L’Atlantique d’après les recherches faites à bord du Challenger

La Revue Scientifique — 27 avril 1878
Jeudi 11 juillet 2013 — Dernier ajout mardi 25 décembre 2018

La décision d’établir des lignes télégraphiques sous-marines, à la suite du succès obtenu en 1850 par la pose d’un câble entre Douvres et Calais, attira l’attention des savants sur une région du globe jusque-là complétement inconnue, le fond de l’Océan. Pour se procurer les renseignements dont on avait besoin, des sondages furent entrepris dans l’Atlantique en particulier par le Dolphin (1851-53) sous les ordres de Berryman et de Lee, et par le Bull-Dog (1860) avec le concours du docteur Wollich et de Mac-Clintock, etc. Les résultats obtenus confirmèrent ce fait, signalé en 1818 et en 1841 par les Ross dans la mer de Baffin et dans les régions australes, que la vie animale existe jusque dans les plus grandes profondeurs. Or Forbes, Agassiz et d’autres naturalistes de cette époque affirmaient qu’au delà de 100 brasses (183 mètres) on ne trouve que de rares animaux appartenant aux types les plus dégradés et que depuis 300 brasses (550 m.) l’Océan ne présente plus qu’une immense masse d’eau, région de l’obscurité et de la mort.

Dans le désir d’étudier cette faune nouvelle qui venait d’être signalée, MM. Wyville Thomson, professeur à l’Université d’Édimbourg, Carpenter et Gwyn Jeffreys allèrent explorer pendant les étés de 1868-70 l’espace compris entre l’Écosse et les îles Faroër, puis la baie de Biscaye, les côtes du Portugal et l’entrée de la Méditerranée, l’amirauté anglaise ayant mis successivement à la disposition de ces naturalistes deux navires, le Lightning et le Porcupine.

Les résultats obtenus furent des plus intéressants au point de vue scientifique, car il fut reconnu que jusqu’à la profondeur de 600 brasses (1098 mètres) on trouvait non-seulement des représentants de toutes les classes des invertébrés, mais aussi un certain nombre de poissons ; au delà la vie se prolongeait jusqu’à 2435 brasses (4376 mètres). De plus, les animaux recueillis ne présentaient pas des affinités avec la faune européenne, mais des formes nouvelles et très particulières, voisines de certains types connus jusqu’alors seulement à l’état fossile.

Un autre fait important fut aussi constaté, c’est que la température du fond de la mer n’est point à 4°, comme dans les lacs, mais qu’elle varie sous l’influence de courants qui mettent en mouvement aussi bien les eaux profondes que celles de la surface.

Le succès des croisières du Lightning et du Porcupine ayant excité un général et bien légitime intérêt, et d’un autre côté le rapide développement, dans ces dernières années, des lignes télégraphiques océaniques engagèrent le docteur Carpenter à prier, au nom de la Société royale, l’amirauté anglaise d’organiser une expédition scientifique chargée d’étudier aussi complètement que possible les profondeurs des deux Océans. Les lords de l’amirauté accueillirent très favorablement cette demande et une excellente corvette à hélice, le Challenger, commandée par le capitaine Nares, un des plus éminents officiers de la marine anglaise, fut mise à la disposition de la Société. Les savants désignés pour faire partie de l’expédition placée sous la direction de M. W. Thomson, furent MM. Buchanam, Moseley, Murray, Von Willemoës-Suhm et Wild.

Le Challenger fut admirablement bien emménagé en vue de la mission qu’il devait remplir, des laboratoires complets d’histoire naturelle et de chimie, pourvus des instruments les plus variés y furent installés, et l’on plaça à bord les meilleurs appareils pour sonder, draguer, pêcher, etc. Tout fut prêt le 6 décembre 1872, et l’expédition partit accompagnée de tous les vœux des amis de la science, pour ne revenir à son point de départ que le 24 mai 1.876 ; après avoir parcouru 68850 milles nautiques (127784 km) et étudié le fond de l’Océan dans 362 stations aussi également réparties que possible. Sauf la perte fort regrettable de M. Willemoës-Suhm, qui, avait succombé à la suite d’une maladie en septembre 1875, le voyage s’était accompli dans les conditions les plus favorables, et le Challenger revenait avec de nombreuses collections d’histoire naturelle et des masses d’observations et de renseignements du plus haut intérêt. Mais bien des années s’écouleront avant que tous les objets rapportés soient classés et décrits.

Pour satisfaire, en partie du moins, à la légitime impatience de ceux qui désiraient connaître les principaux résultats de ce voyage, qui fera époque dans les annales de la science, M. Thomson vient de faire paraître la portion de son journal concernant l’Atlantique [1]. La lecture de cet ouvrage est remarquablement captivante ; et dans l’impossibilité où nous sommes, bien à regret en vérité, de reproduire ici tous les faits curieux qu’il renferme, nous voulons au moins en donner une idée, en résumant dans cet article les conclusions générales auxquelles le savant naturaliste anglais est arrivé sur les points suivants : configuration du fond de l’Atlantique, nature de ce fond, température et densité des eaux de cet océan, gaz contenus en dissolution, caractères de la faune des régions profondes.

Avant d’entrer en matière, indiquons rapidement les diverses croisières du Challenger dans l’océan Atlantique.

En quittant l’Angleterre, l’expédition se rendit d’abord à Lisbonne, puis à Madère et à Ténériffe. Traversant alors l’Atlantique pour gagner Saint-Thomas, elle alla visiter les Bermudes et ensuite Halifax, dans la Nouvelle-Écosse. Puis, après être revenue aux Bermudes, elle croisa de nouveau l’Atlantique pour revenir à Madère.

De Madère, le Challenger se rendit aux iles du Cap-Vert et ensuite à Bahia, avec arrêt aux rochers de Saint-Paul et à l’ile de Fernando-Noronha. De là, il se dirigea vers l’ile de Tristan d’Acunha pour gagner, en 1873, le cap de Bonne-Espérance. Disant alors un long adieu à l’océan Atlantique, le Challenger se mit en route pour visiter les régions polaires australes, l’Australie, les Philippines, le Japon, les îles Sandwich et rentrer enfin le 20 janvier 1876, dans l’Atlantique, par le détroit de Magellan. Après avoir visité les îles Falkland et Montevideo, l’expédition retraversa horizontalement l’Atlantique jusque dans les parages de Tristan d’Acunha et, de là, revint presque en ligne droite en Angleterre avec un seul arrêt de quelques jours à l’île de l’Ascension.

I. Configuration du fond de l’Atlantique — Nature du sol sous-marin

En s’éloignant des côtes de l’Europe, la sonde atteint promptement 2000 brasses (3660 mètres) qui représentent la profondeur moyenne de l’Atlantique ; une dépression maximum de 3875 brasses (7091 mètres) a été constatée dans le voisinage de l’ile Saint-Thomas.

Une arête, dont le sommet est situé à 1900 brasses (3477 mètres) environ de la surface, traverse toute la longueur de l’Atlantique, depuis l’extrémité du cap Farewell dans le Groenland jusqu’aux iles Gough, en se tenant presque à égale distance des deux continents. Une branche latérale s’en détache par 10° lat. N. pour rejoindre le cap Orange à l’extrémité nord du Brésil, une seconde atteint le continent africain probablement par 25° lat. S.

Le fond de l’Atlantique se trouve donc divisé de cette manière en trois bassins. Le premier s’étend depuis l’Irlande jusqu’au cap de Bonne-Espérance avec une profondeur moyenne de 2500 brasses (4575 mètres), le second longe l’Amérique du Nord, et c’est là qu’on trouve cette énorme dépression de 7091m dont nous avons déjà parlé ; quant au troisième, il forme une sorte de golfe, largement ouvert du côté de la mer australe, qui s’avance en longeant la côte américaine jusque vers le cap Orange ; sa profondeur moyenne est environ de 3000 brasses (5490 mètres).

