Un projet d’exploration en ballon du continent africain

Félix Baya, la Revue Scientifique — 11 mars & 1er avril 1893
Samedi 31 décembre 2016

Cet article n’est pas une critique du roman de Jules Verne Cinq semaines en ballon, mais un résumé d’une étude réalisée en vue d’un tel voyage. Au lecteur de repérer les écarts entre roman et réalité.

La Revue maritime et coloniale a publié dernièrement une étude très détaillée sur la possibilité d’une traversée de l’Afrique au moyen d’un aérostat.

Cette étude, œuvre de Léo Dex, en collaboration avec M. Dibos, constitue un véritable projet d’exploration en ballon de l’Afrique dans son centre septentrional, projet qui, s’il était mis à exécution, réaliserait le fantaisiste voyage de Jules Verne : Cinq semaines en ballon, comme la création de bateaux sous-marins a déjà réalisé en partie, dans notre marine, le principe de cette autre féerie : Vingt mille lieux sous les mers, due également à la si féconde imagination du célèbre romancier.

L’auteur du projet, qui pratique l’aérostation à un point de vue exclusivement scientifique, s’est attaché, dans cette étude, à envisager tout ce qui était humainement possible de prévoir, et semble être parvenu à démontrer que, théoriquement au moins, la traversée du continent africain, avec un ballon non dirigeable, doit être considérée comme ayant de grandes probabilités de réussite, l’expérience seule pouvant faire la démonstration pratique.

Une analyse succincte de ce travail sur la possibilité d’une application immédiate et aussi importante de l’aérostation, cette branche de la science si en faveur aujourd’hui auprès du public éclairé, en fera ressortir l’intérêt, en laissant pressentir en même temps que nous ne sommes peut-être pas très éloignés du jour où d’intrépides aéronautes, suivant les exemples de hardiesse donnés dans les siècles passés par les premiers grands navigateurs, se lanceront à la découverte des contrées que des difficultés insurmontables d’exploration ont jusqu’à ce jour soustraites à nos investigations.

Après avoir indiqué, dans un exposé rapide, que l’état actuel de la science aérostatique ne permet pas d’envisager la question d’emploi des ballons dirigeables, avec lesquels il sera plus tard si facile de faire de grandes explorations, l’auteur expose que certaines explorations sont néanmoins possibles avec un aérostat non dirigeable pourvu d’une constitution satisfaisante pour la mission à remplir, et si on acquiert une connaissance suffisante des conditions atmosphériques et des influences météorologiques des territoires à explorer.

Divers projets de voyages aériens au-dessus de contrées inexplorées ont déjà vu le jour et ont intéressé l’opinion publique : tous avaient pour objectif l’exploration des régions polaires ; faisant ressortir les difficultés géographiques et météorologiques qui s’opposent à la réalisation de ces projets, et s’appuyant sur les résultats acquis de nombreuses expériences connues et sur des théories universellement admises, il démontre qu’aucune de ces impossibilités n’existe sur les parties du globe terrestre où une surcharge inévitable de neige qui ferait périr l’aérostat n’est pas à redouter, et où une connaissance approfondie et une utilisation raisonnée des grands courants atmosphériques qui portent et entraînent le navire aérien peuvent permettre de calculer sa route et donner la certitude de son atterrissage dans de bonnes conditions.

L’étude qui amène à cette conclusion se divise en trois parties : la première, très technique, contient toute la théorie relative à la bonne constitution de l’aérostat pour lui permettre d’exécuter un voyage au long cours à travers la partie nord du centre de l’Afrique ; la seconde, qui est certainement la plus importante et la plus intéressante, traite de l’existence de courants aériens réguliers sur le continent africain où ils constituent de véritables vents alizés ; la troisième envisage les causes diverses qui peuvent nuire à la navigation de l’aérostat, et donne les moyens d’éviter tout accident susceptible de compromettre la bonne exécution de sa traversée.

L’aérostat. -. Le caractère de l’analyse entreprise ici ne peut pas permettre de suivre l’auteur dans la succession des développements très détaillés et très minutieux qu’il donne sur la constitution de l’aérostat propre à accomplir un voyage de longue durée ; ces développements ressortissant du reste du domaine des constructions aérostatiques, il suffira, pour en faire comprendre l’économie, d’en citer les particularités saillantes, qui font de cet élément essentiel du projet une machine très perfectionnée et présentant de sérieuses garanties.

Rejetant les volumes exagérés des projets antérieurs comme étant trop considérables pour que la manœuvre de l’aérostat puisse être assurée sans fatigue pendant quelques heures par un seul aéronaute manœuvrant le lest à la main, il conclut que le ballon de volume maximum répondant à ce desideratum essentiel est un ballon mesurant 14 mètres de rayon, dont le volume est de 11500 mètres cubes et ayant par suite une force ascensionnelle moyenne de 12300 kilogrammes.

L’enveloppe en est formée de deux parties distinctes : la première, extérieure, en étoffe de soie, recouverte d’un enduit hydrofuge et possédant un coefficient minimum de sécurité de :15 à :12, est destinée à résister à la tension du gaz ; la seconde, intérieure, d’un volume légèrement supérieur et s’appuyant exactement sur la première, de manière à ne subir aucune pression, est en baudruche octuple et a pour objet, en raison de son étanchéité absolue, de s’opposer à la transfusion du gaz, procédé bien supérieur à celui du vernissage de la soie. La suspension est attachée directement à l’étoffe du ballon dans les environs de l’équateur, par l’intermédiaire de pattes d’oie ; la partie supérieure du filet se trouve ainsi supprimée, ce qui diminue dans de notables proportions les ruptures d’équilibre provenant de la pluie et de l’humidité.

La nacelle se compose de deux corps superposés, l’étage inférieur destiné à la manœuvre contient les soutes renfermant le matériel de toute sorte, l’étage supérieur couvert d’une tente-abri est le logis des aéronautes dont le nombre est fixé à quatre. Elle est munie d’une ancre formée d’une série d’éléments articulés présentant chacun quatre pattes-griffes destinées à assurer la’ prise de l’ancre, et porte deux [a« , un à chacun des éléments extrêmes, pour s’opposer à son renversement.

La suspension de la nacelle, dont la force de résistance est calculée dans toutes ses parties pour les efforts à supporter, est du système connu, ayant la propriété d’empêcher le renversement de la nacelle à l’atterrissage en la maintenant sensiblement horizontale.

Ces diverses parties de l’aérostat qui en constituent le corps pèsent 2500 kilogrammes ; viennent ensuite lé guiderope, le ballonnet, puis divers appareils secondaires, et enfin le lest.

Les longs voyages en ballon, ainsi que l’auteur l’établit au cours de son étude, n’étant possible qu’à la condition de guide-roper presque constamment, le guide-rope est, ipso facto, un des éléments essentiels de l’aérostat ; dans une navigation aérienne de cette nature, le guide-rope sert d’équilibre aux variations de la force ascensionnelle produites par les diverses influences extérieures de l’atmosphère, la portion de guide-rope qui repose sur le sol étant égale à la différence de cette force ascensionnelle avec le poids de la masse de l’aérostat, il régularise les mouvements descendants et ascendants de l’aérostat et évite, tant qu’il repose en partie sur le sol, les jets de lest et les jeux de soupape.

Calculant les variations de la force ascensionnelle que l’aérostat. aura à subir d’après les événements atmosphériques probables auxquels il se trouvera soumis, l’auteur conclut qu’un guide-rope, pesant 1260 kilogrammes, permettra au ballon de 14 mètres de rayon de lutter contre toutes les causes extérieures produisant ces variations sans perte de lest ni de gaz, celles-ci ayant seulement pour effet de faire varier la longueur de la portion. du guide-rope posant à terre, sans que les causes les plus intenses d’alourdissement ou d’accroissement de la force ascensionnelle puissent avoir pour effet de faire toucher terre à la nacelle ou de faire quitter le sol au guide-rope.

En dehors de la considération primordiale de dureté que doit remplir le guide-rope pour ne pas s’user trop vite au frottement su le sol, la marche de l’aérostat devant s’en trouver ralentie, il importe de réduire ce frottement autant que possible ; cette réduction ne peut être obtenue que par la diminution de la surface frottante et par son poliment. Ce desideratum est obtenu en constituant le guide-rope en câble d’acier à surface lisse, tel qu’on en a vu à la dernière Exposition universelle, ayant environ 8 millimètres de diamètre, pesant 0,375kg au mètre courant et résistant à un effort limite supérieur à 4000 kilogrammes. Il est formé de douze brins différant en longueur de 10 mètres les uns des autres, le plus long ayant 370 mètres ; le plus court 260, et dont le poids total est de 1260 kilogrammes. Cette assemblage est préférable à un guide-rope unique, parce qu’il présente moins que ce dernier l’inconvénient de tout briser sur son passage, et que, de plus, il peut, en fin de voyage, être successivement utilisé, en partie, comme lest à jeter, lorsque le lest emporté sera presque entièrement dépensé, de manière à ne conserver qu’un petit guide-rope du poids de 390 kilogrammes. Le mode d’attache du guide-rope à l’aérostat fait l’objet d’une description spéciale et rend la manœuvre des plus faciles.

