L’énergie mécanique et électrique, si nécessaire aujourd’hui à la vie sociale, est extraite des forces naturelles au moyen de machines thermiques ou hydrauliques : sur les 13 milliards de kilowatts-heure consommés annuellement en France, 5,6, soit 42 %, représentent la production d’installations hydrauliques.
Il. s’est donc créé une sorte d’équilibre entre les usines thermiques caractérisées par des frais d’installation peu élevés et par une exploitation extrêmement coûteuse de matières épuisables et les installations hydrauliques dont le coût de premier établissement très élevé (3 à 4 fois plus grand que précédemment ) est compensé par le très bas prix de l’exploitation qui utilise de l’eau pratiquement inépuisable.
On tend d’ailleurs à accoupler les deux installations en utilisant, pendant les heures de pointe, la souplesse de l’usine hydraulique dont la puissance peut être décuplée en quelques secondes alors qu’on ne peut brusquement augmenter la production de vapeur des centrales thermiques dont les chaudières sont en outre très sensibles aux interruptions de service.
L’évolution des turbines a toujours été guidée par la recherche de vitesses spécifiques toujours plus élevées (on sait que le nombre de tours spécifique ou vitesse spécifique est le nombre de tours auquel tournerait celle des turbines de la même famille qui fournirait une puissance de 1 cheval, sous une chute de 1 mètre, pour la valeur considérée du rendement).
Une vitesse spécifique élevée permet d’atteindre, même pour les chutes les plus basses, une vitesse de régime relativement élevée : comme une turbine est généralement accouplée à un alternateur, dont la vitesse de régime est très élevée (de l’ordre de 1000 tours/min. étant donnée la nécessité d’obtenir un courant alternatif de fréquence non inférieure à 50), une vitesse plus élevée permettra la simplification et souvent la suppression totale d’organes intermédiaires coûteux et absorbant de l’énergie : on accouplera directement la turbine à l’alternateur, ce qui par surcroît diminue l’encombrement du groupe et les dimensions de l’usine.
Les progrès accomplis, pendant ces dernières années, en ce qui concerne les roues, leur construction, leur rendement et vitesse spécifique, paraissent avoir atteint maintenant leur point culminant,et l’on peut presque prédire qu’il n’est plus guère possible d’obtenir mieux : les rendements atteints dépassent de beaucoup ce que les hypothèses les plus optimistes n’auraient pas permis, il y a 20 ans, d’espérer et, si l’on gagne encore quelque chose, cela ne pourra guère se chiffrer que par des variations de rendement inappréciables.Les Américains annoncent avoir construit des groupes turbine-alternateur dont le rendement total atteindrait 0,93 alors que l’industrie française se contente de 0,86 ; remarquons, toutefois, que, comme tout rendement, ce nombre est le rapport de deux quantités : énergie électrique débitée facilement mesurable (wattmètre) et énergie hydraulique reçue, mesurée par la hauteur de chute et le débit ; la multiplicité des formules de déversoirs explique la différence constatée : utilisant, comme les Allemands, des formules donnant, pour le débit, des valeurs légèrement inférieures à celles données par les formules usitées en France, les Américains obtiennent une énergie reçue inférieure à laquelle correspond un rendement plus élevé ; suivant le mot de M. Eydoux : « Il ne faut pas désespérer de les voir atteindre des rendements supérieurs à l’unité. »
TURBINES A VEINE LIBRE
Une classification immédiate, à vue, permet de distinguer deux classes de turbines hydrauliques : les turbines à veine moulée noyées dans l’eau et les turbines à veine libre à un certain niveau au-dessus du bief aval. Ces dernières ont rapidement évolué vers leur type extrême.
