Louis-Florentin Calmeil

la Revue Scientifique, 23 mars 1895
Mardi 23 juin 2009 — Dernier ajout mardi 16 avril 2024

la Revue Scientifique, 23 mars 1895

Louis-Florentin Calmeil est né le 9 août 1798. Son père, reçu avocat, s’était retiré de bonne heure dans son domaine d’Yversay, en Poitou. C’est là. qu’il naquit, troisième fils d’une famille qui devait se compléter par la naissance de trois filles. Son père attachait la plus grande importance à. l’éducation de ses enfants, et db qu’il s’aperçut des moyens vraiment remarquables de ses deux plus jeunes fils, il voulut les mettre à même de poursuivre leurs études classiques. Une petite maison fut louée à. Poitiers, pour y installer, sous la surveillance d’une vieille domestique de la famille, les deux jeunes gens. L’un, âgé alors de neuf ans, devint le grand Calmeil ; l’autre, qui avait treize ans, se .distingua comme avocat et occupa à Poitiers une place considérable. Ces deux jeunes gens firent de brillantes études classiques. Le jeune L.-F. Calmeil aimait passionnément les. sciences naturelles, à tel point qu’un jour, après la classe de phiilosophie, leur professeur ayant une dernière fois réuni ses élèves pour s’informer de leurs projets d’avenir et les interroger sur le choix de la carrière qu’ils pensaient embrasser, le jeune Calmeil qui, la veille, avait lu l’éloge de Tournefort, répondit avec enthousiasme : « Oh ! moi, Monsieur, je me ferai botaniste. - Ce n’est pas une carrière, objecta le professeur, et il ajouta, en souriant : Mais ce sera peut-être le moyen de devenir millionnaire. » A vrai dire, ce n’est pas ce qui tenta jamais M. Calmeil, qui fut toujours l’homme désintéressé par excellence.

Toutefois, ramené à des idées plus pratiques, il prit ses inscriptions à l’Ecole préparatoire de médecine de Poitiers et remporta le premier prix dans un concours organisé par les professeurs. Chaque jour, il se rendait au Grand-Hôpital, non seulement pour y étudier au lit des malades, mais aussi pour assister aux fréquentes autopsies qui s’y pratiquaient. L’anatomie pathologique avait déjà pour lui un attrait tout particulier et qu’il a toujours conservé. Cependant ses goûts pour l’histoire naturelle n’avaient pas disparu, et lorsque venait le dimanche avec le soleil du printemps ou les vacances avec les richesses de l’automne, alors que ses frères et sœurs s’adonnaient gaiement à toutes les occupations de la famille, à la surveillance des vendanges, lui prenait en solitaire la clef des champs pour se livrer avec ravissement à la contemplation de la nature et à l’étude des plantes et des insectes dont il rapportait une abondante récolte, la seule qu’il tînt alors pour précieuse. A cette époque, la place de directeur du Jardin des Plantes était occupée par un vieillard dont l’âge avait affaibli la vue et la mémoire. Il était menacé de perdre sa place, qui était sa seule ressource. Le jeune Calrneil lui vint en aide en consacrant tous ses loisirs aux semis si méticuleux du printemps, en les étiquetant, en dirigeant les jardiniers, en prenant, tout jeune qu’il était, la direction des excursions botaniques. Autour de lui se groupaient des hommes dont l’âge et la position auraient pu le faire hésiter. La confiance que donne le savoir acquis, la puissante assurance de faire une bonne action triomphèrent de sa modestie. Enfin il fut envoyé à Paris pour terminer ses études médicales. Son ’ardeur au travail ne se ralentit pas ; il continua il fréquenter les hôpitaux, dont il fut bientôt nommé externe. Il suivait en cette qualité le service de Dupuytren, quand un jour, trop attentif aux savantes leçons du maître et désireux de l’entendre de plus près, il effleura de sa main le lit d’un malade nouvellement opéré. Dupuytren s’en aperçut, et saisissant le bras du pauvre élève, il le secoua si rudement que, celui-ci ne pouvant vaincre la terreur que lui inspirait un si terrible professeur, obtint son changement de l’Assistance publique. Il fut envoyé à la Salpêtrière dans le service de Rostan dont le caractère bienveillant lui inspira une confiante affection. Rostan s’occupait beaucoup de ses élèves ct, parmi eux, il distingua le jeune Calmeil. Celui-ci prit sous sa direction un grand nombre d’observations, nootamment sur le ramollissement partiel du cerveau. Le maître se chargea de les faire publier. Nommé interne des hôpitaux, il fut envoyé à Charenton dans le service de Royer-Collard.

