La nature de la couronne solaire est encore mystérieuse. Son spectre continu, qui montre une polarisation radiale a pratiquement la même courbe d’énergie que le spectre solaire. Il est donc vraisemblable que sa lumière est formée principalement de lumière solaire diffusée. Mais deux hypothèses différentes peuvent être envisagées :
1° La lumière solaire est diffusée par des électrons libres. N’étant soumis il aucune force de rappel, ceux-ci diffusent également toutes les radiations. À égalité de nombre, ils diffusent beaucoup plus que les molécules et leur rôle peut être prépondérant, même dans un gaz faiblement ionisé.
2° La lumière solaire est diffusée par des molécules ou des atomes (loi en λ-4). A celle lumière bleue se superpose un rayonnement propre dont le maximum est dans le rouge ; il se trouve que la courbe d’énergie de l’ensemble ressemble à celle du soleil.
Dans le premier cas, la proportion de lumière polarisée doit être indépendante de la longueur d’onde ; dans le second cas elle doit croître vers les petites longueurs d’onde où prédomine la lumière diffusée.
Les observations spectrales nécessaires pour trancher entre ces deux hypothèses ont pu être effectuées par MM. J. Dufay et H. Grouiller pendant l’éclipse totale du 31 août 1932.
Pour cette éclipse qui était observable au Canada et dans la Nouvelle-Angleterre, de grands préparatifs avaient été faits par les astronomes britanniques et américains ; l’état du ciel fut très défavorable et bien peu d’observations réussirent. La France n’avait pas envoyé de mission officielle, mais le comte de la Baume-Pluvinel, avait organisé à Louiseville, dans la province de Québec, une mission privée il laquelle s’étaient joints les deux astronomes de Lyon. Par une bonne chance qui devait récompenser M. de la Baume-Pluvinel de son esprit d’entreprise, le ciel se découvrit au moment de l’éclipse et la mission eut un plein succès. L’instrument des MM. Dufay et Grouiller aurait paru bien modeste, si on l’avait comparé à ceux qui avaient pu être mis en batterie tout le long de la ligne de totalité par des astronomes mieux dotés que les astronomes français, mais, très judicieusement conçu, il a pu résoudre un problème depuis longtemps posé.
Un objectif à lunette projette une image de la couronne sur la fente d’un spectrographe à deux prismes, dont l’objectif de chambre est précédé d’un biréfringent de spath achromatisé. Ce dernier est orienté de manière que l’un des spectres reçoive les vibrations radiales, l’autre les vibrations tangentielles. Une lame de quartz taillée parallèlement à l’axe est placée derrière la fente et ses axes sont orientés à 45° de la section principale du biréfringent. Les deux spectres sont ainsi cannelés et la mesure du contraste entre les cannelures sombres et claires donne directement le « facteur de dépolarisation ».
L’étude des deux spectres ordinaire et extraordinaire peut se faire d’une manière indépendante ; les difficultés provenant de la « dissymétrie » du biréfringent et de la polarisation par les prismes dispersifs se trouvent éliminées.
Les clichés furent étalonnés au moyen de poses de même durée faites sur le ciel, en plaçant sur la fente des absorbants dont la densité avait été mesurée pour toutes les radiations.
Deux poses ont été faites pendant la totalité, l’une de 3 secondes sur la couronne intérieure, l’autre de 70 secondes sur la couronne extérieure, en masquant alors la couronne intérieure, jusqu’à 3’5 du bord solaire avec un écran opaque.
Sur le premier cliché, qui montre une dizaine de raies d’émission chromosphériques, les cannelures sont visibles depuis le bord de la Lune ; sur le second, elles s’étendent jusqu’à l’extrémité de l’image de la fente, soit à 32’ du bord solaire.
Les spectres ont été étudiés au microphotomètre enregistreur de M. J. F. Thovert, par tranches de 0,2 mm. de hauteur. Le résultat des mesures montre, que la proportion de lumière polarisée était à peu près indépendante de la longueur d’onde, dans toute la région spectrale explorée (de 3 900 à 5800 Â). Elle est pratiquement la même du coté du Soleil, bien que les deux régions soient inégalement brillantes. Voisine de 0,13 à 2’ du bord solaire, elle croît d’abord assez vite avec la distance au bord, passe par un maximum voisin de 0,25 à 11’ du bord, puis diminue plus lentement. Pour une distance de 25’ elle est encore 0,12.
Qualitativement, ces résultats sont d’accord avec la théorie de la diffusion par les électrons libres. Numériquement, ils diffèrent de ceux prévus par M. Minnaërt en supposant diverses lois de répartition des électrons. Les courbes théoriques ne présentent pas de maximum ; celui qui a été observé résulte très probablement de la superposition de la lumière diffusée par l’atmosphère terrestre, à peu près dépourvue de polarisation pendant les éclipses totales, et dont l’importance relative croît il mesure que l’on s’éloigne du bord. D’après Minnaërt, la proportion de lumière polarisée devrait atteindre 0,50.
MM. Dufay et Grouiller qui viennent de communiquer il la Société française de Physique (3 février 1934, Section de Lyon) leurs résultats expérimentaux se proposent de publier prochainement une comparaison plus détaillée entre la théorie cl l’observation.
J. B.