Quelle est maintenant la nature du sol formant le fond de l’Atlantique ? Dans le voisinage des continents, il se compose principalement de débris divers apportés par les fleuves ou provenant de la désagrégation des côtes. Mais entre 400 et 2200 brasses (732m - 4026m) il est formé par un dépôt calcaire connu sous les noms de « Globigerina ooze », de boue de Globigérines ou de craie moderne, qui peut se diviser en trois couches bien distinctes.

La couche superficielle se compose presque exclusivement de coquilles entières ou presque entières de Foraminifères appartenant aux genres Globigerina, Pulvinulina, Orbulina, mélangées avec des coccolithes , des rhabdolithes , des fragments de Radiolaires et de Spongiaires, et des coquilles plus ou moins détériorées de Ptéropodes, d’Héléropodes et de Gastéropodes pélagiques. Enfin, si la profondeur est modérée, cette couche renferme aussi des animaux vivants tels que des Rhizopodes, des Spongiaires, des Coraux, des Échinodermes, des Annélides et même quelques poissons.

Au-dessous de cette première couche, qui a une consistance crémeuse, il s’en trouve une seconde un peu plus compacte et plus résistante, ayant de 2 à 4 centimètres d’épaisseur et composée de coquilles brisées, unies par une sorte de pâte calcaire provenant de la désagrégation complète d’un certain nombre d’entre elles. Cette couche repose enfin elle-même sur cette même pâte (colorée en gris par la décomposition d’une substance organique) et au milieu de laquelle on peut apercevoir encore quelques fragments de coquilles.

M. Thomson avait expliqué d’abord la formation de ce dépôt crayeux par une accumulation de Foraminifères vivant au fond même de la mer, mais c’était une erreur. Il a été bien prouvé en effet par MM. Pourtalès, Krohn, Muller, Schultze, Haeckel, major Owen, et par M. Murray, l’un des naturalistes du Challenger, que les Globigérines et les Orbulines vivent au contraire à la surface.

Le « Globigerina ooze » se forme donc par des coquilles mortes amenées lentement au fond par l’action de la pesanteur, et on peut en donner pour preuve que M. Murray a toujours trouvé une parfaite coïncidence spécifique entre les Globigérines ramenées par la sonde et celles qu’il pêchait à la surface dans une même région. — Ces dernières cependant ont un aspect différent, celles du fond n’étant jamais intactes par suite de la fragilité extrême des longs appendices qui ornent les coquilles. Il est fort difficile du reste de se procurer même à la surface des individus parfaitement complets.

M. Thomson n’a pu dans tout son voyage en observer qu’un seul, l’Hastigerina murrayi, pris dans des conditions très favorables ; et il dit qu’il est impossible de représenter par un dessin la merveilleuse complexité de structure de ce délicat et microscopique organisme, surtout lorsque toute la matière sarcodique sort des pores de la coquille sous la forme de bulles transparentes d’où partent de longs pseudopodes.

Quant aux coccolithes et aux rhabdolithes qui forment, dans les régions tropicales, le 20 % du « Globigerina ooze », ce sont les pièces qui hérissent la surface de corps sphériques ou polyédriques appelés coccosphères et rhadosphères. Ces organismes encore fort énigmatiques, mais appartenant très probablement au règne végétal, abondent à la surface des mers chaudes, pour diminuer graduellement ensuite lorsqu’on s’en éloigne. Au cap de Bonne-Espérance en effet leur présence est moins fréquente dans la boue de fond ; et à partir de l’île du Prince-Édouard ils disparaissent complètement, la sonde ne rapportant que des Globigérines. Lors de son voyage aux îles Faroër, M. Thomson avait déjà eu l’occasion d’observer la même chose.

Jusqu’à présent nous n’avons parlé que de la nature du fond de l’Atlantique qui ne dépasse pas 2200 brasses (4026 mètres), au delà les résultats obtenus par les sondages ont été très différents. On y trouve en effet, au lieu du « Globigerina ooze » une argile rougeâtre, formée d’un silicate d’alumine mélangé avec de l’oxyde de fer, des particules de peroxyde de manganèse d’une grosseur variable, et des fragments de pierre ponce dans le voisinage des régions volcaniques.

Le passage du « Globigerina ooze » à l’argile ne se fait pas brusquement ; on voit en effet disparaitre graduellement les coquilles des Hétèropodes et des Ptéropodes, puis celles des petits Foraminifères ainsi que les Coccolithes et les Rhabbdolithes, Les Globigérines résistent plus longtemps, mais elles perdent peu à peu leurs appendices et leurs arêtes, et toute la matière calcaire finit par être remplacée par une substance d’un rouge brun qui est d’une telle ténuité, que mise dans un vase plein d’eau elle y reste plusieurs jours en suspension. Ce dépôt de transition, qui se trouve entre 2200 et 2660 brasses (4026m — 4758m), avait été désigné, avant que son origine fût bien déterminée, sous le nom de « Grey ooze ».

À partir de 2600 brasses (4748 mètres), l’argile prédomine complètement et à 3150 (5764 mètres) elle ne contient plus aucune trace de carbonate de chaux.

De Ténériffe à Saint-Thomas, c’est-à-dire sur une distance de 4860 km, on a constaté 1296 km de « Globigerina ooze » et 3520 km d’argile.

Quelle est l’origine de cette argile ? Si le « Globigerina ooze » est produit par la chute lente et successive de Foraminifères ayant vécu à la surface de l’Océan, pourquoi ne se trouverait-il pas à 3000 brasses (5490 mètres) aussi bien qu’à une profondeur moindre ? Nous sommes donc conduits à admettre que ce dépôt se fait partout, mais qu’il subit à partir d’une certaine profondeur une transformation très remarquable, à la suite de laquelle le carbonate de chaux disparait complétement et se trouve remplacé par de l’argile. Mais pour le moment il est impossible de dire comment l’argile elle-même se forme. On ne peut pas admettre, dit M. Thomson, que le tissu organique des Globigérines renferme tout formé du silicate d’alumine, mais cette matière ne peut-elle pas se produire au long contact des sels inorganiques, qui existent bien certainement dans les tissus animaux, avec les substances se trouvant en dissolution ou en suspension dans l’eau de la mer ? M. Murray, de son coté, pense que le dépôt argileux peut provenir aussi en grande partie de la décomposition des matières volcaniques qui ont été trouvées en fragments plus ou moins volumineux dans 80 stations sur 362.

M. Thomson avait cru pouvoir conclure des sondages faits dans l’Atlantique que le test siliceux des Radiolaires, les spicules des Spongiaires et les frustules des Diatomées, que l’on trouve dans le « Globigerina ooze », disparaissaient aussi complétement dans l’argile. C’était une erreur, car un sondage effectué dans le Pacifique près des îles Carolines, a ramené d’une profondeur de 4575 brasses (7421 mètres) un échantillon argileux, dont toute la portion inférieure était composée d’une si grande quantité de fragments de Radiolaires, que M. Murray proposa d’indiquer la nature du fond de cette région sous le nom de « Radiolarian ooze ».

