Le télé-stéréographe d’Édouard Belin

Lucien Fournier, La Nature N°1808 — 18 janvier 1908
Jeudi 18 août 2011 — Dernier ajout lundi 1er avril 2024

Lucien Fournier, La Nature N°1808 — 18 janvier 1908

Le nouvel appareil imaginé par M. Édouard Belin, ainsi que celui de M. Berjonneau que nous avons récemment décrit, remplit un double but : la transmission à distance des images photographiques et celle de l’écriture ; mais les moyens employés par M. Belin diffèrent de ceux que nous connaissons déjà. Le problème revêt donc une troisième forme donnant également d’excellents résultats.

L’appareil actuellement construit est un modèle de démonstration ; les deux postes transmetteur et récepteur sont placés sur une même table et commandés par un moteur unique ; la : question du synchronisme, réalisée en principe, n’intervient donc pas dans le fonctionnement général.

La transmission télé-stéréographique repose sur l’emploi d’un cliché photographique de l’épreuve li reproduire tiré à la gélatine bichromatée ; ce cliché présente donc des creux et des reliefs correspondant : les premiers aux parties claires de l’image et les seconds aux parties sombres. Plus les noirs sont intenses, plus les reliefs seront accentués ; et plus les blancs seront nets, plus les creux seront prononcés. Les hauteurs intermédiaires correspondent aux demi-teintes de la photographie. Le cliché est enroulé sur un cylindre tournant devant une pointe de saphir appartenant à un style solidaire- d’un levier articulé à son extrémité supérieure ; l’autre extrémité de ce levier porte une molette capable de parcourir un rhéostat formé de vingt laines d’argent isolées au mica (fig. 3) et dont la longueur totale est de 3,5 millimètres seulement. Ainsi que le montre la photographie de cet appareil, chaque lame est reliée à une barre connectée avec une boîte de résistances contenant vingt bobines ; l’une d’elles, que l’on supprime pour effectuer des expériences sur les circuits téléphoniques de l’État, figure la ligne en temps normal. Les autres, au nombre de 19, sont calculées de telle sorte que le courant qui les traverse décroisse régulièrement au fur et à mesure qu’elles sont intercalées sur le circuit.

Étant donné le mouvement hélicoïdal du cylindre, le style explore toute la surface de l’épreuve en relief suivant une ligne également hélicoïdale, chacune des spires de cette ligne étant distante de sa voisine de 1/6 de millimètre seulement. Enfin la surface du cylindre a été déterminée de manière à recevoir une épreuve photographique de la dimension 13X18.

Il devient dès lors facile d’étudier le fonctionnement de l’appareil transmetteur. Le cylindre étant mis en rotation, les reliefs et les creux du cliché impriment au stylet une série de mouvements de va-et-vient plus ou moins prononcés que le levier amplifie. La molette parcourt alors le rhéostat, introduisant sur la ligne une ou plusieurs bobines de résistance qui diminuent d’autant l’intensité du courant émis.

On comprend aisément que si la pointe tombe dans un creux maximum, la molette se placera à l’origine du rhéostat et le courant sera dirigé sur la ligne avec sa valeur totale ; tandis qu’une partie de ce même courant sera absorbée par les résistances lorsque la pointe aura gravi un relief très accentué, la presque totalité du rhéostat faisant partie du circuit. Entre ces deux limites le courant suivra une gamme d’intensités variables correspondant aux variations de hauteur des reliefs et de profondeur des creux.

Le poste récepteur comprend un oscillographe Blondel qui est chargé de traduire les courants de ligne en oscillation, d’un petit miroir placé entre les électros de l’appareil. Le cylindre récepteur, de mêmes dimensions que celui du transmetteur, est également animé d’un mouvement absolument identique ; il est entouré d’un papier sensibilisé sur lequel s’enregistre l’image transmise. La boîte dans laquelle il est placé est percée d’une ouverture circulaire de 1/6 de millimètre de diamètre que le papier vient effleurer ; on peut presque dire que ce trou est au contact du papier. Une lampe Nernst, munie d’un condensateur, envoie ses rayons sur le miroir de l’oscillographe qui les dirige sur l’ouverture de la boîte réceptrice à travers un écran transparent mobile appelé gamme de couleurs (fig, 1) et une lentille calculée de telle sorte que le miroir et le trou pratiqué dans la boite du cylindre soient deux foyers conjugués.

Les variations de courant de la ligne impriment au miroir de l’oscillographe des déviations successives très rapides et toujours proportionnelles aux intensités de courant. Le faisceau lumineux obéit à ces oscillations et son .intensité, qui est maximum dans l’axe principal, parcourt la lentille du centre au bord.

