On n’a pas oublié la catastrophe arrivée le 30 août 1907 au viaduc de Québec sur le fleuve Saint-Laurent pendant son montage. Dans le numéro du 9 novembre 1907 de La Nature, nous en avons indiqué les différentes phases, ainsi que les causes qui ont, du reste, été confirmées par l’enquête très minutieuse faite à la suite de cette catastrophe [1]. Il nous suffira de rappeler que l’effondrement est dû au flambage de la semelle inférieure comprimée de la poutre d’ancrage ouest du pont dont la résistance a été reconnue insuffisante pour l’effort qu’elle devait supporter.
A la suite de l’enquête, le gouvernement canadien nomma une Commission d’ingénieurs, en la chargeant de l’étude de la reconstruction de cet important ouvrage. Après de longues études, on s’arrêta à un projet de pont en encorbellement d’une disposition analogue à celle du pont effondré et dont l’ouverture de la travée centrale devait être de 535,80 m, c’est-à-dire plus petite de 12,80 m que celle du pont primitif (fig. 1). Cette travée centrale est constituée de deux poutres en encorbellement, ayant chacune une longueur de 178,60 m, réunies par une poutre centrale ayant également 178,60 m de portée. Les travées d’ancrage ont une ouverture de 135,10 m. Quant aux semelles supérieures et inférieures des poutres, an lieu d’être courbes comme dans le pont primitif, elles conservent une direction rectiligne. Ce pont devait supporter deux voies de chemin de fer, deux voies de tramway, une voie charretière et latéralement à chacune des poutres une passerelle pour piétons, Son montage devait se faire en porte à faux.
Ce projet, auquel avait été joint un cahier des charges, devait servir de base à un concours entre les différents constructeurs, tant Américains qu’Européens. Toutefois, en outre des propositions devant être faites en se basant sur ce projet de la Commission, les constructeurs restaient libres de présenter des projets différents, soit comme disposition d’ensemble, soit comme détails.
Quatre Sociétés différentes envoyèrent des projets, les uns conformes à celui de la Commission et les autres différents de celui-ci. De plus, comme le demandait la Commission, chaque concurrent indiquait pour chacun des projets, le mode employé pour le montage de l’ouvrage.
Les quatre Sociétés concurrentes étaient : la « Maschinenfabrik Augsburg Nürnberg AG », de Gustavburg, en Allemagne ; la « British Empire Bridge C° », de Montréal ; la « Pensylvania Steel C° », de Steelton, aux États-Unis, et enfin, la « St-Lawrence Bridge C° », de Montréal.
Tous les projets présentés par ces diverses Compagnies étaient des ponts. en encorbellement, sauf la « Pensylvauia Steel C° » qui, présenta un projet de pont suspendu à câble rigide, étudié par M. Lidenthal.
Pour des raisons que nous n’avons pas à discuter, aucun de ces projets ne fut adopté et la Commission, à la majorité de ses membres, accepta un projet présenté par la « St-Lawrence Bridge C° » et différant du projet officiel, non pas par les dispositions d’ensemble, mais par des modifications de détail et, surtout, par les surcharges que l’ouvrage était appelé à supporter. On confiait également la construction du pont à cette même Société.
Voici les caractéristiques principales de ce pont (fig. 2). L’ouverture de la travée centrale est plus grande que celle projetée par la Commission et portée à 548,60 m, c’est-à-dire à la même cote que celle du pont écroulé. Cette travée centrale est formée de deux poutres en encorbellement de 176,80 m de longueur chacune et d’une poutre centrale les réunissant de 195 m de portée. L’ouverture des travées d’ancrage est de 156,97 m, de telle sorte que la longueur totale du pont, entre les culées d’ancrage, est de 862,54 m. Les poutres principales ont une hauteur de 94,18 m à l’aplomb des piles en rivière et de 21,54 m aux extrémités. La hauteur de la poutre centrale de jonction est de 33,35 m au milieu de la portée et de 21,34 m. aux appuis sur les poutre en encorbellement. La largeur du pont d’axe en axe des poutres de rive est de 26,82 m. Quant à la triangulation de l’âme des poutres principales, elle est formée par des montants verticaux avec diagonales disposées en forme de K.
Toutes les pièces composant les poutres d’ancrage et celles immédiatement au-dessus des piles en rivière sont en acier au carbone, Il en est de même du plancher supportant les voies. Quant aux poutres en encorbellement et à celles de la travée centrale, le métal employé est l’acier au nickel.
Les semelles supérieures des poutres principales, au lieu d’être formées de barres à œil comme dans le pont primitif, sont formée de pièces rivées, malgré l’avantage que présente la première disposition au point de vue du montage.
Mais ce qui différencie surtout ce projet, ce sont, comme nous l’avons dit, les conditions de surcharge, toute différentes de celles primitivement admises. Le pont nouveau ne doit plu supporter que deux voies de chemin de fer et des passerelles pour piétons, le gouvernement canadien abandonnant complètement l’idée des voies de tramways et charretières. Les surcharges devenant alors plus faible, le poids de la superstructure diminue également et les conditions deviennent toutes différentes de celles admises au moment du concours. Il aurait donc été juste, semble-t-il, de soumettre de nouveau aux concurrents ces nouvelles stipulations en leur demandant de nouvelles propositions. Mais cela n’a pas été fait, probablement dans le but d’éviter de nouveaux délais pouvant amener des retards dans la reconstruction d’un pont appelé à desservir un trafic extrêmement important.
Une dernière question se pose. Pourquoi, au lieu d’un pont en encorbellement, n’a-t-on pas adopté un pont suspendu. li y avait, cependant, des exemples d’ouvrages d’une aussi grande portée : les ponts de Brooklyn, de Williamsburgh et de Manhattan. On eût pu aussi faire une application heureuse du pont suspendu rigide du système Gisclard, dont nous avons indiqué le principe dans un précédent article (13 nov. 1909) au sujet d’un pont de ce type construit récemment sur la ligne de Villefranche à Bourg-Madame. Ceci est d’autant plus regrettable que c’est pour les très grandes ouvertures, comme celle du pont de Québec, que les ponts suspendus rigides trouvent une application avantageuse, tant au point de vue esthétique qu’au point de vue économique.
Le prix à forfait du nouveau pont de Québec est de 44 687 500 francs et celui-ci doit être livré à la circulation le 31 décembre 1915. Toutes les pièces d’acier du pont seront fournies par l’ « United States Steel C° », qui vient d’installer à Montréal une usine.
Lire également : La tragique aventure du point de Québec P. Calfas, Sciences et Voyages N°201 — 5 juillet 1923