Cet article sur l’asperge, que nous aurions pu attendre dans la série intitulée Le jardin familial de plantes médicinales, est en fait le premier d’une série que l’auteur te terminera jamais : Nos légumes.
En voici l’introduction :
Ces faits, qui peuvent se scinder en trois parties : historique, économique, utilitaire, consisteront, pour la première, en quelques documents particulièrement évocateurs de certaines étapes ou phases de l’existence de ces végétaux à travers les âges, et, pour les deux autres parties, en différentes modalités comprenant leurs production et rendement, leurs emplois et valeur alimentaires ainsi que leurs propriétés médicinales, quand il y aura lieu.
Autant que possible, je suivrai l’ordre de leur production naturelle.
Enfin, aveu qui m’est agréable à faire, je dirai que la plus grande partie de mes renseignements étymologiques, historiques, littéraires, archéologiques, etc., si succincts qu’ils soient, présenteront toujours un réel intérêt, parce qu’ils seront tirés de l’Histoire des légumes [1]. de mon érudit ami, M. Georges Gibault, bibliothécaire de la Société nationale d’Horticulture de France. Je ne saurais trop recommander cet ouvrage aussi apprécié à l’étranger qu’en France, car, tout en étant d’Une lecture attrayante, il est bourré de documents de toute nature pris aux meilleures sources et englobe tout ce qui, de loin ou de près, se rattache aux légumes, ce que l’on ne saurait, actuellement, trouver réuni ailleurs.
Asperge
Histoire. — Le délicat légume que l’on nomme asperge n’est, botaniquement parlant, qu’un « turion », c’est-à-dire une jeune pousse souterraine non ramifiée de ce végétal, blanchie par un buttage et cueillie au moment où elle commence à sortir de terre.
L’ensemble de cette partie souterraine constitue une Griffe.
L’asperge de nos jardine descend d’une espèce indigène, l’asperge officinale (Asparagus officinalis L.) Asparaginées, qui se plaît particulièrement dans les terrains sablonneux et incultes.
Son nom vient du grec ; Théophraste parle d’une plante nommée « Asparagos » d’où est venu le latin Aparagus et le français asperge, dont la forme primitive la plus répandue dans la littérature française des XVe et XVIe siècles est « Esperge » ou « Esparge ». Rabelais et Mathiole faisaient ce nom du genre masculin comme l’Asparagus latin.
La culture de l’asperge date de plus de 2000ans ; elle a peut-être existé en Égypte. En tout cas les égyptologues ont cru reconnaître la plante dans plusieurs représentations, bas-reliefs ou peintures. Chez les Romains, Caton dans son ouvrage sur l’Économie rurale, enseigne très clairement la manière de cultiver l’asperge. Au début de l’Empire romain, Pline disait déjà que de toutes les herbes potagères, c’est la plus délicate à manger et celle que l’on cultive avec le plus de soins.
En Europe, sa culture a dû commencer assez tard dans les vallées du Rhin et de l’Escaut comme le témoignent le nom des vieilles races perfectionnées : Asperge de Hollande, A. d’Allemagne, A. d’Ulm, etc., qui ont été probablement importées en France par la Flandre française. Elles ont pu pénétrer dans les potagers du Nord de la France au XVe siècle et au XVIe siècle dans ceux du Midi.
La description qu’ont faite de sa culture Olivier de Serres et Ch. Estienne montre qu’elle était très défectueuse de leur temps.
La grosse asperge, dont il n’existe que deux races principales : l’Asperge violette de Hollande et l’asperge d’Argenteuil hâtive ou tardive, n’a été introduite chez nous qu’au commencement du XVIIIe siècle et elle ne s’est vulgarisée que plus tard.
C’est aussi, vers 1800, que cette culture, très ancienne dans les localités d’Épinay, Bezons, Argenteuil, a pris une grande extension. Argenteuil jouit depuis nombre d’années d’une réputation mondiale.
Le premier qui força l’asperge parait être La Quintinie. Il pratiquait cette opération sur couche et sous châssis et servait ce légume sur la table de Louis XIV dès le mois de décembre.
Ce n’est guère qu’à l’époque de la Révolution que la culture maraîchère a commencé chauffer l’asperge blanche.
C’est à Saint-Ouen que l’asperge verte, très recherchée par l’art culinaire sous le nom d’asperge aux petits pois, a été cultivée primitivement vers 1800.
Production.
Principales régions. — La culture de l’asperge, si répandue dans nos jardins, occupe, au point de vue commercial dans toutes les régions de la France, une surface assez étendue que l’on évaluait avant la guerre plus de 7 000 hectares. D’après la dernière Statistique agricole annuelle publiée par le Ministère de l’Agriculture, les 10 départements que l’on peut compter parmi les plus grands producteurs, tant par le nombre que par l’importance des aspergeries, sont, par ordre alphabétique : Bouches-du-Rhône, Charente-Inférieure [2], Côte-d’Or, Drôme, Indre-et-Loire. Loiret, Loir-et-Cher, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Vaucluse.
Entre ceux-ci, il faut en distinguer trois qui sont vraiment hors pair, par la production et la valeur de leurs produits :
Loir-et-Cher | 42560 | quintaux valant | 12768000 fr. |
Vaucluse | 31810 | - - | 9 543 000 fr. |
Seine-et-Oise | 9 368 | - - | 1 405 200 fr. |
Les prix moyens du quintal étaient, respectivement 300, 200, 150 francs.
