des instruments que Picard aurait voulu y voir placés ; par ses grandes tours percées de larges fenêtres, par ses grandes salles, par sa terrasse supérieure il permettait au contraire l’emploi assez facile des longs objectifs simples et non achromatiques qu’affectionnait Jean-Dominique Cassini. Cette disposition du bâtiment dans lequel il fut toujours impossible de placer une lunette méridienne [2] et l’influence dont jouissait l’astronome italien sont sans doute les raisons pour lesquelles les observations de précision furent longtemps négligées à l’Observatoire de Paris, tandis que les observations d’astronomie planétaire ou physique y furent d’abord en grand honneur.
Dès son installation à l’Observatoire, J. D. Cassini se remit avec ardeur à l’étude de l’apparence physique des astres, et le premier objet de ses recherches fut les taches du soleil pour la révolution desquelles il trouva 27 jours (1671). Peu de temps après il découvrait le huitième (octobre 1671), le cinquième (décembre 1672), et enfin en mars 1684 les troisième et quatrième satellites de Saturne. En 1677 il présente à l’Académie une nouvelle détermination de la durée de la rotation de Jupiter. Toujours dans le même ordre d’idées, il publie en 1692 une carte de la lune, très belle et très exacte, et la théorie des librations de cet astre. Les comètes, qu’il avait commencé à observer en Italie, ne furent point d’ailleurs négligées, et nous avons de lui de précieuses observations des comètes de 1672,1677, 1680, 1682,1702,1706 et 1708.
À ces nombreux travaux il faut encore joindre le calcul sans cesse renouvelé des tables du mouvement des satellites de Jupiter et l’observation de leurs éclipses, observations dont Rœmer, que Picard avait amené d’Uranibourg en France (1672), a déduit plus tard la preuve de la marche progressive de la lumière et la première détermination de sa vitesse.
Dans le catalogue des observations de Cassini 1er, il faut encore comprendre de nombreuses observations d’éclipses de soleil et de lune [3] ; nous lui devons aussi la ’première théorie rationnelle des réfractions.
En dehors des travaux déjà nombreux que Cassini 1er et ses amis ou ses élèves ont fait à l’Observatoire de 1671 à 1711, les astronomes de Paris ont à cette même époque commencé, par des procédés imparfaits sans doute, la mesure de la méridienne de France. L’abbé Picard avait en 1669 mesuré l’arc du méridien compris entre Paris et Amiens, Dominique Cassini, Jacques Cassini et La Hire prolongèrent de 1683 à 1718 la méridienne de Paris jusqu’à Collioure.
Notons qu’en 1668 Picard et Rœmer avaient fait à Paris de nombreuses observations de Mars en opposition qui, comparées à celles que Richer faisait à la même époque à Cayenne, avaient donné 9,5’’ pour la parallaxe du soleil.
En 1712, Jacques Cassini (Cassini Il) succède à son père à l’Observatoire, et continue les mêmes études ; nous avons de lui
des mémoires importants sur la rotation de Vénus, de ’Mercure, de Mars, de Jupiter et de Saturne, et des tables des mouvements des planètes et de leurs satellites ; ce qui ne l’empêcha point de contribuer aux observations nécessaires au tracé de la méridienne de France.Cependant les instruments astronomiques commençaient à prendre une précision que Cassini 1er n’avait pas soupçonnée, et les inconvénients du monument de Perrault devenaient de jour en jour plus sensibles ; on n’y pouvait placer aucun des nouveaux instruments de précision que la pratique de tous les observatoires étrangers imposait à l’observatoire de Paris, malgré ses traditions. En 1732, il ne se trouva dans le grand bâtiment aucun endroit où l’on pût établir un quart de cercle mural de 2 mètres de rayon. Renonçant alors forcément au grand édifice, l’Académie des sciences fit bâtir un cabinet extérieur attenant à la tour orientale ; le même embarras s’étant représenté en 1742, à l’occasion d’un quart de cercle mobile, on construisit un second cabinet à côté du premier. Cette tendance à se passer du bâtiment de parade, construit par Perrault, a continué depuis, si bien qu’aujourd’hui l’Observatoire réel consiste dans une annexe, la salle méridienne, construite sur l’emplacement des deux cabinets dont nous venons de parler.
Ce mauvais état des bâtiments ne laissait, à ceux des astronomes de l’Observatoire qui aimaient sincèrement l’astronomie, d’autre moyen de contribuer à ses progrès que de rechercher des missions et des voyages scientifiques. C’est ainsi que Lacaille et Lalande furent envoyés, le premier au cap de Bonne-Espérance, le second à Berlin pour déterminer la parallaxe de la lune, c’est-à-dire la distance de la lune à la terre. Cette opération importante et délicate avait été tentée une première fois par deux astronomes allemands, Wagner et Kolbe ; mais ce dernier s’étant mal acquitté de ses observations, le but n’avait pas été atteint ; c’est cette détermination que Lacaille voulut reprendre en se transportant au Cap pour y faire des observations de distances zénithales de la lune, qui seraient comparées à celles faites, à Paris par Cassini de Thury, à Greenwich par Bradley, à Stockholm par Wargentin, et enfin à Berlin même par un jeune astronome français, élève de Lemonnier et de Delisle, Jérôme de Lalande. En 1750 les astronomes français étaient de beaucoup supérieurs aux astronomes allemands.
Le succès de l’opération fut complet et Lacaille qui, tout en faisant ses observations de la lune, avait encore trouvé moyen de mesurer un arc du méridien et de faire un catalogue des étoiles du ciel austral, revint couvert de gloire.
Après la parallaxe de la lune, c’est vers la parallaxe du soleil que se portèrent les efforts des astronomes de l’Académie et des élèves de l’Observatoire. En 1760, Legentil partit pour aller à Pondichéry observer le passage de Vénus sur le disque du soleil le 21 juin 1761. On sait comment cet astronome, attardé par les hasards de la mer, manqua le passage de 1761 et prit l’héroïque résolution d’attendre celui de 1769. Mais, comme pour montrer, dit Arago, toute l’étendue du sacrifice fait par le célèbre académicien, celle fois un petit nuage cacha le soleil tout juste le temps nécessaire pour empêcher de voir le phénomène.
Cassini de Thury [4] (Cassini III) était allé à Vienne dans le même but.
À cette liste, déjà longue et néanmoins incomplète des travaux faits pendant la période dont nous nous occupons par les astronomes de l’Académie sous la direction de celle illustre compagnie, il faut ajouter la construction de la première carte générale de la France, entreprise longue et difficile, et dont l’exécution due à l’initiative individuelle montre bien que, quoi qu’on en ait dit, l’esprit d’association fleurit en France, comme ailleurs, et que ce qui manque’ le plus souvent c’est l’énergie et la persévérance nécessaires au promoteur des entreprises.