Enfin les diminutions de vitesse de l’aréostat dues au guiderope, suivant les longueurs posant à terre, varient entre 1,78m et 4,29m par seconde ; la vitesse moyenne des vents étant de 7 à 8 mètres, il en résulte que l’aérostat conservera dans la plupart des cas une vitesse suffisante ; quant à l’altitude de l’aérostat, elle variera suivant les mêmes cas de 310 à 5 mètres ; la hauteur des plus grands arbres ne dépassant qu’exceptionnellement 20 mètres, altitude qui est celle de l’aérostat pour un poids de 1120 kilogrammes de guiderope reposant sur le sol, il pourra résister au-dessus d’un sol ordinaire, quelle que soit la vitesse du vent, à une surcharge accidentelle de plus de 1100 kilogrammes sans dépenser de lest.

L’aérostat est muni d’une petite nacelle annexe pour permettre à un aéronaute de descendre à terre au moyen d’un câble- qui se déroulera sur un petit treuil, le ballon étant momentanément,arrêté par une petite ancre ; il possède aussi un appareil d’éclairage à l’électricité pour éviter tout danger d’incendie et une pompe à air pour le remplissage du ballonnet.

Le lest disponible, calculé d’après la totalisation des poids morts et de la force ascensionnelle du ballon, est de 8560 kilogrammes ; en déduisant les poids morts transformables en lest (portion de guide-rope, petites ancres, appareils secondaires, vivres, liquides, etc … ), soit 2100 kilogrammes, le poids de lest proprement dit à emporter ressort à 5500 kilogrammes ; il est constitué par 261 gueuses de plomb antimonié de forme rectangulaire placées par groupe de 17 dans des boites en tôle d’acier ; chacune de ces gueuses, garnie d’une gaine en toile assurant le calage, est munie d’une poignée en fer recouverte de drap permettant de les enlever facilement à la main.

Un ballonnet à air est, d’après l’auteur, une annexe accessoire d’une utilité incontestable. Placé à l’intérieur du ballon contenant l’hydrogène, il l’empêche de se déformer, et surtout il rend très faible l’altitude maxima d’équilibre de l’aérostat ; cette dernière considération, jointe à ce que l’existence du ballonnet à air procurera dans les variations de force ascensionnelle une économie considérable de dépense de gaz et de lest, en détermine l’adoption. Fait en baudruche, de la forme d’une calotte sphérique d’une hauteur de 11 mètres, et ayant pour base un parallèle de la demi-sphère inférieure du ballon, il s’appliquera vide contre la surface inférieure du ballon ; plein, il cubera 7830 mètres cubes.

Le ballon aura trois manches indépendantes, celle du ballon, celle du ballonnet, toutes deux formées par des ligatures, et une manche (seconde du ballon) traversant le ballonnet, munie d’une soupape de sûreté permettant l’échappement du gaz sous une pression d’environ 4 centimètres d’eau, destinée à parer aux cas où, par imprévu, les gaz du ballon se dilateraient sans qu’aucune des deux manches du ballon et du ballonnet ait été ouverte et permette leur sortie. Le ballon n’aura pas de soupape pour l’échappement du gaz en cours de route à la volonté des aéronautes, celle-ci se trouvant remplacée par le jeu du ballonnet ; une petite soupape de déclenchement et deux cordes de déchirure commplétent son aménagement pour les manœuvres d’atterrissage.

Enfin l’aérostat est muni au sommet du ballon d’un paratonnerre formé d’une aigrette de six tiges de laiton de 1,1Om de longueur et dont la communication avec le sol sera assurée en traversant l’enveloppe du ballon dans un bouchon en buis de forme spéciale, puis par les guides-ropes.

L’aérostat tout arrimé a une hauteur ’de 38 mètres ; en y ajoutant les frais nécessités par les essais préliminaires, son prix reviendra, sans les transports, à 350000 francs en chiffres ronds.

Navigation aérienne. - L’aérostat ainsi constitué, l’auteur du projet, après avoir expliqué la méthode de gonflement du ballon, expose la théorie de sa navigation aérienne.

Le départ devra s’effectuer sur un terrain plat ou dominant ne présentant aucun obstacle dans la direction initiale et en disposant les guides-l’opes sur un sol nu et uni pour faciliter leur démarrage, pendant une période de beau temps par un vent fixe de 6 à 10 mètres par seconde (20 à 30 kilomètres à l’heure) portant dans la direction générale du voyage, et avoir lieu le jour de manière à permettre aux aéronautes de se familiariser avec la manœuvre avant la venue de la nuit ; le voyage commencera en guide-ropant avec une force ascensionnelle de 300 kilogrammes, correspondant à une longueur de guide-rope traînant à terre d’environ 220 mètres.

Puis suivent les diverses manœuvres à exécuter dans les différents cas de diminution et d’augmentation de la force ascensionnelle, de celui où l’aérostat serait soulevé par un courant d’air ascendant, et enfin de celui où il serait obligé de cesser de guide-roper et de naviguer à l’état libre. Enfin le mode d’atterrissage est expliqué de manière à l’exécuter dans les meilleures conditions possibles.

La durée du voyage est fonction du temps pendant lequel l’aérostat pourra se soutenir en l’air, c’est-à-dire du chiffre des pertes de gaz.

Il résulte d’expériences faites sur un ballon anglais en baudruche octuple de 8 mètres de diamètre que, pendant une durée d’un mois, ce ballon perd environ 6 kilogrammes de force ascensionnelle, soit 200 grammes par jour. Les pertes de gaz, d’après les expériences de Poiseuilles et Graham, sont proportionnelles aux surfaces des parois et à la différence de pression des deux côtés de ces parois ; cette loi n’étant vraie que pour les cas où les parois des ballons sont identiques, le ballon de 14 mètres de rayon du projet présente sur le ballon anglais cette supériorité qu’il a en plus son enveloppe extérieure en soie recouverte d’un enduit hydrofuge ; néanmoins, en lui appliquant la loi précédente, comme s’il n’avait pas cet avantage, il ressort pour ce ballon une perte de gaz de 8,600kg en moyenne par jour, chiffre qui doit être d’autant plus considéré comme maximum que l’existence du ballonnet est encore un facteur de sa diminution.

Basant sur ce chiffre ses calculs pour établir la durée probable du voyage, il le divise en trois périodes : pendant la première où le ballonnet ne contient pas encore une quantité d’air suffisante pour pouvoir fonctionner normalement, le ballon dépense un maximum dé 750 kilogrammes de lest par vingt-quatre heures, elle durera un minimum de vingt-six heures ; pendant la seconde période, où le ballonnet fonctionne et où l’aérostat navigue au guide-rope, conditions normales du voyage, la dépense de lest est en moyenne de 8 kilogrammes par jour de marche régulière, et, en tenant compte des éventualités nécessitant des jets de lest exceptionnels, le poids total à dépenser pendant cette période’ ressort à 6535 kilogrammes ; elle durera donc à peu près soixante-cinq jours ; pendant la troisième période où l’aérostat ayant utilisé comme lest ses grands guides-ropes ne naviguera plus que sur son petit guide-rope, il dépensera environ 1200 kilogrammes de lest, elle durera un minimum ’de quarante heures ; soit pour la durée totale : soixante-huit jours.

Ceci posé, quelle sera la distance utile franchie, c’est-à-dire la distance dans la direction générale du parcours projeté ?

Pour atteindre un maximum, la méthode de marche devra être la suivante : marcher avec tous les vents qui procurent un trajet dans la direction générale utile ; stopper par tous les vents pouvant faire rétrograder, avec cette réserve que toutes les fois que la vitesse du vent sera supérieure à 10 mètres à la seconde, l’aérostat ne pourra stopper et devra fuir.

Faisant une application d’après ce principe à une région fictive dont le régime moyen des vents serait celui de Paris au mois de juillet, il en résulte que pendant les soixante-huit jours de voyage, l’aérostat aurait franchi une distance utile de 11 500 kilomètres, en admettant qu’il ait été obligé de rester captif pendant trois cent soixante-quinze heures, soit environ le quart de la durée du voyage, ce qui représente une moyenne de 170 kilomètres par jour, soit de 7 à 8 kilomètres à l’heure de vitesse moyenne utile.

D’où découle cette conclusion que l’aérostat du projet pourra naviguer une soixantaine de jours avant d’avoir dépensé tout son lest, parcourant une distance utile supérieure à 10000 kilomètres sous les trois conditions’ suivantes :

1° La direction du voyage sera celle vers laquelle portent les vents régnants des régions traversées, ces vents de direction peu variables (45° au maximum) soufflant au moins trois jours sur quatre en moyenne ;

2° Les contrées parcourues posséderont une nature de sol ou de végétation permettant à l’ancre de mordre facilement ;

3° Les surcharges maxima imposées à l’aérostat par les influences extérieures ne dépasseront, dans aucun cas, les surcharges dues au brouillard ou à la pluie.

