Le transport des maisons en Amérique 2

G. Pelissier, La Nature N°1059 - 16 septembre 1893
Samedi 16 octobre 2010

Suite. - Voy. n° 1054, du 12 août 1805, p. 161

Nous avons parlé précédemment de l’opération du transport des maisons, d’un point il un autre de la surface du sol ; il nous reste à donner quelques détails sur une industrie connexe : celle Je la surélévation des maisons. Lorsque, pour une raison quelconque, un bâtiment est devenu trop petit et que l’architecte juge qu’il vaut mieux, au point de vue pécuniaire, ne pas le démolir en entier, on le surélève. Cela ne se fait pas, comme on pourra i t le supposer au premier abord, en ajoutant de nouveaux étages sur les anciens après avoir démoli le toit. Nous avons vu une opération de ce genre dans laquelle, au lieu de démolir le toit, on l’avait coupé, comme on pourrait couper le dessus d’un pâté ; ensuite, on l’avait élevé au moyen de vérins, jusqu’à la hauteur nécessaire pour qu’on puisse, au-dessous construire un nouvel étage. Mais ce n’ est là qu’une exception.

Le procédé le plus ordinaire consiste à couper la maison par la base et à l’élever en entier, de façon à construire des étages inférieurs qui, ayant une plus grande valeur locative, payent mieux les travaux exécutés.

La figure ci-dessus, reproduite d’après une photographie, donne un exemple très frappant de l’importance qu’acquièrent souvent les travaux de ce genre.

Le bâtiment se trouve dans la cité de Chicago, dans Monroe Street, presque au coin de State Street. Il se compose de quatre étages élevés sur un rez-de-chaussée. Sa largeur est de 50 pieds (15m,25) ; sa profondeur de 109 pieds (33m,25) et sa hauteur de 100 pieds (30m,50). Il pèse 6000 tonnes. La valeur du terrain en cet endroit est très élevée (près de 7000 francs le mètre carré). Le propriétaire résolut de faire surélever sa maison dont la location ne rapportait plus un intérêt en rapport avec la valeur du terrain. Le prix des travaux s’élève à 100 000 dollars et la location du nouvel étage sera de 25 000 dollars par an, chiffres qui justifient une telle entreprise. La méthode employée est, en principe, exactement semblable à celle que nous avons décrite plus haut : on commence par établir une plate-forme sur laquelle doit reposer le bâtiment pendant l’exécution des travaux ; on coupe ensuite les murs de fondation et le travail de surélévation peut commencer. Il se fait au moyen de vérins courts qui reposent à leur partie inférieure sur une plate-forme en charpentes. Lorsque les vérins sont arrivés à bout de course, on place sur la plate-forme inférieure une ou deux rangées de poutres et l’on recommence ainsi pas il pas, jusqu’à ce que la hauteur atteinte soit suffisante. L’essentiel est que la plate-forme supérieure soit bien établie et constamment maintenue de niveau afin de répartir uniformément l’effort.

Dans le cas présent, la construction étant relativement ancienne, et tout briques et bois, il a fallu prendre des précautions particulières. Les vérins employés furent au nombre de 1840 ; ils étaient manœuvrés par 130 hommes. Il a fallu onze jours un quart pour élever, dans ces conditions, le bâtiment de 14 pieds 10 pouces (4m,56) au-dessus de son niveau primitif. Il n’a pas fallu moins de 500 000 pieds de charpentes (152 400 mètres) pour établir la plate-forme inférieure. On voit que ce travail n’a pas manqué d’importance.

Si la construction avait été plus solide, les travaux auraient pu être effectués avec moins d’hommes et partant, à moins de frais. L’ingénieur chargé de la direction des travaux ajoutait, en nous faisant visiter cette curieuse entreprise : « J’ai fait élever des bâtiments plus considérables que celui-ci ; et la précision avec laquelle on peut mouvoir ces masses énormes est telle que de grandes glaces de plusieurs mètres de long, qui garnissaient les devantures des magasins, n’ont même pas été fêlées pendant l’exécution des travaux. »

G. Pelissier

Chicago, 26 août 1893.

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