Les Radiolaires sont, comme on le sait, des Rhizopodes très différents des Globigérines, car ils ont un squelette siliceux externe ou interne ayant un peu l’apparence d’un treillis très délicatement ouvragé. Ces petits êtres vivent, paraît-il, non seulement à la surface de l’Océan, mais aussi à des profondeurs très grandes ; car la drague a rapporté certaines formes que le filet même en pêchant à 1000 brasses (1830 mètres) n’avait jamais ramenées. Si donc les Radiolaires se trouvent en grande abondance dans toutes les zones de l’Océan, on doit en conclure qu’ils doivent surtout former des dépôts dans les régions où la dépression est très considérable.

Pour terminer ce sujet, disons quelques mots de la sonde dont on se servait sur le Challenger pour mesurer les grandes profondeurs et rapporter des échantillons du sol. Cet instrument appelé le « Baillie » du nom de son inventeur, n’est qu’une simplification de « l’Hydre » employée dans les sondages faits par le Lightning et le Porcupine, Voici en quoi il consiste : un tube creux, muni à sa partie supérieure de trous pour laisser sortir l’eau, et à sa base d’une ouverture portant des valves s’ouvrant de bas en haut, est entouré d’anneaux en fer très pesants, superposés les uns au-dessus des autres, de manière à laisser libre la portion inférieure du tube, Lorsque l’instrument attaché à une corde mince est arrivé au fond de la mer, le tube s’enfonce en partie dans le sol et dégage la chaine qui porte les poids ; ceux-ci restent donc au fond et le tube peut être remonté très facilement, renfermant dans son intérieur les matières qui y sont retenues par la fermeture des valves. Pour les sondages peu profonds on se servait d’une autre sonde dans laquelle les poids servant à la descente ne se perdaient point.

Il. Température de l’Atlantique

Le maximum de température se trouve toujours à la surface et il ne dépasse guère 26° ; à partir de ce point elle va en s’abaissant rapidement d’abord, puis plus lentement et enfin, à partir de 2000 brasses (3660 mètres) environ, elle finit par rester stationnaire, avec une légère tendance cependant à s’abaisser vers le fond. Mais la couche superficielle et les couches profondes présentent des variations très remarquables de température, par suite de la présence de nombreux courants. Pour étudier ces variations nous diviserons l’Atlantique en deux zones, séparées l’une de l’autre par une masse d’eau comprise entre 5° et 4°, cette dernière température se trouvant à une profondeur variant entre 350 et 1000 brasses (640-1030 mètres).

La température élevée de la zone supérieure ou superficielle est due à l’action directe du soleil et normalement elle devrait aller en diminuant de l’équateur aux régions polaires. Cette loi si simple se trouve cependant complètement modifiée par diverses causes. En particulier par la bifurcation du grand courant équatorial qui va porter la chaleur dans l’hémisphère Nord au moyen du Gulf-Stream et à l’hémisphère Sud, par un courant longeant le Brésil et qui, ne trouvant pas de barrières pour le circonscrire et le diriger, s’élargit et finit par se confondre avec celui de la mer australe.

Rappelons aussi qu’on trouve, entre 4° et 8° lat. N, dans la zone des calmes, un contre-courant équatorial dont l’origine n’est pas bien connue. Après avoir reçu dans le voisinage du Cap-Vert une branche de retour du Gulf-Stream, ce courant suit la côte africaine de la Guinée pour disparaître ensuite en arrivant plus au sud.

Il résulte des températures relevées par le Challenger à diverses stations ce fait très important et très remarquable, que la proportion d’eau chaude va continuellement. en augmentant dans l’Atlantique, du sud au nord. En effet dans le voisinage de Tristan d’Acunha, la zone de 7° se trouve située à 250 brasses (457 mètres),sous l’équateur elle descend à 300 (549 mètres), entre Ténériffe et Saint-Thomas à 500 (915 mètres), et enfin entre les Bermudes et Madère à 600 (1098 mètres). La principale accumulation d’eau chaude à une profondeur au-dessous de 400 brasses (732 mètres) se trouvant surtout à l’est dans l’hémisphère Nord.

D’un autre côté, l’épaisseur de la zone superficielle n’est pas plus considérable sous l’équateur qu’à la latitude de Tristan d’Acunha par 35° lat. S. ; car dans ces deux régions la température de 5° se trouve entre 320 et 370 brasses (685 - 675 mètres) et celle de 4° entre 410 et 450 brasses (750-823 mètres). Ce fait curieux provient sans doute de ce que dans les régions équatoriales une grande portion de la chaleur est emportée soit par les courants soit par l’évaporation de l’eau.

Passons maintenant à l’examen de la distribution de la température dans la zone profonde où le thermomètre se tient toujours à 4° et au-dessous. La couche de 4° oscille, comme nous l’avons déjà dit, entre 350 et 1000 brasses (640 — 1830 mètres). En effet, on trouve cette température à Ténériffe vers 1000 brasses (1830 mètres), à Saint- Thomas vers 900 (1647 mètres), aux Bermudes vers 750 (1372 mètres), à Madère vers 950 (1739 mètres), à Bahia vers 400 (732 mètres) au Cap vers 350 (640 mètres). Quant à ta couche de 3° elle oscille des Bermudes à Madère entre 1040 et 1200 brasses (1830 — 2196 mètres), sous l’équateur entre 1000 et 1100 (1830 — 2013 mètres), pour remonter à 600 entre Bahia et le Cap, et rester entre 600 et 500 (1098 — 915 mètres) de Tristan d’Acunha aux Iles Falkland.

Donc, si le volume de l’eau chaude (au-dessus de 7°) augmente dans l’Atlantique en allant du sud au nord, la masse d’eau froide (au-dessous de 4°) au contraire s’accroît du nord au sud.

Nous avons vu plus haut que l’Atlantique peut être considérée comme formée de trois bassins ; or si l’on cherche quelle est la température de l’eau au-dessous de 2000 brasses (3660 mètres), point à partir duquel elle reste presque uniforme, on trouve les faits suivants. La température moyenné du fond du grand bassin oriental est un peu supérieure à 1,9°, en négligeant les basses températures de 0,8° et de 0,6° trouvées dans le voisinage des îles Faroër, par suite du courant du Spitzberg, et qui n’exercent aucune influence sur la température générale de l’Atlantique. Dans le bassin occidental de l’hémisphère Nord, la température moyenne est un peu plus basse, puisqu’elle est de 1,6°, mais dans celui de l’hémisphère Sud on trouve une différence bien plus considérable. En effet, entre Montevideo et Tristan d’Acunha, sept sondages ont indiqué une profondeur moyenne de 2750 brasses 5032 mètres), avec une température de fond de -0,4°. La zone de 0° étant à 2400 brasses (3392 mètres), celle de 0,5 à 2250 (4119 mètres), celle de 1° à 2050 (3751 mètres) et celle de 2° à 1500 (2745 mètres). Cette basse température du bassin ouest de l’hémisphère Sud se manifeste jusque sous l’équateur, car un sondage fait dans le voisinage de Fernando Noronha a donné 0,6° par un fond de 2150 brasses (3934 mètres) et 2° à 1500 (2745 mètres), chiffres très semblables à ceux donnés plus haut. Ces différents faits s’expliquent facilement, selon M. Thomson, si l’on admet qu’une énorme masse d’eau, d’une température très froide comprise entre -0,4° et 1,5°, et venant des régions australes, pénètre lentement dans cette portion de l’Atlantique, sous la forme d’un courant sous-marin situé à plus de 1800 brasses (3294 mètres) de profondeur, courant qui est arrêté ensuite à diverses hauteurs par les barrières qui circonscrivent le fond et qu’il rencontre sur sa route.

On peut se demander maintenant ce que devient cette masse d’eau qui s’ajoute ainsi à celle de l’Atlantique, et qui n’est point contrebalancée par celle qui en sort sous la forme de courants.

