Le principe. Les deux types.
Qu’est-ce qu’un sous-marin ? Quelles sont ses fonctions propres, les difficultés qu’il a fallu vaincre pour le réaliser, les organes qui le caractérisent ?
Bien qu’on ait conçu des sous-marins pacifiques pour l’exploration des profondeurs et d’autres pour certains transports de passagers, le sous-marin de guerre est le seul qui soit entré en pratique, et il attire aujourd’hui tous les regards. Nous ne nous occuperons que de lui.
C’est un bateau jouissant d’abord des facultés normales propres aux bâtiments de surface, et qui y joint celles de disparaître à volonté sous l’eau et de manœuvrer en plongée pour remplir un rôle militaire.
Le moyen le plus simple, qui reste le principal, pour obtenir la plongée, consiste à lester le navire d’une quantité d’eau suffisante pour annuler ou fortement réduire la flottabilité. Tout le monde connaît le petit appareil de physique qu’on appelle un ludion, et où ce principe est appliqué. Le ludion plonge ou émerge suivant que la quantité d’eau qu’on y a introduite lui donne une flottabilité négative ou positive. Mais ici, le problème est plus difficile à résoudre, parce que le sous-marin doit s’arrêter dans sa descente à la profondeur voulue, qui est toujours très limitée, alors que le ludion, le plus souvent et sans inconvénients, tombe au fond du récipient qui sert à l’expérience.
On comprend sans peine qu’on n’en puisse laisser faire autant à notre sous-marin dans l’immense récipient qu’est la mer. Mais il ne s’agit pas de cela. Dès qu’il s’enfonce, il entre dans des eaux supportant la pression des couches supérieures et il reçoit lui-même de toutes parts cette pression, qui est celle du milieu. Elle augmente très vite avec la profondeur. La coque, surface élastique, fléchit. Les résultats de cette flexion sont d’abord de réduire le volume du flotteur. Si cette réduction était trop considérable et trop rapide, les moyens de délester le bateau deviendraient impuissants à rétablir l’équilibre entre le poids du sous-marin et celui du volume d’eau sans cesse diminuant qu’il déplacerait. Il va sans dire que d’aussi grandes déformations ne se produiraient pas sans faire franchir aux tôles de la coque leur limite d’élasticité. Le sous-marin s’aplatirait définitivement, il serait écrasé.
Quels sont ses besoins ? Il faut qu’en plongée, il ne risque pas de heurter les bâtiments de surface sans les voir. Comme leur profondeur ne dépasse guère, pour les plus grands, 10 m en dessous de la surface de l’eau, il suffit que le sous-marin puisse naviguer avec une quinzaine de mètres d’eau au-dessus de ses parties les plus élevées. Pour plus de sûreté, on le construit pour une immersion de 30 m. À ce point, le bas de sa propre coque est à environ 45 m sous la surface.
Naturellement, les essais comportent des expériences un peu plus dures. On fait descendre les sous-marins jusqu’à 50 ou 60 m, on est même allé au delà. Ce n’est toujours là que la tranche tout à fait superficielle de la mer.
Pour emmagasiner la quantité d’eau nécessaire au lest d’immersion, deux systèmes ont été appliqués. Dans le premier, les caisses à eau, ce qu’on appelle le water-ballast, étaient comprises dans le flotteur sous-marin, principalement dans les fonds, mais aussi sur les côtés. L’idée la plus simple avait été de réduire autant que possible la surcharge nécessaire. On faisait donc des bateaux déjà très alourdis quand ils naviguaient en surface, très près de plonger, des bateaux à faible flottabilité. D’une façon précise, on définit chez nous la flottabilité d’un sous-marin au moyen d’un coefficient, qui est le rapport de la différence entre les deux déplacements au déplacement en plongée. C’est, si l’on veut, la fraction du volume total représentée par le volume émergeant.
Les sous-marins de ce premier type, qu’on appela assez longtemps des sous-marins proprement dits, avaient de 3 % à 8 % de flottabilité seulement. Il était facile d’admettre à l’intérieur des ballasts, en peu de temps, et d’expulser la faible masse d’eau correspondante : ils passaient aisément d’une position à l’autre. Par contre, dans chacune d’elles, ils étaient voisins de l’autre : ils étaient faiblement ce qu’ils étaient. Leur qualité actuelle se trouvait, à chaque instant, assurée et maintenue par des forces minimes. En plongée, cela ne semble pas avoir donné grand inconvénient. En surface, il s’en rencontra de considérables. Soumis au jeu des lames, le sous-marin faisait un bateau de surface toujours enclin à changer de nature, à passer sous la vague : il était lourd, donc peu habitable, impropre à la navigation hauturière, aux opérations offensives à grand rayon ou par tous les temps.
Sous la pression des besoins militaires, on chercha à corriger ce défaut. M. Laubeuf trouva la solution. Elle consiste à donner au bateau une grande flottabilité. Alors il s’élève bien à la lame ; il est léger sur l’eau ; c’est un bâtiment marin. Mais il faut annuler, et annuler rapidement, cette grande flottabilité.
Le type créé par M. Laubeuf fut d’abord appelé submersible. On ne fait plus ces distinctions. Partout on tend aux grandes flottabilités. Le premier submersible, le Narval, avait 42 % de flottabilité, à peu près comme un torpilleur ordinaire, qui peut atteindre ou légèrement dépasser 45 %. Chez nous, on est redescendu vers 50 % ; les étrangers se tiennent souvent aux environs de 15 % ou 20 %.