Dans la construction actuelle, elles se présentent sous la forme de roue Pelton. Nous n’en dirons qu’un mot, par suite de l’état de perfection, atteint très rapidement depuis longtemps déjà, par cette turbine. On connaît d’ailleurs son fonctionnement : à l’extrémité d’une conduite forcée C, un ou plusieurs injecteurs I lance l’eau dans l’air avec une grande vitesse. Le jet d’eau est reçu sur les augets A placés normalement à la périphérie d’une roue mobile R. Ces augets, se présentant sous la forme de deux cuillères accolées, séparées par une arête vive rectiligne, rejettent l’eau de côté (fig. 1). L’injecteur est une buse conique dans laquelle se meut une aiguille actionnée par le régulateur et qui règle la quantité d’eau injectée : le jet est ainsi cylindrique pour toutes les ouvertures. Cette machine, dont les pertes sont vraiment réduites à leur valeur minimum, constitue un bel exemple de machine parfaite, du point de vue de l’ingénieur, car chaque organe a atteint une forme définitive impossible à améliorer d’une manière sensible, relativement à la transformation de l’énergie. Son rendement peut atteindre 90 % pour de grandes chutes : il diminue rapidement quand la hauteur de chute diminue (à moins de tourner très lentement, ce qui est très gênant pour l’alternateur accouplé), d’où la nécessité de recourir à des turbines d’un autre genre pour de faibles hauteurs de chute ; on est allé toutefois jusqu’à monter une turbine Pelton de 2150 kW, de construction Escher Wyss, à l’usine de Burlauenen (Suisse) établie à une seule roue, pour une hauteur de chute de 150 m et une vitesse de 150 tours par minute.
TURBINES A VEINE MOULÉE. TURBINES FRANCIS
Les turbines à veine moulée sont les seules employées pour de faibles hauteurs de chute. La technique moderne tend d’ailleurs à faire une nouvelle classification : turbines Francis pour chutes supérieures à 10 m et turbines-hélice, à pales orientables ou non, pour des hauteurs de chute plus petites encore.
Décrivons tout d’abord la turbine Francis :
A la différence des turbines Pelton, la roue motrice est généralement complètement noyée et le distributeur, au lieu d’être réduit à un ou plusieurs injecteurs, forme ici une couronne continue ; c’est une turbine à admission totale, c’est-à-dire admettant l’eau sur tout le pourtour de la roue. Les organes essentiels sont (fig. 5) :
1. Une conduite C spiraloïde qui amène l’eau sur tout le pourtour du distributeur. La section de la bâche diminue au fur et à mesure qu’elle s’approche de l’axe autour duquel elle s’enroule et que par conséquent une partie de son débit passe dans la turbine : de cette façon on conserve constante. une vitesse qui tendrait à diminuer en s’éloignant de la conduite d’alimentation.
2. Un distributeur D, organe fixe, cloisonné par des directrices ou vannettes qui forment entre elles des canaux où l’eau, ainsi guidée, s’accélère avant de passer dans la roue. En général, pour permettre le’ réglage, ces directrices sont mobiles autour d’axes parallèles à l’axe de la turbine : une biellette articulée les fait pivoter simultanément, étranglant ainsi plus ou moins les orifices (vannage Fink). Ces vannettes tendent actuellement à devenir symétriques, à faces presque rectilignes, arrondies du côté de l’entrée de l’eau et très affilées, au contraire, du côté opposé : la résistance aux filets liquides est ainsi très diminuée (c’est d’ailleurs le profil de l’aile d’oiseau et de l’avion).
3. La roue mobile R qui reçoit tangentiellement le jet liquide envoyé par le distributeur : la vitesse de l’eau diminue dans la roue et, par inertie, les éléments liquides exercent sur les aubes des forces circonférentielles qui créent le couple moteur (d’après le principe suivant lequel toute variation de vitesse crée une force d’inertie). Les aubes de la roue mobile, reliant les deux cloisons, supérieure (plafond) et inférieure (ceinture), ont un tracé assez compliqué : en effet, elles reçoivent l’eau du distributeur radialement ; d’autre part, pour évacuer facilement l’eau qui vient de travailler, sans donner à la roue un diamètre de sortie énorme, il fallait changer sa direction et la dévier dans le sens de l’axe. La solution déviation dans la roue était possible, je trajet de l’eau pouvant être quelconque sans inconvénient ; les aubes situées, à l’entrée dans des plans axiaux, s’épanouissent, à la sortie, dans des plans perpendiculaires à l’axe (fig. 6). De la résulte le nom des turbines Francis dites turbines hélico-centripètes ou mieux centripètes-parallèles, le trajet de l’eau d’abord centripète se redressant de sorte qu’à la sortie les molécules fluides se déplacent suivant une direction parallèle à l’axe.