Le globe terrestre peut se diviser en deux hémisphères, dont l’un est formé par des mers et l’Australie et l’autre par des continents, entre lesquels pénètre l’Atlantique comme une sorte de prolongement du grand Océan. Or comme dans l’hémisphère océanique, il est plus que probable qu’il tombe plus d’eau qu’il ne s’en perd par évaporation, M. Thomson en conclut donc que la compensation se fait précisément dans l’Atlantique, où l’évaporation est, au contraire, excessivement active.

Pour mesurer la température des grandes profondeurs, on est obligé de se servir d’un thermomètre particulier, que nous devons décrire pour compléter ces renseignements sur la température de l’Atlantique. Lors de l’expédition du Porcupine on s’était servi du thermomètre enregistreur de Six, qui consiste en un tube recourbé en U, terminé à l’une de ses extrémités par une grosse ampoule et à l’autre par une plus petite. Le tube est rempli en partie de mercure, le reste renferme de l’eau et de la créosote, sauf la portion supérieure de la petite ampoule dans laquelle se trouvent de la vapeur d’eau et de l’air. Un index adhérent à la paroi du tube par un petit ressort en cheveu, indique les variations de la colonne mercurielle dans chaque branche dues à la dilatation ou à la contraction du liquide renfermé dans la grande ampoule. Ce thermomètre enregistre donc à la fois les températures extrêmes maxima et minima. Lorsque l’on opère à de très grandes profondeurs, la grosse ampoule diminue de volume par suite de la pression ambiante qui devient énorme, ce qui amène un déplacement dans les index. Il est difficile d’un autre côté d’avoir des tables de correction exactes, car elles doivent varier avec chaque thermomètre. MM. Muller et Cazella ont tourné la difficulté en entourant la grosse ampoule d’une seconde enveloppe de verre séparée de la première par de l’alcool surmonté d’un peu d’air et de vapeur d’alcool destinés à supporter les effets de la pression.

Le thermomètre de Six ainsi modifié a donné des résultats très satisfaisants ; cependant une secousse peut déplacer assez facilement les index, de plus a la profondeur de 2000 brasses (3660 mètres) la pression est assez forte pour déterminer probablement une contraction de la portion du thermomètre non protégée par une double enveloppe, ce qui peut causer une erreur pouvant aller à plus de 1,4°. La température d’une région ne peut donc être obtenue exactement qu’à la suite d’une série de déterminations.

III. Densité des eaux de l’Atlantique — Gaz contenus en dissolution

La densité de l’eau de la surface était déterminée chaque jour avec le plus grand soin par M. Buchanam, le chimiste de l’expédition. Lors de chaque sondage on prenait aussi de l’eau à diverses profondeurs pour en faire l’analyse. On se servait pour cela d’un tube ouvert pouvant se fermer hermétiquement au moyen d’un obturateur, soit lorsqu’il touchait le fond, soit lorsque arrivé à une certaine profondeur on commençait à le remonter.

Il résulte des travaux de M. Buchanam que si l’on représente la densité de l’eau distillée prise à 4° par 100000, celle de l’Atlantique ramenée à 15,56° varie entre 102407 et 102 786, la densité minimum ayant été observée par 40° lat. N et celle maximum dans l’hémisphère Sud non loin de Bahia [2].

Entre Ténériffe et Saint-Thomas où l’évaporation est très active la densité a été trouvée de 102781 par 23,23° lat.N. et 35,11° long. O. À Saint-Thomas elle est de 102 719,entre les Bermudes et les Açores, elle varie de 102694 à 102727, à Madère elle est de 102 746, la densité moyenne de l’eau à l’est étant un peu plus élevée qu’à l’ouest, 102727 au lieu de 102723. Le long de l’Afrique, à une distance de 320 kilomètres de la côte, la densité descend à 102697 et par 3,8°N. sur les limites du courant équatorial et du courant de Guinée à 102601, pour se conserver avec peu de variations pendant la traversée de l’Atlantique sous cette latitude, sauf dans le voisinage du Brésil où elle augmente comme nous l’avons déjà vu. Du Brésil à Tristan d’Acunha la densité variede102686 à 102 606, depuis cette île au Cap elle est de 102624, tandis que dans l’hémisphère Nord, à latitude égale, on avait observé 102713, il est vrai, à une autre époque de l’année et sous une longitude bien différente. Il serait donc imprudent de tirer de ces chiffres des conclusions trop générales ; néanmoins il est intéressant de constater que dans quatre sections parallèles les résultats suivants ont été obtenus :

Au moins de juin et à une latitude moyenne de 36° N., la densité de la surface de l’eau en plein Océan a été trouvée de 102712. Au mois de février par 22° lat. N. elle était de 102773, au mois d’août par 2° lat. N. de 102 624, et enfin au mois d’octobre par 36° lat. S. seulement de 102621. De plus la densité de l’eau prise à la surface de l’Atlantique a toujours été soit en 1873, soit en 1876, plus élevée que celle de toute autre région du grand Océan. Ceci vient donc confirmer l’opinion de M. Thomson que l’arrivée d’un courant dans l’Atlantique du Sud, venant des mers australes, est due à un excès d’évaporation dans cet océan.

Il faut reconnaître du reste que la détermination de la densité de l’eau de surface doit présenter toujours une certaine incertitude, par suite des variations dans l’état de sécheresse ou d’humidité de l’atmosphère, ce qui doit modifier notablement l’activité de l’évaporation.

Il résulte enfin des observations de M. Buchanam que la densité des couches profondes de l’Atlantique et du Pacifique, comprises entre le 40° lat. N. et le 40° lat. S. va en diminuant graduellement jusqu’à 400 brasses (732 mètres) où elle atteint un minimum moyen de 102570 environ, puis elle augmente légèrement à partir de là ; la plus grande densité trouvée a été de 102650 à une profondeur de 1900 brasses (3477 mètres), et la plus petite de 102580 par 2775 brasses (5000 mètres).

La détermination de la nature et de la proportion des gaz contenus dans les eaux de l’Atlantique n’est point encore achevée, mais on peut conclure cependant des analyses déjà faites relatives à l’acide carbonique et à l’oxygène, lei renseignements suivants :

1° La quantité d’acide carbonique contenue dans une dissolution, variant avec la densité de l’eau, on doit en trouver plus dans l’Atlantique que dans le Pacifique, ce qui est précisément le cas. En effet un litre d’eau de l’Atlantique ayant une densité moyenne de 102727 et une température comprise entre 20° et 25° renferme 0,0466g d’acide carbonique, tandis qu’un litre d’eau du Pacifique n’en a que 0,02668g, sa densité moyenne n’étant que de 102594. D’un autre côté, toutes les autres circonstances étant égales, la proportion d’acide carbonique diminue avec l’élévation de la température ; ainsi la quantité moyenne d’acide carbonique contenue dans l’eau entre 15° et 20° étant de 0,0446g par litre, avec une densité moyenne de 102642, on a trouvé que l’eau de la surface, lorsqu’elle a une température supérieure à 25° et une densité moyenne de 102659, ne contient que 0,0409g. La proportion d’acide carbonique augmente avec la profondeur ; mais si l’on tient compte de la température, cette augmentation est bien minime. On pourrait en conclure que la vie animale n’est pas bien active dans ces régions ; cependant on ne doit pas trop se hâler d’accepter cette opinion. 2° La proportion d’oxygène contenue dans l’eau de surface varie entre 33 et 35 % (le maximum ayant été constaté dans les régions australe et le minimum là où règnent les vents alizés). Au-dessous, cette proportion reste constante environ jusqu’à 200 brasses (366 mètres), mais entre 300 et 400 brasses (549-732 mètres), elle n’est plus que de 11 à 15 % pour remonter ensuite à 23 % et rester telle jusqu’au fond. On trouve plus d’oxygène dans les régions australes qu’ailleurs ; il augmente sur le « Diatomaceous ooze » et diminue sur l’argile rougeâtre contenant du peroxyde de manganèse ; il se trouve enfin en plus grande quantité sur l’argile bleue que sur le « Globigerina ooze ».

