Le 31 mars 1891 a eu lieu dans la grande salle de l’Observatoire de Paris l’ouverture du congrès de la carte du ciel, présidé par l’amiral Mouchez. Les délégués de dix-huit observatoires de premier rang s’étaient réunis pour arrêter d’un commun accord les meilleures méthodes pour employer la photographie , à la construction de la carte du ciel, en y inscrivant toutes les étoiles jusqu’à la quatorzième grandeur.
C’est un travail immense, qui serait au-dessus des forces du plus riche et du plus puissant observatoire du monde. Non seulement la difficulté de représenter plusieurs milliers d’étoiles est immense, mais aucun établissement astronomique ne peut enregistrer avec une égale facilité les étoiles réparties dans toutes les régions célestes. Ainsi les astronomes des régions équatoriales ne peuvent que très imparfaitement photographier les régions boréales, et ceux des régions tempérées ou boréales sont impuissants pour les étoiles situées le long de l’équateur céleste.
Il a donc été nécessaire d’effectuer la distribution des différentes constellations entre les dix-huit observatoires qui ont consenti à coopérer à cette œuvre immense, exécutée pour la première fois cent cinquante ans avant l’ère chrétienne par Hipparque. Mais ce grand astronome, vivant à une époque où l’on n’avait pas encore inventé les lunettes, a dû se borner à l’enregistrement des étoiles des six premières grandeurs, les seules qui soient visibles à l’œil nu. Il n’en a pu décrire que 1,026. Il y en aura plusieurs millions sur la carte du XIXe siècle.
Il serait beaucoup trop long de rapporter ici, du moins en ce moment, l’historique des délibérations du congrès, dans lequel les astronomes des différentes nations étrangères ont rivalisé de zèle les uns et les autres, pour l’exécution d’un monument si merveilleux, élevé au progrès de l’astronomie future. Mais il est indispensable de donner la description d’un instrument remarquable que M. l’amiral Mouchez a présenté au congrès dans la journée du 7 avril, et qui a été imaginé par M. Lœwy, sous-directeur de l’Observatoire.
La construction de la partie mécanique est due à M. Gauthier, l’un des principaux opticiens français, et la partie optique aux frères Henry, aussi habiles à tailler les verres qu’à s’en servir pour découvrir les petites planètes ou observer les astres.
Lors d’une éclipse totale de soleil qui se produisit en 1860, et qui fut visible en Espagne, M. Laussedat, actuellement directeur du Conservatoire des arts et métiers, eut l’idée de photographier ce beau phénomène à l’aide d’un appareil nommé sidérostat, et qui recevait la lumière du soleil dans une direction fixe horizontale.
Ramenée dans la direction de l’objectif, la lumière du soleil produisit d’excellentes images, qui furent fort admirées. Léon Foucault, alors déjà célèbre, s’empara de cette idée et imagina une lunette qui, à l’aide du même procédé, permet d’observer tous les astres. Un très remarquable appareil de ce système a été construit dans les anciens jardins de l’Observatoire et a servi à faire des études fort intéressantes.
Mais l’astronome ne se contente point d’étudier la figure des corps célestes. Il faut encore qu’il se rende un compte exact de leur position sur la sphère. C’est ce qu’il ne peut faire qu’avec des mesures très précises, qu’il est impossible de prendre avec le sidérostat. En outre, pour observer les astres avec fruit, il faut les suivre pendant un certain temps, sans avoir besoin de se préoccuper du soin de changer à chaque instant la position de la lunette.
Ce besoin de suivre commodément les astres est si puissant, qu’on a inventé depuis très longtemps des lunettes nommées équatoriales qui jouissent de cette propriété parce qu’on peut les atteler à un mouve ment d’horlogerie, qui les fait tourner autour de l’axe du monde, avec une vitesse pareille à celle des corps sur lesquels on les dirige.
Toutes les grandes lunettes de l’observatoire de Washington et de l’observatoire de Californie, que nous avons successivement décrites dans la Science illustrée, sont montées équatorialement. Il en est de même de tous les grands télescopes. Pour que les instruments qui ramènent les images des astres dans une direction fixe puissent rendre de véritables services à l’astronomie, il faut qu’ils puissent suivre les astres comme le fait un équatorial ordinaire. Alors leur usage se répandra rapidement dans tous les observatoires. En effet, l’astronome ne sera plus obligé de suivre le bout d’une lunette, qui se déplace d’une façon quelconque dans l’espace. On ne le verra plus obligé de se livrer à une gymnastique incroyable, dont il est très facile de comprendre à la fois les dangers et les inconvénients.