Voyages fictifs. - Avant d’entreprendre l’étude de la traversée du continent africain, l’auteur du projet fait exécuter par son aérostat trois voyages fictifs à travers l’Europe, des bords de l’Atlantique à la frontière d’Asie, distance supérieure à 3000 kilomètres, voyages dont il est possible d’imaginer avec rectitude les parcours grâce aux renseignements fournis par les bulletins du Bureau central météorologique qui donnent pour chaque jour, matin et .solr, la force du vent et sa direction en un grand nombre de points’ de l’Europe :

Vent < Aérostat < <
Force Vitesse à l’heure Vitesse à l’heure Vitesse par jour Arrêts
0 0 à 10 km 0 à 2 km 50 km Possibles
1 0 à 13 km 0 à 5 km 120 km Id
2 0 à 26 km 0 à 18 km 430 km Id
3 0 à 39 km 0 à 31 km 740 km Impossibles
4 0 à 52 km 0 à 44 km 1050 km Id
5 0 à 65 km 0 à 57 km ’’ Id
6 0 à 78 km 0 à 70 km ’’ Id
7 0 à 91 km 0 à 83 km ’’ Id
8 0 à 104 km 0 à 96 km ’’ Id
9 0 à 117 km à 109 km ’’ Id

D’abord, dans un tableau reproduit ci-dessus, la vitesse de marche de l’aérostat guide-ropant est établie suivant les différentes vitesses du vent, avec indication de la limite de possibilité d’arrêt.

Le premier voyage est supposé s’exécuter en juillet 1888, trimestre de l’année le plus favorable en Europe.

Le 1er juillet, départ de Paris à 6 heures du matin avec vent du N.- W. de 26 kilomètres à l’heure, vitesse qui se maintient toute la journée ; l’aérostat passe vers 8 heures et demie du soir à hauteur de Dijon qu’il laisse sur sa droite ; à cette heure le vent hâle le nord, sa vitesse tombe à 13 kilomètres.

A 4 heures du matin, 2 juillet, Dôle est atteint, le vent tombe complètement, l’aérostat reste immobile sur son guide-rope ; à 10 heures, vent de N.-W. ; il repart avec une vitesse de 5 kilomètres qu’il conserve toute la journée, il passe non loin de Pontarlier vers 10 heures du soir, franchit le Jura et entre en Suisse.

Le 3, à l’aurore, il aperçoit le lac de Neufchâtel, le vent passe au S.-E. avec force à peine sensible, nouvel arrêt ; à 6 heures du soir, vent d’est, vitesse 13 kilomètres, les aéronautes larguent une petite : ancre et rendent l’aérostat captif. .

Le 4, au matin, le vent ayant tourné au S.-W., reprise de la marche avec 5 kilomètres à l’heure, Bienne est atteint vers 7 heures ; le temps orageux s’accentue, le vent fraîchit et passe au S.-S.-W., un orage éclate dans la vallée du Rhône ; à midi, l’aérostat atteint Zurich avec une vitesse de marche de 18 à 20 kilomètres à l’heure, le ciel se couvre complètement, le vent tombe, troisième arrêt.

Dans la matinée du 5, vent faible du S.-W., l’aérostat repart avec une vitesse. de 3 kilomètres à l’heure, qui augmente jusqu’à 5 kilomètres vers midi ; vers 7 heures du soir, il passe au-dessus du lac de Constance, puis le vent tourne et souffle de l’W., puis fraîchissant passe à l’W.-S.-W., la vitesse s’accélère à 18 kilomètres et reste telle pendant toute la nuit.

Le 6, au matin, aux environs de Linz (Autriche), le vent s’établit franchement à l’W., vitesse faible ; l’aérostat avance à 5 kilomètres à l’heure et suit la vallée du Danube pendant tout le jour et la nuit durant laquelle sa vitesse s’accélère un peu.

Le matin du 7, il passe au-dessus de Vienne, le vent W. fraîchit, vitesse 18 kilomètres à l’heure, pluie, jusqu’au 8 au matin, où il franchit la rivière Tisza à Tarpa (Hongrie) ; puis le vent saute au N.-E., et au N,-N.-E. une ancre est jetée, arrêt.

Le 8 au soir, le vent halant le N.-W., la marche est reprise avec une vitesse de 5 kilomètres à l’heure.

Le 9 au matin, Nagy-Bania est en vue après avoir franchi 50 kilomètres dans la nuit. Le vent tourne au N.-N.-W. avec même vitesse et pousse l’aérostat vers Dées (Hongrie) qu’il atteint vers 8 heures du soir.

Pendant la nuit, le vent revient au N.-W., avec vitesse de 13 kilomètres qu’il conserve toute la journée du 10 ; l’aérostat passe à 8 heures du soir à Udvar hély (Transylvanie).

Le 11, matin, la chaîne des Alpes transylvaniennes. est franchie au-dessous de la passe d’Oytos. Le vent reste N.-W " faible ; la vitesse de marche tombe à 3 kilomètres à l’heure, Odobesci est atteint vers 6 heures du soir. Le vent tombe ; arrêt pendant la nuit et la journée du 12.

A 8 heures du soir, vent du S.-W., l’aérostat repart avec vitesse de 5 kilomètres à l’heure et atteint Barladu ; pluie, puis vent du N.-E., arrêt, puisque la direction est défavorable.

Le 15, vent de l’W., marche reprise à 5 kilomètres à l’heure ; le 16, même vent, l’aérostat traverse la Bessarabie.

Il franchit, le 17, le chemin de fer de Bolgrad à Bendery, près du Kogilnick ; il pleut, vent faible, marche presque nulle ; mais, dans l’après-midi, le vent se lève du S.-W. et augmente rapidement de force ; l’aérostat est entraîné à raison de 44 kilomètres à l’heure, par un vent de 52 kilomètres qui dure toute la nuit.

Après un parcours de 500 kilomètres en douze heures, il arrive sur les rives du Dniéper, en amont de Krementchoug, le 18 au matin ; la force du vent diminuant peu à peu, il passe à Poltawa ; puis, sur le soir, le vent tombe et l’aérostat reste immobile.

Dans la nuit du 19 au 20, le vent se lève W.-S.-W., la marche reprend ; vitesse, 5 kilomètres à l’heure, qui augmente jusqu’à 18, faisant atteindre Karkow à l’aurore.

Vers 7 heures du matin, le vent qui souffle de l’W. augmente jusqu’à 39 kilomètres à l’heure. L’aérostat marche à raison de 31, et franchit le Don non loin de son confluent avec le Khoper, puis le vent faiblit et la voie ferrée de Tzaritzin à Moscou est franchie dans la matinée du 21.

Les renseignements des bulletins du Bureau central météorologique ne permettant pas de déterminer avec précision la force et la direction du vent à l’est du 40e degré de longitude, la relation fictive de ce voyage, pour conserver son caractère d’exactitude, doit prendre fin en ce point.

Récapitulation : Durée du voyage : 21 jours ; Distance utile franchie : 3000 kilomètres ;

Distance utile qui eût été franchie en 68 jours : 10 700 kilomètres.

Ce voyage fictif, effectué par des vents de vitesses variées, tels qu’ils se sont produits réellement, représente le voyage type, c’est-à-dire le parcours le plus probable d’un aérostat qui chercherait à traverser l’Europe, en partant de Paris, au mois de juillet, si l’exécution n’en était matériellement rendue impossible par le guide-rope qui causerait de trop grands dégâts sur son passage.

Le deuxième voyage est supposé en juillet 1889 ; départ de Paris, le 15, par un vent de W.-S.-W.

Itinéraire : Le 15 : Paris, Mézières, Charleville ; le 16 : Givet, Coblentz, Cassel, Gandersheim ; arrêt, vent contraire ; le 17 : Magdebourg, Charlotembourg ; arrêt, vent portant vers la Baltique ; 18 : Breslau ; arrêt, pas de vent ; 19 : Tamaszow ; arrêt, vent contraire ; 20 : id. ; 21, 22 : Varsovie ; arrêt, pas de vent ; 23 : Tikocin ; arrêt, vent contraire ; 24, 25, 26 : arrêt, vent contraire ; 27 : marais de Volhynie ; arrêt, vent contraire ; 28, 29 : Kiew, vallée du Dniéper, Krementchoug ; 30 : Ekaterinoslav ; arrêt, vent portant vers la mer d’Azow ; 31 : Bereslaw, Kerson ; atterrissage, vent portant vers la mer Noire.

Récapitulation : Durée du voyage : 16 jours ; Distance utile franchie : 2680 kilomètres ; Distance fictive en 68 jours, 11 400 kilomètres.

Le troisième voyage est supposé en juillet 1890 ; départ de Paris, le premier jour de vent favorable, le 10, et aboutit le 31, à Nicolajewskoja, sur le Don.

Durée du voyage : 21 jours ;

Distance utile franchie : 3000 kilomètres.

L’étude de ces voyages, accomplis dans des conditions normales par l’utilisation des vents d’Europe, démontre la possibilité, pour un aérostat capable de se soutenir en l’air une soixantaine de jours sans être regonflé, de parcourir une distance d’environ 10000 kilomètres ; d’autant plus que la configuration de l’Europe, resserrée entre de nombreuses mers qui s’avancent profondément dans l’intérieur des terres n’a pas permis d’utiliser toujours tous les vents portant dans la direction de l’E,, et a occasionné de nombreux arrêts.

