L’introduction en Europe d’un des plus beaux genres de plantes de la famille des Liliacées, les Yucca, date de loin. Cependant il n’y a guère plus d’un demi-siècle que le gout s’en est développé et qu’ils sont entrés dans l’ornement des jardins anglais ou paysagers où ils produisent le meilleur effet.
Les botanistes les plus anciens , tels que Bauhin et Morison, signalent déjà une ou deux de ces plantes dans leurs ouvrages publiés dans la seconde moitié du dix-septième siècle [1] .
En Angleterre, la première espèce connue, Y. gloriosa, serait même apparue à la fin du seizième siècle. Linné, dans son Species plantarum (1762), décrivit quatre espèces de ce genre qui bientôt après se trouvaient représentées dans quelques jardins botaniques de l’Europe et notamment celui du Muséum de Paris .
A la suite des explorations fréquentes faites dans le sud de l’Amérique du Nord, de la Californie et du Mexique depuis une quarantaine d’années, le nombre de ces plantes augmenta dans de fortes proportions, Actuellement les monographies les plus récentes enregistrent une cinquantaine d’espèces ou de variétés de Yucca, toutes plus belles les unes que les autres.
Dans leur patrie elles n’ont pas toujours les conditions du bien-être dont on les entoure dans nos cultures. Les climats excessifs. la sécheresse et la chaleur qu’elles ont à supporter, leur font perdre leurs feuilles plus promptement qu’en Europe. Dans les plaines immenses et désolées de certaines régions du sud-ouest de l’Amérique, où elles résistent presque seules aux vents violents qui les balayent, ces plantes prennent souvent des aspects misérables qui n’ont rien de la beauté sévère que nous connaissons et qui leur ont valu le nom de Palmier du désert. On a même signalé des anomalies de formes de certains vieux Yucca courbés ou renversés par les bourrasques, et la figure ci-contre. empruntée au Scientific American. représente un de ces arbustes dont la tète trop lourde est venue toucher le sol pour ne plus se relever(fig.1). La tige, relativement flexible.ne s’est pas rompue et a formé une sorte d’arc au-dessous duquel, parait-il, cinq hommes à cheval pouvaient passer de front. Un rameau. qui probablement existait quand le Yucca a subi cette inclinaison, s’est développé d’autant qu’il s’est trouvé dans la verticale, au sommet de l’arc même et pouvant profiter d’une somme énorme de nourriture. Il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce que le sommet qui touche le sol fût peu à peu recouvert de sable et que des racines se développassent à la faveur de ce sol improvisé, On peut avec plus de certitude, d’ailleurs, produire ces exemples de tiges enracinées par les deux bouts avec des saules, des peupliers, etc.
Toutes les espèces de Yucca, sans exception, sont ornementales. Un tiers sont des plantes basses dont la souche s’élève à peine au-dessus du sol et les deux autres tiers prennent un tronc qui peut s’élever, avec le temps, à plusieurs mètres et se ramifier. La forme un peu massive de quelques-unes, Y. gloriosa et ses nombreuses variétés, Y, Treculeana, Y. Gigantea, etc.. n’engage à les employer dans la décoration que là où l’horizon est un peu vaste, pour produire un effet gracieux.
La distance atténue un peu leurs proportions. aussi leur place est-elle soit isolément,ou en massifs homogènes au milieu ou sur les bord de pelouses de quelque étendue, ou bien encore en massifs hétérogènes, c’est-à-dire, les pieds étant espacés. en garnissant les intervalles avec des plantes plus légères et de même taille ; quand les plantes accessoires sont bien choisies, l’effet est réussi.
On sait,par expérience, qu’un bon nombre de Yucca sont rustiques et supportent vaillamment nos hivers, au moins en France : cependant des hivers exceptionnels comme ceux de 1853-1854. 1870
1871 ont été aussi perfides pour eux que pour beaucoup d’autres végétaux dont on ignorait la limite de résistance au froid ; aussi a-t-on vu de forts pieds geler jusqu’aux racines inclusivement.La multiplication des Yucca se fait habituellement par éclats ou division de la souche ou bien par boutures de tronçons de tiges ou de racines. Les semis se pratiquent moins souvent pour deux raisons : les boutures donnent des individus plus forts en moins de temps et les graines ne sont produites qu’exceptionnellement dans les cultures, sauf par le Y. aloefolia qui fructifie assez régulièrement. Cependant dans le midi de la France, où les conditions atmosphériques sont plus en rapport avec le tempérament de ces plantes, leur fructification est plus assurée et leur végétation ne laisse rien à désirer.
Un horticulteur habile de Marseille, M. Deleuil, s’est ingénié à faire des hybridations entre les yucca qu’il cultive et qui ont donné les résultats les plus satisfaisants. On sait même que, dans beaucoup de cas, entre espèces d’un même genres les croisements déterminent une fécondation plus certaine qu’entre organes reproducteurs d’une même fleur. Ce procédé est un moyen de constater les affinités des espèces entre elles. Ainsi tandis que les unes ne donnèrent qu’à peine un cent de graines, d’autres en produisirent 1500 à 2000 et dans des conditions à peu près équivalentes. C’est ainsi qu’un bon nombre de variétés ou hybrides ont été obtenues depuis quelques années. Les semis faits par M. Deleuil furent tout:aussi instructifs que les fécondations croisées. Il remarqua qu’en semant ses graines de yucca en plein air, et sans abri contre le soleil, elles germèrent bien mieux que d’autres avec les plus grands soins.
