De l’établissement d’un pont de sept lieues sur le Pas-de-Calais

Le musée des sciences, N° 50 — 14 avril 1858
Vendredi 11 septembre 2020 — Dernier ajout jeudi 28 mars 2024

Le musée des sciences, N° 50 — 14 avril 1858

Projet de M. Boyd.

Nous avons pris soin de tenir les lecteurs du Musée au courant des grands projets ayant pour but la réunion de l’Angleterre à la terre ferme continentale. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’une galerie de mine creusée sous le Pas-de-Calais, comme dans le projet de M. Thomé de Gamond [1] ; il s’agit d’une voie à ciel ouvert, à la surface des flots, d’un pont de fer, d’une longueur de sept lieues, rattachant les côtes de France à celles d’Angleterre.

Le Moniteur nous apprend qu’aux yeux des Anglais, ce n’est pas la longueur du passage qui paraît être le plus grand obstacle à l’exécution de ce projet gigantesque ; ils savent en effet qu’un pont ne se jette pas tout d’une pièce ; qu’il se compose de travées ou d’arches semblables, et qu’une fois la construction d’une arche reconnue possible, le nombre des arches, c’est-à-dire la longueur du pont, n’est plus qu’une question de multiplication, autrement une affaire de temps et d’argent.

Quoi qu’il en soit, l’entreprise projetée par M. Boyd, ingénieur anglais, consiste en un pont qui serait établi entre le cap Gris-nez (sur la côte de France) et Douvres, points les plus rapprochés sur les falaises qui bordent les deux côtés du détroit, et présentant les conditions les plus favorables.

La longueur totale du pont serait de 29 kilomètres ; il serait composé de 191 travées ayant chacune environ 500 pieds anglais d’ouverture. Chaque travée serait portée sur deux massifs ou tours en maçonnerie, reliées par un vaste tube-viaduc en fonte dans lequel se développeraient deux voies ferrées, et plus s’il était nécessaire. Ce pont tubulaire aurait 30 pieds de largeur et 50 de hauteur ; il serait éclairé par de nombreux vitrages et ventilé à l’aide d’ouvertures ménagées dans l’épaisseur des tours, et faisant office de cheminées d’appel.

Le point d’attache du tube-viaduc serait placé sur les tours, à 300 pieds au-dessus du niveau de la mer, en sorte qu’il laisserait le passage entièrement libre, même pendant les hautes marées, aux plus grands navires, dont la mâture ne s’élève qu’à 217 pieds au-dessus de la ligne de flottaison.

Dans la partie supérieure de chaque tour se trouverait un phare, entretenu par le gaz, et projetant ses feux au large des deux côtés du pont.

Enfin, chaque tour serait surmontée d’un beffroi dont la puissante sonnerie, mise en mouvement par l’électricité, donnerait l’alarme au loin dans les temps de brouillard.

La plus grande profondeur de la mer, dans la direction adoptée, étant de 31 brasses, et la profondeur moyenne de 21 brasses et demie, on a supposé que les massifs de grosse maçonnerie dont seraient formées les piles, auraient à leur base 300 pieds en carré, se réduisant à 150 pieds an niveau de la mer. Au-dessus de ce point commencerait la nette maçonnerie, laquelle, à partir de la hauteur des plus hautes marées, se dresserait en forme d’une tour de 100 pieds se diamètre.

Pour préserver de tous chocs dangereux les navires que la violence du vent ou une fausse manœuvre pourrait jeter contre les piles du pont, celles-ci seraient armées, en tous sens, de tampons à ressort, garnis de caoutchouc, assez puissants pour amortir tous les chocs.

L’auteur de ce gigantesque projet estime que l’exécution pourrait en être terminée dans l’espace de trois ans.

Quant à la partie financière et économique de l’entreprise, M. Boyd évalue la dépense totale à 750 millions de francs.

Nous n’émettrons pas d’opinion sur la valeur relative des divers projets mis en avant pour rattacher l’Angleterre à la Francs. Tous nous paraissent tellement au-dessus de ce que l’industrie a entrepris de plus audacieux jusqu’à présent, que nous nous tiendrons dans une réserve prudente.

L.

[1Voir le Musée des Sciences, 2e année, p. 347.

Revenir en haut