Allocution prononcée à l’Académie d’Amiens le 23 octobre 1890 par Albert Badoureau.
Messieurs,
Notre très éminent confrère, M. Jules Verne, à qui les trois dimensions restreintes de notre univers ne suffisent probablement plus pour les « voyages extra-ordinaires » de ses héros, m’a demandé de vous dire quelques mots sur la notion de l’infini, et sur les dimensions en geométrie. Je ne puis rien refuser à une personnalité aussi sympathique, et je m’exécute. Une fois n’est pas coutume, et je vais aujourd’hui faire avec vous un peu de science pure.
Je chercherai surtout la simplicité et je n’hésiterai pas, au besoin, à me répéter ; j’espère ainsi arriver à vous convaincre que ces notions très délicates sont moins inabordables qu’on ne le croit généralement. Je dois d’ailleurs reconnaître que si je suis arrivé à a donner à cet exposé quelque clarté, je le dois surtout aux nombreuses objections qu’a bien voulu me faire M. Verne. Il m’a dit une fois, avec son bon sourire : « Vous prétendez que vous vous exécutez, mais je ne vois comme victimes que vos auditeurs. » Peut-être serez-vous moins sévères que lui ! En tout cas, si je vous ennuie, j’en laisse la responsabilité à qui de droit.
Les sens de l’homme sont excessivement bornés. L’univers qu’il voit avec ses télescopes n’a pas plus 100 millions de milliards de kilomètres (1020 m) de rayon. Il ne distingue pas les molécules des corps, même avec l’aide des plus forts microscopes, et cependant la distance des centres de gravité de deux molécules voisines d’un solide est probablement un peu plus grande qu’un décimillimicron (10-10 m ). Ces deux limites (voir à leur sujet Les Sciences Expérimentales ; Paris,A.Quantin) sont à l’heure actuelle le nec plus ultra des connaissances humaines acquises par la vision. L’homme restera toujours comme l’a défini Pascal « un milieu entre rien et tout » mais il recule cesse limites qui l’enserrent s’il ne peut pas voir l’infini, non plus que le néant, il les conçoit fort par sa raison.
En algèbre, l’infini $$$ \infty$$$ est le quotient d’une quantité finie par une autre infiniment petite. M. Paul du Bois-Reymond a inséré dans les Annali di matematica de 1870-71 un intéressant mémoire sur la grandeur relative des infinis des fonctions. L’infini jouit de cette propriété qu’on peut lui ajouter tout ce qu’on veut de fini sans l’augmenter. Pas plus que zéro, il n’a de signe ; comme lui, il forme une transition entre les grandeurs positives et les grandeurs négatives. Un angle droit a une tangente infinie ; un angle aigu voisin d’un droit a une tangente très grande positire ; un angle obtus voisin d’un droit a une tangente très grande négative. L’infini est la commune limite d’une quantité positive et d’une quantité négative qui croissent au delà de toutes limites finies.
Pour ma part, je veux considérer avec vous la notion de l’infini en géométrie. Soyez d’ailleurs tranquilles : je ne me bornerai pas à des descriptions plus ou moins poétiques de « cercles infinis dont le centre est partout et la circonférence nulle part », Tout ce que je dirai sera net, précis et facilement démontrable. Vous voudrez bien cependant me faire crédit des démonstrations. Je les donnerai ensuite à ceux d’entre qui ne me croiraient pas sur parole. Tout d’abord je dois vous inviter à ne pas oublier que les figures dont nous avons la mauvaise habitude de nous servir en géométrie sont seulement de grossières images. Une droite, telle que l’esprit doit la concevoir, a une longuueur absolument infinie, une largeur et une épai’sseur absolument nulles ; elle n’a pas deux extrémités, mais elle possède à l’infini un point unique qui est le conjugué harmonique d’un quelconque de ses points par rapport à deux autres situés à égale distance, Une droite tracée sur le papier ou sur le tableau est un amas solide informe, ayant une longueur, une largeur et une épaisseur finies. A force de figurer de telles droites, on arrive à oublier totalement ce qu’est « une droite », Les géomètres ont toutes les audaces : il leur arrive fréquemment de représenter sur le tableau la droite de l’infini d’un plan, le plan de l’infini, un point imaginaire, une courbe imaginaire, etc. Alors, comme toujours, l’image facilite la pensée, mais si l’on n’y prend garde, elle la trompe facilement. Je serais heureux pour ma part si, au cours de cette lecture, je parvenais à détruire quelques-unes des idées fausses produites par ces maudites images, qui ornent et empoisonnent les livres de géométrie.