Où mettre les caisses à eau ? On n’a vraiment plus la place dans le flotteur d’immersion. On les met à l’extérieur. Le submersible Laubeuf est un bateau à double coque, deux bateaux l’un dans l’autre, un pour chaque espèce de navigation. Le ballast, c’est l’intervalle entre les deux coques. Veut-on plonger, on en remplit la partie utile, en même temps qu’on ferme toutes les ouvertures supérieures, jusque-là ouvertes à l’air. Naturellement, chacune des deux coques est close et étanche. On est parvenu à l’aire entrer ainsi des masses liquides considérables dans les ballasts en peu de minutes. Ce n’est pas cet obstacle qui a été le plus difficile à vaincre pour la plongée rapide : nous en verrons un autre bientôt, qui tient au moteur de surface.
Donnons une idée des dimensions et des poids réels. Des sous-marins en service dépassent 800 tonnes de déplacement en plongée, c’est-à-dire absorbent ou rendent 250 tonnes d’eau. Les plus prochains atteindront 1500 tonnes. Leur longueur sera d’environ 75 m, soit 9 m de plus que la hauteur des tours de Notre-Dame. Leur largeur sera proche de 6,50 m, leur hauteur de 8,50 m. Il y a en projet des sous-marins de 4500 tonnes.
L’équilibre. La plongée en marche.
Le lestage du flotteur pourrait suffire à le faire descendre entre deux eaux et à l’y maintenir à la profondeur voulue, s’il y devait rester immobile en un même point. Encore ne serait-ce pas sans quelques difficultés que nous allons voir. Mais le sous-marin est fait pour se déplacer horizontalement. Sa fonction normale est une marche en plongée, ce qui demande de nouveaux moyens.
Prenons-le toutefois au repos ; supposons qu’il veuille s’équilibrer sur place entre deux eaux. Cet équilibre est instable par essence. Il le serait par raison interne, en vertu des déplacements de poids produits par les mouvements du personnel ; il l’est plus encore par l’effet externe des variations du milieu ambiant. Dans une expérience faite avec un sous-marin américain, le poids de deux hommes qui s’avançaient ensemble du milieu jusqu’à l’extrême avant suffisait à incliner le bateau de deux degrés. D’autre part, l’eau de la mer est sans cesse traversée par des courants plus ou moins variables, qui en modifient la température et la densité. Entre deux points de la rade de Toulon, le même jour, on a trouvé des différences de densité de plusieurs millièmes, qui, sur un sous-marin de 100 tonnes, par exemple, produisent donc des variations de plusieurs centaines de kilogrammes dans la poussée, Or, toute cause de déséquilibre tend à accroître le déséquilibre dans le même sens. Le sous-marin qui s’enfonce se comprime plus que n’augmente la densité de l’eau, et il perd de sa force ascensionnelle ; il tomberait jusqu’au fond, avec une vitesse croissante, si l’équipage n’agissait à temps. Le sous-marin qui remonte ne s’arrêterait de même qu’en émergeant. Il faut donc qu’à la moindre descente on expulse un peu d’eau des ballasts. La descente se constate en regardant le manomètre, qui, donnant la pression extérieure, indique la profondeur. Pour rattraper la chute, on remonte ainsi ; mais on dépasse l’altitude primitive, et, pour la retrouver, il faut rouvrir les ballasts il une petite quantité d’eau extérieure. Autrement dit, le bateau ne se maintient à un niveau sensiblement fixe que par une série ininterrompue d’oscillations, produites par des manœuvres alternées se corrigeant l’une l’autre.
La plongée sur place est l’exception. On voit que ce n’est pas le repos complet. Pourtant un équipage de sous-marin peut se reposer en plongée ; mais c’est en échouant son bateau sur le fond. Les Allemands emploient très probablement ce procédé pour donner du sommeil aux hommes. Il n’est applicable que par petits fonds, et là où le sous-marin ne risque ni de s’envaser, ni d’être traîné vers des précipices sous-marins, ni même sur des pentes descendantes.
Pour la plongée en marche, l’équilibration par le jeu des pompes serait insuffisante : elle ne procurerait pas assez de stabilité de route dans le sens vertical. On a recours à des gouvernails. On les a multipliés : il y en a, à l’avant, à l’arrière, au milieu même, latéralement. On leur adjoint enfin des ailerons fixes, qui ont pour fonction de freiner les brusques mouvements d’inclinaison, c’est-à-dire d’augmenter le rayon des courbes de changement de niveau [1]. De la sorte, on amortit aussi et on rectifie les modification d’assiette produites par les déplacements de poids, en particulier par les lancements de torpilles. Le sous-marin se sert de sa vitesse pour maintenir sa stabilité d’immersion et d’altitude, bien mieux qu’il ne peut faire au repos.
Il s’en sert encore pour augmenter sa sécurité et son aptitude à remonter en surface. Car il fonctionne non seulement à l’inverse d’un ballon, par une force descensionnelle, mais comme un aéroplane, ou plutôt hydroplane renversés. Ses plans produisent, en marche, une légère force verticale vers le bas, de sorte qu’il plonge avec un poids un peu inférieur à celui de la masse d’eau qu’il déplace, donc avec une légère tendance à remonter, qui tend à le ramener automatiquement à la surface dès qu’un arrêt vient annuler la poussée d’enfoncement des ailerons.
La manœuvre de stabilité de niveau est double, par conséquent : manœuvre de pompe, réalisée électriquement ou parfois au moyen de l’air comprimé, manœuvre de gouvernails. Le tout généralement commandé par des manipulations électriques groupées sous l’œil du commandant, sur la face avant de la chambre de manœuvre.
Nous en aurons fini avec la question du flotteur quand nous aurons parlé des engins de sécurité. La moindre blessure à la coque peut être mortelle. Aux profondeurs où navigue le sous-marin, l’eau pénètre, en raison de sa pression, avec des vitesses considérables : 14 m/s à 10 m de profondeur, 22 m/s à 25 m de profondeur.
