Tabatières et priseurs

La Science Illustrée N° 557, 30 Juillet 1898
Samedi 28 février 2009 — Dernier ajout mardi 3 mars 2009

Lorsque Christophe Colomb et ses compagnons abordèrent à San-Salvador en 1492, ils rencontrèrent des naturels, tant hommes que femmes, qui tenaient à la main un rouleau fait des feuilles d’une certaine herbe dont ils avaient allumé un bout tandis qu’ils en aspiraient la fumée par le bout opposé. Ces rouleaux, nommés tabaccos, se fumaient ou se chiquaient sur toute l’étendue du continent américain et cet usage devait être fort ancien puisqu’on a trouvé des pipes dans les tombeaux des Aztèques et dans les mounds builders des États-Unis. L’herbe dont étaient formés ces rouleaux était aussi souvent réduite en poussière et aspirée par le nez, prisée, sous le nom de pétun.

Tous ces usages indiens de l’herbe du nouveau monde, fameux depuis sous le nom de tabac, se répandirent rapidement en Europe. En 1518, cette plante annuelle était déjà semée et cultivée en Espagne et un peu plus tard, en Portugal.

En 1560, le tabac fut introduit en France par Jean Nicot, ambassadeur de François II à Lisbonne. Il apporta une petite boîte de pétun à la reine Catherine de Médicis, qui y prit goût ; les courtisans l’imitèrent et la plante se répandit sous les noms de nicotiane , herbe à la reine ou herbe médicée.

Plus tard, certains médecins lui attribuant des vertus curatives, on la nomma herbe sainte ; d’autres, au contraire, qui l’accusaient à juste titre de posséder des propriétés malfaisantes, la nommèrent herbe à tous les maux.

Jacques Ier, roi d’Angleterre, était sans doute de l’avis de ces derniers, car il fit arracher tous les pieds de tabac qui avaient été semés dans ses États. En Russie, Michel Féodorowitch agit de même. Le pape Urbain VIII excommunia les fidèles qui priseraient dans les églises et le sultan Amurat IV, plus énergique, pour supprimer l’usage de priser, faisait couper le nez des priseurs.

Toutes ces mesures n’empêchèrent pas le tabac de se répandre et la plupart des gouvernements seraient fort ennuyés aujourd’hui si fumeurs et priseurs se mettaient en grève : l’un des plus beaux revenus du fisc serait tari. La chose n’est pas à craindre, nous sommes trop les esclaves de nos habitudes pour essayer de leur résister.

Au XVIIe siècle, il était d’usage général de parfumer le tabac à priser. Martial, valet de chambre de Monsieur et parfumeur en vogue détenait le secret de différentes formules pour aromatiser le pétun. Le prince de Condé, un de ses clients les plus assidus, faisait toujours parfumer son tabac en sa présence.

A Londres, Charles Lilly, au début du XVIIIe siècle, jouissait du même engouement que Martial en France. Il était renommé pour son tabac parfumé « qui rafraîchissait la cervelle de ceux qui en avaient trop pour leur tranquillité, et réjouissait celle de ceux qui en avaient si peu qu’ils n’en sentaient pas la privation. »

L’usage de parfumer le tabac est un peu délaissé aujourd’hui ; cependant quelques priseurs ont toujours dans leur tabatière la graine d’une légumineuse très abondante aux Antilles et dans l’Amérique du Sud, le Dipteryx odorata. Cette graine, connue sous le nom de fève tonka, possède une odeur fort agréable.

L’habitude de priser amena forcément l’usage des récipients à tabac ou tabaquières, plus tard tabatières.

Le tabac étant d’abord vendu en rouleaux et non en poudre, le priseur devait le râper lui-même ; de là l’usage des grivoises, tabatières en forme de râpe d’environ 20 centimètres de long, qui furent employées jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Les grivoises étaient d’ordinaire en buis ou en ivoire, ornées d’écussons, de personnages grotesques ou de vers lestes, qu’on qualifia plus tard de grivois.

La tabatière proprement dite a été, surtout sous la Régence et sous Louis XV, un charmant bijou. Alors toutes les grandes dames prisaient ; même les plus jeunes et les plus élégantes.

Dans une tabatière, la petite boîte formant récipient est la cuvette. Le couvercle, monté sur charnière ; - sauf dans la vulgaire queue-de-rat - présente une partie saillante ou bec qui en facilite l’ouverture. On nomme opposite la face interne du couvercle et doublure le revêtement intérieur de la cuvette quand il n’est pas de la même substance que l’extérieur.

Les formes ordinaires des tabatières sont le cercle, l’ovale, l’octogone et le rectangle ; mais parfois aussi la fantaisie se donne cours et on en a pu voir à formes de soulier, d’ustensiles de cuisine, d’animaux, de figures grotesques. La matière la plus employée, dans les tabatières de luxe, était l’écaille avec monture en or ; mais les jaspes, les lapis, les cornalines, le cristal de roche, la nacre, l’ivoire, le buis sculpté se rencontrent aussi fréquemment.

Au XVIIIe siècle, la tabatière en carton eut la vogue. La pâte de carton était pressée dans des moules en bois qui lui donnaient sa forme et certains reliefs ; on la recouvrait ensuite, par couches successives, de laques ou de vernis Martin.

Les tabatières étaient souvent ornées de pierres précieuses, ou de mosaïques en pierres dures.

Le Louvre possède, depuis la donation Philippe Lenoir (1874), une très belle collection de tabatières comprenant 204 numéros ; celle que nous reproduisons en fait partie. De style Louis XV, elle est en or incrusté d’argent.

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