M. Buchanam avait conclu de la notable diminution de l’oxygène dans la zone comprise entre 300 et 400 brasses (549-732 mètres), que la vie y était très abondante. Ce n’est point l’opinion de M. Thomson, qui croit au contraire que la région de l’Océan, comprise entre la surface et le fond, a une faune remarquablement pauvre. Voici maintenant, selon ce savant, la véritable cause de ce fait singulier. L’oxygène est fourni à l’Océan par l’atmosphère ; or, dans les régions australes, l’eau de la surface s’enfonçant à une certaine profondeur par suite de son refroidissement, entraîne avec elle l’oxygène absorbé et le transporte dans les parties profondes de l’Atlantique, par suite du courant sous-marin dont nous avons parlé plus haut. Il en résulte donc que sur une même verticale, Il couche moyenne de l’océan Atlantique doit être la plus ancienne, et que par conséquent elle doit renfermer une moindre quantité d’oxygène, le gaz ayant servi pendant un temps plus considérable, soit à la respiration des animaux pouvant se trouver dans cette zone, soit surtout à l’oxydation des diverses substances qui de la surface gagnent peu à peu le fond de la mer.

IV. Faune des régions profondes de l’Atlantique

Les nombreux dragages exécutés par le Challenger ont confirmé l’existence, dans les profondeurs de l’Océan, d’une faune excessivement intéressante et qui présente de singulières affinités avec celles des époques géologiques antérieures à la nôtre. Ces affinités, cependant, ne seront bien mises en évidence que lorsque tous les animaux rapportés par l’expédition auront été décrits avec soin, travail qui prendra plusieurs années et réclamera le concours d’un grand nombre de spécialistes. Voici cependant quelques considérations générales que M. Thomson croit pouvoir déjà déduire de ses travaux et de ceux de ses collaborateurs.

Mais donnons auparavant quelques renseignements sur la drague dont on se servait sur le Challenger. Elle consistait en un grand sac, fixé à un solide châssis rectangulaire, et dont l’étoffe pouvait tout retenir, sauf la boue la plus fine. Au-dessous du sac se trouvait une grande barre, à laquelle étaient attachées des touffes de chanvre destinées à balayer le fond et qui ont donné de très bons résultats ; car on trouvait presque toujours, engagés dans les filaments, un grand nombre d’animaux, en particulier des Échinodermes.

Les naturalistes du Challenger se sont aussi servis avec succès, même à une grande profondeur, d’un grand filet conique, de 30 pieds de longueur, dont une portion de l’entrée était fixée à une barre de bois, pouvant glisser facilement sur le sol, au moyen de tiges de fer recourbées et fixées à chacune de ses extrémités. Lorsqu’on faisait descendre, soit la drague, soit le filet, la corde à laquelle ils étaient fixés passait, avant de se rendre au cabestan, dans une poulie attachée elle-même à un accumulateur. Appareil fort ingénieux consistant en un gros cylindre formé par des ressorts en caoutchouc vulcanisé, qui, par les variations de sa longueur, indique la tension plus ou moins grande de la corde et atténue aussi les secousses provenant des mouvements du vaisseau. Disons enfin qu’un dragage effectué à une profondeur de 2500 brasses (4575 mètres), est toujours une opération fort longue, car elle dure au moins une journée. Il ne peut donc se faire que rarement, et les renseignements qu’il donne sur la faune de ces régions ne peut presque concerner que le point même où l’appareil s’est enfoncé. On ne peut en effet songer à le promener sur un certain espace, de peur d’amener un accident.

Jusqu’à la profondeur de 2000 brasses (3660 mètres), on peut dire que la faune de l’Atlantique est assez variée ; cependant le nombre des espèces et des Individus diminue dès qu’une certaine profondeur est dépassée ; le volume des animaux devient aussi de moins en moins considérable, avec des exceptions cependant, car les Holothuries, qui abondent dans les zones profondes, ont toujours présenté des dimensions considérables, dépassant même celles connues antérieurement.

La nature du fond et d’autres circonstances particulières exercent, du reste, une grande influence sur le plus ou moins grand développement de la vie animale ; ainsi la faune est très pauvre lorsque le fond est argileux, et on n’y trouve que des espèces dépourvues de coquilles appartenant aux groupes des Holothurides et des Annélides. Cette rareté ne peut pas être attribuée seulement à l’absence du carbonate de chaux, car les endroits de la mer les plus solitaires sont précisément les masses calcaires qui forment les pentes des récifs de corail. Le « Globigerina ooze » parait être au contraire très particulièrement favorable au développement de la vie animale, car on trouve toujours une grande quantité de Foraminifères dans l’estomac de tous les individus ramenés des profondeurs de l’Atlantique.

La faune du fond de l’Océan est presque partout la même, ce qui se conçoit, car l’on sait que l’extension de l’aire occupée par une espèce terrestre dépend de l’uniformité de la température, de la facilité de trouver une nourriture convenable, et enfin du temps qui s’est écoulé depuis son apparition dans une région. Or les premières de ces conditions se réalisent parfaitement dans les portions profondes de la mer, et, très probablement aussi, leur configuration n’a pas changé depuis une époque prodigieusement reculée.

Nous avons dit ailleurs que les eaux des mers australes pénétraient dans l’Atlantique ; on peut donc se demander s’il n’y a pas eu une lente migration de la faune du Pacifique dans cette direction. Certains faits permettent de répondre affirmativement, car il est bien certain que les types caractéristiques des abîmes de la mer, tels que les Hexactinellides, les Crinoïdes, les Échinothurides et les genres Infuloster et Micraster du groupe des Échinides, sont beaucoup plus développés et plus abondants dans les mers australes que dans l’Atlantique et le Pacifique boréal.

Remarquons aussi que l’on trouve dans le fond de la mer des types très voisins de ceux qui vivent près de la surface ; ce qui semble montrer qu’une énorme pression, l’absence de la lumière et une différence dans les conditions physiques et chimiques du milieu ambiant n’influent que bien peu sur la vie animale.

Avant de passer en revue les divers types zoologiques habitant le fond de la mer ou qui, par suite de leurs habitudes pélagiques, contribuent après leur mort à former le sol sous-marin par les portions solides de leur organisme, nous devons indiquer rapidement les résultats généraux obtenus par les dragages du Challenger dans l’Atlantique.

Les premiers eurent lieu le long des côtes du Portugal, à une profondeur de 2000 brasses (3660 mètres) et sur un fond de Globigérines. Là, on trouva en abondance tous les types spéciaux aux grandes profondeurs, et en particulier des Spongiaires appartenant aux genres Hyalonema, Euplectella, Corralistes, etc., ainsi que des Crinoïdes pédicellés et des Coraux voisins de ceux qui caractérisent les terrains tertiaires.

De Ténériffe à Saint-Thomas, comme la profondeur était considérable et le fond formé d’une argile rougeâtre peu favorable à la vie, les dragages furent peu productifs. De Saint-Thomas à Halifax, les résultats obtenus varièrent avec les régions que l’expédition traversait, la faune étant abondante lorsque la profondeur n’était pas considérable. Elle était du reste bien connue ; quelques observations intéressantes furent faites cependant, relatives à la répartition dans les eaux profondes des espèces polaires ; quelques Echinides appartenant au curieux genre lnfulaster, furent recueillis, mais ils étaient petits et rabougris, bien différents de ceux trouvés en abondance dans les régions australes.

