L’ouverture officielle de l’Exposition internationale de Nice a en lieu dimanche 6 janvier, et, bien que cette solennité eût peut-être gagné à être retardée de quelques jours pour laisser le temps aux différents groupes de compléter leur installation, et à la plupart des exposants de terminer leurs étalages, une rapide visite permet déjà de juger de l’ensemble de l’Exposition, et donne la certitude que, par le développement qu’elle a atteint, par le nombre et la valeur des exposants qui ont répondu à l’appel du Comité, par la qualité des produits exposés, elle comptera parmi les plus brillantes et qu’elle sera digne de la ville qui est le rendez-vous des riches étrangers de toutes les parties du monde.
Pour être, d’ailleurs, tout disposé à l’indulgence à l’égard de ce retard qui semble, être l’apanage obligé de toutes les expositions, il suffit de se souvenir qu’il y a un an, l’emplacement, et peut-être le projet lui-même de l’exposition, n’étaient point encore définitivement arrêtés et, si l’on considère que les premiers coups de pioche ont été donnés, il y a neuf mois à peine, non seulement l’on ne s’étonnera plus des lacunes qui existent encore dans certaines sections, mais l’on sera forcé de reconnaître que les organisateurs ont accompli un véritable tour de force.
Le bâtiment principal s’élève sur un plateau dominant de 30 à 40 mètres la plaine de Nice.
II se compose d’une vaste nef, principale et de deux nefs latérales orientées du nord-ouest au sud-est et divisées dans leur longueur en deux parties par un transept transversal, au centre duquel se trouve un salon d’honneur, à la décoration luxueuse duquel ont contribué plusieurs des principaux exposants de la section des arts industriels (fig. 1).
La nef centrale et le transept sont plus particulièrement consacrés aux industries de luxe, ameublements, tapis et tapisseries, céramique, joaillerie, orfèvrerie, émaux, tabletterie, etc., etc. Il suffit de parcourir cette partie dont l’installation est à peu près complètement terminée, pour juger de l’empressement avec lequel les plus importantes maisons de Paris et de la province ont mis à répondre à l’appel du Comité et à y figurer par leurs plus beaux produits. Quelques-unes de ces exhibitions particulières feraient honneur à n’importe quelle Exposition et suffiraient à maintenir notre réputation et notre suprématie dans presque toutes ces industries de luxe. C’est surtout dans la section de l’ameublement et de l’ébénisterie représentée par les premières maisons de la capitale, que l’on peut constater qu’en fait de bon goût dans les modèles, de perfectionné dans l’exécution, de fini dans les détails, il est difficile de disputer la palme à la fabrication française. Pourquoi faut-il que l’élévation constante de la main-d’œuvre et un outillage un peu arriéré fassent traverser à cette branche d’industrie si française, si parisienne, une crise difficile et placent sur bien des marchés ses produits dans des conditions de lutte inégales avec ceux de quelques nations voisines ?
La céramique est aussi largement représentée. Nous ne devons pas oublier en effet que nous sommes dans un pays où cette industrie a pris depuis quelque temps un remarquable essor. Les fabriques de Nice, de Monaco, de Menton, adoptant chacun un genre particulier, cherchent à rivaliser avec celles plus anciennes de Vallauris dont les produits sont maintenant répandus dans toutes les parties du monde. A côté de ces produits locaux, Gien, Bordeaux, Creil, Montereau et Blois étalent leurs faïences émaillées aux couleurs éclatantes ou leurs élégantes imitations de poteries anciennes.
Dans les cristaux et verreries, signalons l’exposition de la Société de Saint-Gobain, les beaux vitraux artistiques fabriqués à Lyon, à Chartres, à Aix, les ravissants émaux de la maison Soyer ; dans les tapisseries, les splendides panneaux de plusieurs manufactures d’Aubusson, et de merveilleux tapis anciens d’Orient.
La classe des bronzes d’art, des métaux forgés ct repoussés, de l’orfèvrerie et de la joaillerie, paraissent devoir ne le céder en rien aux précédentes. Malheureusement l’installation de plusieurs exposants est encore trop peu avancée pour qu’on puisse bien juger de l’ensemble.
La plupart des nations sont représentées dans la section étrangère. Parmi celles qui comptent le plus exposants et qui occupent le plus vaste emplacement, au premier rang se placent l’Angleterre dont l’exposition d’hygiène publique, promet d’offrir un grand intérêt, la Belgique dont les établissements horticoles tels que ceux des Linden, des Van Geertd de Gand ont tenu à contribuer à l’éclat de cette fête du pays du soleil et des fleurs, l’Autriche avec ses articles de Vienne et ses cristaux de Bohême, l’Italie et la Suisse qui ont de nombreux exposants dans presque toutes les classes.
L’entrée principale donne accès à un vaste atrium qui précède, la nef centrale et de chaque côté duquel s’ouvrent les salles réservées aux beaux-arts. Cet atrium est orné d’un immense lustre muni de lampes Edison.
Dans les ailes sud et nord de l’avant-corps se trouvent, au premier étage, les expositions de l’enseignement, de l’hygiène, de la médecine et de la climatologie dont l’organisation n’est pas encore complète, mais qui nous offriront plus tard, nous l’espérons, quelques sujets intéressants d’étude. Un vaste portique à arcades où s’étalent déjà les belles cartes de la maison Hachette, réunit ces deux ailes.