La position d’un point sur une droite est définie par sa distance à un point arbitrairement choisi sur cette droite. Un de ses points a une coordonnée infinie : l’infini n’a pas de signe. Les deux extrémités d’une droite indéfiniment prolongée se rejoignent donc à l’inifini, comme je viens déjà d’ailleurs tout à l’heure de vous le montrer incidemment.
Considérons maintenant un plan. Chacun de ses points sera défini par ses deux coordonnées rectangulaires, c’est-à-dire par des distances à deux axes rectangulaires. Une équation entre ces coordonnées représentera une courbe. Je le regrette, mais pour parler algèbre, il me faut absolument citer quelques équations.
Celle du premier degré ax+ \fracyb = 1 appartient à une droite qui coupe les axes de coordonnées à des distances a b de l’origine. L’équation figure une droite qui coupe les deux axes à l’infini. C’est la droite de l’infini du plan considéré. Ceci ne doit pas vous surprendre, car les points de l’infini d’un plan forment évidemment un cercle de rayon infini, c’est-à-dire une droite.
Deux droites situées dans le plan se coupent toujours près ou loin, ou, si vous voulez, deux équations du premier degré à deux inconnues ont toujours une solution commune.
Deux droites parallèles ont pour équations :
ax + by + c = 0
ax + by + c’ = 0
Ces équations admettent la solution commune unique x = , y = . Si on les retranche membre à membre, on obtient l’équation c - c’ = 0 qui représente une droite passant par leur intersection. Cette droite est celle de l’infini : 1 = 0 ou c - c’ = 0, c’est évidemment la même équation. Cette droite est parallèle à une droite quelconque du plan, et sa direction est absolument indéterminée.
Ainsi vous ne vous scandaliserez plus, quand je vous dirai que deux droites parallèles indéfiniment prolongées se rencontrent, et qu’elles se rencontrent en un seul point, quel que soit le sens dans lequel on les prolonge. Les deux extrémités d’une droite et les deux extrémités d’une droite parallèle ne sont qu’un seul et même point.
Les tangentes à une courbe quelconque en ses points d’intersection avec la droite de l’infini sont par définition les asymptotes de la courbe. Un cercle ayant l’origine pour centre x² + y² - R² = 0 a pour asymptotes les droites x² + y² = 0. Les coefficients angulaires de ces droites, donnés par l’équation 1 + m2 = 0, sont égaux à-1 > . Les angles qu’elles font avec l’axe des x ont pour tangentes -1 > , pour cosinus , pour sinus -1 >, Ils sont infinis.
Un cercle quelconque du plan (x²+ y² -R²) + (ax + by) (ox + oy - 1) = 0 passe par les quatre points d’intersection du premier cercle considéré avec la droite ax + by = 0 et avec la droite de l’infini. La droite de l’infini du plan contient donc deux points imaginaires conjugués ww’, par les quels passent tous les cercles du plan. Ces points ww’ sont conjugués harmoniques par rapport aux deux points d’intersection de la droite de l’infini, et de deux droites perpendiculaires quelconques du plan.
Si on mène de ces points ww’ toutes les tangentes à une courbe quelconque, leurs points d’intersection sont par définition les foyers de la courbe. Une courbe du second degré a quatre foyers, confondus au centre dans le cas du cercle, puisqu’il passe par ww’.
Une courbe du second degré tangente à la droite de l’infini est par définition une paraboie. Il est évident d’après cela que cette courbe n’a qu’un foyer à distance finie, puisqu’à part la droite de l’infini, on ne peut lui mener qu’une tangente de chacun des points ww’.
Pour qu’un cercle devienne une parabole, c’est-à-dire soit tangent à la droite de l’infini qu’il coupe déjà en deux points distincts, il faut naturellement qu’il se décompose en deux droites, dont celle de l’infini.
Mais arrètons-nous : je n’ai pas la prétention de vous faire un cours complet de géométrie plane, et ces quelques notions sur l’infini d’un plan me paraissent suffisantes.
Passons maintenant, si vous voulez bien, dans l’espace à trois dimensions. Chacun de ses points sera défini par ses trois coordonnées rectangulaires. Une équation entre ces coordonnées représentera une surface, et deux équations figureront une ligne.