Un simple trou de rivet, ayant une section de 3 cm2, laisserait entrer de 15 à 25 tonnes à l’heure. Aussi importe-t-il que les pompes d’épuisement soient calculées pour un large débit. Mais le moyen le plus rapide est fourni par les chasses d’air comprimé, qui expulsent brusquement l’eau des ballasts. Sur l’Octopus, par exemple, on fit ainsi sortir 50 tonnes en 18 secondes.
Enfin, la plupart des sous-marins portent à leur partie inférieure des poids de sécurité, qu’on peut lâcher à volonté. Ils sont souvent composés d’une série de blocs de fer ou de plomb encastrés dans la quille. Pour les décrocher, il suffit de tourner une clé à l’intérieur du bateau. Ce moyen de secours est à la fois très puissant et très rapide. Il a cependant des inconvénients. Il peut arriver que le système de déclenchement ne fonctionne pas instantanément, parce que les poids restent collés à la quille par l’effet de dépôts produits dans l’eau de mer, de coquillages fixés à leur paroi, de sable ou de gravier inséré dans leurs joints. Dans le cas d’accident, l’inclinaison prise par le navire les empêchera parfois de glisser dans leur encastrement ; le bateau peut être couché sur le flanc, ou dressé sur une de ses pointes. Quand il repose sur le fond, il lui arrive même d’être presque retourné ; ou bien les plombs de sécurité, reposant sur le sol, ne se détachent pas. Quand un sous-marin les aura lâchés, d’abord ce sera un moyen de sécurité perdu pour longtemps, jusqu’à ce qu’on les ait remplacés dans un port ; ils ne peuvent pas servir deux fois. Ensuite le bateau, une fois remonté en surface, sera tellement délesté que le remplissage de ses caisses ne pourra plus le faire plonger. Il ne sera plus apte à jouer le rôle de sous-marin ; il sera à la merci de l’ennemi.
Les deux moteurs.
Nous venons de voir le sous-marin en mouvement et dépendant de son mouvement, dans sa fonction même de plongeur. Pour se tenir au niveau qu’il a choisi, pour y parer aux accidents possibles et remonter aussitôt, grâce à son mouvement de translation d’abord, grâce ensuite à l’action de ses pompes, il lui faut la disposition permanente et l’emploi presque incessant de sa force motrice. Plus qu’aucun autre bateau, il a besoin d’être sans cesse vie et mouvement.
La question du moteur y prend donc une importance primordiale ; elle y est aussi d’une difficulté exceptionnelle. Tous les problèmes sont plus difficiles à résoudre en navigation sous-marine qu’ailleurs, parce qu’aux besoins et aux fonctions ordinaires du bateau se surajoutent des besoins et des fonctions spécifiques, et parce que la limitation des poids disponibles, règle générale de la construction navale, s’y aggrave d’une étroite limitation des volumes d’encombrement, plus gênante encore. Avec moins de moyens, il faut faire face à plus de nécessités diverses.
On a été conduit à mettre deux moteurs sur chaque sous-marin et il ne semble pas qu’on soit encore en mesure de revenir au moteur unique. Il a cependant été la règle primitive. Le moteur des premiers types modernes était électrique. En effet, la marche en plongée ne peut guère s’accommoder que de celui-là. Les raisons en sont les suivantes. Le moteur de plongée doit fonctionner en vase clos, sans absorption d’air ni production à l’intérieur du bateau de gaz irrespirables, sans odeurs nuisibles, sans bruits qui troubleraient la transmission des ordres et décèleraient la présence du sous-marin, sans consommation notable de combustible, qui changerait l’équilibre des poids, sans évacuation extérieure de bulles révélatrices. Seul, le moteur électrique alimenté par des accumulateurs répond à ces multiples conditions.
Mais il a des inconvénients graves, qui tiennent aux accumulateurs. Lourds et encombrants, ceux-ci pèsent au minimum 80 kg par cheval de puissance, tandis qu’une chaudière à vapeur ne pèse que 10 kg. Ils ne débitent qu’un cheval-heure au plus par 50 kg ; et le poids d’accumulateurs correspondant à 1 kilowatt pendant 24 heures est de 1000 kg, soit 750 par cheval. Avec la machine à vapeur, ce dernier chiffre est remplacé par 50 kg, représentés, pour les 2/7 par la chaudière, pour les 5/7 par le charbon.
De là une infériorité énorme de vitesse et surtout de rayon d’action, afférente à la solution électrique. Si l’on veut augmenter le poids de la batterie, pour augmenter sa puissance, il faut que le bateau devienne plus vaste pour la contenir, plus volumineux pour la soutenir à flot ; on est conduit à accroître les dimensions et le poids de sa coque ; et chaque tonne de batterie surajoutée peut correspondre à trois tonnes de déplacement supplémentaire. Les bénéfices de vitesse et de rayon d’action ne sont pas grands.
Un autre inconvénient des accumulateurs est d’être composés de bacs contenant un liquide acidulé. Les inclinaisons du navire risquent, malgré toutes les précautions, de faire renverser une partie du liquide, en diminuant par là le fonctionnement de toute la batterie. On arriverait très vite à rendre impossible la marche du moteur, l’éclairage des lampes, la manœuvre des sécurités, etc. De plus, l’acide ruisselant dans la cale attaquerait la coque et pourrait préparer des voies d’eau. D’autre part, la moindre rentrée d’eau de mer dans les bacs, amène un dégagement de vapeurs nocives. Enfin, le simple rechargement des accumulateurs produit le même effet et exige une ventilation. Heureusement, il ne se fait qu’en surface, où l’atmosphère du sous-marin est en communication avec l’extérieur.