On pourrait songer à utiliser des vents plus rapides, tels que ceux qui parcourent souvent notre continent de l’W. à l’E. ; il suffirait pour cela de partir par un vent d’W. un peu fort promettant une certaine persistance. Le voyage entrepris dans ces conditions présenterait le grave inconvénient d’exposer l’aérostat à l’action des troubles atmosphériques qui accompagnent les vents violents : de plus, poussé par un vent de vitesse supérieure à 10 mètres, il courrait le risque d’être entraîné, sans arrêt possible, hors de la direction générale de sa route, pour peu que la direction du vent vint à changer.

L’auteur établit deux voyages fictifs, dans ces conditions, toujours calculés jour par jour par les indications officielles du Bureau central météorologique.

Dans le premier, le départ de Paris est supposé s’être effectué le 10 août 1890, par un vent de S.-w. de 20 kilomètres à l’heure. Vers le 20 août, par un vent ayant peu varié en direction et en vitesse, l’aérostat aurait atteint Welsk, sur la Dwlna (Russie), après avoir parcouru en dix jours une distance utile de 3000 kilomètres, ce qui permet d’estimer la distance utile qu’il eût franchie en 68 jours à 20000 kilomètres, cette période ayant présenté cette particularité favorable d’une constance de vent de force supérieure à la moyenne avec des circonstances météorologiques satisfaisantes.

Dans le second voyage fictif, le départ est supposé s’être effectué de Paris, le 2 août 1890, par un vent d’W. L’aérostat, porté pendant les premiers jours par des vents de vitesse modérée variant entre N.-W. et S.-W., atteint Prague, en Bohême, dans des conditions de marche régulière, vers le 13 ; ce jour-là, le vent saute au S.-E. avec une vitesse voisine de 40 kilomètres à l’heure. L’aérostat ne peut pas s’arrêter sur son ancre, quoiqu’il soit poussé dans une direction contraire à celle de son voyage, car le vent est trop violent, et, le 14 au matin, à est à Hambourg, où il est forcé d’atterrir sous peine d’être jeté dans la mer du Nord,

Cet exemple d’un cas où un vent contraire et violent vient arrêter la marche de l’aérostat se produit très rarement en Europe pendant l’été, époque. où les vents y sont généralement réguliers ; cependant il démontre que de pareilles tentatives ne sont pas à conseiller.

Les exemples de trajets considérables accomplis en quelques heures abondent. dans les annales de l’aéronautique. L’un des plus remarquables est celui qu’accomplirent deux aéronautes lors de l’investissement de Paris en 1871 ; partis pendant la nuit de la capitale bloquée, ils atterrirent le lendemain dans la Norvège, ayant parcouru près de 2000 kilomètres en vingt-quatre heures, marchant à raison de 83 kilomètres à l’heure. Un voyage du même genre, quoique moins rapide, fut accompli par MM. Flammarion et Eugène Godard, au mois de juillet 1869 ; partis de Paris à 5h 20 du soir, Ils atterrirent le lendemain matin, à 6 heures, près de Solingen (département de Düsseldorf), ayant parcouru 550 kilomètres en douze heures et demie.

Dans tous les cas, la conclusion suivante est indiscutable : la traversée d’un continent possédant des vents régnants au moins aussi bien caractérisés que ceux d’Europe est possible sur un parcours voisin de 10000 kilomètres, sous la seule réserve d’un choix judicieux du point de départ et de l’époque du voyage.

Dans la première partie de son étude, l’auteur du projet (Léo Dex et M. Dibos) a établi la possibilité, pour son aérostat, de franchir des distances même supérieures à 10 000 kilomètres ; en abordant la deuxième partie, il rappelle que la méthode de navigation qu’il préconise ne pourra donner ce résultat que si les régions à traverser satisfont aux trois conditions suivantes :

1° Des vents régnants bien caractérisés soufflant dans ces contrées pendant au moins deux mois consécutifs ; 2° Une nature du sol et de la végétation permettant à l’ancre une prise facile ; 3° Des conditions climatologiques telles qu’à aucun moment de la traversée l’aérostat ne soit exposé à subir, du fait d’une cause accidentelle, aucune surcharge extraordinaire, et particulièrement qu’on n’ait pas à craindre sur le ballon et les agrès des dépôts considérables de givre ou de neige.

A priori, les régions polaires ne satisfont à aucune de ces trois conditions.

Les régions à climat tempéré satisfont à la seconde, à peu près à la première, et pendant l’été à la troisième. Une exploration par ballon pourrait donc y être entreprise, puisque théoriquement elle est possible ; mais, outre que ce mode d’exploration ne produirait aucun résultat bien appréciable dans des contrées où tout est connu, il y a impossibilité matérielle à la tenter en raison des dégâts considérables qui seraient occasionnés par la traînée du guide-rope en câble d’acier.

Les régions intertropicales, à de rares exceptions, offrent au contraire de grands avantages à l’exécution de voyages aériens d’exploration ; certaines d’entre elles sont peu ou pas connues, et l’existence des vents réguliers qui y règnent, comme l’auteur le prouve un peu plus loin, en rendent la traversée très praticable.

Les contrées qui réunissent ces bonnes conditions de navigation aérienne sont l’Australie, l’Amérique du Sud et l’Afrique, à traverser de l’Orient à l’Occident à l’époque des alizés qui y soufflent, en amenant en même temps une grande régularité dans l’état météorique des zones qu’ils traversent.

Après avoir Indiqué la possibilité de traverser ainsi l’Australie et l’Amérique du Sud, ainsi que les conditions dans lesquelles se feraient probablement ces voyages, l’auteur conclut que la traversée de l’Afrique septentrionale, dont la longueur serait de 4000 à 7000 kilomètres et la durée de 24 à 41 jours, est celle qui, tout en réunissant les plus favorables conditions au point de vue de l’utilisation des vents réguliers, présente le plus grand intérêt scientifique et politique, puisqu’on ne possède sur cette région que de très vagues notions géographiques, et que de plus elle est située en presque totalité dans la zone d’influence réservée à la France par le traité de Berlin.

Grands courants aériens intertropicaux. - Sous ce titre, l’auteur établit l’existence terrestre des alizés à travers les grands continents intertropicaux, en s’appuyant sur les observations faites par les savants qui se sont occupés des phénomènes météoriques de ces parties du globe.

Halley et Hadley émettent l’opinion que sous l’action incessante des rayons solaires qui, dans la zone équatoriale, ont une incidence méridienne presque verticale, les couches d’air voisines du sol s’échauffent moins par l’effet de la radiation directe que par suite de la chaleur réfléchie par le sol lui-même.

Cet échauffement détermine un courant ascendant qui porte l’air des couches inférieures dans les régions plus élevées de l’atmosphère où il se déverse et s’écoule, en partie du côté du nord, en partie du côté du sud de l’équateur ; ce phénomène crée donc deux courants aériens supérieurs marchant l’un vers le nord, l’autre vers le sud.

, L’air réchauffé et raréfié, à mesure qu’il s’écoule par les régions supérieures de l’atmosphère équatoriale vers les latitudes plus froides, est remplacé par l’air plus dense de ces dernières régions ; de là deux courants inférieurs de directions opposées à celles des courants supérieurs, venant l’un du nord dans l’hémisphère boréal, l’autre du sud dans l’hémisphère austral.

Ce sont ces deux vents qui, déviés à l’ouest par l’effet du mouvement de rotation de la terre, deviennent les alizés du N.-E. de l’hémisphère boréal, et les alizés du S.-E. de l’hémisphère austral. Ces vents, pendant leur course vers l’équateur, passent graduellement sur des parallèles dont les diamètres vont croissant, ce qui augmente leurs vitesses tangentielles de rotation ; mais comme la vitesse absolue de rotation des masses d’air ne change pas aussi rapidement que celle des parallèles traversées, elles semblent rétrograder vers l’ouest, ce qui produit pour les alizés de l’hémisphère boréale une direction apparente du N.-E. au S.-W., et pour ceux de l’hémisphère austral du S.-E. au N.-W.

Les deux courants formés dans les hautes régions de l’atmosphère par l’ascension des nappes d’air réchauffées au contact du sol ont donc des directions diamétralement opposées à celles des alizés terrestres, et constituent les contre-alizés supérieurs ou vents polaires du N. et du S., qui en s’éloignant des tropiques quittent les hautes régions pour se rapprocher de la surface du sol et créent des vents d’ouest et de sud-ouest, vents régnants des régions tempérées de notre hémisphère.

L’anneau d’aspiration, suivant dans sa marche le soleil qui se déplace d’un tropique à l’autre, fait participer successivement certaines contrées au régime des alizés ; ainsi, pour l’Inde, l’anneau d’aspiration, placé en été à l’extrême pointe du continent Indien, produit un vaste déplacement des couches atmosphériques remontant à cette époque au nord de l’Indoustan, parce qu’alors c’est le continent qui s’échauffe le plus, ce qui entrai ne dans la mer des Indes l’alizé du S.-E. En hiver, les conditions sont inverses ; c’est le continent qui est refroidi, l’anneau d’aspiration descend au-dessous de l’équateur et la mer des Indes essuie l’alizé du N.-E.

