Le dédoublement des canaux de Mars, qui a occupé les deux dernières séances de la Société astronomique de France, semble de plus en plus trouver son explication dans des phénomènes purement optiques. La théorie de.M. Antoniadi, confirmée par mes expériences et par l’explication que j’ai donnée du dédoublement d’une ligne, il la distance de la vision non distincte, paraissent autant de faits désormais acquis. Mars est sillonné de lignes sombres qui sont vues doubles, quelquefois, par des astronomes dont la lunette’ n’est pas tout il fait au point. Il suffit, ainsi que je l’ai montré, que ces erreurs focales atteignent à peine un dixième de millimètre, lorsque l’atmosphère est agitée, pour dédoubler toutes les lignes fines.
D’autre part, quel que soit le succès futur de cette hypothèse, on peut dire que cette dernière est absolument indépendante d’une théorie sur la nature des canaux. Que sont donc ces prétendus canaux qui sillonnent la planète Mars et dont les uns atteignent des milliers de kilomètres ? La théorie que j’ai développée à la séance du 4 mai de la Société astronomique de France, et qui avait été publiée à la British Astronomical Association, se rattache à des questions de géologie et de physique du globe ; à ce titre j’espère qu’elle intéressera les lecteurs du journal.
La Terre, fluide et incandescente il l’origine, s’est recouverte, en se refroidissant, d’une écorce solide qui dut, pour suivre le noyau dans sa contraction, se fracturer en différents endroits. C’est donc à bon droit que la géologie nous enseigne que la Terre s’est ridée par contraction. Faudrait-il en conclure qu’une planète quelconque a dû, ou doit suivre, dans son refroidissement des lois analogues’ ? Cc serait de beaucoup dépasser les prémisses et malgré certaines opinions (peut-être courantes) en géologie, il faut envisager les choses de plus haut. De même qu’aucune planète n’est soumise à des conditions climatologiques exactement les mêmes que celles de la Terre, de même nulle d’entre elles n’a pu avoir, dans le détail, une formation absolument identique. Les lois de la mécanique suffiraient il elles seules pour montrer quelle influence, par exemple, un changement dans la variation de la pesanteur pourrait exercer sur le relief terrestre et sur la courbe des densités il l’intérieur du globe.
A ceux qui se fieraient peu aux formules mathématiques et aux inductions cependant les plus légitimes, nous donnerons, pour faire cesser leurs doutes, une simple preuve expérimentale. Examinons la surface lunaire à l’aide d’un instrument même très faible, et nous serons frappés par ce fait que rien sur notre satellite ne rappelle les grandes lignes du relief terrestre : à peine deux grandes chaînes de montagnes, les Apennins et les Alpes ; partout des pitons, des cratères et des cirques aux proportions gigantesques ; en un mot, un sol à formation presque entièrement volcanique. Un examen plus approfondi nous montrerait qu’avant cet aspect boursouflé, de formation récente, la Lune nous aurait offert un réseau de cassures dont la Terre ne nous fournit aucun exemple. Ces cassures dont quelques-unes se prolongent en lignes droites sur tout un hémisphère, sont encore visibles sous forme de rayonnements autour de grands cratères, tels que Tycho, Copernic, Aristarque, etc. Inutile peut-être d’ajouter que la géologie, la science qui a pour objet la structure de l’écorce terrestre, reste muette devant les accidents du sol lunaire. Elle semble dire aux astronomes : « J’ai rempli la tâche que mon nom m’imposait, partagez-vous les terres du ciel et expliquez leur formation ». Avouons très humblement que cette nouvelle besogne n’est pas facile.
Nasmyth semble être le premier qui réalisa sur un globe en cristal, et par dilatation, des cassures analogues à celles qu’on observe sur la Lune. En 1890, M. Daubrée reprenait des expériences du même genre et prouvait, une lois de plus, qu’il fallait recourir il des actions absolument contraires il celles qui agissent sur la Terre, si nous voulions tenter l’explication des grandes lignes de fracture que présentent certaines planètes. L’année dernière, je voulus reprendre ces expériences de M. Daubrée, en variant absolument le mode opératoire de façon à pouvoir coordonner les résultats, La dilatation, sous la machine pneumatique, de globes recouverts de plâtre me donna des aspects rappelant ceux de la planète Mars (fig. 1, 2, 3). N’y aurait-il pas une cause analogue agissant dans les deux cas pour produire les mômes effets’ ? Peut-être. Cependant il n’est guère vraisemblable que le sol de Mars ainsi que celui de la Lune, cédant il de fortes pressions intérieures, aient fini, un beau matin, par éclater comme le fait un vulgaire ballon trop gonflé ! La raison des cassures, toute simple qu’elle soit, parait moins évidente.
Bien que les planètes n’aient pas été soumises à un mode identique de formation, on pourrait cependant, d’après une théorie récente de mon ami, M. le colonel du Ligondès, les ranger en deux catégories : celles à formation rapide, comme Jupiter et la Terre, et les planètes il formation lente, comme Mars, Mercure et certains satellites. C’est cette idée, appuyée sur des considérations mécaniques absolument sûres, qui m’a suggéré une interprétation nouvelle des expériences dont j’ai parlé.
Si l’on admet pour Mars une formation lente, on peut dire qu’à chaque instant la condensation s’est opérée d’une façon plus régulière. En outre, la chaleur n’a pu être aussi intense que dans le cas d’une formation rapide, et la contraction a pu s’opérer en même temps que la condensation. Les matériaux de la surface se sont alors ajoutés à un noyau qui devait fort peu se contracter dans la suite. Cette dernière couche a donc vite perdu sa chaleur d’origine et celle acquise par contact avec les couches sous-jacentes, En se refroidissant, elle devait bientôt devenir trop petite pour envelopper le noyau qu’elle recouvrait tout d’abord. De là ces phénomènes de contraction qui ont sillonné la surface de cassures nombreuses. Toutes ces lignes rappellent les phénomènes observés sur des globes dilatés. D’un côté, c’est la surface sous-jacente qui augmente ; de l’autre, sur Mars, c’est l’enveloppe qui diminue. Finalement le résultat doit être identique.
En résumé, l’écorce de Mars n’a pu se comporter sur celle planète comme la croûte solide sur notre Terre, en raison de la différence de contraction des deux noyaux. Les canaux de Mars sont donc, très probablement, des cassures analogues à celles qui sillonnèrent autrefois le sol de la Lune. Ce sont elles qui séparent de vastes plateaux aux teintes rougeâtres et quelque peu changeantes. Les chaînes de montagne, selon toute vraisemblance, ne sont pas nées encore sur ce globe si jeune, Tout ceci doit faire de celte planète un monde très dissemblable du nôtre.
Et maintenant, que contiennent ces canaux ? Que sont ces espaces sombres décorés du nom de mers ? La vie est-elle apparue là-bas ? et, avec elle, y trouverons-nous des êtres pensants, des créatures intelligentes qui épient nos mouvements et nous étudient ? Autant de questions palpitantes d’intérêt et que nous essayerons d’aborder dans une autre étude.
L’abbé Th. Moreux