Les triangulations faites en 1669 par Picard, en 1688 et 1701 par Dominique Cassini, en 1718 par Jacques Cassini, et enfin en 1739 par Cassini de Thury et Lacaille, et surtout les opérations du même Cassini de Thury et de Maraldi, de 1732 à 1740, le long des côtes et des frontières nord-est de la France, avaient couvert notre pays d’un réseau de grands triangles qui reliaient ensemble et à la méridienne de Paris la plupart de nos principales villes. Pour compléter les éléments d’une carte exacte de la France il ne restait plus qu’à placer, par des opérations secondaires, les villes et les bourgades à leur place réelle dans ces grands triangles. Cette espèce de remplissage qui n’exigeait pas des observateurs d’une habileté consommée, fut commencé en 1750 sous les auspices de Louis XV, et avec un subside annuel de 90 000 livres. L’ouvrage devait être terminé en dix ou douze ans.
Mais il en fut de cette entreprise comme de beaucoup d’autres, l’exécution en fut entravée par de nombreuses difficultés ; les premières années furent employées à former les ingénieurs et les graveurs nécessaires à l’exécution d’un plan aussi vaste, et lorsque à la fin de 1755 tout était complètement organisé, Cassini de Thury reçut l’ordre d’arrêter brusquement tous les travaux : les dépenses de la guerre ne permettaient plus la distraction d’aucun fonds. Interrompre une pareille entreprise, renvoyer ou laisser sans occupation pendant plusieurs années des ingénieurs, des graveurs et tous les copérateurs que l’on avait eu tant de peine à former, et qu’il ne serait plus possible de retrouver lorsqu’on voudrait les rassembler, c’était vouloir tout perdre, soins, travaux et dépenses [5]. Aussi Cassini, fort de l’appui bienveillant du roi, conçut-il immédiatement l’idée d’une vaste association qui continuerait à ses risques et périls une entreprise si glorieuse et si utile à la France. Les principaux seigneurs de la cour, les magistrats du Parlement et de la Chambre des comptes, les hommes les plus considérables par leur science, s’inscrivirent avec empressement au nombre des membres de l’association [6]. Chacun d’eux s’engageait à fournir pendant dix ans une contribution annuelle de 1600 livres, c’est-à-dire à prendre sur sa fortune une somme de 16000 livres pour la consacrer, sans aucune vue de profit pour lui, à soutenir cette grande entreprise abandonnée par le gouvernement et qui allait être perdue pour jamais. Voilà sans doute, dit Cassini IV, un de Ces beaux actes patriotiques dont il serait difficile de citer plusieurs exemples.
Cassini de Thury, Camus et Montigny, membres de l’Académie des sciences, furent nommés directeurs de l’Association ; Borda, fermier général, en fut le trésorier, et chacun des associés versa lors de son entrée dans l’Association la somme de 1600 livres montant de la première souscription annuelle ; en outre, le Roi donnait en toute propriété à l’Association les seize cartes déjà gravées. Au commencement de l’année 1756, Cassini disposait donc d’une somme de 80000 livres suffisante pour conserver et faire travailler tout le personnel. On se remit immédiatement à l’œuvre. Cassini de Thury espérant que le débit des cartes déjà faites, les traités passés avec les généralités des divers États, suffiraient désormais aux frais de l’entreprise sans qu’il fût nécessaire de recourir de nouveau à la générosité, peut-être déjà affaiblie, des souscripteurs, ne fit pas la seconde année de nouvel appel de fonds. Le dévouement des actionnaires, n’étant point aiguillonné par le promoteur de l’entreprise, se ralentit et même s’éteignit, et quant à la vente des cartes, elle fut loin de rapporter tout ce que Cassini en espérait [7]. Aussi en 1759 un appel de fonds fut-il indispensable, mais Cassini le réduisit à 150 livres par souscripteur. Il fut suivi d’un second de 250 livres en 1762 et d’un troisième de 400 livres en 1763 ; mais ce dernier ne put rentrer qu’avec beaucoup de difficultés et très incomplètement, et bientôt, les embarras financiers furent tels que l’entreprise allait être abandonnée (1764), lorsque le Roi décida que toutes les généralités du royaume y contribueraient pour une somme de 156000 livres payable en quatre années.
Grâce à ce secours important, l’ouvrage fut repris avec une nouvelle activité. En 1777, 105 feuilles étaient publiées et 44 planches étaient prêtes à graver, il ne restait plus à faire pour toute la France que les cartes de Bretagne et de Provence. En 1790, il n’y avait plus que 15 cartes à faire paraître et 166 étaient entre les mains du public. La situation de la compagnie était alors la suivante :
Actif : 41100 livres dues par différentes généralités ; Passif : 7024 livres et 2600 livres à dépenser en gravure pour la carte de Bretagne.
À cette époque, les troubles toujours croissants de la Révolution forcèrent Cassini et ses associés à interrompre complètement leurs travaux, et pour liquider leur situation ils demandèrent à l’Assemblée nationale le payement des sommes dues par les généralités qu’un décret récent venait de supprimer. Au lieu de cela, le 21 septembre 1793, un décret de la Convention nationale confisqua au profit de l’État les cuivres et les exemplaires qui existaient dans les magasins de la compagnie, pour les faire transporter au Dépôt de la guerre. Telle fut la fin de cette entreprise qui fait le plus grand honneur aux Cassini, surtout à Cassini IV, et qui rendit à la nation de si grands services malheureusement si mal récompensés, car en mars 1794 Cassini IV alla expier en prison le zèle avec lequel il avait cru devoir défendre les intérêts de ses coassociés, en réclamant sans relâche contre le décret inique qui les avait dépossédés.
