Du vol des oiseaux (1re Partie)

E.-J. Marey, la Revue des cours scientifiques — 14 août 1869
Vendredi 23 octobre 2009 — Dernier ajout lundi 4 mars 2024

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Il suffit d’observer le vol d’un canard et celui d’une buse pour être frappé d’une différence capitale dans les mouvements de l’aile de ces deux oiseaux. Le canard, en volant, élève et abaisse beaucoup ses ailes, décrivant avec chacune d’elles un angle de plus de 90 degrés. La buse, au contraire, a les mouvements peu étendus ; lorsqu’on l’observe de profil, c’est à peine si l’on voit la pointe de son aile dépasser les limites de la silhouette de son corps. Cette différence dans le type du vol a tellement frappé les observateurs, que certains d’en Ire eux ont classé les oiseaux en rameurs et en voiliers. Les premiers seraient ceux qui volent en frappant l’air de leurs ailes comme le batelier frappe l’eau avec sa rame ; les seconds, livrant au souffle du vent la surface de leurs ailes comme la voile d’un navire, voleraient d’une manière en quelque sorte passive, utilisant, pour se soutenir et pour se diriger, la force du vent. Nous verrons plus loin ce qu’il y a de réel dans celle distinction ; n’acceptons, pour le moment, que ce fait incontestable : à savoir, que certaines espèces d’oiseaux impriment à leurs ailes des mouvements d’une grande amplitude, et que certaines autres ne les meuvent que dans un parcours très peu étendu.

J’ai disséqué un canard sauvage et une buse pour vous montrer la forme de leurs muscles pectoraux, Chez le canard, le grand pectoral est extrêmement long, tandis que chez la buse il est très-court ; mais le muscle de la buse présente une section transversale beaucoup plus grande que celui du canard. Si nous ne considérons que la longueur relative des muscles pectoraux, nous voyons qu’elle varie dans le sens que la théorie pouvait faire prévoir : elle est plus ou moins grande, suivant l’amplitude du mouvement que l’aile de l’oiseau exécute pendant le vol.

Mais à quoi correspond cet inégal développement des pectoraux dans le sens de l’épaisseur ? Il suppose évidemment un effort musculaire plus grand pour la busc que pour le canard ; comment comprendre cet effort ?

Si nous comparons les différentes espèces d’oiseaux qui ont le grand pectoral gros et court avec celles qui ont ce muscle long et mince, nous voyons que, chez les premières, la surface des ailes est très-grande, tandis qu’elle est très-faible chez les secondes. Or, on sait que la résistance de l’air contre une surface animée d’une certaine vitesse est proportionnelle à l’étendue de celle surface. Toutes choses égales d’ailleurs, une aile large aura besoin, pour se mouvoir, d’un plus grand effort qu’une aile de petite surface.

Tout concorde donc pour montrer que la différence de forme des muscles pectoraux chez les différentes espèces d’oiseaux est en l’apport avec la différence de forme sous laquelle se présente le travail exécuté par chacune d’elles.

Deux oiseaux de même poids effectueront , en volant, le même travail et auront vraisemblablement aussi des muscles de même poids ; mais si les masses musculaires présentent dans leur forme la différence que nous avons indiquée, nous verrons le travail s’effectuer de façons différentes. L’oiseau aux ailes petites fera son travail en multipliant par un grand parcours le petit effort que leur offre à vaincre la résistance de l’air, tandis que l’oiseau à grandes ailes travaillera également en multipliant la plus grande résistance que l’air offre à son aile par un parcours d’une moindre étendue.

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