La Bibliothèque universelle vient de consacrer, par une petite fête de famille, l’entrée dans le deuxième siècle de son existence, et nous sommes heureux de pouvoir, à cette occasion, envoyer à ses éminents directeurs l’hommage de notre sympathie et de nos vœux pour la prospérité de l’œuvre qu’ils poursuivent avec tant de dévouement et un succès si mérité.
Dans la grande crise de transformation que subit l’Europe à la fin du XVIIIe siècle, il se trouva, dans la petite république de Genève, un groupe de citoyens éclairés, désireux de rassembler des forces éparses autour d’une publication littéraire et scientifique, et de les utiliser pour le bien de tous. Charles Pictet de Rochemont fut l’âme de cette nouvelle création ; il eut pour collaborateurs de la première heure son frère, Marc-Auguste Pictet, et Frédéric-Guillaume Maurice. La Revue, créée en 1796 sous le nom de Bibliothèque britannique, avait pour but premier de faire connaître l’Angleterre au continent, il une époque où la politique avait isolé la grande-île.
Dès ses débuts, la Bibliothèque britannique eut la main heureuse : deux ans après sa fondation, elle signalait la première la grande découverte de Jenner ; la petite vérole des vaches fut décrite par le Dr Odier dès l’année 1798 ; peu après, elle fut mise en pratique à Genève, et c’est de là qu’elle se répandit en Europe.
Au bout de peu de temps, la nouvelle publication avait gagné à tel point l’estime du public, que M. de Talleyrand, faisant allusion au peu de sympathie de Napoléon pour la Revue genevoise, put dire à Pictet de Rochemont, qu’il rencontra au Congrès de Vienne : « Au point où vous aviez l’opinion pour vous, c’eût été un coup d’État de vous supprimer. » .
Depuis la séparation de la Revue en deux recueils distincts, la Bibliothèque universelle et Revue suisse et les Archives des Sciences physiques et naturelles, la tendance imprimée par Pictet de Rochemont à son œuvre s’est maintenue en s’élargissant. La partie scientifique, tout en faisant une large place aux travaux de toute nature qui voient le jour sur le sol helvétique, a entrepris de faire connaître aux lecteurs de langue française un certain nombre de questions auxquelles elle s’est plus particulièrement consacrée. Comme autrefois pour la vaccine, les découvertes étrangères trouvèrent à Genève un sol propice : il nous suffira de citer, dans ces dernières années, la part prise par les savants genevois et plus particulièrement par M. Ed. Sarasin, directeur des Archives, et par son éminent collaborateur, M. L. de la Rive, à l’extension des découvertes de Hertz. La Géologie suisse, si intéressante à tous égards, est tout entière contenue dans les Archives, où les travaux suisses ont été patiemment rassemblés et analysés dans des révisions annuelles. C’est en partie aux Achives que l’on doit d’avoir alimenté à Genève ce foyer d’intellectualité qui fait tenir en si grand honneur la cité du Léman. Il suffirait de rappeler les noms des Pictet, des de Saussure, des Colladon, des de Candolle, des Marignac, des Soret, des Favre, pour évoquer l’idée d’une pléiade de savants comme aucune ville d’égale étendue n’en a produits.
De son côté, la Bibliothèque universelle et Revue suisse, qui se publie il Lausanne, sous la direction éclairée de M. Ed. Tallichet, poursuit sans interruption son œuvre digne du passé de la Revue. La stricte neutralité de la Suisse lui lait une place à part, en laissant son jugement plus libre ; elle se trouve ainsi, mieux qu’aucune publication étrangère, en mesure de rapporter les événements sans la passion qui, trop souvent, tend à les déformer. Plus d’une fois, dans ces dernières années, nos grands journaux ont reproduit ses articles très documentés, et écrits avec un bon sens et une impartialité qui les rendaient précieux à ceux qui désirent avant tout connaître la vérité. A plusieurs reprises. dans les luttes politiques de la Suisse, ses magistrats les plus éminents et le président de la Confédération lui-même n’ont pas dédaigné de faire connaître, dans les pages de la Bibliothèque universelle, leur opinion personnelle sur la politique du pays ; et leurs travaux ont rapidement dépassé les frontières de l’Helvétie, car, dans la grande évolution de la politique actuelle, la plus ancienne république de l’Europe est demeurée à la tête du mouvement pacifique, tout en évitant, grâce au bon sens du peuple suisse, les égarements qui ont trop souvent signalé toute transformation dans d’autres pays.
Ce n’est pas le moindre des services que nous rend la Bibliothèque universelle de nous faire connaître les modifications de l’état politique de la Suisse et la façon dont ce petit peuple, l’un des plus instruits non seulement de l’Europe, mais du monde, essaie de résoudre les problèmes sociologiques actuels.