Comme nous l’avons vu, l’intérêt que le Roi portait il l’astronomie assurait seul la marche de l’Observatoire. On n’avait pris aucun soin pour garantir la stabilité de cet établissement et le mettre à l’abri des caprices et des variations d’un gouvernement plus ou moins favorable aux sciences ; aucun fonds régulier n’était prévu, ni pour la conservation du bâtiment, ni pour l’entretien des instruments, ni pour le traitement des personnes qui devaient s’y consacrer à la pratique de l’astronomie. Pendant le règne de Louis XIV et le commencement de celui de Louis XV, cette situation n’eut pas grand inconvénient, la bienveillance du roi suffit à parer à toutes les dépenses ; mais plus tard, le goût du roi Louis XV pour l’astronomie s’étant complètement refroidi, l’Observatoire, devenu sans protection et sans ressource, tomba dans le plus profond dénuement ; non-seulement il ne fut plus question de faire de nouveaux instruments, mais on n’eut pas même de quoi entretenir les anciens, à tel point qu’en 1765 Cassini de Thury demanda avec instance la permission de faire l’avance des fonds nécessaires pour réparer l’Observatoire et pour garnir les salles d’observation des instruments convenables ; ces offres ne furent pas acceptées, mais au bout de quelques années on créa pour lui, sans doute en dédommagement de tant de demandes et de sollicitations inutiles, le titre de Directeur général de l’Observatoire, où malheureusement il n’y avait plus ni observateurs ni instruments.
Quelques années après, la santé de Cassini de Thury étant très altérée, on donna à son fils Cassini IV la survivance de celte place. Sous sa direction, le régime de l’Observatoire fut changé, les bâtiments réparés, et le personnel réorganisé.
La première chose que fil Cassini IV fut de rassembler pour les publier les observations faites à l’Observatoire dans le cours d’un siècle, à partir de 1671, époque de sa fondation, et dont la plus grande partie n’avait été ni calculée ni imprimée, faute d’aucun fonds affecté pour cet objet à l’Observatoire. « Ce travail lui donna l’occasion de reconnaître tout ce qui avait manqué à l’établissement et ce qu’il y avait à faire pour en former un aussi utile que possible à l’astronomie. Les fautes de ceux qui nous ont précédés doivent être pour nous l’instruction la plus précieuse. »
Dans la collection des observations, il y avait parfois de grandes lacunes. Quelques phénomènes intéressants ne s’y trouvaient point ; et aux époques les plus importantes, les planètes ou n’avaient point été observées ou ne l’avaient pas été suffisamment. Cela tenait à un vice de l’établissement que voici : Excepté les Cassini et quelques-uns de leurs amis, personne à l’Observatoire ne se regardait comme chargé du cours régulier des observations ; or la mesure du degré, le tracé de la méridienne, les travaux de la carte de France, avaient très fréquemment éloigné les Cassini de Paris. En leur absence, aucun astronome exercé n’était là pour les suppléer, et si quelques-uns des autres académiciens logés à l’Observatoire venaient aux salles d’observation, ils ne faisaient que les mesures qui leur étaient nécessaires pour des recherches particulières. De même les anciens registres contenaient une foule d’observations incomplètes, faites dans des conditions défavorables et dépourvues des vérifications nécessaires ; chacun, en effet, venait observer quand et selon que cela lui plaisait ; « il n’y avait ni plan général suivi, ni chef pour diriger, et par conséquent ni accord, ni ensemble, ni suite dans les travaux. » Le seul remède à cet état de choses parut être à Cassini IV la création de places d’observateurs soumis au directeur, qui serait chargé de leur tracer le plan général de leurs opérations, de les diriger dans l’exécution, de suivre leurs travaux, d’en rassembler, rédiger et vérifier les résultats.
Le projet de Cassini fut envoyé par le gouvernement à l’Académie pour lui demander son avis ; les académiciens, « après avoir cherché les moyens qui leur paraissaient les plus propres à faire dépendre les élèves de l’Académie autant que du directeur de l’Observatoire, pensèrent néanmoins que par la nature de leur place ces élèves seraient nécessairement sous la dépendance du directeur de l’établissement auquel ils seraient attachés, et qu’il pourrait en résulter des inconvénients qui détruiraient tous les avantages de cette institution et pourraient même la rendre nuisible à plusieurs égards. » (Rapport fuit à I’Académie le 4 août 1784.)
Malgré cet avis défavorable, le gouvernement adopta le projet du comte de Cassini ; voici quelques-uns des principaux articles du règlement royal. (Septembre 1784.)
Art. 1er : Le directeur général de l’Observatoire royal aura seul inspection sur les élèves. C’est lui qui les dirigera dans leurs travaux, leur indiquera les diverses observations qu’ils auront à faire en dehors des observations journalières.
Art. 5 : Le directeur pourra, en cas d’absence ou de maladie, transporter à l’un des astronomes académiciens logés à l’Observatoire son droit d’inspection sur les élèves.
Art. 9 : Les élèves seront choisis par le directeur de l’Observatoire dans la classe des citoyens honnêtes, de famille française, irréprochable et sans tache ; n’ayant eux-mêmes donné aucune prise à la censure, ni dans leur conduite, ni dans leurs mœurs ; et sur la présentation du directeur, le secrétaire d’État confirmera par écrit la nomination et le rang de chacun des trois élèves.
Art. 15 : Les élèves recevront chacun directement les ordres du directeur général de l’Observatoire, qui leur dictera et prescrira ce qu’ils auront à faire, soit en commun, soit en particulier.
Le directeur touchait un traitement de 3000 livres, le premier élève 900 livres, le second 700 et le troisième 600. En outre, une somme de 200 livres était réservée comme gratification annuelle, devant être donnée à titre d’encouragement à celui des élèves qui aurait le mieux travaillé ou fait quelque observation curieuse. — Le directeur fut Cassini IV, les élèves Nouet, déjà à l’Observatoire depuis trois ans, Villeneuve et Ruelle.
Au 1er janvier 1787, la nouvelle organisation fut en pleine activité et l’on commença alors un cours complet d’observations astronomiques et physiques qui devait être suivi jour et nuit, et dont les résultats devaient être chaque année calculés, publiés et présentés à l’Académie.
En même temps que cette réorganisation scientifique, Cassini IV obtint du roi les fonds nécessaires à la restauration complète des bâtiments de l’Observatoire dont les salles tombaient en ruines.
Cassini IV s’occupa encore de la fabrication de nouveaux instruments ; il installa dans ce but à l’Observatoire un atelier destiné à leur construction. En même temps il commandait à Ramsden, en Angleterre, une lunette de passages de sept pieds et un quart de cercle mural de 8 pieds de rayon.
Mais les troubles de la Révolution empêchèrent bientôt Cassini IV de donner suite à ses projets. Les commandes faites en Angleterre furent suspendues, les travaux des élèves se ralentirent, et le 30 août 1793 la place de directeur de l’Observatoire était supprimée (l’Académie des sciences avait été elle-même supprimée le 6 août).