L’équation ax + \fracyb + \fraczc = 1> appartient à un plan qui coupe les axes de coordonnées à des distances abc de l’origine. L’équation 0x + 0y + 0z = 1 figure un plan qui coupe les trois axes à l’infini. C’est le plan de l’infini. Vous vous rendez bien compte, n’est-ce pas ? que tous les points de l’infini sont sur une même sphère de rayon infini, c’est-à-dire sur un même plan.
Deux plans parallèles ont pour équations
ax + by + cz + d = 0
ax + by + cz + d’ = 0
si on retranche ces équations membre à membre, on a l’équation d - d’ = 0, qui représente un plan passant par leur intersection : c’est celui de l’infini.
Deux plans quelconques se coupènt suivant une droite, et trois plans se coupent en un point. Une droite coupe un plan en un point. Deux droites ne se coupent généralement pas.
L’enveloppe des plans tangents à une surface aux différents points de son intersection avec le plan de l’infini est une surface réglée asymptote à la surface considérée.
Une sphère ayant l’origine pour centre x² + y² + z² - R² = 0 est asymptote au cône x² + y² + z² = 0, qui découpe sur le plan de l’infini une courbe imaginaire .
Une sphère quelconque
(x²+ y² + z² - R²) + (ax + by + cz) (0x + 0y + 0z - 1) =0
passe par les deux courbes d’intersection de la première sphère considérée par le plan ax + by + cz = 0 et par le plan de l’infini. Toutes les sphères passent par la courbe n. Un plan quelconque coupe la courbe en deux points qui sont précisément ses points ww’ définis plus haut, et c’est pourquoi la section plane d’une sphère est toujours un cercle.
Si on joint un point S à tous les points d’une courbe A, on obtient un cône, et si on coupe ce cône par un plan, on a la projection conique A’ de la courbe considérée.
L’étude du mouvement dans l’espace à trois dimensions est l’objet de la mécanique et de l’astronomie. M. Stallo fait remarquer, avec juste raison, dans la Matière et la Physique moderne ( [1]), que pour étudier le mouvement absolu d’un corps, on n’a pas dans l’univers un seul corps sur l’immobilité absolue duquel on puisse compter, mais que cela ne nous empêche en aucune façon d’avoir la notion d’un point fixe dans l’espace. Nous ne connaissons pas le mouvement absolu, mais seulement le mouvement relatif. Un aéronaute se rend difficilement compte du mouvement de son ballon. Longtemps, les hommes ont cru immobile la terre qui les entraînait.
La géométrie usuelle a, comme vous le savez, des applications constantes dans toutes les branches de la science appliquée, et je n’ai pas besoin d’insister pour vous faire comprendre que si elle disparaissait du champ de nos connaissances, elle entraînerait avec elle l’astronomie et la mécanique, l’art des mines et celui des chemins de fer, etc.
Maintenant, je vous prie de vouloir bien m’accorder toute votre bonne volonté pour franchir avec moi un pas difficile. Ce que je vous ai dit de l’espace ressemble beaucoup à ce que je vous ai dit pour le plan, à tel point que c’en est monotone. Sortons, si vous voulez bien, de l’espace, et considérons par la pensée un milieu analogue, mais plus général, et infiniment plus vaste, si j’ose m’exprimer ainsi, dans lequel un point soit défini par quatre coordonnées rectangulaires. Nous avons donc quatre axes rectangulaires. Trois d’en eux, ceux des x, des y et des z, sont compris dans notre espace, mais il n’en est pas de même du quatrième, l’axe des t, perpendiculaire, par hypothèse, à toute droite qui y est située. La conception de ce quatrième axe, de cet azimut extraspacial, est une opération délicate et complexe de la raison et de l’imagination : je laisse aux psychologues le soin de la disséquer.
Ceci étant admis, une équation entre les quatre coordonnées représentera un espace à trois dimensions, deux équations figureront une surface, et trois équations une ligne. Un espace quelconque à trois mensions est facile à concevoir pour quiconque a admis l’existence de l’axe des t. J’ai le regret de ne pouvoir vous en présenter qu’un seul : notre espace actuel. Ce qu’une courbe est par rapport à un point et qu’une surface est par rapport à une courbe, un espace à trois dimensions l’est par rapport à une surface et l’espace à quatre dimensions l’est par rapport à un espace ,à trois dimensions. Les nombres de points, qui sont situés sur une ligne, sur une surface, dans un espace à trois mensions ou dans l’espace à quatre dimensions, représentés par la première, la deuxième, la troisième et la quatrième puissance de l’infini.