Entre les Bermudes et Madère, sauf dans le voisinage des Açores où l’eau était très profonde, la pêche fut généralement heureuse. La drague ramena en particulier des Cirripèdes remarquables par leurs grandes dimensions et leur structure.

En allant de Madère à Bahia la pêche fut assez nulle le long de la côte africaine, par suite de la présence de détritus boueux provenant de la cote et peu favorables au développement de la vie animale ; la traversée donna des résultats variables avec la profondeur ; sur la côte du Brésil l’abondance des Spongiaires siliceux et coralloïdes rappela les dragages faits sur les cotes du Portugal.

Entre Bahia et le cap de Bonne-Espérance, par 40° S, on dragua, soit dans les eaux profondes, soit sur l’arête médiane, et les animaux recueillis dans cette zone, formant la limite entre l’Atlantique et la mer Australe, se rapprochent de ceux de la craie et de l’époque tertiaire, et sont certainement plus nombreux et plus développés que dans toute autre région de l’Atlantique.

Pendant les diverses croisières du Challenger nulle part on n’a constaté la présence de plantes marines à une profondeur dépassant 100 brasses (183 mètres) ; un tel milieu serait en effet tout à fait impropre au développement de la vie végétale. A la surface, au contraire, les Algues unicellulaires sont si nombreuses qu’elles la colorent parfois sur une immense étendue. Quant aux Diatomées, qui sont sur la limite du règne végétal, elles abondent aussi, surtout lorsque la densité de l’eau est comparativement faible. Après leur mort, elles vont au fond, et dans certaines parties de l’océan Indien elles constituent même la majeure partie du sol sous-marin. La faune qui vit sur ce dépôt est représentée alors par des types n’ayant pas besoin de carbonate de chaux, en particulier des Oursins irréguliers dont le test est très mince, et des Holothuries d’une apparence fort singulière. Par suite en effet de l’introduction dans le canal alimentaire du « Diatom ooze », l’estomac prend un tel développement que l’animal tout entier finit par ressembler à un sac membraneux et transparent rempli de Diatomées.

Entrons maintenant dans quelques détails sur la faune du fond de l’Atlantique et sur celle de la surface.

Rhisopodes — Les Radiolaires, ce groupe si curieux, et dont nous avons eu déjà l’occasion de parler, se trouvent disséminés dans presque toutes les mers ; mais ils abondent, surtout les Acanthomètres et les Polycystines, dans les eaux : chaudes de l’Atlantique et du Pacifique, en particulier dans celles de l’archipel malais. Les Radiolaires qui forment le fond de la mer sont proportionnellement. identiques à ceux : qui vivent au-dessus j cependant on a constaté, dans les régions très profondes, que certaines formes, telles que les Acanthomètres, manquaient presque absolument. Cela tient sans doute à l’extrême ténuité de leur coquille treillisée, qui se désagrège promptement, peut-être même n’est-elle jamais entièrement silicifiée. Quant aux Polycystines qui sont, parait-il, plus résistantes, elles s’y trouvent, au contraire, en grande abondance.

Lors du retour du Challenger dans l’Atlantique, M. Murray a recueilli, à diverses profondeurs, environ trente espèces de petits Rhizopodes, d’une structure très particulière et offrant des caractères assez nouveaux pour nécessiter la création d’un nouvel ordre, celui des Challengérides. La coquille siliceuse et excessivement petite de ces nouveaux Rhizopodes est globuleuse ou aplatie en forme de flaquc, avec une surface richement sculptée. L’intérieur ne renferme qu’une chambre avec une ouverture munie d’une lèvre très ornementée. Le sarcode renferme des nucleus colorés en rouge carmin et des masses granuleuses d’un brun noir. Les Challengérides ne se trouvent jamais à la surface, et rarement jusqu’à la profondeur de 300 brasses (549 mètres), mais ils abondent plus bas. Leurs coquilles, cependant, ne se trouvent que rarement dans le limon du fond, par suite, sans doute, de leur fragilité et de leur extrême ténuité.

Foraminifères — Nous n’insisterons pas ici sur la distribution de ce second groupe de Rhizopodes, puisque nous en avons déjà parlé précédemment. Disons seulement que ces animaux se trouvent surtout dans les mers chaudes, et qu’ils diminuent en nombre et en grandeur lorsqu’on se rapproche des régions froides. Certaines espèces fourmillent occasionnellement à la surface de l’Océan, surtout pendant la nuit, mais on est bien plus certain de les trouver à une profondeur de quelques mètres. La distribution verticale des Foraminifères ne dépasse guère 100 brasses (183 mètres). Quant à ceux qui vivent au fond, ils diffèrent de ceux de la surface et appartiennent au groupe des Foraminifères arénacés et imperforés.

Cœlentérés.— Les Spongiaires se trouvent à toutes les profondeurs, mais ils atteignent leur maximum de développement surtout entre 500 et 1000 brasses (915-1830 mètres). Tous les types de ce groupe sont représentés dans la zone profonde, sauf cependant les Éponges calcaires qui sont confinées dans les régions peu éloignées de la surface. Les Éponges cornées ont une distribution verticale considérable, cependant elles préfèrent la zone des Coraux ; quant aux Hexactinellides, ces Éponges formées de spicules siliceux sexradiés, et si remarquables par l’élégance de leurs formes, elles caractérisent bien les grandes profondeurs. Dans l’Atlantique, elles se trouvent le long des côtes du Portugal et du Brésil, à une profondeur de 1000 brasses (1830 mètres) environ. Cette famille était anciennement très répandue, et on en trouve beaucoup de représentants dans les terrains crétacés et les grès verts du sud de l’Angleterre, qui ont été décrits sous le nom de Ventriculites. On la croyait complètement éteinte actuellement, lorsqu’une Éponge vivante, l’Euplectella argillum, trouvée aux Philippines et décrite par Owen, en 1841, prouva qu’elle existait bien encore. Plusieurs autres ont été recueillies depuis et désignées sous les noms de Hyalonema, Aphrocallistes, Holtenia, etc. Presque toutes les espèces de cette famille sont pédicellées, ou munies de grandes franges qui les maintiennent à la surface du limon dans lequel elles se développent. Quant à leur distribution, elles sont cosmopolites, car chaque espèce occupe une aire d’une immense étendue.

Les Hydroïdes ne sont pas bien représentés dans les grandes profondeurs ; cependant dans certains dragages, faits sur un fond dépourvu de matières calcaires et où la vie animale était rare, on ramena, adhérents à des os de baleine ou à des concrétions ferrugineuses ou manganésifères, des tubes cornés appartenant probablement au genre Stephanoscyphus. Dans le Pacifique du Nord, on a trouvé aussi, à une profondeur de 2000 brasses environ (3660 mètres), une espèce géante du genre Monocaulus, car sa tige avait plus de 2 mètres de long et sa tête 3 à 4 décimètres de large, les tentacules étant développés.

Les Madréporaires n’abondent pas dans les eaux profondes, selon Mosley 10 genres atteignent 1000 brasses (1830m), 4 vont jusqu’à 1500 (2745m), une seule espèce a été trouvée à toutes les profondeurs depuis 30 jusqu’à 2900 brasses (54-5300 mètres). Dans l’Atlantique, les Coraux particuliers aux grandes profondeurs sont disséminés çà et là en petite quantité, et ils appartiennent presque tous à la famille des Turbinolides, dont les polypiers sont solitaires et simples. La plupart se rapportant à des genres des époques tertiaire et secondaire.