III. Période de la convention
Les projets de Cassini furent subitement arrêtés dans leur exécution par le décret conventionnel du 30 août 1793 qui démocratisait l’organisation de l’Observatoire en réglant que Cassini et ses trois élèves, Nouet, Perny et Ruelle en prendraient successivement la direction chacun pendant un an ; Cassini donna sa démission le 6 septembre. Emprisonné l’année suivante, puis sauvé par la réaction de Thermidor, il se retira dans sa terre de Thury et refusa de rentrer à l’Observatoire. A. Bouvard, qui dès la fin de 1793 avait remplacé Cassini, dirigea l’Observatoire pendant l’année 1794. Toutefois un grand désordre s’était dès cette époque introduit dans l’administration de cet établissement, et pour sauver une situation compromise, la Convention, sur la proposition de Lakanal, président du comité d’instruction publique, résolut de réorganiser l’Observatoire et mit provisoirement à sa tête, Jérôme Lalande.
Ici, nous arrivons à une époque importante de l’histoire de notre Observatoire national, nous voulons dire à la création du Bureau des Longitudes.
IV. Période du Bureau des Longitudes.
Depuis 1678, un des astronomes de l’Académie publiait chaque année, sous le nom de Connaissance des temps, des éphémérides des positions de la lune, du soleil et des planètes, le calcul des éclipses …. , renseignements utiles aux astronomes, mais indispensables surtout aux navigateurs dont les astres sont, à proprement parler, les seuls points de repère. La Connaissance des temps, fondée par Picard, fut continuée par Lefebvre, de 1685 à 1701 [8] ; Lieutaud lui succéda et en poursuivit la publication jusqu’en 1729. Godin la prit en 1729, Maraldi en 1734, et en 1760 Jérôme Lalande en fut chargé. Il y introduisit des modifications importantes destinées à rendre ce travail plus utile aux marins ; c’est lui qui le premier y joignit des articles sur les différents points de l’astronomie, articles qui sont l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui les Additions à la Connaissance des temps.
En 1788, Méchain est nommé directeur de la Connaissance des temps, qu’il dirige jusqu’en 1795.
Il y avait dès 1766 en Angleterre un recueil analogue dont un astronome français, Lacaille , avait tracé la plan (en 1755) et qui fut fondé par Maskelyne, the Nautical Almanac and Astronomical Ephemeris for the year 1767 ; ce recueil, infiniment plus complet que la Connaissance des temps, paraissait bien avant elle, de telle sorte que les marins délaissaient le recueil français pour prendre le Nautical Almanac [9].
Frappée de cet état de choses, avec lequel l’infériorité de notre marine n’était peut-être point sans quelque rapport, la Convention résolut de faire de la publication de la Connaissance des temps et de toute l’astronomie maritime un grand service public ; il eût été naturel et en même temps logique de faire comme en Angleterre, où le Nautical Almanac est rédigé sous la surveillance des lords de l’amirauté par un super-intendant aidé d’un bureau des calculs, et de confier au ministère de la marine et à ses officiers généraux la direction de leurs intérêts immédiats ; mais la Connaissance des temps appartenait depuis longtemps à l’Académie, et la Convention nationale n’osa peut-être pas en dessaisir les astronomes de cette assemblée ; dès lors, par une pente insensible, mais que l’on devait presque fatalement suivre, on fut conduit à confier à ces mêmes savants la direction de l’astronomie française tout entière. C’est leur réunion qui forma le Bureau des Longitudes.
Le décret d’établissement du Bureau des Longitudes est du 7 messidor an III (25 juin 1795). Les articles les plus importants sont les suivants :
Article II. Le Bureau des Longitudes a dans ses attributions l’Observatoire national de Paris et celui de la ci-devant école militaire, les logements qui y sont attachés et tous les instruments d’astronomie qui appartiennent à la nation.
Article III. Il indiquera aux comités de marine et d’instruction publique, pour en faire un rapport à la Convention nationale, le nombre des observatoires à conserver et à établir au service de la république.
Article IV. Il correspondra avec les autres observatoires tant de la république que des pays étrangers.
Article V. Le Bureau des Longitudes est chargé de rédiger la Connaissance des temps, qui sera imprimée aux frais de la République, de manière qu’on puisse toujours avoir les éditions de plusieurs années à l’avance ; il perfectionnera les tables astronomiques et les méthodes des longitudes, et s’occupera de la publication des observations astronomiques et météorologiques.
Article VI. Un des membres du Bureau des Longitudes fera chaque année un cours d’astronomie.
Article VII. Le Bureau des Longitudes rendra annuellement un compte de ses travaux dans une séance publique [10].
Article VIII. Il est composé de :
- 1° Deux géomètres (Lagrange et Laplace).
- 2° Quatre astronomes (Lalande, Cassini, Méchain et Delambre).
- 3° Deux anciens navigateurs (Borda, Bougainville).
- 4° Un géographe (Buache).
- 5° Un artiste (Caroché).
Article XII. Il y aura quatre membres adjoints nommés par le Bureau pour travailler sous sa direction aux observations et aux calculs.
Article XIII. Le traitement des membres composant le Bureau des Longitudes est fixé à 8000 livres, et celui des adjoints à 4000 livres.
Au premier abord, la grandeur et la magnificence de l’idée originelle de la Convention frappe tous les esprits. Il existe une science splendide, utile, belle entre toutes, l’astronomie ; on réunit pour la cultiver, pour en hâter les progrès, les discuter, les confirmer, tout ce que la nation renferme d’hommes éminents, dont les travaux touchent à cette science. Voilà évidemment une grande idée d’aspect théâtral et bien propre à séduire une nation sentimentale et nerveuse comme la nation française ; mais ce n’est point une idée pratique. Nous comprenons très bien que l’État assure à ceux qui s’occupent avec courage et succès d’une science dont les résultats utiles sont si éloignés, une pension rémunératrice ; mais confier à une réunion d’hommes d’origine et d’éducation scientifique si différentes une besogne unique, c’eût déjà été hasardé ; au lieu de cela, on lui en confie cinq ou six, l’astronomie en général et toutes ses dépendances, l’observatoire national, les observatoires, la marine, les observatoires de la marine, la Connaissance des temps, la publication et le calcul des observations, la géodésie, la construction des instruments…
Certes, la liste des savants français que la Convention appela à faire partie du Bureau des Longitudes est remarquable et telle qu’en aucun temps, peut-être, aucune nation n’a pu offrir un pareil ensemble ; mais le travail qu’ils avaient à faire était trop varié. Parmi les dix membres dont le Bureau se composait alors, quatre étaient réellement astronomes. Ils étaient donc chargés par l’assemblée elle-même de traiter toutes les questions relatives à l’astronomie ; peut-être dans certains cas spéciaux s’adjoignaient-ils le membre artiste, mais n’est-il pas évident que s’adressant commercialement à cet industriel, ils en auraient obtenu les mêmes renseignements et en auraient tiré les mêmes services.