En Afrique, l’anneau d’aspiration reste à peu près fixe ; il est compris entre le cinquième et le quinzième degré de latitude nord ; au delà de cette zone, dans l’immense pays qui va de l’Atlas aux confins du Soudan ; règne éternellement l’alizé du nord qui, desséché par son passage sur les crêtes élevées et s’échauffant de plus en plus dans sa course vers le sud, a enlevé à la terre toute trace d’humidité et à la végétation toute source de vie. Les mêmes causes continuent fatalement le désert dans la direction du N.-E., à travers l’Égypte, qui n’est qu’une oasis, l’Arabie, la Mongolie et les hauts plateaux du Thibet.

Les déserts occuperaient sur la terre une étendue bien plus grande si l’atmosphère de la zone torride ne marchait de l’est à l’ouest par suite de la rotation de la terre. Ce mouvement a pour résultat de porter dans le même sens sur les continents d’Afrique et d’Amérique l’air saturé d’eau des océans des Indes et de l’Atlantique et de produire des pluies sur les côtes orientales de ces continents ; par contre, ces masses d’air, une fois leur humidité perdue, ne produisent plus que le dessèchement ; ainsi, en Amérique, après avoir franchi les Cordillères et à l’ouest du Mexique, de même en Asie, après les hautes montagnes du Thibet où commence, avec le désert de Gobie, la suite ininterrompue des pays éternellement desséchés dont le Sahara est le dernier.

Si ces diverses contrées sont ainsi privées d’eau de pluie, la cause en est principalement, dit Reclus, aux vents alizés qui, dans leur marche régulière à travers les continents, absorbent constamment de nouvelles quantités de vapeur à mesure qu’ils se rapprochent de la zone équatoriale et que leur température s’accroit.

L’existence même des alizés ne peut être mise en doute ; ils sont observés chaque jour sur mer par les navigateurs. Guillemin, dans sa Météorologie, dit que les alizés du N.-E. n’arrivent point en moyenne jusqu’à la ligne équatoriale, mais que les alizés du S.-E. la débordent au contraire, ce qui établit le relèvement vers le nord de l’anneau d’aspiration. Malte-Brun, dans sa Géographie, confirme ce fait en parlant du Soudan et particulièrement du Bornou, qui, situé au S.-W du lac Tchad, est au nord du dixième degré de latitude boréale.

De même le capitaine Burton, dans sa relation de voyage aux grands lacs de l’Afrique orientale (1862), rapporte que le vent d’E. souffle presque toute l’année, et que, vers la fin de décembre, ce vent passe au N., puis au N.-E. où il se fixe. Stanley, dans son voyage à la recherche d’Emin-Pacha, relate de Nsabé, au mois de mai, de terribles orages de N.-E., précédés de bourrasques du S.-E., tournant à l’E. ; or, Nsabé est situé sur l’équateur, et ces directions du S.-E. et du N.-E. passant par l’E. indiquent la rencontre des deux alizés déterminant un courant allant de l’E, à l’W. du monde, suivant l’hypothèse de Reclus, et qu’il existe entre le cinquième degré de latitude N. et le troisième degré de latitude S. un courant constant traversant l’Afrique de l’Orient à l’Occident.

L’auteur fait suivre cette première partie de son étude. sur l’existence des alizés à la surface des continents d’une démonstration de l’existence des contre-alizés, démonstration basée sur de nombreuses citations, mais principalement sur les observations faites au pic de Ténériffe, dont le sommet est en effet assez élevé(plus de 3000 mètres) pour qu’il se trouve dans le courant supérieur à toute époque de l’année et où souffle presque constamment un vent de S.-O., et il termine par cette conclusion : De ce qui précède, il ressort que non seulement les vents alizés existent et soufflent régulièrement pendant presque toute l’année, mais encore que les contre-alizés forment en même temps, dans les hautes régions de l’atmosphère, un courant contraire, soufflant d’une façon constante, mais à des hauteurs variables, suivant l’époque.

Régime des alizés à la surface des continents. - Dans ce paragraphe, le but de l’auteur est de faire ressortir que les alizés soufflant à la surface des continents y ont des directions moyennes identiques à celles suivies par les alizés océaniques.

Les lois générales qui régissent ces vents sont les mêmes, mais ils ne peuvent avoir la même régularité sur les continents et sur les mers. À la surface des océans, les masses d’air en mouvement ne sont arrêtées par aucun obstacle, elles se propagent librement vers la zone équatoriale et ne peuvent pas être détournées de leur route par l’appel de. quelque foyer maritime de chaleur ; au milieu des continents, au contraire, il existe de ces foyers qui augmentent la température des couches d’air, celles-ci cherchent à s’élever et produisent des centres d’aspiration tendant à troubler la régularité des courants atmosphériques ; le désert de Libye en est un exemple saillant, l’air, surchauffé par l’excessive réverbération de ses sables, monte dans l’espace et forme un vaste appel qui infléchit les vents régnants des contrées avoisinantes vers son centre ; en outre, les plateaux et les groupes de montagnes placés au milieu des régions désertes, comme le Djebel-Hoggar au milieu du Sahara, troublent et font dévier momentanément la marche des vents réguliers. Les alizés ainsi particulièrement déviés conservent cependant leur direction générale, la même qu’au-dessus des mers, comme le prouvent les observations météorologiques faites dans les pays tropicaux, observations assez restreintes, mais cependant assez concluantes pour avoir permis à Élisée Reclus de dire : On ne saurait douter que les alizés ne soufflent sur les vastes étendues continentales, aussi bien qu’à la surface des mers.

Dans l’hémisphère boréal, les vents de pluie sont, en générai, ceux qui soufflent du S. au N., en passant par l’W., et les vents secs, ceux qui vont du S. au N., en passant par l’E. Dans le désert du Sahara, où il ne pleut jamais, il est indubitable qu’un vent de N.-E. souffle constamment ; les hauts plateaux de l’Asie ont déchargé de son humidité ce vent qui ne laisse tomber de rares pluies qu’au sommet des monts, tels que le Djebel-Hoggar, et trouble à peine d’un nuage l’inaltérable azur du ciel.

L’époque où l’alizé est le mieux nourri correspond pour cet hémisphère, d’après le lieutenant de vaisseau Tournier, à la période des sécheresses de décembre à mars ; quant aux causes perturbatrices de la régularité de direction, elles paraissent fort peu exister dans la partie septentrionale du centre de l’Afrique, et dans tous les cas, si elles sont sensibles au ras de terre, elles ne le sont plus ou beaucoup moins dans la région comprise entre 200 et 300 mètres au-dessus des inégalités du sol, dans laquelle l’aérostat serait le plus souvent plongé pendant sa route.

Comme corollaire de ce qui précède et comme démonstration concluante de l’existence des alizés continentaux dans l’Afrique septentrionale, l’auteur cite les observations faites par M. Dupouy, médecin de la marine, au fort de Kita(haut Sénégal), à 600 kilomètres dans l’intérieur des terres.

En cette station, M. Dupouy a observé qu’au mois d’octobre les vents passent franchement à l’E., et que pendant la saison sèche, c’est-à-dire de novembre à avril, ils soufflent de la région E. avec prédominance au N.-E., frais en novembre et décembre, très chauds en mars et avril. En mai, les vents essentiellement variables tournent à l’W. et soufflent de cette direction et du N.- W. jusqu’au mols de septembre, où ils oscillent entre le N.-W. et le N.-E., en passant par le N.

Ces observations portant sur deux années consécutives (1882-1883) prouvent d’une façon complète l’existence de l’alizé du N-E. pendant la saison sèche (correspondant à l’hiver des régions tempérées de l’hémisphère boréal).

Le journal d’observation de M. Dupouy est, dans cette question, un document d’une trop grande importance pour qu’il ne soit pas spécialement indiqué. En voici un extrait pour les mois de novembre et décembre 1883 :

NOVEMBRE < < DÉCEMBRE < <
dates Vents état du ciel dates Vents état du ciel
1 Est Beau 1 Est Couvert
2 Est-Nord-Est - 2 - -
3 Est - 3 - -
4 - - 4 - -
5 - - 5 - -
6 - - 6 Nord-Est Beau
7 - - 7 - -
8 - - 8 - -
9 Est-Nord-Est - 9 - Couvert
10 Est Couvert-orage 10 Est Beau
11 - Couvert 11 - -
12 - - 12 - Couvert
13 - - 13 - Un peu couvert
14 - Beau 14 - -
15 - - 15 - -
16 - Couvert 16 - -
17 - Beau 11 - -
18 - - 18 - -
19 - - 19 Nord-Nord-Est -
20 Sud-Est - 20 - -
21 Est - 21 - -
22 - - 22 Nord-Est Brume
23 Sud-Est - 23 - Forte brume
24 Nord-Nord-Est - 24 Est -
25 Nord-Est - 25 - Couvert
26 - Couvert 26 - -
27 - Beau 27 - -
28 - - 28 - -
29 Nord-Nord-Est - 29 Nord-Est Couvert et beau
30 Nord-Est - 30 - -
< < 31 - -

Ces tableaux font ressortir avec quelle régularité souffle l’alizé à cette époque de l’année.

