En 1897, au cours d’un article sur la culture du champignon de couche, publié dans cette Revue [1], je fis allusion à des recherches que je poursuivais alors dans le but de réaliser la culture artificielle de la Morille, en partant de la spore.
Les expériences en question ayant abouti, il ne sera peut-être pas sans intérêt d’exposer brièvement la méthode suivie.
La culture d’un champignon supérieur, on le conçoit, comporte d’autres exigences que celle des Mucédinées que l’on est habitué à manier dans les laboratoires. Les mycéliums de ces espèces doivent végéter pendant une période fort Iongue afin d’accumuler les matériaux de réserve destinés Il faire les frais d’une fructification volumineuse ; ils doivent aussi avoir à leur disposition un terrain sans cesse renouvelé, car ils ne végètent pas sur place, mais s’avancent au contraire d’une manière continue, sans jamais revenir sur le terrain parcouru.
Afin de satisfaire à ces conditions, j’adoptai comme vases de culture des tubes de verre d’environ un mètre de longueur et 25 à 30 millimètres de diamètre, Ces tubes étaient bourrés d’un substratum composé de matières végétales réduites presque à l’état d’humus, telles que du bois pourri, du terreau de feuilles mortes, etc. L’addition d’un grand nombre de substances nutritives a été essayée en vue d’améliorer ce milieu naturel, sans aucun résultat positif.
Après stérilisation préalable, l’ensemencement se faisait, à l’une des extrémités du tube, au moyen de spores recueillies avec pureté.
La germination est très rapide et, déjà au bout de vingt-quatre heures, on peut apercevoir, au point où les spores ont été déposées, un fin duvet blanc ; c’est la première apparition du mycélium, qui bientôt pénètre dans Je terreau sous forme de filaments ramifiés, parcourt le tube dans toute sa longueur et atteint en quelques semaines l’extrémité opposée. On sectionne alors cette extrémité et on l’abouche avec l’orifice d’un second tube préparé comme le premier. Si l’opération a pu être effectuée à l’abri des moisissures, le mycélium passe sans difficulté dans le .second tube et s’y propage ; si, au contraire, la culture a été contaminée, elle peut être considérée comme perdue, car, à cette période, le simple voisinage des moisissures suffit à tuer le jeune mycélium de la Morille. C’est pour éviter autant que possible leur invasion qu’il importe de choisir comme terrain des débris végétaux en voie de décomposition déjà très avancée, c’est-à-dire dont les matières fermentescibles ont complètement disparu.
Au bout de plusieurs mois de végétation, les filaments du mycélium paraissent plus volumineux, plus nourris ; parfois même, on remarque de véritables cordons résultant de la soudure de plusieurs filaments parallèles ; en d’autres points, celte tendance des filaments à se rapprocher, pour constituer des structures plus denses, se manifeste par la formation d’amas feutrés rappelant le tomentum qui, chez une famille très voisine de la Morille, les Pezizes, constitue la première ébauche du réceptacle.
C’est là l’indice irrécusable que les cultures sont en bonne voie, et que la forme que nous propageons est bien celle qui doit aboutir à la production des ascospores, c’est-à-dire de la Morille. Je ne parlerai donc que pour mémoire d’une autre forme, stérile celle-là, que l’on obtient en cultivant le mycélium non plus au sein d’un substratum poreux, mais en surface dans une atmosphère humide. C’est une forme Botrytis, caractérisée par de très longs filaments droits et grêles, bientôt transformés en chapelets de conidies ; cette forme se fixe et ne semble plus susceptible de faire retour à la forme fertile dont nous allons continuer à suivre l’évolution.
On constate bientôt que le mycélium a acquis avec l’âge la propriété de résister victorieusement à la concurrence des moisissures ; au lieu d’être tué par elles, il refoule maintenant celles qui ont pu s’introduire dans les tubes de culture. Dès ce moment, autant pour simplifier la besogne que pour me rapprocher davantage des conditions naturelles, j’abandonnai les cultures en tubes stérilisés, et j’instituai à la campagne des cultures « en pleine terre », La méthode, à I’imitation de ce qui se pratique pour le champignon de couche, consistait essentiellement à préparer des couches de terreau de composition variable, enfouies dans des tranchées, et à y insérer de place en place des mises de mycélium adulte provenant de mes tubes.
Plusieurs printemps passèrent sans qu’aucune Morille fit son apparition sur les couches, bien que la prise et la propagation du mycélium eussent été constatées. Pour la première fois, en mai 1900, je trouvai une demi-douzaine de Morilles disséminées sur le sol d’une cave, autour d’un emplacement où avaient séjourné, en 1892, des cultures établies dans des pots à fleurs. Cette année-ci (mai 1901), le succès s’est confirmé d’Une manière non douteuse. Autour d’une couche composée de feuilles mortes et alcalinisées assez fortement avec du carbonate de soude, datant de 1896, on a récolté une dizaine de Morilles, et plusieurs autres encore sur une tranchée dans laquelle avait été déposé, à la même époque, un compost de marc de pommes. Cela fait donc trois cultures différentes ayant déjà donné, à l’heure actuelle, un résultat positif.
Il est donc acquis que la Morille est un champignon saprophyte, que son mycélium n’a nullement besoin de vivre en symbiose avec les racines de certains arbres, comme le veut une opinion très répandue (dans les expériences en question, toutes les précautions avaient été prises pour ne laisser subsister aucun doute à cet égard) et que sa culture artificielle n’est pas très difficile à réaliser sous certaines conditions. Il est vrai que cette culture serait bien lente, puisque dans un cas il s’est écoulé huit ans et dans l’autre cinq ans entre l’ensemencement et la récolte. Mais certains faits, connus des mycologistes, de récoltes extraordinairement abondantes de Morilles sur des substratums particuliers, notamment certaines pâtes de bois pour la fabrication du papier, permettent de croire qu’il serait possible de reproduire régulièrement ces conditions exceptionnelles parfois rencontrées dans la Nature et de créer ainsi une méthode intensive de culture de la Morille qui aurait certainement un intérêt économique.
Dr Ch. Repin, Attaché à l’Institut Pasteur.