Ce sont ces considérations, qui ont conduit M. Maurice Lœwy à concevoir dès 1870 le plan de son équatorial coudé. Un premier modèle de petites dimensions fut construit dans les jardins de l’Observatoire aux frais de M. Bischofsheim, et rendit de véritables services. Enhardi par ce succès, on en construisit quelques autres pour des observatoires de province, pour l’observatoire d’Alger, pour l’observatoire impérial de Vienne en Autriche, et enfin un gigantesque pour l’observatoire de Paris.
L’appareil dont nous donnons le dessin exact, possède un objectif de 0m,60. Il est aussi puissant que le plus gros équatorial droit, en usage dans tous les autres observatoires d’Europe. Il doit rendre des services d’autant plus précieux que sa distance focale est beaucoup plus grande que celle de tous les autres. Elle est de 18 mètres, c’est-à-dire trente fois le diamètre de l’objectif, rapport qu’on réduit ordinairement à quinze, afin de diminuer le diamètre des coupoles, dont un équatorial droit ne peut se dispenser. Avec une distance focale de 18 mètres, il faudrait donner à sa coupole un diamètre à peu près égal à celui du dôme du Panthéon. L’érection de cet abri coûterait plus cher que la lunette coudée de M. Maurice Lœwy tout entière. En effet, la somme des crédits accordés, et même de ceux que l’amiral Mouchez a demandés, ne dépassera pas 400,000 francs. Dans ce prix, on a compris l’acquisition de deux objectifs, un pour les observations astronomiques, et l’autre pour les opérations photographiques.
Notre artiste a eu l’excellente idée de faire une coupe de la grande lunette coudée, et de montrer la route suivie par le rayon de lumière, depuis l’astre jusqu’à l’oculaire derrière lequel l’observateur place, l’œil sans quitter son fauteuil.
Notre dessin montre qu’entre l’objectif et l’oculaire, M. Lœwy a placé sur le parcours du faisceau lumineux deux miroirs à 45° ; Le premier, derrière l’objectif, renvoie la lumière dans la direction du petit bras, qui n’a que 4 mètres de longueur et qui est mobile, de manière à décrire un plan perpendiculaire au grand bras. Comme celui-ci est établi fixement dans la direction de l’axe du monde, c’est précisément l’équateur céleste que le petit bras décrit dans son mouvement de rotation. Le second miroir placé au coude renvoie finalement le faisceau lumineux dans la direction de l’axe du monde, perpendiculairement auquel l’oculaire se trouve fixé.
Pour que le bras mobile décrive ainsi l’équateur et s’arrête dam la position convenable pour retrouver une étoile, l’astronome n’a qu’à faire mouvoir une manivelle, placée à sa droite. Il fait tourner le cercle gradué qu’il a devant les yeux jusqu’à ce qu’il arrive à la division marquée d’avance dans la Connaissance des temps comme correspondant au plan horaire passant par l’axe du monde dans laquelle l’étoile se trouve au moment ou on la vise.
Mais il ne suffit pas de diriger le bras vers le cercle horaire où se trouve le corps céleste que l’on veut étudier, il faut encore monter le long de ce cercle horaire jusqu’au parallèle céleste où se trouve l’étoile.
C’est ce que fait l’astronome à l’aide de la manivelle qui est placée dans le haut de l’instrument et qui fait tourner le cube terminant le petit bras. Ce cube peut tourner dans une douille, et est animé d’un mouvement de rotation dans un plan évidemment perpendiculaire. L’axe optique de la lunette peut donc aller chercher l’étoile jusqu’au parallèle qu’elle occupe dans son plan horaire.
Comme la précédente, cette nouvelle rotation est imprimée à l’aide de longues tiges et d’engrenages fixés le long du tube fixe et du bras mobile. Il a fallu imaginer un grand nombre de dispositions ingénieuses. Dans le dessin que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs, notre artiste a représenté l’astronome remontant le mouvement d’horlogerie destiné à faire tourner le bras dont le poids est de 12 000 kilogrammes et qui ce meut avec la précision d’une aiguille de montre. Comme certains astres ont un mouvement propre qui suivant sa direction s’ajoute ou se retranche de celui de la voûte céleste, il a fallu adapter une machine spéciale pour accélérer ou retarder le mouvement de l’horloge. D’autres dispositions ont été prises pour éclairer le champ, ou les fils d’araignée et les tambours du micromètre. L’appareil possède une douzaine de lampes. C’est le premier qui ait une illumination aussi parfaite, et qu’on peut régler avec une boite de résistances spéciales. Il se distingue aussi par l’extraordinaire rapidité avec laquelle on le braque sur un objet céleste quelconque, et par la puissance du grossissement auquel on peut soumettre les images formées au foyer de l’objectif. On nous a parlé d’un grossissement de deux mille qui mettrait la Lune à moins de 200 kilomètres de distance. Sa mise en service est un événement astronomique. Nous rendrons compte des observations faites avec son assistance.