A cette époque, M. Calmeil pouvait avoir vingt-quatre ans ; il devait rester attaché à cet établissement jusqu’à l’âge de soixante-quatorze ans. C’est là qu’il passa sa vie, une vie de bénédictin, consacrée tout entière aux devoirs de son service, aux soins qu’il prodiguait, avec un dévouement sans bornes, à ses malades et aux travaux qui out illustré son nom. Royer-Collard se prit pour son jeune interne d’une grande affection, il l’accueillait dans sa famille ; mais bientôt la mort vint le surprendre et priva M. Calmeil d’un puissant appui. Il fut appelé au lit de mort du maître, et l’assista à ses derniers moments. Esquirol devint le titulaire du service de Charenton. Il apprécia bien vite, lui aussi, l’assiduité et la puissance de travail du jeune Calrneil ; il en fit pour ainsi dire son liras droit, lui confiant souvent les visites et la responsabilité de son lourd service. Il l’appelait chez lui à Paris , deux fois par semaine, pour recevoir les familles des aliénés. Sachant que, pendant son passage à la Salpêtrière, il avait étudié avec beaucoup de soin l’hystérie et l’épilepsie, Esquirol lui demanda de rédiger un mémoire sur les observations qu’il y avait recueillies. Il soumit, sans l’en prévenir, ce travail au concours pour le prix qu’il avait fondé, et ce fut M. Calmeil qui le remporta, ex æquo, avec Félix Voisin. Esquirol avait souvent engagé Pinel, dont il était le disciple, à fonder une maison de santé, pour les aliénés privilégiés de la fortune ; mais le maître, déjà vieux, conseilla à son élève de réaliser ce projet qu’il approuvait. La maison fut fondée, et M. Calmeil s’occupa, avec beaucoup de zèle, de son organisation. Par reconnaissance de l’aide qu’il en avait reçue, Esquirol le pressa maintes fois, dans l’intérêt de sa fortune, de prendre une part dans l’administration de la maison et par suite dans les bénéfices, mais il ne put jamais l’y décider. « Non, disait-il, je n’accepte pas, car non seulement je m’y ruinerais pendant le temps que j’aurais administré cet établissement, mais, ce qui est pire, j’aurais ruiné mes co-associés, » et il ajoutait, tout radieux d’ailleurs : « J’ai mon plan tout tracé et bien arrêté dans ma pensée : je ne veux que le travail avec l’indépendance. » Ce plan, il l’a exécuté ponctuellement. Après sa journée remplie par ses devoirs, il se retirait le soir dans un pauvre petit pavillon, qu’il appelait sa cabane, perdu dans les vastes enclos de la maison, et là, après un court sommeil de quelques heures, il se mettait au travail avant l’aube, hiver comme été, et composait les ouvrages qui l’ont placé à un beau rang dans la science.

Nommé inspecteur de la maison de Charenton, puis médecin-adjoint, il reçut bientôt la croix de chevalier de la Légion d’honneur. La manière dont cette croix lui fut donnée en doubla le prix à ses yeux et mérite d’être racontée. Ce fut un médecin de la Cour, ami d’Esquirol, qui, frappé de sa modestie autant que de son mérite, sollicita et obtint pour lui cette distinction. La chose fut faite à son insu. et au dessert d’un aimable petit dîner auquel il fut convié, les deux amis eurent la joie d’attracher la croix à sa boutonnière. La surprise égala presque la joie du nouveau chevalier ; mais sa reconnaissance pour un si rare procédé domina tous ses sentiments [1].

A la mort d’Esquirol, M. Calmeil semblait désigné pour lui succéder. Ce fut un autre qui, favorisé d’une recommandation puissante (royale), obtint le posté de médecin en chef. Calmeil se résigna et continua sa vie de dévouement et d’étude. En 1848, le nouveau médecin en chef, effrayé par les évènements, abandonna son service, et la place devint de nouveau vacante. Le service fut divisé. Archambault obtint le service des hommes, M. Calmeil celui des femmes. Peu de temps après, Archambault, ayant fondé une maison de santé dont il comptait prendre la direction, fut obligé d’abandonner sa place à Charenton, car un règlement, nouvellement établi, interdisait aux médecins de l’établissement cette sorte de concurrence. La Commission administrative s’empressa de demander pour M. Calmeil le titre de médecin en chef. Placé à la tète des deux services, il occupa ce poste important pendant vingt-deux ans.