Voilà, en deux mots, l’essence de la géométrie quatre dimensions. Entrons maintenant, si vous voulez, un peu plus dans le détail :
L’équation ax + \fracyb + \fraczc + \fractd = 1 h>appartient à un espace du premier degré qui coupe les axes de coordonnées à des distances a b c d de l’origine. L’équation td = 1 >appartient à un espace de premier degré qui coupe les axes des x, des y et des z à l’infini, et l’axe des t à la distance d. Cet espace du premier degré parallèle aux x y z et perpendiculaire à l’axe des t est celui dans lequel nous nous mouvons. L’équation 0x + 0y + 0z + 0t = 1 figure un espace du premier degré qui coupe les quatre axes à l’infini. C’est l’espace du premier degré de l’infini. Deux espaces du premier degré, parallèles, ont des équations identiques sauf la constante. Si on les retranche membre à membre, on obtient l’équation de l’espace du premier degré de l’infini qui passe par leur plan d’intersection.
Deux espaces du premier degré se coupent suivant un plan, trois suivant une droite et quatre en un point. Un espace du premier degré coupe un plan suivant une droite et une droite en un point. Deux plans quelconques se coupent en un point. Un plan et une droite quelconques ne se coupent pas, et il en est de même a fortiori de deux droites quelconques.
L’espace sphérique à trois dimensions x² + y² + z² + t² + ax + by + c z + dt + H = 0 figure à chaque pas sous le nom d’hypersphère dans 1es beaux travaux de M. Picard, sur les fonctions hyper fuchsiennes ( [2]). Tous les espaces sphériques à trois dimensions coupent l’espace du premier degré de l’infini suivant une même surface imaginaire o, lieu des courbes situées dans les différents espaces du premier degré à trois dimensions. Une hypersphère quelconque est coupée par un espace du premier degré à trois dimensions suivant une surface, qui est une sphère vulgaire, dans le cas où l’espace sécant est notre espace habituel.
Si on joint un point quelconque S à tous les points d’une surface A, on obtient un espace conique, et si coupe cet espace par un espace du premier degré, on a une surface A’ qui est la projection conique de la surface considérée.
La projection conique ainsi définie d’une sphère peut être une surface du second degré quelconque, de même que, dans la géométrie usuelle à trois dimensions, la projection conique d’un cercle peut être une ellipse, une hyperbole ou une parabole. On déduit diverses propriétés des surfaces du second degré de celles de la sphère, exactement de même que, dans la géométrie classique, on étend aux courbes du second degré certaines propriétés démontrées pour le cercle.
La géométrie à quatre dimensions peut servir en mécanique ou en astronomie, à la condition de porter sur l’axe des t des longueurs proportionnelles aux temps.
La notion des coordonnées est due, vous le savez, au plus éminent savant de tous les temps et de tous les lieux, au très illustre Descartes, dont les récents travaux de M. l’amiral de Jonquières ( [3]) viennent d’accroître encore la gloire scientifique. Vous avez vu que cette notion, véritablement lumineuse, ne s’applique pas seulement à la géométrie telle que pourrait la concevoir un animal enfermé dans un tube rectiligne capillaire, astreint à rester indéfiniment dans une surface plane ou forcé, comme nous le sommes nous mêmes, de ne jamais sortir d’un espace du premier degré à trois dimensions Elle s’étend sans aucune difficulté, comme vous venez de le voir, à l’espace à quatre dimensions. Si je ne craignais pas de vous ennuyer par des redites fastidieuses, je vous montrerais qu’elle peut se généraliser indéfiniment et que l’algèbre, après avoir exploré l’univers de la physique, l’espace à trois dimensions et l’espace à quatre dimensions, peut encore étendre beaucoup plus loin ses efforts.
Dans un espace à n dimensions, n coordonnées, ou, ce qui revient au même, n équations entre ces coordonnées représentent un point, c’est-à-dire un espace absolument dépourvu de toute dimension, n -1 équations une ligne ou un espace à une dimension, n-2 une surface ou un espace à deux dimensions, n-P un espace à p dimensions ( [4]).
Notre espace classique à trois dimensions a n- 3 équations qui s’obtiennent en égalant à des constantes les n - 3 coordonnées supplémentaires.