Ce vent, après avoir traversé le Sahara, comme l’indique la marche des dunes relatée par Duveyrier, vient suspendre les pluies dans les bassins du Niger et du Sénégal à l’époque où le soleil, passé au sud de l’équateur, a entraîné avec lui l’anneau d’aspiration.

Au contraire, pendant la saison hivernale (qui pour les pays tropicaux est celle qui correspond à l’été des régions tempérées situées dans le même hémisphère), le soleil frappant verticalement les régions voisines du tropique du Cancer fait franchir à l’anneau d’aspiration les contrées arrosées par ces fleuves, la mousson chasse l’alizé, amenant avec elle les pluies qui caractérisent cette saison.

Dans la partie méridionale de l’Afrique, l’alizé du S.-E. se fait sentir non moins régulièrement que celui du N.-E. dans l’Afrique septentrionale. D’après. Livingstone, ce vent traverse en entier le continent de l’embouchure du Zambèze au littoral de l’Angola.

Malheureusement, les observations sur la direction des vents font l’objet de fort peu de relations détaillées, celles de la nature précise des tableaux de M. Dupouy sont des plus rares, ce qui n’a pas permis d’établir d’une manière absolument irréfutable, par preuves, le régime exact des alizés à l’intérieur de l’Afrique, mais le peu qui existe est tellement concordant que les présomptions qui en résultent sont très suffisantes pour conclure à leur régularité.

Les alizés dans leur marche vers l’équateur traversent des parallèles de plus en plus larges ; leurs nappes, s’étendant sur des espaces de plus en plus considérables, arrivent dans le voisinage de l’équateur avec une vitesse très faible et une direction qui diffère peu de celle qui va de l’orient à l’occident.

En mer, il a été constaté que les deux masses d’air causent, en se rencontrant sur la zone d’aspiration verticale, des vents variables et des remous aériens séparés par de longs calmes dont l’anneau circulaire occupe au-dessus des mers une largeur variant de 250 à 1000 kilomètres. Cette zone, connue des marins sous le nom de Pot au Noir, est une région où l’atmosphère se trouve plus souvent en équilibre qu’en toute autre partie du globe. La durée de ces calmes est, d’après les observations faites, de 1/8 en moyenne sur la totalité de l’année.

Il est permis de supposer que les mêmes phénomènes se produisent dans la zone terrestre intertropicale.

L’auteur termine cette partie de son étude par un tableau récapitulatif de toutes les relations qu’il a pu recueillir sur la question des vents du centre de l’Afrique, et en dresse une carte ; et, à l’aide de ces deux documents, il conclut que les contrées que l’aérostat devra éviter comme présentant des conditions défavorables de direction de vents sont :

1° Le désert de Libye, dont la masse sablonneuse échauffée produit des appels d’air qui causent de grandes perturbations dans les courants réguliers ;

2° Le plateau d’Abyssinie, où, au dire des voyageurs, unanimes à ce sujet, les vents sont irréguliers et les orages fréquents ;

3° Le massif de Cameroun, sillonné de nombreux coups de vent.

Qu’en outre certaines contrées présenteraient quelques difficultés au point de vue météorologique ; ce sont :

1° Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, dont les vents sont irréguliers ;

2° La basse Égypte, dont certains vents entraîneraient l’aérostat vers le désert de Libye ;

3° Quelques régions du Sahara occidental, le désert de El-Djout, par exemple, pour les mêmes raisons que le désert de Libye ;

4° Les contrées montagneuses de l’équateur (massif du Kenya, du Kilimandjaro, plateau de l’Albert Nyanza, etc.), fréquemment visitées par les orages.

Les autres parties de l’Afrique septentrionale sont navigables dans de bonnes conditions météorologiques pour un aérostat partant au commencement de la saison sèche de l’un des pays baignés par la Méditerranée ou le Pacifique, possédant des points convenablement situés (qu’il indique ultérieurement), pour atteindre les lits de trois fleuves aériens principaux qui vont d’un courant régulier d’une de ces mers à l’Atlantique.

Le premier de ces courants traverse le Sahara central et le bassin du Niger, en partant des côtes de la Tunisie ;

Le second, partant de la mer Rouge, traverse le Soudan et rejoint le bassin du Niger ;

Le troisième va de la mer des Indes à la côte de la Gabonie.

Vitesse des alizés. - Avant de commencer l’étude des parcours de l’aérostat, il importe de connaitre la rapidité des courants destinés à l’entraîner, c’est-à-dire la vitesse des vents alizés à la hauteur de navigation aérienne moyenne.

De nombreuses observations fournissent, par comparaison, sur cette question, des renseignements précis ; ainsi, entre autres, à Paris, des observations sont faites par le Bureau central météorologique, au bureau même et au sommet de la tour Eiffel. Or, de toutes ces observations, il résulte que la vitesse du vent est toujours, à 300 mètres d’altitude, supérieure à celle qui existe au ras du sol.

L’aérostat devant subir l’influence de la vitesse du vent à une hauteur qui variera, dans sa marche normale, entre 50 et 300 mètres, il importait d’établir la vitesse du vent à ces hauteurs par rapport à celle qui a été relevée en divers lieux au ras du sol. L’auteur a déduit cette différence de plusieurs séries d’observations officielles, et a conclu qu’elle était de 6 unités, dans l’expression de la vitesse en mètres à la seconde ; c’est-à-dire que la vitesse du vent à terre étant, en un point donné à terre, représentée par x, la vitesse à 300 mètres d’altitude en ce même point est de y = x + 6 : en mètres à la seconde.

Les vitesses moyennes des vents alizés à une faible hauteur au-dessus de la surface du sol sont :

D’après les documents du Bureau central météorologique de 9 à 16 kilomètres à l’heure ;

D’après Brault, lieutenant de vaisseau, de 12 kilomètres à l’heure ;

D’après Stanley ; qui a collationné diverses observations faites au Congo, de 8 kilomètres et demi à l’heure.

La vitesse des alizés, qui soufflent évidemment avec plus de force sous les tropiques que sous l’équateur, est, par suite, à terre, de 12 à 12,5km sous les tropiques, de 10 à 12 kilomètres sous l’équateur, d’octobre à janvier, correspondant à une vitesse moyenne de 3 à 4 mètres par seconde (vitesse supérieure à celle trouvée pour les vents de France, qui est de 1,50m à 2,30m).

La vitesse vraie de l’alizé est donc, d’après la différence admise ci-dessus, de 9 à 10 mètres à la seconde, et la vitesse moyenne d’un aérostat libre, entraîné par l’alizé, serait de 32 à 36 kilomètres à l’heure.

L’aérostat au guide-rope se maintenant à une distance moyenne du sol de 150 mètres, la vitesse moyenne avec laquelle il se déplacera peut donc être évaluée de 11 à 14 kilomètres à l’heure, vitesse certainement inférieure à la réalité, car la vitesse à 150 mètres d’altitude n’est pas la moyenne des vitesses au ras du sol et à 300 mètres, mais bien plutôt la vitesse même ou sensiblement la même que celle de 300 mètres ; néanmoins il convient de s’en tenir à cette évaluation dans une question de cette nature, de manière à faire une large part aux aléas défavorables et pour rester au-dessous de la réalité plutôt que de la dépasser.

Itinéraires de l’aérostat. - Avant de tracer les itinéraires présumables de l’aérostat, l’auteur détermine les conditions que doit remplir le point choisi pour le départ.

Tout d’abord, ce point devra se trouver non loin d’une voie de communication permettant au matériel venu d’Europe d’être amené sans de trop grandes difficultés jusqu’à l’endroit choisi pour l’exécution du gonflement. Les voies ferrées étant toutes dans des contrées défavorables au départ, il ne reste que les bords de mer, ou la vallée du Nil.

En outre, en ce point, les vents régnants devront être tels qu’ils portent vers le courant régulier des alizés, sans que l’on ait au début de trop hautes montagnes à franchir, ce qui occasionnerait une trop forte dépense de lest.

En raison de la direction des alizés et des vents régnants dans les pays côtiers, le point de départ doit être à l’est entre Alger et l’île de Zanzibar.

La présence de l’Atlas fait exclure la côte algérienne ; sur les hauts plateaux qui existent au sud de cette chaine, un départ pourrait être tenté, mais il y a avantage à le reporter plus à l’est, au sud du golfe de Gabès, d’où l’aérostat aura tout d’abord à parcourir une région peu explorée de faible altitude.

Le littoral du golfe de la Grande Syrte, entre les chotts de Misrata et la ville de Syrte, présente des avantages équivalents.

La côte méditerranéenne de l’Égypte doit être exclue, car il faudrait traverser le désert de Libye. Sur le Nil, il en est de même dans toute la partie inférieure de son cours.