On y rencontre aussi deux anciens navigateurs, Borda et Bougainville. À eux seuls incombaient les questions maritimes.
On y voit encore deux géomètres et, à vrai dire, des plus illustres, de ceux dont tout savant français ne doit prononcer le nom qu’avec respect, Lagrange et Laplace ; leur préoccupation constante avait été de déduire de la loi générale énoncée par Newton toutes les conséquences qui en résultent pour la marche journalière des astres de notre système planétaire ; mais ils n’étaient point familiarisés avec les méthodes d’observations astronomiques, et n’avaient point étudié les perfectionnements qu’elles comportaient. Ce n’était point, à proprement parler, des astronomes ; à eux étaient confiées toutes les questions de mécanique céleste.
Il y avait aussi un géographe, il était évidemment le rapporteur né, c’est-à-dire le seul membre actif de toutes les commissions relatives à la géographie.
En résumé, dans ce décret du 7 messidor an III, l’État, par cette réunion même de savants, allait contre le but qu’il s’était proposé, et la suite l’a bien prouvé. Un peuple pratique et s’intéressant plus aux résultats utiles qu’amoureux de la forme eût dès l’origine condamné un pareil système. Dans celte organisation, les connaissances spéciales sont entravées par des discussions journalières ; la responsabilité des hommes d’initiative disparaît, la gloire qui peut en rejaillir sur leur nom, et c’est la plupart du temps le déterminant le plus puissant de leurs efforts, ils sont obligés de la partager ; mais quand une faute a été commise, ce corps tout entier que l’État paye et entretient la couvre de sa réputation imméritée et de l’appui que la loi lui a donné. Il fallait évidemment confier les observatoires aux astronomes, la marine aux marins, les travaux de géodésie aux géodèses, et laisser à l’industrie privée, qui seule en tire profit, la construction des instruments.
Les exemples qui suivent suffiront pour démontrer expérimentalement ce que le raisonnement seul faisait prévoir.
À l’époque de la création du Bureau des Longitudes, il existait à Paris huit à dix observatoires sérieusement organisés pour l’étude du ciel et occupés par des observateurs exercés, appartenant presque tous à l’Académie : l’observatoire national, que l’on nommait aussi l’observatoire de l’Académie des sciences ; l’observatoire de l’École militaire, où, sous la direction de Jérôme de Lalande, d’Agelet d’abord, puis le Français de Lalande [11], observèrent de 1789 à 1800 les 48 000 étoiles qui constituent le catalogue de Lalande ; l’observatoire de Lemonier, dans la rue Saint-Honoré ; l’observatoire du Luxembourg ; celui du collège Mazarin, fondé par Lacaille ; celui de la Marine, à l’hôtel de Cluny, où observait Messier ; l’observatoire de la confrérie de Sainte-Geneviève, installé dans les bâtiments actuels du lycée Corneille, et dirigé par l’abbé Pingré, bibliothécaire de la confrérie ; enfin l’observatoire du marquis de Courtenvaux, à Colombes ; et celui de Delambre, rue de Paradis, près de la porte Montmartre. En province, il y avait les observatoires de Lyon, Dijon, Marseille, Montauban, Toulouse et Brest. À cette époque, en France, l’astronomie était donc dans un état très florissant ; la multiplicité des observatoires était un sûr garant de l’étude consciencieuse de toutes les méthodes d’observation. Le rôle d’un astronome responsable d’une réorganisation était à l’avance tout tracé ; il devait développer les observatoires existants, en créer, s’il était possible, de nouveaux, et faire en sorte que, en dehors de l’observatoire national, école des futurs astronomes, conservateur des traditions de l’astronomie de précision, chacun de ceux que l’étude du ciel attirait pût trouver dans l’un de ces établissements, et suivant la voie qui lui convenait, les moyens de développer son initiative et d’utiliser son intelligence.
Tel est le programme qu’ont réalisé depuis et à leur grand avantage les nations qui nous entourent, et c’est le programme inverse qui, au grand détriment de l’astronomie française, a été adopté par le Bureau des Longitudes.
De tous les observatoires existants à Paris, il n’a conservé que celui-là seul qui intéressait la situation personnelle de ses membres, et quant aux observatoires de province, il les laissa successivement dépérir en ne s’occupant en aucune façon du recrutement de leur personnel, et en ne leur envoyant en fait d’instruments que ceux qui étaient en rebut dans ses magasins ; et cependant quelques villes étaient décidées à s’imposer d’assez grands sacrifices pour la conservation et l’entretien de leurs observatoires municipaux.
Notre examen de la période d’administration du Bureau des Longitudes se trouve par là même très-simplifié ; il se réduit à l’appréciation des travaux entrepris à l’observatoire de Paris sous sa direction.
Que de 1795 à 1820 l’organisation décrétée par la Convention, si imparfaite qu’elle fût, n’ait même pas donné les résultats utiles qu’on devait en attendre ; que, par exemple, la Connaissance des temps n’ait pas toujours paru en temps convenable, personne n’a lieu de s’en étonner, toutes les forces vives de la nation étant dirigées vers la guerre. Cependant des astronomes dévoués ont alors réorganisé et réinstallé à l’Observatoire le service des observations méridiennes ; en 1803, la lunette méridienne de Ramsden, que Cassini IV avait commandée en Angleterre dès 1785, put parvenir à l’Observatoire, et depuis lors jusqu’en 1829 Méchain, A. Bouvard , Arago, M. Mathieu et Nicollet continuèrent sans interruption les observations méridiennes du soleil, de la lune et des principales planètes. De même, à partir de 1812, ou fit au cercle de Reichenbach, donné par l’illustre marquis de La Place, des observations continues de la polaire, d’où l’on déduisit la première valeur approchée de la latitude de Paris et la première détermination française un peu exacte de l’obliquité de l’écliptique.
En même temps, sous l’Inspiration d’un jeune physicien, Biot, qui fut plus tard un des maîtres de la science, et grâce à son zèle et à son dévouement, on put prolonger la méridienne de Paris jusqu’à Formentera, dans les Baléares.