4. L’eau éliminée. parallèlement à l’axe s’échappe à travers un diffuseur, sorte de tube de succion descendant au-dessous de l’eau dans le bief d’aval avec lequel il communique ; on évase ce tube de sorte que l’eau qui a travaillé est rendue au bief à une vitesse réduite. Comme la pression et la vitesse varient en sens inverse, la pression, égale à la pression atmosphérique,à la sortie du tube, lui est inférieure à la sortie de la roue mobile : par cet effet de succion, on récupère, sous forme d’énergie potentielle de pression, la plus grande partie de l’énergie cinétique que possédait encore l’eau à sa sortie de la roue.
La turbine Francis, ainsi décrite, permet des vitesses de rotation inconnues pour la roue Pelton, pour de petites chutes. Toutefois, son rendement est déjà peu satisfaisant pour des vitesses spécifiques supérieures à 450 tours-minute ; la recherche de vitesses de plus en plus grandes devait provoquer d’importantes modifications à la turbine Francis primitive.
TURBINE A HÉLICE
L’expérience et la théorie concordent pour montrer que le rendement d’une turbine Francis, considéré comme fonction du nombre de tours, présente un maximum (fig. 9). Il suffit de jeter un regard sur le tableau suivant résultant d’essais sur une turbine Francis de 3000 ch sous 50 mètres, pour se rendre compte qu’une telle machine ne peut fournir que des vitesses relativement faibles, faute de voir son rendement baisser rapidement :
Rendement | Nombre de tours |
---|---|
0,75 | 90 |
0,77 | 100 |
0,79 | 150 |
0,81 | 200 |
0,83 | 275 |
0,81 | 350 |
0,79 | 500 |
0,77 | 600 |
Pratiquement, on ne dépassera pas 500 tours/minute pour une turbine Francis, ce qui ne permet pas encore un accouplement direct avec un alternateur. Ceci s’explique immédiatement : quand le nombre de tours augmente, les vitesses relatives de l’eau sur les aubes deviennent très élevées, le frottement qu’elle exerce sur ces nombreuses aubes augmente considérablement et absorbe une certaine quantité de travail moteur, lequel baisse rapidement. Par ailleurs, la présence d’une ceinture extérieure, servant à la fois de support aux aubes de la roue mobile et de limite à la partie tournante, occasionne une perte d’énergie notable (en effet, donnant lieu à des frottements énormes, la ceinture d’une turbine extra-rapide Francis avait des dimensions appréciables). Pour éviter ces pertes par frottements, on a simplement imaginé d’enlever la ceinture de ces turbines et de réduire le nombre et la longueur des aubes, sans toucher au distributeur ; pour empêcher les aubes de se déformer et prévenir des remous et des décollements qui seraient résultés de cette diminution du nombre des aubes, on leur donnait une forme plus simple, moins incurvée, obtenue surtout grâce à la réduction progressive du diamètre du disque-moyeu sur lequel sont fixées les aubes : c’est la turbine-hélice où le nombre des aubes est réduit jusqu’à 4 et même parfois 2 comme dans la turbine extra-rapide de Th. Bell.
Le principale supériorité de la turbine-hélice sur la Francis ordinaire réside en divers points :
1. Avant tout, elle permet l’obtention de plus grandes vitesses : le rendement est bon pour des vitesses spécifiques inférieures à 750 tours-minute (contre 250 pour la Francis ordinaire et 450 pour la Francis rapide) : il en résulte tous les avantages déjà signalés : salle des machines plus petite, ce qui diminue d’autant les frais de premier établissement, meilleur rendement du groupe turbine-alternateur par la suppression des pertes d’énergie absorbée par des organes multiplicateurs de vitesse.