Quand on a voulu faire de vraies unités offensives, capables de tenir la haute mer et d’accomplir de grands voyages, on a dû chercher autre chose. Le premier Gustave-Zédé, qui n’avait qu’un moteur électrique, ne disposait pas de plus de 50 milles marins de rayon d’action. Aussi était-il astreint à revenir sans cesse au port ou près d’un grand bâtiment, pour alimenter ses accumulateurs. Il n’était pas vraiment autonome. L’autonomie a été réalisée quand on a pourvu le bateau d’un moteur à vapeur, apportant avec lui le double avantage d’un grand rayon d’action en surface et d’un moyen de renouveler, sans secours extérieur, la provision d’électricité des accumulateurs. Pour effectuer cette dernière opération, il faut être en surface et stopper les hélices. L’arbre qui les commande est débrayé, et le moteur à vapeur, désormais libre de tourner à vide, est attelé sur le moteur électrique. Celui-ci fonctionne alors comme dynamo réceptrice : au lieu de consommer de l’électricité pour créer de la force mécanique, il transforme inversement de la force mécanique en électricité, qu’il envoie dans les accumulateurs. Le rayon d’action en plongée se multiplie ainsi aux dépens du charbon, c’est-à-dire du rayon d’action en surface.
En fait, les bâtiments actuels ont, en plongée, de 1 h 1/2 à 2 heures de marche à la vitesse maxima, qui ne dépasse guère 12 ou 13 nœuds, et une vingtaine d’heures de marche à une vitesse économique qui n’en est à peine que la moitié. En surface, avec le moteur à vapeur, leur vitesse extrême atteint 16 ou 17 nœuds aux essais : les plus grands d’entre eux peuvent couvrir, à 8 ou 10 nœuds, plus de 2000 et même 2500 milles marins, sans se réapprovisionner en charbon ou en pétrole.
Chaque année apporte des perfectionnements. et des progrès rapides sont encore à prévoir. En premier lieu, les dimensions croissantes des unités nouvelles ou en projet permettront de nouveaux gains sur les vitesses et les rayons d’action. Ce développement des dimensions est forcément progressif ; un bond trop brusque poserait des problèmes insolubles ; il faut procéder par degrés. Mais d’autres questions sont à l’étude. Pour le moteur de plongée, les accumulateurs au plomb seraient sans doute remplacés avec avantage par les accumulateurs alcalins d’Edison. Un progrès beaucoup plus sensible pourrait même être réalisé par la pile à transformation directe, le jour où elle sortirait de la période des expériences de laboratoire pour entrer dans la pratique industrielle. On a essayé de renoncer au moteur électrique, pour adopter des moteurs thermiques aptes à fonctionner en vase clos. Les insuccès ne seront peut-être que passagers.
Le moteur de surface n’est pas forcément la vieille machine à vapeur à pistons. Il semble au contraire que la turbine multiple, accouplée avec l’arbre porte-hélices par l’intermédiaire d’engrenages réducteurs du nombre de tours, soit une solution avantageuse, peut-être la seule capable actuellement de fournir les 6000 ou 7000 chevaux nécessaires aux grands sous-marins de demain. La turbine développe, à égalité de poids et de volume, plus de puissance que la machine à piston. Son principal inconvénient est sa trop grande vitesse de révolution, incompatible avec le bon rendement des hélices dans l’eau. C’est à quoi remédient les engrenages.
On a aussi essayé les moteurs à pétrole des divers types : moteurs à explosion et allumage, répandus surtout sur les petites unités étrangères, moteurs à combustion interne proprement dits, genre Diesel ; la différence caractéristique entre les deux catégories étant que, pour la première, la combustion a lieu à volume constant, pour la seconde, à pression constante. Deux motifs principaux ont déterminé ces essais : même avec une chaudière à pétrole pour la production de la vapeur, il faut toujours un certain temps pour qu’un sous-marin émergeant, dont le moteur de surface est une machine à vapeur, ait pu faire monter la pression ; pendant ce temps, il ne dispose encore que de son moteur électrique, c’est-à-dire de faibles vitesses ; il est à la merci d’un ennemi rapide. En second lieu, le moteur à vapeur, avec ses accessoires, est beaucoup plus encombrant qu’un moteur à pétrole de même puissance. Il faut encore noter, à l’actif de ce dernier, une économie notable de combustible, qui se traduit par une augmentation de rayon d’action à égalité d’approvisionnement ; une facilité de conduite qui réduit le personnel ; un abaissement de température dans la chambre des machines, ce qui permet de ne pas la clore en plongée ; la suppression de la fumée ; une rapidité plus grande de plongée, soit un gain d’une minute au moins ; un tuyautage moins volumineux et des ouvertures plus petites dans la coque, etc.
Les moteurs à explosion à quatre temps qui emploient des huiles lourdes pèsent, avec leurs accessoires, de 25 à 30 kg par cheval sur l’arbre, et consomment environ 350 g par cheval. Aussi n’emploie-t-on guère que des moteurs à quatre temps à gazoline, avec carburateur. On en construit dont le poids ne dépasse pas 20 ou 25 kg par cheval, alors qu’une installation de machine à vapeur nécessite 40 kg, et consomme 600 g. Enfin on emploie le pétrole lampant dans des moteurs à deux temps, mais sans avantage d’encombrement ni de poids. C’est en particulier un système utilisé sur les sous-marins allemands.
Les moteurs à explosion, employant de la gazoline ou des benzines volatiles, ou même du benzol et des pétroles lampants, présentent des dangers d’inflammation et émettent des vapeurs malsaines qui, après un essai limité, les ont fait proscrire complètement, par la marine française. Ils ont causé des accidents extrêmement graves, surtout dans la flottille anglaise.