Mais la pellicule sensible, étant constamment placée au foyer de la lentille, reçoit en permanence la totalité du faisceau lumineux et, si une gamme de teintes n’était interposée sur le passage de ce faisceau le papier ou la pellicule recevrait constamment la même lumière : toute reproduction serait alors impossible.

La gamme de teintes est un écran nuancé en noir ; lorsque le faisceau lumineux réfléchi tombe au centre de la lentille, il traverse l’écran sans aucune extinction et l’impression lumineuse est maximum ; on obtient donc un noir photographique mais si le faisceau tombe au bord de la lentille. l’opacité absolue de la gamme produit une extinction complète et l’on obtient un blanc sur le papier sensible.

Pour toutes les positions intermédiaires du fairrce au une extinction convenable par la gamme de teintes produit l’effet photographique voulu et la série complète de ces extinctions, totales, partielles ou nulles, donne une image absolument conforme à celle qui a servi à faire le cliché transmetteur.

Le système Édouard Belin présente, en outre, certaines particularités intéressantes à signaler. C’est ainsi que le trou percé dans la boite du récepteur doit se trouver, ainsi que nous l’avons observé, aussi près que possible de la préparation sensible. S’il n’en était pas ainsi, la lumière très intense en ce point donnerait lieu à des phénomènes de diffraction ayant pour conséquence le recouvrement partiel des lignes.

D’après le dispositif admis, la reproduction se fait pour ainsi dire par contact, comme on tire une épreuve ordinaire au châssis. D’autre part les cylindres transmetteur et récepteur peuvent également être de dimensions différentes.

En admettant que celui de réception fût quatre fois plus grand que celui de transmission, sa vitesse de rotation et son pas de vis étant multipliés dans la même proportion, on obtiendra alors une épreuve quatre fois plus grande que l’original.

Utilisé pour la reproduction à distance de documents au trait : écriture ou dessins, le télé-stéréographe subit quelques modifications. Le levier du poste transmetteur, la, roulette, le rhéostat et les bobines disparaissent pour être remplacés par un interrupteur de précision commandé par les reliefs du document, tandis que, au poste récepteur, la gamme de teintes est remplacée par un diaphragme percé d’une fente très étroite. Le transmetteur laisse alors passer du courant à chaque relief seulement, et à la réception la lumière traverse le diaphragme en permanence, elle n’est déviée qu’à l’arrivée du courant.

On obtient dans ce cas un trait blanc sur fond noir : en inversant le dispositif, le résultat serait un trait noir sur fond blanc.

La durée de la transmission par le système Belin peut se trouver limitée par l’inertie mécanique de certains organes et par la charge de la ligne. Au laboratoire d’essais, en donnant au moteur sa plus grande vitesse, une épreuve 13X18, formée d’environ 850000 points, a été transmise en 30 minutes ; cette durée pourrait cependant être ramenée à 15 minutes en modifiant en conséquence la roue tangente commandée par l’arbre du moteur.

L’inertie mécanique apporte, ainsi que nous l’avons remarqué, un obstacle à la vitesse de transmission et aussi à la netteté de l’image, surtout lorsque le cliché présente, sous la pointe de saphir, un creux très prononcé faisant immédiatement suite à un relief accentué. De plus, la molette du levier passant d’une lame à l’autre du rhéostat, le faisceau lumineux se déplace brusquement sur la gamme de teintes et les régions correspondantes de l’épreuve passent sans transition d’une tonalité à la suivante.

Une teinte fondue prend alors l’aspect, peu apparent, d’une série de teintes plates décroissantes, mais l’effet n’en est cependant pas négligeable. Pour obvier à ces inconvénients, M. Belin se propose de substituer aux levier et rhéostat du poste transmetteur, un microphone sur la membrane duquel agissent les reliefs et les creux du cliché original. Le microphone est d’une conception spéciale et les premières expériences auxquelles il a été soumis auraient été tout à fait concluantes.

Nos lecteurs connaissent maintenant les trois systèmes de photo-télégraphie à la mise au point desquels chaque inventeur travaille en ce moment [1]. Les résultats qu’a obtenus M. Edouard Belin sur un circuit de 1700 kilomètres, par Dijon, Lyon, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Angoulème, Paris, ont été d’autant plus surprenants qu’il s’agissait de transmettre non un portrait, mais un paysage, celui précisément que représente notre photographie. Le jeune savant nancéen n’est certainement pas bien loin de la solution définitive.

Lucien Fournier

[1Voir Le système phototélégraphique Berjonneau, Lucien Fournier, La Nature N°1807 — 11 janvier 1908 et Système phototélégraphique Senlecq-Tival,A. Dessol, La Nature N°1809 — 25 janvier 1908

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