Cependant, pour donner un premier exemple du peu de garantie effective que donne le contrôle d’un corps hétérogène se recrutant lui-même, nous dirons que les calculs de cette expédition, publiés dans la Connaissance des temps de 1810, et certifiés exacts par le Bureau des Longitudes, ont été reconnus plus tard par Puissant entachés d’erreurs qui changent de 134 mètres la longueur de la portion de méridienne comprise entre Montjouy et Formentera. Il est clair qu’aucun des illustres géomètres qui faisaient alors partie du Bureau des Longitudes n’a fait ce travail de vérification.
En 1821, le Bureau des Longitudes confia à Arago et M. Mathieu le soin de relier par des triangles la France et l’Angleterre, afin d’obtenir la différence de longitude de Greenwich et de Paris. Malheureusement les registres et les carnets des observations ont été perdus ; malgré les recherches les plus habiles, le Bureau des Longitudes n’a pu encore les retrouver, et cette opération astronomique a dû être recommencée depuis.
Quant à l’administration intérieure de l’Observatoire, elle était des plus simples. Les astronomes du Bureau des Longitudes étaient les astronomes de l’observatoire de Paris ; leurs adjoints faisaient sous leur direction les observations et les calculs. Plus tard, on inventa des astronomes adjoints assistants et des élèves astronomes ; mais ils furent toujours peu nombreux, vu la difficulté de leur recrutement.
D’ailleurs les instruments que possédait alors l’Observatoire n’étaient plus à la hauteur des progrès de l’astronomie ; de même les salles où se faisaient les observations méridiennes tombaient en ruine, on les remplaça en 1830 par la salle méridienne actuelle. En même temps Arago, délégué par le Bureau des Longitudes à la direction de l’Observatoire, obtenait du gouvernement les fonds nécessaires à la construction d’instruments nouveaux. On résolut de commander à la fois une lunette méridienne et un cercle mural ; tout naturellement ce fut l’artiste titulaire du Bureau des Longitudes qui fut chargé de leur construction ; mieux qu’aucun autre il devait savoir combien elle était urgente. Cependant la fabrication de la lunette méridienne a duré douze ans, et il en a fallu quinze pour achever le cercle mural. On nous dit que récemment la construction d’un instrument tout aussi compliqué que ceux de Gambey n’a pas demandé plus de deux ans.
Quoi qu’il en soit, les observations méridiennes commencèrent en 1845, et dans les années suivantes elles furent imprimées et publiées ; mais on donnait alors le résultat brut de l’observation sans y apporter les corrections nécessaires pour tenir compte de la position sans cesse variable de l’instrument par rapport aux grands cercles de la sphère céleste, et pour ramener les observations à un état normal de l’atmosphère. Trois volumes grand in-folio furent ainsi imprimés ; heureusement ils ne furent point répandus dans le public, et ils n’ont pas quitté les magasins de l’Observatoire ; deux élèves astronomes s’étant un jour avisés de faire les calculs dont nous parlons, reconnurent que l’instrument n’avait pas été suffisamment étudié, probablement par suite du respect qu’avait pour un de ses membres le Bureau des Longitudes, et qu’il n’y avait aucun parti à tirer des observations faites pendant ces trois années.
En 1847, on décida la construction d’une grande lunette montée équatorialement. Le Bureau des Longitudes en avait acquis l’objectif peu de temps auparavant, et l’avait employé avec une monture grossière de bois à la mesure du diamètre de Neptune, que M. Le Verrier venait de découvrir ; c’était donc un objectif bien connu ; cependant, lorsque la lunette fut construite, on s’aperçut que les dimensions indiquées au constructeur par le Bureau des Longitudes étaient inexactes ; le tube fait sur ces plans était trop court de 80 centimètres ; il fallut l’allonger, et alors il se trouva que la coupole était trop petite pour contenir l’instrument. Cet équatorial n’a jamais servi ; il a coûté au budget 90000 francs.
Comme on le voit, les entreprises astronomiques du Bureau des Longitudes n’avaient pas toutes été heureuses. Et cependant le personnel de l’Observatoire était alors composé d’une façon remarquable : outre Arago, dont le nom est si justement populaire, il possédait encore des astronomes tels que M. Mathieu, Laugier, M. Faye, M. Y. Villarceau. D’un autre côté, M. Le Verrier était astronome adjoint du Bureau des Longitudes. Non certainement la faute n’en est point aux hommes, mais au vice même de l’organisation. Il suffit de rappeler les immenses travaux entrepris par Arago dans une voie alors nouvelle, l’astronomie physique, travaux pour lesquels il avait toute initiative et toute indépendance, pour être convaincu de ce qu’on aurait pu faire alors en astronomie si l’organisation eût été plus rationnelle.
Cet état de choses dura autant qu’Arago lui-même, A la mort de cet illustre astronome, en 1853, on fit une nouvelle (la sixième) réorganisation de l’Observatoire.
Pour bien comprendre ce qui s’est alors passé, il faut savoir que par suite d’alliances presque tous les astronomes de l’Observatoire faisaient partie de la famille d’Arago.
V. Période des directeurs
Comme on vient de le voir, l’organisation intérieure de l’Observatoire nécessitait des réformes nombreuses. L’administration de cet établissement par une commission de savants, dont la plupart lui étaient complétement étrangers, l’avait amené, malgré les talents et la grande intelligence du directeur nominal, à un état d’infériorité qu’il fallait faire disparaître dans l’intérêt de la patrie et pour son honneur. Une commission, présidée par un illustre maréchal que sa modestie, son impartialité et aussi son ardent amour de la science désignaient naturellement à ces hautes fonctions, fut chargée de l’aire un rapport sur la situation de l’observatoire de Paris.
La commission demanda la séparation complète de l’Observatoire et du Bureau des Longitudes, ce qui était un bien ; et, conformément aux mœurs dictatoriales du second Empire, elle proposa de placer l’établissement sous la domination absolue et sans contrôle d’un directeur, ce qui était pour l’astronomie française un danger imminent.
Peu de temps après, en février 1854, M. Le Verrier fut nommé directeur de l’Observatoire et chargé de sa réorganisation. Le rapport qu’il adressa à ce sujet au ministre de l’instruction publique est un document remarquable et où toutes les conditions nécessaires au succès d’un grand établissement astronomique sont analysées, discutées et formulées avec le plus grand soin et la plus grande netteté. Pourquoi, hélas, ces règles, posées par M. Le Verrier lui-même, n’ont-elles point été suivies par lui ?
Outre l’amélioration des anciens instruments méridiens, on devait établir un nouveau cercle méridien, un nouvel équatorial, publier les observations faites depuis 1847, distribuer l’heure exacte sur différents points de la capitale, déterminer à nouveau les longitudes des points principaux du territoire, régulariser l’étude des questions de physique astronomique, organiser les études de météorologie.