La solution apportée par le Diesel, qui brûle des pétroles lourds, difficilement inflammables, offre beaucoup plus de sécurité. Il simplifie l’installation, donne plus de souplesse dans la manœuvre et d’économie dans la consommation. En théorie, le moteur à combustion est d’un rendement thermique bien supérieur à celui de la machine à vapeur : 0,64 environ contre 0,44 d’après le calcul du cycle de Carnot. En pratique, les rendements seront à peu près de 0,36 contre 0,12 : l’avantage du Diesel restera considérable. Et il conservera son rendement en dépit des changements d’allure, beaucoup mieux que la machine à vapeur.
Malheureusement le Diesel, tel qu’il a été réalisé en dehors du sous-marin, sur certains navires de commerce, est un moteur à allure lente, très encombrant, pesant dix fois plus qu’une machine à vapeur de nos submersibles, à puissance égale, pour l’adapter au sous-marin, il a fallu le rapetisser, l’aplatir et par suite augmenter la vitesse du piston ; d’où de nombreuses difficultés résultant des forces d’inertie et de l’élévation des températures, qui avoisinent 1600° dans les cylindres. En fait, l’extrême limite de puissance qu’on peut atteindre actuellement pour les machines à combustion interne appliquées à la navigation sous-marine, ne paraît guère dépasser 1200 chevaux par moteur. Tous les essais d’installation à haute puissance ont échoué jusqu’à présent.
Nous venons de voir qu’une des supériorités du moteur à pétrole résidait dans la rapidité d’extinction qui permet de plonger dans un moindre délai. C’est en effet un des problèmes posés par le double moteur. Les expériences comparatives faites en France ont montré que le submersible Narval, qui inaugurait le système avec sa machine à vapeur, parvenait à s’enfoncer et à tenir l’immersion aussi bien qu’un sous-marin proprement dit et à moteur unique. Mais la plongée exigeait près de 25 minutes, durée excessive pour une application militaire. Il faut en effet non seulement débrayer et refroidir la machine, mais encore éteindre la chaudière. On est parvenu, par des perfectionnements successifs, à réduire ce temps à moins de cinq minutes, ce qui est acceptable. Avec un moteur de surface à pétrole, il tombe à trois minutes ou trois minutes et demie.
La vision.
On ne voit pas sous l’eau. La visibilité, du moins, y est tellement réduite qu’elle ne peut suffire à la conduite d’un engin comme le sous-marin, qui se déplace rapidement. La lumière solaire, qui pénètre par la surface, est vite absorbée. À 7 ou 8 m de profondeur, c’est à peine si l’on peut distinguer nettement un objet immergé qui se trouve à une douzaine de mètres. Sous 50 m d’eau, on ne devine pas un rocher à plus de 8 m. Le commandant d’un sous-marin, de son poste de manœuvre, n’aperçoit pas l’avant de son bateau. Avec un projecteur dirigé sur l’avant, il pourrait étendre un peu son horizon sous-marin : ce serait encore très insuffisant et la lueur du projecteur, visible pour les bateaux de surface, décèlerait sa présence.
On ne se dirige donc qu’au moyen des vues qu’on a pu recueillir hors de l’eau. Il faut procéder de temps à autre à une inspection de l’horizon. Nous allons indiquer comment on a facilité la chose. Notons seulement que dans l’intervalle, pendant la plongée complète, c’est-à-dire aveugle, le sous-marin n’a plus d’autre guide que la boussole, Encore les courants électriques développés à l’intérieur de celte coq lie de fer troublent-ils singulièrement l’aiguille aimantée. La compensation des compas est ici d’une extrême difficulté. On a essayé de se servir du gyroscope. Il existe des systèmes gyroscopiques munis d’une suspension spéciale (Anschütz), qui indiquent le nord vrai et le retrouvent après une perturbation.
Pour voir hors de l’eau, le sous-marin en plongée n’a pas besoin de renoncer complètement à sa position d’immersion : il suffit qu’il vienne affleurer par sa partie supérieure. Un premier dispositif a été imaginé pour la vision directe, c’est le kiosque ou dôme du sous-marin. Il s’agit d’une petite tourelle en surélévation au-dessus de la coque, et vitrée sur ses faces latérales. Le commandant du bateau, placé sur un siège au-dessous du kiosque, a la tête engagée dans celui-ci au niveau des vitrages. En la baissant, il peut néanmoins surveiller la chambre de manœuvre. Sans sortir autre chose que son kiosque, faiblement visible de loin, il dispose donc d’un moyen de surveiller la surface marine. S’il y aperçoit un danger, il reste à même de s’enfoncer instantanément.
C’est encore trop se montrer, dans les parages où circule un ennemi rapproché ; en particulier pour préparer l’attaque, qui doit se faire de près et nécessite un repérage exact du bâtiment visé, il importe de n’être pas vu. L’ingéniosité de nos officiers et de nos ingénieurs a créé le périscope. C’est un tube optique dont la partie supérieure, dépassant le dôme, porte un objectif qui va chercher au-dessus de la surface l’image des objets extérieurs. Renvoyés à angle droit vers le bas, par un prisme à réflexion totale, les rayons lumineux descendent par le tube périscopique jusque devant le commandant, où un second prisme et une lentille oculaire les redressent et donnent la vision avec une grande netteté. Le périscope est en quelque sorte un prolongement du dôme ; mais il présente sur celui-ci des avantages multiples.
D’abord il est beaucoup moins visible. Le tube peut être réduit à quelques centimètres de diamètre ; par exemple les périscopes Goertz, qu’emploie la marine allemande, ont 12 cm. Ainsi, non seulement la partie émergente est par elle-même beaucoup moins volumineuse que le sommet d’un kiosque, mais encore le sillage qu’elle fait pendant la marche peut, à quelque distance, passer inaperçu. La résistance à la marche créée par cet organe supplémentaire est assez faible pour ne pas retarder sensiblement le sous-marin en plongée.