D’après la dernière Statistique agricole, j’ai constaté que la production totale .s’était élevée à 119430 qx qui, au prix moyen de 292 fr. le quintal, avait atteint la somme globale de 34873560 fr. On voit par là que l’asparagiculture a une réelle importance pour certaines régions de notre pays et qu’elle y constitue une culture rémunératrice.
Rendement et prix de vente. — Dans Un jardin, avec un espacement, de 1 m. de tous côtés, ou peut récolter jusqu’à 600 g et plus par pied., avec un écartement moindre ce chiffre retombe entre 450 et 550 gr. En grande culture, un hectare produit de 4500 à 6500 kg de turions de toutes grosseurs qu’il convient de classer en trois catégories : belles, moyennes, petites. (J. Vercier.).
Les prix de vente varient excessivement avec la précocité, la beauté et l’abondance des arrivages des produits. Les asperges de primeurs ont atteint des prix fabuleux. On les a cotées aux Halles, au début de janvier, 110 à 320 fr la botte ! Mais elles sont tombées vers la fin du mois entre 100 et 300 francs. Les pointes d’asperge se sont maintenues entre 6 fr. et 7 fr. 50. En vrac, les 100 kg ont valu en avril 1000 à 1800 fr ; au début de mai 450 à 800 (600) ; puis 250 à 550 (400).
Variétés. — Elles sont assez nombreuses, car il n’est guère d’années qui n’en voie naître de nouvelles, mais il en est cinq bien connues depuis longtemps ; ce sont :
L’Asperge d’Argenteuil hâtive qui a été obtenue par sélection de semis de l’asperge de Hollande. C’est la plus cultivée et la plus estimée et c’est celle que l’on doit préférer.
L’Asperge d’Argenteuil tardive qui donne également de belles et grosses pousses. Elle est appelée tardive parce qu’elle continue de fournir de remarquables pousses alors que l’asperge d’Argenteuil hâtive n’en donne plus que de médiocres.
L’Asperge commune (A. verte, A. d’Aubervilliers) a des pousses minces et pointues, se colorant rapidement en vert.
À citer encore l’asperge de Hollande et l’asperge blanche d’Allemagne cultivées et estimées surtout dans leurs pays respectifs. Mais les asperges de France, quelles que soient leur couleur et leur grosseur, sont universellement appréciées des connaisseurs.
Utilisation. — L’asperge a toujours été considérée comme le premier des légumes de luxe par son parfum très fin et sa chair tendre et savoureuse. Les Romains estimaient surtout les asperges de Ravenne qui pesaient jusqu’à un tiers de livre. Les gourmets les mangeaient alors très peu cuites, au moyen d’une ébullition si rapide qu’elle était passée en proverbe.
Rabelais aimait beaucoup les « esperges ». Au temps de la Ligue, On reprocha à Henri III, parmi d’autres griefs mieux fondés, de faire servir des asperges et des artichauts dans les somptueux banquets qu’il offrait à ses mignons.
De nos jours, l’asperge a conservé la même faveur, et les gourmets, s’ils pouvaient établir une comparaison entre les légumes et les fleurs, ce serait, bien probablement, pour dire que l’asperge est aux premiers ce qu’est la rose aux secondes, c’est-à-dire leur reine incontestée. Malheureusement, elle n’est guère recommandable aux petites bourses à cause de son prix généralement élevé et de sa faible valeur nutritive.
Usages. — En France, les asperges blanches à tête rose ou violette sont habituellement préférées. On les accommode, après cuisson, de différentes façons : sauce blanche, sauce mousseline, sauce tomate, à la vinaigrette, en omelette, au jus de viande, aux petits pois, mais dans ce dernier cas il faut disposer d’asperges vertes.
D’aucuns prisent la soupe préparée avec le bouillon résultant de la cuisson des turions.
Enfin, l’industrie transforme les asperges en branches en conserves ou les soumet au séchage.
Composition et propriétés. — L’asperge renferme des nucléines, de la mannite, de l’asparagine, de l’acide aspartique et une substance volatile qui communique une odeur très désagréable aux urines. (Qu’il me soit permis à ce sujet de rappeler qu’il est possible de transformer cette odeur en une sorte de parfum assez semblable à celui de la violette en ajoutant, au moment opportun, dans le vase récepteur, un peu d’essence de térébenthine.)
L’asparagine est tenue par certains auteurs comme le principe actif des rhizomes et des turions, à côté de substances amères et apéritives.
D’aucuns ont considéré l’asperge comme un diurétique ayant une action favorable sur les rein et le cœur, mais certaines expériences ont montré que ses composants peuvent irriter les artères et les reins, aussi la prudence doit-elle interdire ce légume aux vieillards, aux goutteux et surtout aux albuminuriques.
La racine d’asperge a été employée comme diurétique, soit en décoction à la dose de 60 g/l, soit en extrait aqueux 1 à 5 g par jour ; quant aux turions, ils servent encore à préparer, au titre de sédatif du cœur, comme l’a préconisé Broussais, un sirop dont on peut prendre 30 à 50 g par 24 heures.
Auguste Truelle, Membre de l’Académie d’Agriculture.