Pour réaliser un programme aussi vaste, le personnel dont disposait M. Le Verrier était presque nul. Seul de tous les astronomes de l’Observatoire M. Y. Villarceau consentit à continuer ses fonctions sous la nouvelle direction ; d’un autre côté, le caractère bien connu du nouveau directeur empêcha les savants de répondre à son appel ou de continuer longtemps à remplir les fonctions qu’ils avaient d’abord acceptées ; il en fut donc réduit à se contenter d’un personnel recruté un peu au hasard, et qui parfois ne présentait aucune garantie scientifique sérieuse. Néanmoins, les premières années de l’administration de M. Le Verrier n’ont point été sans résultats au point de vue astronomique.
Malgré sa haute valeur comme astronome théoricien, le nouveau directeur s’était mis lui-même à observer ; les nombreuses observations méridiennes du soleil et des étoiles qu’il avait été obligé de réduire et de discuter pour faire la théorie du soleil, lui avaient appris les conditions que doivent remplir les instruments astronomiques et le degré de précision qu’on peut en obtenir ; aussi devint-il en peu de temps un astronome observateur, et de concert avec le dépôt de la guerre entreprit-il (1856) une série de déterminations de longitudes, série continuée plus tard par M. Y. Villarceau.
Doué d’une capacité de travail énorme, M. Le Verrier entraîna pour ainsi dire tout son personnel. En outre des efforts individuels faits sous son impulsion, les instruments méridiens étaient améliorés, on en construisait de nouveaux, on installait un nouvel équatorial, Foucault commençait ses belles recherches optiques et le réseau météorologique était établi. Les observations astronomiques ultérieures étaient réduites et publiées, la réduction des observations actuelles était mise à jour.
Mais bientôt l’ardeur de M. Le Verrier pour l’astronomie parut se ralentir, les études de météorologie et de physique du globe absorbèrent toute son attention ; plus tard la création de l’association scientifique vint encore ajouter au désordre qui commençait à s’introduire à l’Observatoire ; enfin le personnel ne supportait plus avec la même patience l’autorité si despotique et si peu bienveillante du directeur. De là des querelles et des tracasseries qui finirent par rendre complétement impossible la marche de l’établissement ; c’est alors qu’un décret intervint pour réorganiser encore une fois (la septième) notre grand établissement astronomique.
Ce décret contenait une innovation heureuse, et à laquelle on sera tôt ou tard obligé de revenir, la division des services de l’Observatoire en quatre groupes autonomes ayant chacun à sa tête un astronome titulaire et renfermant un certain nombre d’adjoints. Ces quatre groupes étaient reliés entre eux par un conseil, présidé par le directeur, qui administrait l’Observatoire. Le seul reproche qu’à ce point de vue l’on puisse faire à ce décret, c’est d’avoir fait entrer dans ce conseil des personnes étrangères à l’établissement, et même à l’astronomie.
Tel est certainement le modèle dont on devra se rapprocher toutes les fois que l’on se proposera comme but d’obtenir un observatoire où les questions soient sérieusement discutées, où toutes les branches de l’astronomie soient cultivées, où le personnel travaille avec ardeur. Néanmoins il faudrait y apporter quelque chose qui assure et régularise le recrutement de ce personnel.
Le premier soin du conseil fut de rechercher si la situation même de l’observatoire était favorable à la bonne exécution des travaux astronomiques, et si au contraire l’expérience du passé ne condamnait pas cet établissement. Fallait-il le conserver à Paris ou n’était-il pas au contraire préférable d’en demander le transfert ? C’est là il faut le dire, nos lecteurs se le rappellent, le vœu qui avait été formé depuis la création de l’Observatoire par tous les astronomes et par tous les savants qui faisaient passer en première ligne les intérêts de l’astronomie. Cassini 1er, Cassini Il, Cassini IV, Jérôme de Lalande, l’avaient tous demandé. Le conseil d’alors émit une opinion identique, et il demanda purement et simplement le transfert de l’Observatoire national dans une localité assez voisine de Paris pour que les jeunes astronomes pussent encore profiter des ressources scientifiques de la capitale. Suivant nos habitudes déplorables, de ce conseil, qui renfermait les personnes les plus compétentes pour juger la question, elle dut passer par la filière de l’Académie des sciences. Malgré les efforts de M. Le Verrier, le transfert, hautement réclamé par M. Delaunay, qui faisait alors partie du conseil de l’Observatoire, et par M. Y. Villarceau, fut décidé ; si nous sommes bien renseignés, des éludes préparatoires furent même commencées dans le but de faire choix d’un nouvel emplacement.
Le conseil de l’Observatoire et l’Académie avaient réclamé aussi la séparation immédiate de l’astronomie et de la météorologie ; par la nature de ses travaux, par l’esprit de ses méthodes si éloigné de la rigueur qui préside aux observations astronomiques, par la multiplicité des entreprises qu’elle avait accumulées, pour ainsi dire à plaisir, cette science naissante et encore peu sûre d’elle-même ne pouvait, en effet, produire à l’Observatoire qu’agitation, encombrement et désordre.
La ville de Paris avait adopté cette idée avec empressement, et le pavillon du bey de Tunis à l’Exposition universelle, transporté dans le parc de Montsouris, devait servir à l’installation d’un observatoire météorologique indépendant de l’observatoire astronomique.
Mais à cette époque aussi, la tension entre le directeur de l’Observatoire et son personnel allait en augmentant rapidement, et les astronomes, jugeant leur position intenable, adressèrent au ministre de l’instruction publique un mémoire où ils relataient leurs griefs. M. Le Verrier demanda alors au Sénat d’interpeller le gouvernement sur la situation de l’Observatoire. Le ministre considéra celle demande d’interpellation comme un acte d’insubordination, et la révocation de M. Le Verrier fut décidée.
On choisit pour lui succéder M. Delaunay.
On devait croire que, cette fois au moins, ce changement de personne n’ajouterait pas une révolution de plus à toutes celles que l’Observatoire avait déjà subies. Le nouveau directeur ayant partagé dans le sein du conseil les travaux des astronomes, il était permis d’espérer que, bien éclairé sur les besoins réels de l’Observatoire, il n’aurait d’autre souci que de conserver une organisation à l’établissement de laquelle il avait tant travaillé. La météorologie serait certainement séparée ; la question du transfert serait reprise avec ardeur ; les différents services pourraient fonctionner librement ; et dégagé de toutes ses luttes intestines, notre grand établissement reprendrait enfin dans le monde le rang qui lui appartient.