Les Yucca se distinguent spécifiquement très bien d’après la forme de leurs fruits, à ce que nous apprend Engelmann qui les a étudiés sur place, mais les horticulteurs les reconnaissent aussi par le port et les feuilles ; celles-ci sont tantôt rigides,fermes et variant de teinte, de largeur et de longueur ; d’autres fois ces feuilles sont à demi pendantes et par cela même moins redoutables que les premières, chacune de ces feuilles étant terminée par une épine dont il faut se garer et en éloigner les enfants. Les noms de « Arbre aux baïonnettes, Adam’s Needle », qu’on donne aux Yucca dans diverses localités, indiquent bien que ces espèces à feuilles raides sont armées ; aussi tire-t-on parti de cet inconvénient en employant ces plantes à faire des clôtures contre l’approche des animaux el des maraudeurs. Qu’en Amérique on fasse des haies de Yucca, où le terrain ne se marchande pas, c’est fort bien, mais tous les propriétaires ne consentiraient peut-être pas a consacrer 2 mètres de terrain, en largeur, pour enclore leur domaine, car les Yucca dont nous parlons exigent de la place.
Les feuilles de Yucca sont couvertes d’un nombre incalculable de stomates, 80 à 100 par millimètre carré. On peut voir facilement ces petits organes , même à l’aide d’une forte loupe. Quelques espèces ont des feuilles rugueuses, couvertes d’aspérités ; ces aspérités sont dues aux stomates dont les cellules de bordure, fortement cutinisées. font saillie au dehors. La protection dont ces petits organes sont l’objet fait penser que la plante qui les porte doit vivre dans un climat sec, au moins pendant une longue période de l’année, et le nom de plamier du désert donné au Y. Draconis, est en concordance avec son habitat.
On a conservé le souvenir de Yucca célèbres par leur taille gigantesque ; ils ont même été figurés dans certaines publications ; celui de Newclose, dans l’île de wight et celui du Jardin botanique de l’hôpital maritime de Brest, par exemple [2]. Ce dernier, offert par le comte Rossi en 1830, était déjà encombrant lorsqu’il arriva au jardin botanique. Mis en pleine terre. il a continué à se développer sans interruption, et ses dimensions, il y a dix ans, étaient les suivantes : une hauteur totale de 4 mètres indépendamment des hampes florales ; son tronc mesurait 1,10m de circonférence, il se divisait ; supérieurement en dix branches énormes qui, lors de la floraison, se couronnaient de 30 à 35 inflorescences de belles fleurs blanches qu’on connaît au Y. Gloriosa. On estime que cet arbre aurait aujourd’hui soixante-cinq ans environ.
Un des points les plus intéressants de l’histoire des Yucca est l’étude de leur fécondation faite avec soin par le Dr Engelmann en Amérique [3]. Il a été amené à considérer les stigmates de l’ovaire de ces plantes comme inutiles dans cette importante fonction. Les anthères ne s’ouvrent que tardivement, alors que la fleur est flétrie et laissent échapper un pollen « visqueux » qui ne peut arriver facilement à l’ovaire. D’autre part, il n’a jamais vu le pollen germer en contact avec les papilles stigmatiques. Le matin, les fleurs observées par Engelmann étaient remplies d’insectes, mais l’un d’eux était dominant. Cet insecte, étudié par un ami du savant botaniste, Ch. Riley a été reconnu pour un Tinéide nouveau qu’il a publié sous le nom de Pronuba Yuccasella. Le rôle de ce lépidoptère, qui vient s’accoupler dans les fleurs des Yucca, serait de Favoriser l’arrivée du pollen « dans le tube de l’ovaire ». ( That tube proved to be the real stigma, exuding stigmatic liquor, and insects must be the agents which introduced the pollen into the tube). Tout en laissant au Dr Enngelmann la responsabilité de ses observations, on doit reconnaître qu’elles s’accordent avec d’autre faites en France depuis la publication de son travail, et établissant que la fécondation dans les fleurs peut se faire sans l’intervention du stigmate.
On utilise les feuilles de Yucca depuis quelques années, mais un usage fort peu connu est celui de la souche ou base du tronc qui, étant grossièrement broyée, sert quotidiennement comme succédané du savon dans les ménages de certaines contrées du Mexique. Il en est de même, dans la Caroline du Sud où, sous le nom d’Amole, cette matière est un produit important utilisé de la même façon.
Les besoins d’étendre l’industrie, là même où la pensée n’en était jamais venue, ont amené les spéculateurs a exploiter les feuilles de Yucca des plaines de Californie pour extraire la matière fibreuse qu’elles renferment. On savait que l’on pouvait tirer, de même que des Agaves. des fibres des feuilles de ces Liliacées, mais dont la souplesse et la ténacité n’étaient pas identiques. Cependant, comme pâte à papier, ce devait être un excellent produit, et nous apprenons que des exploitations pour cette fabrication se sont montées récemment. Les compagnies anglaises qui ont ces entreprises en expédient les produits en Angleterre et le papier de Yucca est déjà répandu au delà du détroit sans que nos en ayons conscience. Un colon algérien avait courageusement entrepris, il y a une trentaine d’années, la culture des Yucca pour en extraire les fibres. ; mais, hélas ! ses efforts furent suivis d’un succès éphémère. En dépit des rapports les plus favorables, il n’eut pas d’imitateur.