2. Elles sont propres à l’aménagement des chutes de hauteur variable, car leur puissance diminue moins, quand la hauteur de chute décroît, que pour une Francis ordinaire (fig. 10) ; c’est ainsi que le rendement d’une turbine à hélice n’est tombé que de 0,89 à 0,85 pour une hauteur de chute passant de 5,2 m à 4 m.
3. La roue n’ayant qu’un petit nombre d’aubes, 3 à 4 fois moins distantes que dans la turbine Francis, exclut toute possibilité d’obstruction : les barreaux des grilles installées à l’entrée des canaux d’amenée pour retenir les corps étrangers pourront être plus écartés (d’où économie sur le coût des grilles et leur entretien), ce qui diminuera par ailleurs les pertes de. charge au travers de cette grille.
4. Enfin la roue-hélice est plus robuste que la roue Francis aux aubes très compliquées suivant les surfaces à double courbure ; la roue est même coulée d’une seule pièce avec le moyeu.
Ces avantages multiples expliquent pourquoi, depuis quelques années, les turbines Francis cèdent le pas aux turbines à hélice dans les installations de basses chutes et tout particulièrement dans celles où la hauteur de chute est inférieure à 10 m. Et cependant elles étaient loin d’être parfaites, présentant même ’sur les turbines Francis un grave inconvénient : leur rendement n’est élevé que pour des charges voisines de la normale et baisse rapidement si peu que l’on s’éloigne de la charge pour laquelle elles ont été construites (fig. 12). Cette baisse de rendement est beaucoup plus forte que celle constatée sur les turbines Francis de sorte que l’on avait préconisé le système suivant : mettre dans une même usine plusieurs hélices en parallèle avec une Francis normale en employant les hélices à pleine charge et complétant, par la Francis, la puissance demandée.
LA TURBINE KAPLAN
La science ne pouvait se contenter de ce palliatif et c’est alors que le professeur Kaplan de Brno (Tchéco-Slovaquie) apporta aux turbines à veine moulée un dernier perfectionnement. La baisse de rendement des turbo-hélices s’explique aisément : suivant les variations de débit, le trajet des molécules fluides se déforme et le frottement de l’eau sur les aubes, réduit au minimum pour le débit optimum, devient vite considérable, amenant ainsi une baisse-rapide du rendement. Or, dans une turbine dont les aubes constituant l’hélice auraient une inclinaison réglable, automatique pendant la marche, les variations de frottement, partant de rendement seraient à peu près nulles. De plus, la limite supérieure des vitesses spécifiques des turbo-machines, limite imposée par l’accroissement des pertes par frottement sur les aubes avec la vitesse, pouvait être encore reculée. La turbine à aubes orientables, dite turbine Kaplan était dès lors inventée : la roue comporte un gros moyeu auquel sont fixées des pales en petit nombre et très courtes (l’ensemble rappelle assez bien une hélice de navire). Comme dans la turbine à hélice, les pales ne sont pas maintenues par une couronne extérieure ; leur longueur périphérique est plus courte que le pas de l’aubage, de sorte qu’en regardant la roue suivant son axe, on aperçoit des espaces libres entre les. pales. Ces pales ont une inclinaison variable : perpendiculaires à l’axe de la turbine, dans la position fermée, elles s’inclinent, de façon à augmenter la section du passage de l’eau, quand la charge augmente ; les différentes positions d’inclinaison sont en relation bien définie avec les valeurs correspondantes de la charge afin que le rendement soit maximum quel que soit le débit. Ce réglage s’effectue d’ailleurs par action simultanée et conjuguée sur les aubes du distributeur et sur les pales motrices ; la commande a lieu par servo-moteur situé entre les brides d’accouplement des arbres de la turbine et de l’alternateur.