Ces espérances, qui paraissaient si légitimes, ont été déçues. La météorologie a de nouveau, et plus encore qu’autrefois, envahi l’Observatoire ; la question du transfert est enterrée ; un nouveau décret de réorganisation, inspiré par le nouveau directeur, a remis les choses en l’état où elles étaient au commencement du règne de M. Le Verrier, avec cette aggrava lion toutefois que l’on a renouvelé l’ingérence du Bureau des Longitudes dans les affaires de l’Observatoire.
Voici les articles les plus importants de ce décret du 9 mars 1872.
Article Il. - Le personnel comprend :
- 1° Un directeur ;
- 2° Quatre astronomes titulaires dont trois attachés spécialement aux travaux astronomiques, et le quatrième chargé de la direction de la division de météorologie et de physique du globe, sous l’autorité du directeur de l’Observatoire [12] ;
- 3° Six astronomes adjoints ;
- 4° Deux physiciens adjoints [13] ;
- 5° Un chef du bureau des calculs ;
- 6° Des aides-astronomes et des aides-physiciens ;
- 7° Des calculateurs ;
- 8° Un secrétaire agent comptable. Il y a en outre des élèves pour faciliter le recrutement des aides-astronomes.
Article IIl. Le directeur administre l’Observatoire, il règle et dirige les travaux scientifiques de l’établissement.
Article IV. Le directeur est nommé par le Gouvernement sur une double présentation de deux candidats émanant du Bureau des Longitudes et de l’Académie des sciences.
Article V. Les astronomes titulaires sont nommés par le Gouvernement après avoir pris l’avis du Bureau des Longitudes.
On le voit, l’a vis des astronomes dans leurs propres affaires est systématiquement écarté. On leur substitue une assemblée extérieure dont les deux tiers des, membres au moins sont étrangers à l’astronomie.
En outre, qu’a-t-on fait pour le recrutement du personnel ; il est bien question d’élèves dans le décret ; d’après l’article IX, ils sont nommés par le directeur, mais quelles Conditions doivent-ils remplir ? A quelles indemnités ont ils droit ? Et, puisque nous avons en France de grandes écoles dont l’enseignement a spécialement pour but de préparer les jeunes gens intelligents à remplir les différents services publics, n’était-il pas prudent et habile tout à la fois de les attirer à l’Observatoire ?
Nous ferons à ce décret un reproche encore plus grave : Le rôle que doit remplir le Bureau des calculs dans un observatoire de premier ordre ne nous parait pas avoir été compris. Un établissement de cette importance doit en effet s’occuper de travaux de deux natures complètement différentes ; les observations et les calculs. Dans la première catégorie nous rangeons non-seulement les observations méridiennes et les déterminations extra-méridiennes des positions des astres, mais aussi cette partie toute nouvelle de l’astronomie, dont l’importance est aujourd’hui capitale, qui applique à l’étude des astres les progrès récents de la physique expérimentale, spectroscopie, photométrie, etc. Dans la seconde nous comprenons la détermination des éphémérides des étoiles fondamentales qui permettent de réduire les observations, et surtout le calcul des orbites des astres nouvellement découverts et la rectification de celles des astres découverts antérieurement ; il faut qu’à cet égard l’observatoire de Paris cesse d’être tributaire des observatoires d’Allemagne.
À ces deux catégories d’études correspondent évidemment deux catégories de fonctionnaires, d’aptitudes scientifiques différentes, mais dont les travaux ont la même importance au point de vue général. Il fallait donc, suivant nous, profiter des éléments existants à l’Observatoire pour en faire la base d’un bureau des calculs sérieusement organisé, qui serait devenu en peu de temps une pépinière de savants familiers avec les calculs de mécanique céleste et pouvant déterminer l’orbite d’un astre peu de jours après sa découverte. Il était pour cela nécessaire de mettre à sa tête un astronome titulaire, de créer dans celte division spéciale des adjoints ayant le même rang et les mêmes avantages que les autres. Au lieu de cela on a fait quelque chose d’hybride : Un bureau des calculs composé d’un chef et de calculateurs à la journée.
Article Xl. - Tous les ans, l’Observatoire est inspecté par une commission composée des membres du Bureau des Longitudes qui ne font pas partie du personnel de l’établissement, de deux membres de l’Institut désignés par l’Académie des sciences, et de cinq personnes choisies par le ministre dans les grands corps de l’État. Cette commission visite l’établissement, entend les explications du directeur, et présente au ministre un rapport détaillé sur le personnel, le matériel, l’état des travaux et des publications. Elle se réunit le premier mercredi du mois de mai.
Cette commission d’inspection est donc actuellement assemblée. La publication de son rapport nous apprendra si les bruits qui courent dans le monde scientifique de Paris sont exacts, et s’il est vrai que le nouveau décret n’ait été qu’une arme de guerre destinée à éloigner une partie des fonctionnaires à l’avantage de quelques amis. Quoi qu’il en soit, le décret du 9 mars 1872 s’éloigne des principes qui, suivant nous, doivent présider à l’organisation de notre grand observatoire. Les bases de cette organisation nous paraissent ne devoir être que les suivantes :
La séparation complète, au point de vue administratif, de l’Observatoire et du Bureau des Longitudes ;
La séparation de l’Observatoire astronomique et de l’Observatoire météorologique ;
L’administration de l’Observatoire, confiée non pas à un directeur absolu, mais à tous les astronomes de l’établissement réunis en conseil sous sa présidence ;
Le Directeur, toujours pris parmi les astronomes de l’Observatoire national ou les directeurs des observatoires publics de province, et sa nomination faite sur une liste de présentation dressée par leur réunion. On évitera ainsi les révolutions radicales qui sont arrivées jusqu’ici à chaque changement de directeur ;
La création de services spéciaux dirigés chacun par un astronome et sous sa responsabilité propre ; l’un de ces services devant être affecté aux calculs et ses fonctionnaires étant complétement assimilés à ceux des autres services.
En Angleterre, en Allemagne, en Amérique, la question de l’organisation de l’observatoire national a moins d’importance qu’en France, car à côté de lui il en existe un très grand nombre d’autres ; la création de nombreux observatoires en province est un des besoins les plus impérieux de l’astronomie française. M. Delaunay, nous le savons et nous l’en félicitons hautement, fait de grands efforts pour l’activer ; mais en attendant, comme il n’existe actuellement en France que deux observatoires, ceux de Paris et de Marseille, le bon fonctionnement de ces deux établissements a une importance capitale, et si des réformes sont nécessaires, l’intérêt de la science française exige qu’on les réalise au plus tôt.