C’est là que nous l’avons connu, que nous l’avons vu il l’œuvre, et tout ceux qui, comme nous, ont passé par son service peuvent dire avec quelle exactitude, quel zèle et quel dévouement il s’acquittait de sa lourde tâche. Nous n’oublierons jamais avec quelle bienveillance il nous accueillait à son arrivée dans le service, écoutant toujours avec intérêt nos observations. Sa physionomie reflétait, en même temps qu’une grande bonté, une intelligence supérieure. Ses manières d’une distinction native, la simplicité d’une vie laborieuse, son aménité lui gagnaient tous les cœurs. Jamais nous ne lui avons vu un moment d’humeur ou de colère, et s’il avait une observation à faire pour un manquement au service, il Ia faisait avec une extrême douceur, respectant la dignité du plus humble des employés aussi bien que celle de ses élèves. Son impassibilité était vraiment étonnante quand il interrogeait les aliénés. Après quelques questions posées avec bienveillance, il les écoutait avec une attention soutenue, appréciant les moindres changements survenus dans leur état. Rien [ne lui échappait, aussi bien dans l’état mental des malades que dans leur santé générale. Il s’assurait avec un soin tout particulier que ses prescriptions avaient été remplies et ne négligeait aucun des nombreux détails du service. Avec ses élèves son attitude était d’une correction et d’une bienveillance entières. Il s’intéressait à leurs travaux, à leurs études, et leur inspirait le sentiment des devoirs que devait leur imposer leur profession.

C’est pendant cette période qu’il couronna ses travaux par la publication de son remarquable ouvrage sur les Maladies inflammatoires du cerveau. La Commission administrative demanda pour lui la croix d’officier de la Légion d’honneur, qu’il obtint presque en même temps que son frère ainé.

En 1872, M. Calmeil sollicita sa retraite. C’est à Fontenay-sous-Bois, dans le rayon de Charenton, qu’il alla abriter sa verte vieillesse, dans une jolie villa qu’il avait pris plaisir à faire construire, et que ses amis appellent la « maison du sage », Il y avait retrouvé ses livres, son herbier, ses plantes bien-aimées, dont l’étude a été pour lui le délassement et la poésie de toute sa vie. En retournant les pages de ces belles collections, il aimait à se souvenir de Charenton, des malades qu’il y avait soignés, de ceux qu’il avait guéris. Il évoquait les noms de ces jeunes gens, ses internes, qui l’accompagnaient dans ses longues visites quotidiennes, et l’aidaient à soutenir le poids d’un lourd service. Presque tous ont fourni une carrière honorable et distinguée. Il en a revu plusieurs, et ces moments où, avec eux, il revoyait le passé, lui semblaient bons et consolants entre tous. Je suis un de ceux qui lui ont rendu visite dans cette jolie villa de Fontenay-sous-Bois. L’accueil que j’y ai reçu a été si affectueux et si bienveillant qu’il ne s’effacera pas de ma mémoire. C’est pendant une de ces visites que la pensée m’est venue de raconter l’existence laborieuse ct honnête de ce maître vénéré, et je dois avouer que, pour accomplir cette tâche, j’ai reçu de J\Ie Calmeil les plus précieux renseignements. Pendant plus d’une heure, à l’une de mes dernières visites, mon excellent maître m’a entretenu, avec beaucoup’ de lucidité, de son existence à Charenton, de ses travaux, et il a pris plaisir à me narrer plusieurs anecdotes très intéressantes de sa vie. L’âge et la maladie avaient affaibli ses forces physiques, il ne pouvait plus depuis quelques années faire ses promenades favorites dans son jardin ou dans le bois de Vincennes, mais l’esprit était toujours libre et actif, et, grâce aux soins que lui prodiguait avec un dévouement sans égal sa digne et excellente épouse, il passait agréablement ses jours salis ennui, sans récriminations, distrait par la lecture et la conversation, se sentant aimé de tous ceux qui l’entouraient et l’objet de leur vénération.

M. Calmeil est mort le 11 mars dernier [2] , dans sa quatre-vingt-dix-septième année.

Ch. BIHOREL

[1Comme le fait remarquer avec raison M. Bourneville, de tels pro ce dés, qui honorent ceux qui décorent et respectent la dignité de ceux qui sont décorés, ne sont plus de mode.

[21895, ce qui en faisait le doyen des aliénistes de l’époque

Vos témoignages

  • Michel Caire 18 juin 2012 17:59

    Certes, Clameil s’est beaucoup intéressé à la botanique dans sa jeunesse, mais il fut avant tout médecin aliéniste (plusieurs ouvrages importants, une carrière de 50 ans à Charenton, etc.). Il pourrait donc être préférable de classer cette biographie parmi celles des médecins, plutôt que des « botanistes, zoologistes et agronomes ». Qu’en pensez-vous ? Quoi qu’il en soit, merci et bravo pour votre site.

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