Voyons comment se comporte la turbine Kaplan devant les deux conditions imposées : constance du rendement à
débit variable et vitesses de rotations élevées ?Variations du rendement avec la charge. - Nous avons vu que, à hauteur de chute et vitesse constante, le rendement des turbines à hélice diminue très rapidement dès que l’on s’écarte du débit normal. C’est là un très grave défaut et l’on a intérêt à tirer le meilleur parti de sa machine ; or, il est loin d’être toujours possible de se mettre dans le cas du débit normal, c’est-à-dire dans le cas d’une puissance constante ; on est souvent amené, soit à utiliser une machine existante à un régime différent de celui pour lequel elle a été étudiée, soit à demander à une même machine des régimes différents (turbines dont les couples résistants varieront suivant le nombre des machines-outils entraînées par la turbine ou suivant la demande du secteur alimenté par l’alterrnateur accouplé à la turbine). Ainsi qu’on le pouvait prévoir, le rendement d’une turbine Kaplan reste sensiblement constant, dans des limites très étendues du domaine usuel. Le graphique 15 ainsi que le tableau suivant résultant d’essais faits au laboratoire des Verkstaden à Kristinehamm mettent bien en évidence le classement que l’on peut faire sur les turbines Kaplan, à hélice et Francis, suivant la variation du rendement avec la fraction de puissance débitée par rapport à la puissance maximum.
Puissance | Francis | Hélice | Kaplan |
---|---|---|---|
1 | 0,8 | 0,8 | 0,85 |
0,9 | 0,85 | 0,85 | 0,855 |
0,8 | 0,85 | 0,80 | 0,865 |
0,6 | 0,75 | 0,61 | 0,86 |
0,4 | 0,69 | 0,54 | 0,84 |
0,3 | 0,60 | 0,45 | 0,82 |
0,2 | 0,48 | 0,35 | 0,77 |
Vitesses de rotation.- Ainsi que nous l’avions annoncé, la turbine Kaplan marque une nouvelle étape, et, semble-t-il, la dernière étape, dans cette course vers des vitesses de rotation de plus en plus grandes : pour conserver un bon rendement, les vitesses spécifiques de turbines Francis, à hélice et Kaplan ne doivent pas dépasser les valeurs respectives suivantes : 450, 750 et 1000. Comme la vitesse de rotation d’une turbine est sensiblement limitée par la vitesse spécifique limite de sa’ famille, on conçoit que la turbine Kaplan ait donné largement satisfaction : pour des chutes inférieures à 5 m, on a pu construire une turbine Kaplan de vitesse de rotation de 1000 tours-minute : un alternateur hexapolaire, qui lui serait accouplé directement, fournirait du courant alternatif de fréquence 50 Hz ; le problème initialement posé est résolu et l’on comprend pourquoi on a annoncé que l’évolution des turbines était arrivé à son stade final.
1. Les vitesses de rotation sont plus grandes, même avec de faibles hauteurs de chute, que pour les turbines à hélice, lesquelles peuvent elles-même fournir des vitesses doubles de celles que réalisent les turbines Francis. La turbine Kaplan sera par excellence la turbine des faibles chutes, permettant de diminuer le prix de revient de l’alternateur, prix qui entre dans les frais de premier établissement.
2. Le rendement reste satisfaisant dans des limites très étendues de la charge. Souvent, pour les turbines Francis et surtout pour les turbo-hélices, on a intérêt à prévoir un très grand nombre d’unités et à répartir la charge convenablement sur les groupes en service pour que chacun d’eux développe sa puissance normale. Ceci n’a plus raison d’être pour les turbines Kaplan et on pourra donc réduire le nombre d’unités, d’où nouvelle diminution des frais de premier établissement et simplification dans les conditions de l’exploitation.
De plus, une turbine Kaplan peut facilement fonctionner avec une surcharge de 50 % sans que le rendement diminue trop : surchargée de 15 à 20 % au-delà de la puissance maximum normale, elle travaillera encore avec un rendement égal à celui d’une turbine à hélice ou Francis, travaillant à charge normale ; ceci devient intéressant dans le cas d’avarie à une turbine, les autres turbines développant alors à elles seules la puissance nécessaire, sans inconvénient.