Au reste, le tube périscopique est mobile. Il peut se rentrer ou partiellement, ou, dans certains systèmes, à peu près complètement dans l’intérieur du bateau. La résistance en est diminuée d’autant, pendant les périodes où l’on n’a pas besoin de l’allonger pour voir. Il est également alors plus facile de passer sous un obstacle, Complètement développé au dehors, le tube peut arriver à dépasser de 4 et même 5 m le dos du sous-marin. Par conséquent, la vision est possible en conservant au-dessus de la coque la protection de 3 ou 4 m d’eau, qui la met à l’abri des obus. Le sous-marin garde aisément cette position sans affleurer ni perdre la vue, tandis que s’il était astreint à se tenir à moins de 2,50 m d’immersion, il aurait peine, par la plupart des temps, à éviter les écarts de plongée qui pourraient le faire paraître ou troubler son inspection de la surface marine. Enfin le mouvement facile et précis qu’on peut imprimer verticalement au tube permet de sortir l’objectif de l’eau pendant quelques secondes seulement et de le rentrer aussitôt qu’on a bien vu, ce qui réduit au minimum et la durée des apparitions et par là le danger d’être découvert.
Le tube, tantôt en son entier, tantôt en sa partie terminale, celle qui porte l’objectif, est encore doué d’un mouvement circulaire autour de son axe vertical. C’est que l’objectif n’embrasse guère qu’un huitième de l’horizon. En le tournant, on parcourt celui-ci en entier ; il faut de 5 à 10 secondes avec le périscope Goertz, dont nous avons parlé.
La vision ainsi obtenue est suffisante. Le périscope donne l’image avec une grande clarté et un certain grossissement : 1,2 pour le Goertz. Il peut toutefois être terni par les embruns, mais il suffit généralement de plonger l’objectif dans l’eau pour le laver.
Il existe des systèmes pour la vision de nuit, qui éclairent le réticule de la lunette et l’aiguille servant à repérer la direction dans laquelle on vise. Néanmoins, le sous-marin, dont la vue est assez courte, même de jour, voit forcément mal la nuit : en plongée, il est trop ras sur l’eau ; et d’autre part il est trop exposé, trop faible contre ses ennemis de surface, pour risquer de se laisser surprendre émergé.
Les sous-marins récents ont le plus souvent deux périscopes, l’un plus long que l’autre. Ils peuvent en perdre un sans devenir aveugles.
On peut chercher une solution moins imparfaite encore du problème de la vision dans l’emploi d’une transmission électrique de l’image formée par l’objectif. Le tube se trouverait alors réduit à son diamètre minimum ; il pourrait avoir plus de longueur ; il permettrait de se tenir plus profondément immergé ou de dominer l’horizon de plus haut, c’est-à-dire d’étendre la portée de la vue ; il serait moins visible et opposerait moins de résistance à la marche. Il n’y a jusqu’à présent aucun résultat dans ce sens.
L’habitabilité. Le sauvetage.
La question essentielle est celle de l’air respirable. En plongée, le bateau est complètement fermé : on respire en vase clos. Cette situation a beaucoup inquiété les premiers inventeurs. Elle est devenue moins menaçante à mesure que les sous-marins se construisaient plus grands, parce que leur cubage intérieur augmentait plus vite que le nombre des hommes de l’équipage. L’espace disponible par homme a rapidement doublé ou triplé ; il s’élève actuellement à une quinzaine de mètres cubes.
Théoriquement, on considérait que l’air devient suspect, dès qu’il contient 1 % d’acide carbonique. Un homme exhale une vingtaine de litres de ce dernier par heure. Au bout de 6 ou 7 heures, on aurait dû atteindre la limite. Or, il a été fait des essais de plongée de plus de 8 ou 10 heures sans renouveler l’air. Après une marche de 4 heures avec les moteurs à essence et électrique, l’Octopus américain est resté immergé 15 heures sans reprendre d’air. On peut actuellement compter sur des séjours de 24 heures sous l’eau. Aussi les hygiénistes ont-ils été conduits à relever jusqu’à 5 % ou 6 % la teneur en acide carbonique tolérée par l’homme.
On a cependant étudié des moyens de purifier l’air. Le plus pratique consiste à le débarrasser de son excès d’acide carbonique en le faisant barboter dans une solution alcaline, et à dégager de l’oxygène par décomposition de produits comme l’oxylithe de M. Jaubert. On peut encore expulser à l’extérieur l’air vicié en le remplaçant par de l’air frais. Deux procédés ont été employés. Les sous-marins américains opèrent cette expulsion au moyen d’une pompe, et remplacent l’air ainsi évacué par une partie de la provision d’air comprimé contenue dans les accumulateurs d’air. L’inconvénient est de diminuer cette provision, suprême ressource en cas d’accident, comme nous l’avons vu, puisque c’est elle seule qui permet d’alléger presque instantanément le bateau en chassant l’eau des ballasts.
L’autre procédé, dont l’emploi se limite à la station sous une faible profondeur d’eau, consiste à disposer des tubes sortant de la coque comme le périscope, et mettant l’intérieur du sous-marin en communication avec l’atmosphère au-dessus de la surface. Par ces tubes, on fait échapper l’air vicié et on aspire de l’air frais. Il leur suffit d’un assez faible diamètre qui les laisse peu visibles à quelque distance. Alors le sous-marin arrive à se débarrasser en peu de temps des gaz dangereux produits par exemple par la combustion de la gazoline, sans se démasquer ni se priver de sa protection, constituée par la couche d’eau qui le couvre. À vrai dire, il vaut mieux ne pas produire de gaz dangereux et se passer d’un moyen d’aération assez imparfait, qui entraîne, de son côté, certaines complications et certains dangers.