Il y a obligation à remonter jusqu’à Dongolah. Entre cette ville et Debeh, un point peut être adopté ; on aura, il est vrai, pour amener le matériel aérostatique par voie d’eau jusqu’à cette portion du cours du fleuve, à lui faire franchir trois cataractes ; mais la réalisation d’un pareil transport est possible, les Anglais étant parvenus à amener par la même voie jusqu’à Khartoum, situé plus au sud, un matériel de guerre beaucoup plus lourd et plus encombrant.

La côte égyptienne de la mer Rouge, entre le cap Elba et Souakim, offre également une région favorable au départ, moins avantageuse cependant que la station précédente, parce que les vents d’est sont peu réguliers sur la côte de la mer Rouge, et que, par suite, l’aérostat aura de la peine à gagner le Kordofan où ils soufflent plus régulièrement, et qu’en conséquence, pendant cette première partie de sa traversée, il courrait le risque d’être rejeté, soit au nord vers le désert de Libye, soit au sud vers le massif d’Abyssinie qui, ,par la hauteur de ses crêtes, l’irrégularité de ses vents et la fréquence de ses tempêtes, présente les plus sérieux obstacles.

Le littoral abyssin et le golfe d’Aden ne peuvent convenir, à cause du voisinage du massif abyssin.

La côte entre les 12e et 6e parallèles N. ne semble pas propice pour les mêmes raisons, de même entre le 3e parallèle et Zanzibar où les vents régnants portent sur le plateau des .grands lacs dont les premiers contreforts, situés à 200 kilomètres de la mer environ, ont une altitude souvent supérieure à 2000 mètres.

La seule portion du littoral compris entre le cap Gardafui et Zanzibar qui puisse être acceptée comme point de départ est donc le rivage des Somali, à la condition de partir par un vent d’est, fréquent dans cette région ; ce vent ferait franchir le plateau des grands lacs dans la dépression existant, au dire des rares voyageurs qui l’ont entrevu, sur une largeur de 300 kilomètres environ, entre les 3e et 6e parallèles N.

Mais ces deux derniers points, tout en étant théoriquement admissibles, présentent des chances d’insuccès, par ce fait que l’aérostat doit franchir tout d’abord une sorte de défilé et que s’il le manque il se trouve dans une situation critique.

Après avoir ainsi déterminé les points favorables pour un départ, l’auteur décrit les itinéraires présumables que suivrait l’aérostat dans chacun de ces cas.

Pour le premier, le départ devant s’effectuer de la côte méditerranéenne entre Gabès et El Biban, le but que devront se proposer les aéronautes sera de parcourir le Sahara en se dirigeant vers la portion du Soudan encore peu explorée, située entre Tombouctou et le lac Tchad.

Partant par un vent du N., ils marcheront d’abord vers le sud ; puis, d’après les présomptions résultant de la direction ordinaire des vents de chaque partie des pays traversés, telle qu’elle a été relevée dans le tableau dont il a été parlé précédemment, ils visiteront successivement les territoires de Ghadamès et de Rhat, pays peu connus, mais parcourus par les caravanes indigènes ; le Sahara jusqu’au Niger, partie absolument inconnue ; le cours septentrional du Niger, à peu près inconnu, mais assez peuplé ; la région de Tombouctou, peu connue, mais des plus intéressante à visiter en raison de l’importante tribu des Touaregs ; et enfin le haut Niger et le haut Sénégal, mal connus et en lutte contre l’influence française ; l’atterrissage aurait lieu le plus près possible d’une des nombreuses stations françaises du haut Sénégal.

Cet itinéraire aurait l’avantage de fournir l’exploration de contrées toutes situées dans la zone réservée pal’ les traités à l’influence de la France.

Calculant la durée de ce voyage d’après les présomptions de vitesse des vents utilisés, l’auteur estime qu’elle n’excéderait pas quinze jours, et qu’au moment de l’atterrissage, l’aérostat posséderait une quantité de lest suffisante pour naviguer encore pendant un minimum de 41 jours.

Pour le second itinéraire, l’objectif serait le Tzâdé (lac Tchad) par l’utilisation des vents du nord, fréquents dans la portion du continent africain au sud de la côte tripolitaine, d’où s’effectuerait le départ.

L’aérostat traverserait successivement le désert à peu près inconnu qui s’étend au sud de la Tripolitaine ; le Fezzan, très peu connu, route de caravanes ; le Kawar et les steppes de Manga, régions presque inconnues ; le lac Tchad et les pays voisins, pays peuplés, mais malheureusement encore mal connus ; le Sokoto et l’Haoussa, puis la Guinée, tous fort peu connus, pour aller atterrir sur la côte où l’Angleterre possède de nombreux comptoirs.

Ce voyage demanderait probablement une quarantaine de jours.

Les troisième et quatrième itinéraires feraient parcourir le Kordofan et le Darfour, le bassin du haut Chari, le bassin du Bénué et celui du bas Niger, et enfin le Dahomey.

La durée de ces itinéraires est estimée, pour le troisième, à 21 jours, et pour le quatrième, à 26.

Le cinquième parcours ferait explorer le pays des Somali, peu connu, compris dans la zone de l’influence italienne ; le Zambourou, à peu près ,inconnu ; l’Équateur, État, vassal du Sultan ; le pays des Rivières, mal connu, indépendant ; le bassin de l’Ouellé, peu connu, dépendant en partie de l’État du Congo ; le lac Liba et les pays voisins, tout à fait inconnus, et se terminerait comme les précédents par les bassins du Bénué, du bas Niger et le Dahomey.

Il durerait une quarantaine de jours.

Chacun de ces voyages, transports jusqu’au point de départ compris, coûterait de quatre à cinq cent mille francs.

À la suite de l’exposé de ces itinéraires probables, l’auteur fait ressortir que le voyage qui présente les plus grandes chances de réussite est le premier.

Si ce voyage offre un moindre intérêt au point de vue géographique que les trois derniers, il a sur eux cet incontestable avantage de s’exécuter exclusivement à travers des pays compris dans la zone réservée à l’influence de la France et d’avoir un point de départ présentant de grandes commodités, ainsi qu’une contrée d’atterrissage parsemée de nombreux établissements français offrant de grandes facilités au rapatriement des aéronautes et du matériel aérostatique.

Pour ces raisons, ce voyage devrait être préféré à tout autre pour l’accomplissement d’une première tentative d’exploration aérienne du continent africain. En outre, les observations recueillies en cours de route sur la direction des vents dans le Sahara indiqueraient si les déductions qui ont amené à tracer le second itinéraire en partant des environs de, Syrte pour atteindre le Tzadé sont exactes, et permettraient en outre de se rendre compte de l’influence que peuvent avoir sur la direction des alizés, à l’altitude moyenne à laquelle naviguera l’aérostat, les montagnes, les grandes vallées fluviales, et les autres particularités géographiques et géologiques du sol.

Néanmoins, l’auteur ajoute que quelque confiance que l’on puisse avoir dans le succès de ce voyage, li ne devrait être entrepris qu’après qu’une ou plusieurs expériences de longs parcours, exécutés au moyen d’un aérostat naviguant par la méthode qu’il a indiquée, fût venue prouver, par la sanction de la pratique, la possibilité d’une pareille tentative et faire ressortir les modifications et perfectionnements à apporter au projet pour en augmenter les chances de réussite.

Afin de donner à ces essais le maximum d’intérêt possible, ils devraient avoir lieu à travers une contrée peu connue, présentant lès mêmes conditions géographiques et météorologiques que l’Afrique du Nord, et dont la traversée, n’exigeant qu’un faible parcours kilométrique, assurerait aux aéronautes, en cas d’insuccès amenant l’abandon de l’aérostat, de grandes facilités de rapatriement par la proximité des secours ; par conséquent, la contrée d’expériences devrait satisfaire aux conditions importantes suivantes :

Remplir les conditions de navigabilité énoncées précédemment ;

Offrir à l’aérostat une distance à parcourir d’environ 1000 kilomètres ;

Être situé hors d’Europe et à l’écart des grands centres civilisés ;

Et enfin être une colonie ou faire partie de l’un des protectorats de la France, et que son exploration présente un certain intérêt géographique ou politique.

Parmi le petit nombre de pays se rapprochant de la contrée idéale remplissant toutes ces conditions, deux semblent devoir être préférés : le Sahara algérien et l’ile de Madagascar.

Cette dernière est en tous points préférable au Sahara algérien, dans lequel les vents ne présentent pas assez de régularité et où le point d’atterrissage serait trop incertain.