Une équation du premier degré représente un espace à n -1 dimensions, tel qu’une droite quelconque le coupe en un seul poin t. Quand les coefficients des va riables s’annulent, cet espace s’éloigne à l’infini.
L’espace à n- 1 dimensions de l’infini passe par l’es pace à n- 2 dimensions, suivant lequel se coupent deux espaces à n-1 dimensions du premier degré et parallèles.
L’espace à n-1 dimensions de l’infini contient un espace imaginaire à n- 2 dimensions par lequel passent tous les espaces sphériques à n-1 dimensions.
Si on joint un point S à tous les points d’un espace A à n-2 dimensions, on obtient un espace conique à n-1 dimensions, et si on le coupe par un espace du premier degré à n-1 dimensions, on a un espace A’ a n- 2 dimensions, qui constitue la projection conique de l’espace A considéré. On tire, par cette méthode, certaines propriétés générales des espaces du second degré à n- 2 dimensions de celles de l’espace sphérique à n-2 dimensions.
Cette géométrie à n dimensions n’est peut-être qu’une métaphore de l’algèbre générale, mais en tout cas elle en est une interprétation très élégante, exactement au même titre que la géométrie rectiligne, plane, ou dans l’espace est une image visible de l’algèbre à 1,2,3 inconnues. Le calcul différentiel et le calcul intégral sont, comme l’algèbre élémentaire, traductibles dans une géométrie à autant de dimensions qu’ils comportent de variables. M. Camille Jordan, le grand maître en France de cette science nouvelle, a eu le rare bonheur de généraliser la loi des mouvements infiniment petits, la règle de composition des rotations, la théorie de la courbure des courbes, le théorème d’Euler sur la courbure des surfaces, etc. ( [5]). De nombreux au teurs marchent dans la même voie American journal of mathematics ( [6]), et ces notions ne sont pas loin d’entrer dans la science usuelle et dans les programmes des lycées.
La géométrie à n dimensions aura-t-elle un jour une application dans la pratique ? je n’en sais absolument rien, mais cette question n’est pas, Dieu merci ! pour arrêter un fervent dévot de la science pure. Il cherche le vrai, l’utile vient par surcroît.
Cette hypergéométrie se voit parfaitement, mais à la vérité, seulement avec les yeux de l’imagination dont la
Vive impostureMultiplie, agrandit, embellit la nature,
comme disait ce bon abbé Delille, qui serait bien étonné de voir à quoi peuvent s’appliquer ses vers.
Elle n’existe peut-être pas objectivement, mais, en réalité, de quoi pouvons-nous affirmer l’existence objective, et toutes nos connaissances ne sont-elles pas nécessairement subjectives ( [7]) ? Comme je l’ai exposé dans les Sciences expérimentales, je crois fermement à l’existence réelle de là matière, de la force et de l’âme, mais tout cela est contestable et contesté, même l’exis tence de la matière.
Le cerveau a besoin, il est vrai, de faire un certain effort pour concevoir tous ces espaces que je qualifierai d’extraspaciaux, puisqu’ils sont étrangers à notre espace classique. Mais quand vous y aurez réfléchi quelques instants, vous trouverez certainement ces notions d’une remarquable limpidité, et je serai, pour ma part, heureux de vous avoir initiés à cette superbe création réalisée par l’algèbre.
Il existe divers autres modes de généralisation géométrie. La géométrie non euclidienne s’affrancht du postulatum d’après lequel on ne peut mener d’un point extérieur qu’une seule parallèle à une droite ( [8]). Elle peut d’ailleurs comprendre un nombre quelconque de dimensions. Divers géomètres ont interprété les quantités imaginaires -1 >( [9]). Mais je crois devoir au moins pour aujourd’hui, passer ces points sous silence, et m’arrêter là en vous remerciant de votre bienveillante attention.
(S’adressant à M. Jules Verne.) Mon cher maître, s’il vous prend un jour fantaisie de promener un de voyageurs, auprès duquel Hatteras, Robur, Nemo, Pierdeux … ne seront que de timides enfants, dans l’espace à n dimensions, sur une hypersphère à n-1 mensions, n’oubliez pas de lui réserver les aventures les plus abracadabrantes pour le moment où il traversera l’espace imaginaire à n - 2 dimensions, lieu géométrique des points circulaires imaginaires de l’infini ww’ de tous les plans à deux dimensions que contient l’espace à n dimensions.