M. Shelford Bidwell, le physicien anglais bien connu par un grand nombre de recherches originales, vient de présenter à la Société royale de Londres de nouvelles et curieuses expériences qu’il est intéressant de faire connaître. Le point de départ est le classique diable rouge qui, observé fixement pendant une demi-minute, vient peindre ensuite son image en vert sur le plafond lorsque l’on y dirige le regard.
On sait que cet effet est dû à la fatigue rétinienne : la rétine devient incapable de ressentir les ondes rouges de la lumière blanche et n’est affectée que par les ondes complémentaires, c’est-à-dire la lumière verte. Dans certaines conditions, cet effet de fatigue peut se produire en un temps très court, et, il y a trois ans, l’auteur appelait l’attention sur ce fait qu’une courte période d’obscurité communiquait aux nerfs rétiniens une sensibilité bien supérieure à la sensibilité normale, et que cette sensibilité disparaissait très rapidement sous l’influence d’une nouvelle et vive impression lumineuse. En fait, il suffit d’une fraction de seconde pour obtenir ces variations de sensibilité. L’auteur le démontre à l’aide de deux écrans, l’un blanc et l’autre noir, tenus ensemble dans une main, de façon à laisser entre eux un vide triangulaire. On place derrière l’écran noir un papier blanc sur lequel est collé un pain à cacheter rouge et on déplace rapidement les deux écrans alternativement de gauche à droite et de droite à gauche, de façon à découvrir un instant le pain à cacheter, et il occulter immédiatement le pain il cacheter avec l’écran blanc.
A l’impression rouge succédera une impression évanouissante de bleu verdâtre. Avec un très grand éclairement et une vitesse de déplacement convenable des deux écrans, le rouge disparaitra, et le pain à cacheter parait ra vert. L’action de la lumière après une courte période d’obscurité semble avoir la propriété de diminuer la sensibilité des fibres rétiniennes dans un temps si court que, si la lumière est colorée, nous n’avons pas conscience de cette couleur. En employant un disque tournant formé d’une partie noire, d’une partie blanche et d’un secteur fendu, comme le montre la figure ci-jointe, l’effet de transformation subjective de couleurs peut être obtenu d’une façon continue et donner les résultats les plus curieux. Le disque doit, pour cette expérience, tourner à raison de 6 à 8 tours par seconde, tandis que sa face antérieure est brillamment éclairée par la lumière diffuse du jour, ou par une lampe il incandescence de 32 bougies placée à 15 centimètres de distance, la face postérieure de la lampe étant munie d’un réflecteur ou d’un écran du côté opposé au disque tournant. Dans ces conditions, une carte rouge placée derrière le disque paraît verte, une carte rouge devient rose, une carte bleue devient violette, tandis qu’une tache noire peinte sur un fond blanc paraît plus blanche que le fond lui-même.
C’est par ce moyen que M. Shelford Bidwell a pu rendre à peu près acceptables les peintures les plus impressionnistes. Il montrait, en particulier, le 19 mai dernier, une dame à chevelure indigo-bleu, à face vert émeraude, à robe écarlate, en admiration devant un soleil violet à feuilles pourpres. Vue à travers le disque tournant, la dame apparaissait avec une chevelure blond filasse, avec une peau délicieusement rosée, vêtue d’une robe bleu-paon, contemplant un soleil à pétales jaunes et à feuilles vertes.
Pour obtenir de bons résultats, il faut employer un disque de 18 à 20 centimètres de diamètre, bien équilibré, recouvrir la partie noire de velours noir et la partie blanche de papier gris clair ; le secteur découpé doit avoir un angle de 50 à 60°. Un appareil ainsi établi sur les indications de l’auteur nous a fourni des résultats très satisfaisants.
Nos intelligents camelots vont s’emparer de l’idée de M. Shelford Bidwell, et nous présenteront certainement avant peu un nouveau jouet qui figurera en bonne place parmi les succès de l’année, à l’époque des étrennes.
E. H.