La mode est aujourd’hui, plus que jamais, aux objets de petites dimensions. On peut citer les timbres-poste qui font rage parmi les collectionneurs et dont quelques-uns, d’une rareté extrême, atteignent plusieurs milliers de francs, prix inconnus pour les grandes estampes. Il y a aussi les breloques qui, abandonnées depuis 1830, sont revenues en faveur dans ces derniers temps et dont les femmes chargent leurs sautoirs, ressuscitant ainsi les anciens charivaris de leurs grand’mères. Les objets de vitrine de Chine et du Japon, les ivoires, les jades, les petites porcelaines et laques, etc., partagent aussi cette faveur générale. S’il semble que les anciens peuples civilisés aient eu la manie des œuvres grandioses, comme en témoignent les Pyramides et les constructions de Ninive et de Babylone, il est non moins évident que les peuples d’aujourd’hui donnent la préférence à ce qui est petit. Autrefois, c’était la mégalomanie ; mais aujourd’hui nous en sommes à la micromanie. Les Chinois n’aiment plus que les petites choses et il semble bien que nous suivions docilement leur exemple.
Cette loi de l’esprit humain trouve son application chez les Hollandais comme ailleurs, aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner de voir sortir des mains de ce peuple industrieux le petit produit dont nous allons dire quelques mots.
A Gouda, petite ville située sur la ligne du chemin de fer qui réunit Utrecht à Rotterdam, se trouve la célèbre fabrique de pipes de Jan Prince et Cie.
Lorsque des personnages de marque viennent visiter cette fabrique, il est dans l’usage de leur offrir des pipes minuscules qui servent à montrer en même temps que l’habileté des ouvriers, la qualité supérieure de la terre servant à la fabrication.
Il est certain qu’il faut une terre jouissant d’une finesse réellement supérieure pour pouvoir établir un tuyau ayant un millimètre et demi de diamètre extérieur et moins d’un millimètre de diamètre intérieur. Et les ouvriers trouvent encore le moyen d’enjoliver de gracieux sujets et d’ornements fourneaux et tuyaux tout comme s’il s’agissait de pipes ayant des dimensions ordinaires.
Les pipes minuscules de Gouda, que nous avons sous les yeux, sont de trois espèces appartenant aux divers genres de terre dont il a été fait usage ; elles sont en terre noire, rouge ou blanche.
Elles ont toutes les mêmes formes et les mêmes dimensions. Le tuyau a cinq centimètres de longueur, un millimètre et demi de diamètre extérieur et trois quarts de millimètre de diamètre intérieur. Le fourneau est haut de dix millimètres ; son plus gros diamètre extérieur est de six millimètres et son diamètre intérieur est de quatre.
Le poids total de la pipe est de un demi-gramme. La quantité de tabac qui peut être bourré dans la pipe atteint seulement quelques milligrammes. ce qui est à peine suffisant pour une faible bouffée de fumée.
On sait que les Chinois fument ce qu’ils appellent des pipes instantanées dont la fin arrive à la suite de la deuxième ou de la troisième aspiration. Les pipes de Gouda leur sembleraient donc tout à fait insuffisantes. A fortiori, en serait-il de même des Boers qui ont toujours la pipe à la bouche, même quand ils font le coup de fusil ; ces vaillants défenseurs de leur indépendance en seraient donc réduits à la dure nécessité de renier les produits de leurs pays d’origine.
Le tuyau de ces petites pipes est orné d’arabesques des deux côtés et sur la presque totalité de sa longueur. Quant au fourneau, il reçoit également des deux côtés une ornementation spéciale qui consiste en un cadre ovale, formé de petites perles, au milieu duquel se trouvent des sujets variables ; ce sont des fleurs, un enfant qui saute à la corde ou encore le buste de la jeune reine de Hollande. Ces petits objets sont, en somme, d’une fragilité extrême ; il serait dangereux de les manier souvent et il vaut mieux, pour plus de sûreté, les laisser reposer dans leur boîte, entre deux couches de coton.