La vue ci-jointe (fig. 2) donnera beaucoup mieux que ne sauraient le faire les meilleurs descriptions, une idée de la façade qui rappelle un peu celle du Trocadéro et qui mérite les mêmes reproches. Mais le merveilleux décor qui l’encadre lui enlève en partie ce que la légèreté des matériaux employés lui donne de grêle et d’artificiel. Le soir surtout lorsque chacune des arcades du portique sera éclairée par les lustres à lampes Edison que l’on est en train de poser, que les mille feux du grand lustre placé sous le porche feront ressortir les détails de la façade se détachant au milieu du feuillage argenté des oliviers qui l’entourent et sur le fond sombre de la montagne à laquelle l’édifice est adossé, l’effet sera féerique.
Un point en effet auquel nul ne sera tenté d’adresser le reproche de banalité, ce qui fait de l’Exposition, une chose tout à fait à part, c’est la beauté et l’originalité du cadre dans lequel elle est placée. La vue dont on jouit de la terrasse située au-devant de la façade, et aux pieds de laquelle coule la cascade, pourrait bien retenir plus que de raison le visiteur et lui faire oublier les merveilles de l’industrie humaine qui sont à quelques pas de lui.
A vos pieds, toute la ville de Nice avec ses blanches villas, hélas ! miroitant an soleil, ses jardins que rognent chaque jour, sous prétexte de progrès, l’ouverture d’une maussade rue bien tirée au cordeau, ou la construction de quelque banale maison à cinq étages.
En face de vous la colline de Cimiez. toute parsemée d’aristocratiques et coquettes habitations émergeant de nids de verdure, le rocher du château avec les blanches tombes du cimetière se détachant sur la verdure noire des cyprès, le Mont-Gros sur lequel s’étagent à mi-côte les terrasses d’oliviers et d’orangers, le mont Vinaigrier au sommet duquel se trouve l’Observatoire dû à la générosité de M. Bischoffseim, le mont Borron pittoresquement couronné d’un vieux fort en ruines. A votre gauche, le mont Chauve, sentinelle avancée des Alpes, dominant fièrement tons ses voisins, et derrière lui, là-bas, au loin, le profil majestueux de la chaine centrale, avec ses sommets couverts de neige, que la large brèche formée par la vallée du Paillon vous laisse apercevoir.
A votre gauche enfin, la mer bleue, d’un bleu foncé presque indigo, et présentant au moment où le soleil va disparaître au couchant derrière l’Esterel, des phénomènes d’irisation d’une richesse de coloris que la plus riche palette serait bien impuissante à rendre.
Un double escalier de pierre donne accès à la terrasse et embrasse, dans son contour, la belle cascade qu’alimentent les eaux de la Vésubie tout nouvellement amenées à Nice, et dont la vue ci-jointe permet d’apprécier la disposition et l’effet produit.
De chaque côté, un chemin de fer funiculaire mû par un système de contrepoids, facilite l’accès du plateau à ceux qui redoutent les fatigues d’une ascension.
Dans le parc tracé ail pied et sur le flanc d" la colline, au milieu des massifs de ces plantes à feuillage ornemental, palmiers, dracæenas, agaves, bambous qui donnent un cachet original à la flore de nos jardins, s’élèvent les pavillons des diverses villes de la région, Nice, Cannes, Menton, Monaco, Saint-Raphaël, Grasse, celui de Tunisie, d’Algérie, et un vaste aquarium qui permettra d’observer et d’étudier les spécimens les plus intéressants de la faune sous-marine de la Méditerranée.
Tout près du pavillon de l’Algérie, se trouve le bâtiment consacré à l’exposition des appareils de la Société Edison.
Sur l’un des côtés du parc est la galerie des machines dont l’installation est aussi un peu en retard. L’on se hâte cependant de monter les machines et sous peu de jours elles commenceront à fonctionner. Parmi elles nous avons aperçu les insolateurs Mouchot, à l’expérimentation desquels se prêtera fort bien le ciel de notre région.
A l’extrémité de cette galerie, sont placées les chaudières qui doivent fournir la force motrice nécessaire au fonctionnement des machines de la galerie, et à la production de l’électricité pour l’éclairage.
D’autres galeries couvertes, régnant sur toute la façade, renferment l’exposition de la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, les produits et matériel métallurgiques, etc., etc.
De nombreuses constructions dont quelques-unes, élégantes ou originales, consacrées à des expositions particulières et disséminées au milieu des massifs de feuillages exotiques, ajoutent au pittoresque du parc.
Nous avons voulu nous borner pour aujourd’hui à cette revue d’ensemble nécessairement un peu sommaire, mais qui suffira, nous l’espérons, à montrer que cette Exposition, tout en ne le cédant en rien à celles qui l’ont précédée comme importance des produits exposés, emprunte au cadre dans lequel elle est placée, au ciel, à la végétation du littoral Méditerranéen, un cachet très particulier et très original.
Dr Guiraud Nice, 20 janvier 1884.