Les Alcyonaires fixes, surtout les genres voisins des Mopsea et des Primnoa, se trouvent en grande abondance dans les régions froides, à une profondeur variant entre 500 et 1000 brasses (915-1830 mètres), et ils sont remarquables par l’élégance de leurs formes et la beauté de leurs couleurs. Quant aux Alcyonaires libres, tels que les Pennatulides, ils descendent au contraire très bas, et le genre Umbellula, que l’on avait cru au début devoir être excessivement rare, a été ramené très souvent des régions les plus profondes.

Échinodermes — Les Crinoïdes sont certainement un des plus singuliers types de la faune des abîmes de la mer, mais ces animaux : sont relativement peu nombreux. Les plus grandes espèces se rapportent à la famille des Pentacrinides et, quoiqu’elles ne se trouvent que dans certaines localités, elles y sont cependant plus communes, qu’on pouvait le supposer, entre 300 et 500 brasses (549-915 mètres). Le Challenger n’a rapporté que 5 ou 6 nouvelles espèces appartenant surtout à la faune du Pacifique sud- ouest.

Quant aux genres Rhizocrinus, Bathycrinus et Hyocrinus, de la famille des Apiocrinides, si intéressants, comme les derrniers représentants d’un groupe qui a eu une considérable importance dans les anciens temps, ils ont été trouvés dans les profondeurs de l’Atlantique de l’hémisphère Sud, mais bien rarement.

Les Ophiurides caractérisent la faune des grandes profondeurs de l’Atlantique Nord, Plusieurs espèces se rapportent au genre Ophioglypha, qui renferme l’espèce commune, connue sous le nom d’étoile de mer fragile ; les autres sont voisines du genre Ophiomusium.

Les Astérides, représentés par des formes voisines de celles des Astropecten, Astrogonium, Pteraster, etc., sont abondants dans les profondeurs moyennes, et le singulier genre cosmopolite Brisinga a été trouvé, presque à chaque dragage, du Labrador jusqu’à la limite des glaces polaires australes, entre 400 et 3000 brasses (700-5490 mètres).

Les nouvelles espèces d’Échinides réguliers et irréguliers recueillies par le Challenger, sont très nombreuses et excessivement intéressantes, par suite de leurs affinités avec les types anciens. Parmi les réguliers, citons les genres Porocidaris et Salenia, assez souvent retrouvés, et un type des terrains crétacés, très remarquable par la flexibilité de son test, qui, par suite des espèces que l’on connaît maintenant a pris l’importance d’une famille, celle des Échinothurides. Quant aux Échinides irréguliers, leurs relations avec les espèces fossiles sont encore plus grandes ; plusieurs genres nouveaux sont voisins du genre crétacé Infulaster, tandis que d’autres se rapprochent beaucoup des Micraster Ananchytes, etc.

Les Holothurides sont fréquents dans les grandes profondeurs, où ils sont représentés ’par des formes particulières, alliées au genre Psolus, qui a un disque ambulatoire très distinct, les téguments fortement imprégnés de carbonate de chaux et de longs appendices tubuleux sur le dos et les côtés. Ces animaux singuliers qui caractérisent très particulièrement la faune profonde, n’ont été étudiés jusqu’à présent que d’une manière insuffisante.

Vers — Les Bryozoaires ont été trouvés à toutes les profondeurs et entre 2000 et 3000 brasses (3610-5490 mètres), dans des régions où la faune était très pauvre, la drague a ramené des Bicellariadés et des Salicornariadés d’une structure excessivement délicate et gracieuse.

Les Annélides sont rares au fond de la mer ; cependant, dans une ou deux occasions, en particulier entre Ténériffe et Saint-Thomas, leur présence a été constatée sur un sol argileux : dépourvu entièrement de carbonate de chaux, dont ils paraissaient être les seuls habitants.

Arthropodes — Les Crustacés ont de nombreux et intéressants représentants dans la faune océanique profonde. Les Cirripèdes pédonculés, en particulier, se trouvent partout, en petite quantité il est vrai, mais quelques espèces venant des régions les plus profondes avaient des dimensions réellement gigantesques, et étaient plus ornées que celles qui habitent près de la surface.

Les Décapodes marcoures sont abondants, plusieurs formes nouvelles très remarquables ont été recueillies, mais il n’est pas bien certain que ces Crustacés vivent réellement au fond de la mer. Quant aux : Décapodes brachyures ils paraissent confinés aux zones relativement peu profondes.

Les Pygnogonides atteignent de très grandes dimensions, dans les portions froides australes et boréales de l’Alantique et vivent à une profondeur moyenne.

Mollusques — Les Brachiopodes occupent une aire d’une grande étendue, mais ils ne sont représentés ni par beaucoup d’espèces ni par un grand nombre d’individus. Cependant, lors de l’expédition du Porcupine, M. Thomson fit une pêche abondante, dans le voisinage des Iles Faroër, de Teretratula cranium et de T. septata, fixées à des fragments de matières volcaniques. Le même fait s’est aussi représenté avec le Challenger dans le voisinage des Iles Heard et Crozet de l’Atlantique Sud.

Les Gasteropodes et les Lamellibranches sont rares dans la faune profonde, et la drague n’a ramené le plus souvent que des échantillons petits et déformés. Cependant une magnifique volute a été pêchée dans la mer du Sud à 1600 brasses (2928 mètres), quelques belles espèces de Margarita à 1260 et 1675 brasses (2305-3064 mètres) dans le voisinage de Kerguelen, et un bivalve, voisin des Lima, a été trouvé à une grande profondeur dans des régions très différentes soit de l’Atlantique soit du Pacifique.

Des Céphalopodes ont été capturés à diverses reprises, mais comme ces animaux ont des habitudes pélagiques, il est à supposer qu’ils ont été pris lorsque le filet remontait. Cependant dans quelques cas ces animaux ont été trouvés réellement dans le fond, mais toujours à une faible profondeur. Un fait singulier à signaler c’est que la Spirule n’a été trouvée qu’une seule fois, et cependant sa coquille est souvent assez abondante pour blanchir certaines plages des tropiques.

Vertébrés — très souvent le filet de pêche du Challenger renfermait des Poissons et en particulier des espèces appartenant aux familles des Scopalides et des Sternoptychides, remarquables par leur apparence grotesque, leur brillante coloration métallique et des organes latéraux sécrétant une matière phosphorescente. Ces ’poissons avaient été sans aucun doute pris dans le voisinage de la surface, mais d’autres appartenant aux familles des Ophdides et des Macrurides venaient certainement du fond de l’Océan.

Enfin dans quelques stations soit l’Atlantique soit du Pacifique, la drague a ramené d’une extrême profondeur des dents de requins et des os (le rocher de la Baleine) à moitié fossilisés, le tissu organique ayant été remplacé par des oxydes de fer et de manganèse. Ces corps, qui paraissent appartenir à des espèces actuellement éteintes de l’époque tertiaire, sont maintenant étudiés avec soin par M. Murray.