Les communications avec l’extérieur n’ont pas seulement pour but la vision et l’aération. L’accès du sous-marin nécessite des précautions toutes spéciales. Il faut des fermetures absolument étanches. Des accidents de la plus grande gravité ont été causés par un capot qui, par suite peut-être d’une imperfection ou d’un enrayage, s’est fermé un instant trop tard au moment de la plongée. Un caillou engagé dans une valve a causé la perte d’un sous-marin.
La transmission des signaux est aussi un problème important et difficile à résoudre. En surface, le sous-marin peut utiliser la télégraphie sans fil. En plongée, il n’a plus guère à sa disposition que des signaux sonores, qui jusqu’ici, même avec l’emploi de microphones, n’ont pas donné grands résultats pratiques. Il est donc aussi sourd et aussi muet qu’aveugle, davantage même. Il est isolé du reste du monde, à peu près incapable de recevoir un avis utile, tout à fait incapable d’en donner un ou d’appeler au secours.
En cas d’accident, cependant, et lorsque le sous-marin repose sur le fond, par des profondeurs assez faibles pour qu’on ait espoir de le sauver, il importe au plus haut point de savoir où il est et d’entrer en conversation avec l’équipage. On a prévu le cas et accroché sur la coque une bouée, dite bouée téléphonique, reliée à l’intérieur du bateau par un fil de téléphone. L’équipage peut la décrocher par la manœuvre d’un levier. Alors elle monte à la surface où elle sert à la fois d’indication et de moyen de communiquer. Ce système, postérieur aux grands accidents qui en ont déterminé l’installation, n’a pas encore fait ses preuves. Il doit rendre de grands services dans les cas où l’accident lui même n’en aura pas détérioré le mécanisme ou n’aura pas interdit à l’équipage l’accès du compartiment auquel correspond la bouée téléphonique.
On a imaginé de nombreux systèmes destinés à permettre aux hommes de sortir du sous-marin coulé, en laissant la coque au fond. Ils ne sont guère pratiques. Et, sauf le cas d’une profondeur très réduite, l’homme, soumis à une compression et à une décompression brusque, risquerait fort de ne pas résister à l’expérience. Des appareils ont pour but de fournir individuellement aux naufragés, enfermés dans une atmosphère que comprime l’introduction de l’eau extérieure et qui se sature de gaz délétères, une certaine provision d’air respirable. On prolonge ainsi leur résistance, qui peut durer plusieurs jours. Pendant ce temps, des secours extérieurs viendront tenter le relèvement de la coque. On a disposé à cet effet de solides boucles de fer sur la coque des sous-marins, de façon à y mailler rapidement des chaînes de relevage. Mais le poids d’un bateau de plusieurs centaines de tonnes, presque dépourvu de flottabilité puisqu’il est en partie envahi par l’eau, ne se soulève pas facilement ; et l’on ne saurait descendre mailler les chaînes plus loin que 30 ou 40 m de profondeur, le scaphandrier étant jusqu’ici le seul instrument de cette opération.
On a aussi proposé de pratiquer dans la coque des sous-marins des ouvertures munies d’un bouchon dévissable de l’extérieur. Dans les mêmes limites de profondeur, les scaphandriers y adapteraient des tuyaux pour introduire de l’air ou des aliments, ou même faire sortir l’équipage emprisonné. Tout cela est peu réalisable et dangereux. En fait, un sous-marin coulé hors d’un port est presque toujours un sous-marin perdu corps et biens. Tout accident est mortel, à moins d’être conjuré, dans l’intervalle de quelques secondes, par les moyens internes, du moins en haute mer, au-dessus des grands fonds.
C’est donc dans le perfectionnement des organes internes, dans la puissance et la souplesse des forces qu’il porte en lui, que le sous-marin doit chercher ses uniques ressources pour vivre et ses seuls moyens de ne pas mourir.
Tous les détails, à cet égard, ont leur intérêt. Grâce au progrès réalisé dans la mise au point de chacun et dans l’agencement de leur ensemble, on est parvenu à créer les unités actuelles, assez sûres et assez habitables pour pratiquer la navigation hauturière, accompagner les escadres et s’éloigner pendant huit ou dix jours de leur base et de tout secours, sans épuiser leur équipage. Un détail important, à cet égard, est l’installation des cuisines électriques. Elles résolvent avec élégance une difficulté qui eût été grave dans ce milieu hermétiquement clos ; elles permettent d’alimenter convenablement les hommes sans empoisonner l’atmosphère par des produits de combustion.
L’armement. La tactique.
L’arme défensive du sous-marin est la couche d’eau qui le protège : c’est son invisibilité et son invulnérabilité. Pour l’atteindre, il faut le prendre en surface. Alors, le moindre coup d’éperon, le moindre obus lui est fatal, parce que la moindre voie d’eau, ou le fait couler, ou l’oblige à remonter et à paraître, et il ne peut plus que se rendre. Même en n’atteignant que son périscope, on le coule aisément. On n’a pas trouvé, on cherche des projectiles pénétrant à travers la couche d’eau protectrice et venant faire explosion sur la coque immergée aux profondeurs périscopiques.
Pour ce qui est de voir le sous-marin entre deux eaux, c’est difficile à moins d’être tout près : la lumière se réfléchissant à la surface de la mer fait écran. Pourtant la réflexion est moindre quand on s’élève en l’air ; d’où il suit que du haut d’un mât on peut discerner un sous-marin à faible distance, s’il est peu profond ; mais à trop faible distance pour que cela offre un intérêt pratique. D’un aéroplane, au contraire, on voit mieux et plus profond, toujours’ dans un cercle étroit autour de la verticale ; c’est une question d’angle de réflexion entre le rayon visuel et le miroir des eaux. Aucune méthode utilisable jusqu’ici pour la surveillance par ce procédé. Somme toute, le sous-marin ne se trahit que par ses affleurements ou son périscope.