L’ile de Madagascar, au contraire, est, d’après Élisée Reclus, « comprise dans la zone des alizés, du sud-est ; mais, par suite de l’échauffement des terres, ces vents sont, en générale déviés de leur marche et, d’ordinaire, ils souillent franchement dans la direction de l’est à l’ouest. Les cartes de Brault, qui résument tant de milliers d’observations météorologiques, constatent que le régime aérien y a sa plus grande régularité pendant la saison sèche, c’est-à-dire lorsque le soleil éclaire directement la zone tropicale du nord, d’avril en septembre. »

Enfin, d’après le même auteur, la chaine de montagnes, tracée sur presque toutes les cartes du nord au sud de l’ile, et qui la partagerait en deux parties symétriques, n’existe pas ; « au lieu d’une chaîne régulière, l’ile présente dans les parties du nord et du centre des massifs irréguliers reposant sur un socle commun de hautes terres. »

D’après cette citation et les indications fournies par d’autres géographes sur la hauteur des montagnes dont la généralité ne dépasse pas 1500 mètres d’altitude, un aérostat partant de Tamatave en mai-juin, en pleine saison sèche, serait porté vers la côte ouest de l’île distante de 500 à 600 kilomètres et franchirait cette distance en deux à trois jours. Dans sa courte traversée, il ne rencontrerait, il est vrai, ni orage ni tempête, mais la diversité de la nature du sol permettrait néanmoins d’étudier la presque totalité des incidents qui peuvent se présenter dans le cours d’un voyage aérien de longue durée.

Ce voyage devant avoir une durée très faible et les altitudes à franchir n’étant pas très considérables, le volume du ballon pourrait être réduit, ce qui réaliserait quelques économies. Un ballon de il mètres de rayon, dont le cube est 5500 mètres, serait suffisant ; il permettrait d’emporter tous les objets de manœuvre du ballon de :l4 mètres avec le même nombre d’aéronautes, et fournirait, par conséquent, tous les résultats à attendre d’une expérience faite dans de bonnes conditions.

D’après l’auteur, la critique de ce projet de voyage d’essai à Madagascar pourrait porter sur la durée relativement minime du parcours et sur l’éloignement de l’île, ce qui augmenterait les frais de transport ; la seconde de ces critiques est irréfutable ; quant à la première, il est d’avis que l’expérience, si en raison de son peu de durée ne pouvait pas être admise comme absolument concluante, fournirait cependant des indications tellement utiles et même nécessaires qu’elle mériterait d’être faite pour ces seules raisons.

La deuxième partie du projet se termine en ce point ; puis l’auteur traite dans une troisième partie, qui va être très succinctement analysée, des diverses causes qui peuvent être préjudiciables à la bonne navigation de l’aérostat et des moyens de l’y soustraire.

Des causes susceptibles de nuire à la navigation aérienne. - Ces causes sont classées en deux catégories : les phénomènes électriques et ceux d’agitation de l’atmosphère, les inconvénients inhérents au mode de navigation.

En ce qui ce qui concerne les phénomènes électriques, le danger que peut courir l’aérostat est d’être frappé par la foudre. Il est évident que si cet (accident se produisait, il serait irrémédiable, le ballon serait détruit ; mais il y a tout lieu de supposer qu’il ne se produira pas, et pour plusieurs raisons. D’abord l’aérostat est muni d’un paratonnerre dont l’action restera efficace tant que le guide-rope touchera terre, ce qui dépendra presque toujours de la volonté des aéronautes ; puis la masse de l’aérostat est tellement faible qu’il aurait, même sans paratonnerre, fort peu à craindre d’être frappé, car les annales de l’aérostation ne font mention que de deux accidents de cette nature.

Les troubles de l’atmosphère sont les orages, les tempêtes, les cyclones et les trombes ou tornades.

Une étude très détaillée de ces divers phénomènes, de leur action sur l’aérostat et sa marche, etc, fait ressortir qu’il sera toujours possible de les éviter en s’élevant au-dessus de la zone de leur action dangereuse ; du reste, les deux premiers sont peu redoutables ; les derniers, c’est-à-dire les cyclones et les trombes, sont les seuls qui mettraient réellement l’aérostat en danger, mais leur fréquence est presque nulle à l’époque où devrait s’effectuer le voyage dans la région des tropiques, ainsi que le constatent toutes les relations relatives à cet objet.

Pour confirmer cette assertion, l’auteur, en terminant cette importante question, cite le résultat des observations faites au fort de Kita (haut Sénégal), par M. Dupouy ; elles portent sur l’année 1882 et se résument ainsi :

Pendant la saison sèche
Novembre Décembre Janvier Février Mars Avril
Nombre 0 0 0 0 1 7
Pendant l’hivernage
Mai Juin Juillet Août Septembre Octobre
Nombre 17 16 9 8 12 10

En résumé, l’aérostat naviguant dans la période novembre-décembre-janvier ne rencontrera vraisemblablement aucun trouble dangereux.

Vient ensuite la discussion des causes nuisibles inhérentes au mode de navigation, franchissement de montagnes, escarpements, forêts, grandes étendues d’eau, marais, toutes choses ressortissant au domaine de la science aérostatique et dont la solution est indiquée ; puis enfin l’examen des divers incidents qui peuvent se produire tant en ce qui concerne les avaries, la manœuvre du matériel, et aussi le traînage du guide- l’ope spécial employé, toutes choses prévues et résolues, même l’éventualité de voir le guide-l’ope saisi par des indigènes malveillants auxquels on ferait lâcher prise par des décharges électriques provenant de la dynamo destinée à l’éclairage, capable de fournir des étincelles de 20 à 25 millimètres, etc.

L’auteur termine par la discussion de l’atterrissage et fait ressortir la stabilité de son système de nacelle ; enfin il explique qu’au cas où arrivé à la côte, si une circonstance imprévue ou anormale rendait l’atterrissage impossible et que l’aérostat soit poussé en mer, les sou les de la nacelle sont disposées de telle façon qu’elles peuvent être rendues étanches et permettre à celle-ci de flotter, après avoir été débarrassées du ballon ainsi que de tout le matériel, et d’attendre ainsi l’arrivée des secours.

Tel est, en résumé, l’étude de MM. Léo Dex et Dibos ; il en ressort incontestablement qu’en théorie pure la traversée de certaines régions de l’Afrique, suivant certains parcours, parait chose possible avec un aérostat solidement construit ; l’auteur a discuté toutes les questions techniques de l’entreprise, les a toutes élucidées, et a formulé des conclusions favorables.

Cette opinion sera-t-elle partagées par tout le monde ? Il y aurait de la prétention à l’espérer, car si la théorie du problème peut être admise, il n’a encore était fait, dans tout ce qui a été exécuté jusqu’à ce jour en aérostation, rien d’assez complet en ce genre qui permette de réfuter victorieusement toutes les objections et qui puisse établir sans conteste qu’en pratique il ne se présentera pas des obstacles insurmontables.

La critique la plus sérieuse à faire de cette étude, ou plutôt du principe de projet qui en résulte, est que l’auteur, convaincu de la possibilité de réussite, tout en provoquant tous les incidents présumables, n’a pas laissé ébranler sa conviction par la possibilité d’aléas que l’imprévu réserve quelquefois même aux projets les mieux étudiés. Un accident Irréparable à l’aérostat, susceptible de le mettre hors d’état de poursuivre la route commencée, un dérangement dans l’ordre savamment étudié des courants atmosphériques le rejetant dans des contrées dangereuses dont il aurait de la peine à sortir sans compromettre le but du voyage, puisqu’il n’a aucun moyen de réagir, auraient pour résultat de faire perdre tout le bénéfice de l’expédition et peut-être de la faire périr corps et biens.

L’auteur prévoit bien le cas d’avaries entraînant l’abandon du matériel, et il estime que, même dans ce cas, les aéronautes se trouveront dans une situation qui ne sera pas plus désespérée que celle de maints explorateurs qui se sont trouvés abandonnés sans ressources en territoire africain, et qui cependant ont revu leur patrie ; tout dépendrait du lieu où se produirait cette éventualité néfaste.

De plus, une question, celle-là étrangère à la science aérostatique, n’a pas été envisagée : celle de la résistance de la santé des aéronautes à une épreuve aussi rude. Soumis pendant une aussi longue période à un climat débilitant, dans de mauvaises conditions hygiéniques, le repos forcé sans exercice salutaire possible, et n’ayant pour nourriture que des aliments peu capables de réparer les forces perdues par ces circonstances défavorables, peut-on assurer, s’ils ne sont pas doués de constitutions des plus robustes, les voir conserver la vigueur nécessaire pour atteindre le but ? Il est permis de l’espérer, mais c’est encore là un aléa que la critique invoquera.

Quoi qu’il en soit, cette étude sera accueillie par le public compétent comme une œuvre profitable ; elle aura fait faire un grand pas à la question des parcours de longue durée en ballon, puisqu’elle établit non seulement que rien ne s’oppose à ce qu’un ballon se soutienne en l’air pendant une soixantaine de jours, mais encore qu’il existe dans l’Afrique septentrionale des courants atmosphériques suffisamment réguliers pour le porter de l’est à l’ouest : et lorsque les travaux incessants des savants qui cherchent à résoudre le problème si intéressant du ballon dirigeable auront fourni un commencement de solution, quelque minime qu’il soit, et qu’il sera possible d’adopter à l’aérostat un moteur pouvant le mettre à même de lutter, au moins en partie, contre les entraînements exagérés de la direction à suivre, la traversée de l’Afrique en ballon deviendra alors très praticable sans avoir trop de risques à courir.

Félix Baya

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