De tous les faits que nous venons d’énumérer, on peut tirer les conclusions suivantes :

1° La faune de l’Océan est probablement confinée dans deux régions, celle de la surface et celle du fond, la région intermédiaire ne renfermant ni vertébrés ni invertébrés supérieurs. 2° À partir de 500 brasses (915 mètres) la faune de fond présente un caractère d’uniformité remarquable, car les mêmes types se retrouvent presque partout, les genres étant cosmopolites et les espèces étant ou répandues universellement, ou bien nettement représentatives, si elles diffèrent entre elles. 3° La vie animale existe au fond de l’Océan quelle que soit sa profondeur ; mais à une grande distance de la surface elle devient moins abondante. Cette diminution parait due moins à la profondeur qu’à diverses autres causes, telles que la nature du fond, lu. présence ou l’absence du carbonate de chaux, la proportion d’oxygène. 4° Dans la faune profonde, tous les divers types d’Invertébrés se trouvent représentés, mais non dans la même proportion. Les Mollusques, les Crustacés Brachyures, les Annélides sont toujours rares. Les Échinodermes et les Spongiaires abondent au contraire, et ils se rapprochent par leurs formes, beaucoup plus que ceux des régions d’une profondeur moyenne, des faunes des terrains tertiaires ct secondaires. On avait cependant exagéré au début celle ressemblance, car le Challenger n’a retrouvé, comparativement, qu’un très petit nombre de types considères auparavant comme n’existant plus dans l’époque actuelle. 5° Les types caractéristiques de la faune profonde et ceux : qui se rapprochent le plus des faunes éteintes se trouvent en abondance et avec des dimensions considérables, surtout dans les régions océaniques de l’hémisphère Sud, et de là elles paraissent avoir émigré lentement dans la direction du Nord, soit dans l’Atlantique, soit dans le Pacifique, c’est-à-dire en suivant la direction des courants sous-marins actuels. 6° La faune enfin des régions profondes de l’Océan se rapproche de celle des latitudes australes et boréales, sans doute parce que les conditions de température qui exercent une si grande Influence sur la distribution de la vie animale, sont très similaires.

Particularités physiques — Dans celle esquisse rapide de la faune de l’Atlantique, nous avons dû laisser de côté bien des faits intéressants ; cependant avant de terminer ce sujet, nous voulons signaler trois caractères très remarquables, tels que la cécité, la phosphorescence et la transparence, présentés par un certain nombre d’animaux marins.

Dans un des dragages faits entre Ténériffe et Saint-Thomas une des houppes de chanvre contenait, emprisonné, un beau Crustacé décapode, de la famille des Astacides, mais qui n’avait ni yeux ni pédoncules oculaires, et auquel on adonné le nom de Willemœsia leptodactyla. On connaissait déjà une espèce aveugle dans cette famille, l’Astacus pellucidus, qui se trouve dans la célèbre grotte des États-Unis connue sous le nom de « Mammoth cave » ; mais dans cette dernière espèce les organes visuels y sont encore sous la forme rudimentaire de deux petits pédicelles. On peut encore citer d’autres exemples de Crustacés marins aveugles, en particulier le très curieux Éthusa granulata, trouvé par M. Thomson lorsqu’il était sur le Porcupine, dans le voisinage de Valentia. Ce Crustacé en effet lorsqu’il vit près de la surface, a des organes visuels bien développés, mais déjà entre 110 et 370 brasses (200-676 mètres) les yeux, quoique toujours placés sur un pédoncule, ne peuvent plus servir à la vision, étant remplacés par une masse arrondie d’une nature calcaire ; enfin entre 500 et 700 brasses (915-1281 mètres), chacun des pédoncules se change lui-même en un corps pointu et immobile qui sert de rostre. Dans ce cas, on peut donc suivre les modifications successives que la profondeur fait subir il un organe particulier, par suite de la disparition graduelle de la lumière.

Tous les Crustacés marins, quoique vivant il une grande profondeur, ne sont point tous cependant frappés de cécité, car ceux du genre Munida ont au contraire les yeux excessivement développés et doués apparemment d’une grande sensibilité. L’acuité de la vision semble donc, dans ce cas, s’augmenter en raison directe de l’affaiblissement de la lumière, ou se rendre apte à percevoir les plus faibles lueurs émises par les animaux phosphorescents.

Cette singulière particularité de la phosphorescence n’est point, en effet, spéciale seulement aux animaux marins qui vivent à la surface de l’Océan ; elle se manifeste aussi très fortement chez ceux qui sont confinés aux grandes profondeurs, tels que les Étoiles de mer, les Pennatules, les Gorgones, etc .. Ces dernières, en particulier, se trouvent souvent réunies en grand nombre au fond de la mer ; on peut donc se représenter certaines régions, comme couvertes de gracieuses touffes arborescentes agitées légèrement par les courants sous-marins, et émettant une faible lueur d’un lilas pâle, qui peut prendre un vif éclat si un poisson dans sa course rapide vient les ébranler.

Un très grand nombre d’animaux marins sont transparents, en particulier les Acalèphes et certains Tuniciers comme les Salpes. Mais parmi les plus intéressants, à ce point de vue, il faut citer les Hétéropodes, groupe de Gastéropodes qui par suite de leur vie essentiellement pélagique sont encore mal connus. Dans les musées d’histoire naturelle, ils sont représentés habituellement par une coquille, la « Carinaire », qui ressemble à un gracieux petit bateau de verre. Cette coquille ne donne point cependant une idée de la forme de l’animal, dix fois plus gros qu’elle, et dont le corps, qui atteint jusqu’à 6 pouces de longueur, a une telle transparence que l’on peut voir avec la plus grande facilité les battements du cœur, la circulation du sang dans les branchies, le canal alimentaire et ses annexes, le système nerveux, etc. Les Carinaires, ainsi que deux ou trois autres genres voisins tels que les Pterotrachea et les Firola, qui n’ont pas de coquille et qui abondent quelquefois à la surface des mers chaudes lorsque le temps est calme. Les Hétéropodes ne jouent pas du reste un grand rôle actuellement ; cependant les coquilles de l’Atalanta peronii et de l’Oxygyrus Keraudrenii se trouvent en abondance dans le « Globigerina ooze ». Mais il parait certain que les grandes coquilles des genres Euomphalus et Bellerophon, qui constituent presque entièrement certaines roches calcaires siluriennes et carbonifères, doivent être rapportées à ce groupe.

Le meilleur procédé pour conserver les Salpes, les Hétéropodes et les autres animaux transparents de la surface de la mer, consiste à les placer dans de l’eau saturée d’acide picrique à la température de 5°C. La solubilité de l’acide augmentant avec la température, on doit ’i faire allention, surtout dans les régions tropicales, car alors elle devient trop forte et altère les tissus. Par ce procédé, M. Thomson a pu ainsi garder dans un parfait état de conservation de formes et de transparence des Carinaires, des Firoles et un Pyrosome de cinq pieds de long. Les animaux tels que les Céphalopodes pélagiques, et les Holothuries, dont les tissus sont mous et un peu pulpeux, se durcissent si on les tient pendant quelques heures dans une faible dissolution d’acide chromique avant d’être placés dans l’alcool. Une très faible dissolution d’acide osmique au dixième est excellente pour tuer les petits êtres microscopiques d’une consistance gélatineuse, mais on ne doit les y laisser que quelques minutes, car ils deviennent très vile noirs.

Dans un prochain article, nous reproduirons les principales observations que les naturalistes du Challenger ont eu l’occasion de faire dans diverses iles telles que les Bermudes, Tristan d’Acunha, l’Ascension, etc., où ils ont pu faire un arrêt de quelques jours.

[1The Atlantic, a preliminary account of the general resulta of the enpliring voyage of H.M.S. Challenger during the year 1876, and the early part of the year 1876, by sir, Wyville Thomson. Two vol. Londres, Macmilland and Co, 1871.

[2Nous devons prévenir le lecteur que les chiffres donnés par M. Thomson, dans le texte de l’ouvrage ne sont pas toujours conformes il. ceux qui se trouvent dans les tableaux annexés, en particulier ceux qui indiquent les densités extrêmes.

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