Sur les derniers modèles on a parfois ajouté à la protection de l’eau, celle d’un pont légèrement cuirassé, en même temps qu’on ajoutait à l’armement en torpilles, un canon. Le sous-marin pur évolue vers un type mixte, en partie canonnier, muni de ce qu’entraîne la lutte par le canon.
On lui a donc adjoint un canon ; un seul pour commencer. Les Anglais ont ouvert la voie, avec une pièce de 76 mm ; les Allemands ont suivi, avec du 88 mm. La pièce est enfermée dans un capot étanche, fixé sur le pont, et basculant pour la découvrir lors de la mise en batterie. Les sous-marins allemands se sont servis de leur canon pour semoncer, arrêter et incendier des bateaux de commerce.
Ce n’était pas pour cela que l’artillerie des sous-marins avait paru nécessaire, pas plus, évidemment, que pour lutter contre les cuirassés. L’ennemi principal du sous-marin est le petit bâtiment de flottille, torpilleur ou contre-torpilleur, qui a trop peu de tirant d’eau pour craindre les torpilles, généralement obligées de faire leur trajet et de frapper à 3 m au moins de profondeur. Ces éclaireurs de la mer, petits et nombreux, de faible valeur, font la chasse au sous-marin. Leur vitesse, leur facilité d’évolution les rendent aptes à l’éperonner. Surpris et poursuivi en surface par l’un d’eux, le sous-marin canonnier pourra se défendre à armes presque égales et garder l’espoir d’arrêter son ennemi avant de recevoir le coup d’éperon mortel.
Son arme véritable est toutefois la torpille. Il porte une demi-douzaine de torpilles, objets trop lourds et trop encombrants pour être multipliés. On voit combien son action militaire est limitée. combien les grandes expéditions, où les combats peuvent se répéter, lui sont encore interdites. Ce fait entraîne bien des conséquences ; il tient une place importante dans les perspectives d’avenir du sous-marin et dans les transformations de la technique navale commandées par son développement, désormais assuré [2]
Les torpilles sont lancées par des tubes intérieurs, ou par des appareils extérieurs au sous-marin. Parfois les deux systèmes sont employés simultanément. Il n’y a d’habitude qu’un tube, dans l’axe du bateau, à l’avant. Il comporte les mêmes mécanismes et sécurités que les tubes sous-marins des cuirassés. Il forme comme une écluse, où la torpille est en permanence conservée à sec, et qu’on emplit d’eau au moment du lancement, tandis qu’on ferme l’orifice d’entrée, placé du côté de l’intérieur. Quant aux torpilles extérieures, qui demeurent aussi en permanence à leur poste de lancement, elles sont simplement accrochées aux flancs du bateau, latéralement, par des supports qu’on peut manœuvrer de l’intérieur de façon à libérer et à mettre en marche la torpille au moment voulu.
Dans tous les cas, le sous-marin pointe avec sa coque, en se déplaçant tout entier. Il ne peut généralement lancer ni en fuyant, ni en longeant. l’ennemi, mais seulement en marchant sur lui.
Sa tactique consiste à plonger dès qu’il l’a aperçu, s’il n’est déjà en plongée, et, à partir de ce moment, à montrer le moins possible son périscope. Il commence par le laisser dépasser hors de l’eau un certain temps, pour bien reconnaître l’adversaire qu’il a en vue et surtout en déterminer aussi exactement que possible la direction et la vitesse. Presque toujours moins rapide que lui, il n’a d’autre moyen de l’approcher que de se porter au-devant de lui, sur sa route.
À mesure qu’il en approche, il devient plus facile à découvrir par le sillage et la silhouette de son périscope. Il doit donc rentrer celui-ci dans l’eau, pour ne lui faire faire que les apparitions indispensables, de temps à autre, pendant quelques secondes. Il prend ainsi des vues intermittentes, qui suffisent à rectifier sa marche, à surveiller les changements de direction et d’allure du but, à s’assurer approximativement — très approximativement — de la distance, à préparer le tir, à en choisir le moment. Dans l’intervalle, il se dirige au compas ou au gyroscope.
La torpille lancée, s’il ne redouble pas, le sous-marin généralement plonge. Il y a dans son tir tant d’incertitudes sur la distance, la direction et la vitesse du but, qu’il ne doit tirer que de très près, à 200 ou 500 m au plus. Comme sa position de tir est sur l’avant de la trajectoire suivie par le navire à torpiller, le sous-marin, pointant avec son avant, court parfois à un abordage. Le plus sûr pour lui est souvent de passer en dessous du ou des bâtiments de surface à qui sa présence est désormais signalée par le sillage de la torpille. Il faut qu’il échappe aux recherches, quitte à reparaître plus loin inopinément, pour juger de l’effet produit par son attaque ou en préparer une nouvelle.
Nous voyons ainsi à l’œuvre, à la fois, tous les organes de navigation, de plongée et de combat du sous-marin. Il réalise une des plus audacieuses merveilles de l’industrie humaine. Comme. presque partout, c’est ici encore l’industrie guerrière qui a ouvert des voies inattendues, où peut-être s’engageront utilement plus tard les arts pacifiques. On sent que le sous-marin militaire lui-même est très loin de ce qu’il peut donner quand les progrès qu’il appelle auront porté tous leurs fruits. Si intéressant qu’il soit par les résultats acquis, il l’est surtout par l’avenir dont il est chargé.
G. Blanchon