3. Plus encore que les turbo-hélices, les turbines Kaplan sont propres à l’aménagement des chutes de hauteur variable (fig. 16) ; dans le même ordre d’idées, elles seront encore moins sensibles aux crues.
4. La consommation d’eau des turbines Kaplan est inférieure à celle des autres turbines (fig. 17 et 18). Des essais ont donné les résultats suivants : la consommation d’eau d’une turbine Francis est de 6,6 % en hiver et de 13 % en été supérieure à celle d’une turbine Kaplan. Pour une turbine à hélice, ces nombres deviennent 15,5 et 38 %. De tels écarts sont dus au fait suivant : une machine d’une usine génératrice fonctionne rarement en pleine charge, c’est-à-dire au régime correspondant au rendement maximum. Or, on a vu que, seules les turbines à aubes orientables permettraient des rendements convenables même pour des écarts considérables dans la charge. Fonctionnant à rendement maximum, elles utiliseront toujours leur débit minimum.
5. Les turbines Kaplan présentent moins de dangers de cavitation. On appelle cavitation, la création de points où la pression devient nulle ; l’air dissous dans l’eau se dégage. alors et corrode la paroi.
Dans la turbine Kaplan, de tels troubles sont moins à craindre, car les pales, toujours orientées favorablement, facilitent un écoulement convenable de l’eau, sans crainte de dépression.
On pouvait se demander si ces avantages ne seraient pas amoindris par cet apport d’un nouvel organe, le dispositif de réglage de l’inclinaison des aubes sur l’axe et sa commande par le régulateur, et l’on pouvait craindre d’être conduit à une machine plus compliquée que les autres turbines. Un brevet déposé par Englesson en 1924 répond à cette question : le mode de réglage aussi simple que possible, automatique qu’il a imaginé annihile ces craintes.
Enfin, le prix d’une telle turbine n’était-il pas prohibitif ?
Évidemment, son prix est supérieur à celui des autres turbines ; une étude plus approfondie montrerait que cette augmentation de prix, toutes choses égales, varie en pourcentage, en raison inverse du diamètre de la roue : à puissance égale une turbine Kaplan de 6 m de diamètre revient 15 % plus cher qu’une turbine à hélice ou Francis ; pour un diamètre de 1 m, ce pourcentage monte à 50 %.
A diamètre égal, ces nombres deviennent 50 à 75 % pour des diamètres respectifs de 6 et 1 m.
Il pouvait paraître intéressant d’étudier, en fonction de la hauteur de chute, le prix de revient d’une turbine Kaplan rapportée en % des frais de premier établissement.
Le graphique de la figure 20 en rend compte immédiatement : pour une hauteur de chute de 8 m, on admet qu’une turbine Kaplan revient 50 % plus cher qu’une autre machine ; rapportée à la dépense totale cette augmentation tombe à 9 %.
Ces nombres baissent sensiblement, si l’on tient compte du bénéfice réalisé sur l’alternateur revenant beaucoup moins cher, parce que la plus grande vitesse de la turbine lui convient mieux.
A cela s’ajoute l’excédent de puissance considérable, tel que le font apparaître les graphiques précédents, si l’on s’éloigne de la puissance normale.
Il semble d’ailleurs que l’on ait trouvé une solution excellente permettant de bénéficier de la simplicité, du moindre coût de revient et d’entretien de la turbine à hélice à aubes fixes d’une part et de la possibilité pour la turbine Kaplan de travailler à des charges quelconques : on fera fonctionner en parallèle des groupes de turbo-hélices et de turbines Kaplan : les premières fonctionneront toujours à pleine admission (donc à rendement maximum) les secondes fonctionnant à admission quelconque avec un rendement toujours très bon.
Cette solution commence à se généraliser et un des premiers exemples date de 1926 : c’est l’usine Lilla Edet, en Suède.
Comme on le voit par ce bref exposé, le problème des turbines hydrauliques, concurrentes des centrales thermiques, évolue vers un rendement toujours plus grand, aujourd’hui si parfait qu’il reste bien peu à faire pour considérer leurs progrès comme révolus.
JEAN ARNOUX.