La carapace des tortues, formée par la réunion de certains os du squelette interne avec un squelette dermique, est recouverte par des plaques cornées ou écailles qui sont d’origine épidermique et comparables par leur nature et leur mode de formation aux ongles et aux griffes des mammifères, à l’étui de la corne osseuse des ruminants cavicornes.
La belle écaille se retire presque exclusivement d’une tortue, le Caret ou Tuilée (Thelone imbricata), qu’on trouve dans l’Atlantique et dans l’océan Indien. Elle peut atteindre 1m,50 de longueur et peser plusieurs centaines de kilos. Les plaques écailleuses, au lieu de se rejoindre par leurs bords, comme chez la plupart des chéloniens, se recouvrent les unes les autres et se dépassent réciproquement sur un grand tiers de leur étendue ; leur bord libre est plus mince que celui par lequel elles adhèrent à la carapace. On ne peut enlever les écailles sans les détériorer que par la chaleur ; il suffit pour cela de suspendre la tortue au-dessus d’un feu ardent. Les Chinois pensent que le feu est nuisible à la plaque écailleuse, la détachent à l’eau bouillante sur le caret vivant, qu’ils rejettent ensuite à la mer dans la conviction que l’écaille doit se reformer.
Ces plaques épidermiques varient beaucoup sous le rapport de la coloration : certaines sont à fond noir moucheté de brun ou de jaune ; d’autres sont translucides avec marbrures d’un brun rougeâtre irrégulièrement disposées.
L’écaille brute est cassante, de plus, elle est souvent trop mince pour l’objet qu’on veut façonner, ou trop étroite, On lui fait subir. différentes préparations en utilisant la précieuse propriété qu’elle possède de se souder à chaud à elle-même après amollissement dans l’eau bouillante ; la soudure est invisible. On peut faire prendre à l’écaille toutes les formes que l’on désire en combinant l’action de la chaleur de l’eau et celle de la pression dans un moule métallique ; c’est la base du procédé Macpherson qui, depuis 1850, permet d’utiliser les rognures, la poudre qui résulte de l’action de la lime, et même, il faut bien le dire, les rognures de cornes que l’on substitue souvent à la véritable écaille.
On peut incruster dans la matière des perles ou des paillettes métalliques diversement colorées formant mosaïque.
Les anciens ont connu la tortue et employé son écaille. Ils l’ont appliquée à l’ameublement. Ovide, Virgile ; parlent de meubles « ornés d’ivoire et d’écaille » Horace et Pline, de plafonds portant des incrustations des mêmes matières de luxe. Juvénal décrit un berceau d’écaille ; ce qui n’est pas un exemple isolé, car on sait que le berceau de Henri IV, qu’on conserve au château de Pau, est aussi formé d’une écaille de tortue. Julius Capitolinus nous surprend davantage, quand il affirme qu’à Rome les princes de la famille impériale se baignaient dans des carapaces de tortues. Il s’agissait sans doute de simples bains de pieds !
Cet auteur nous paraît cependant un fervent ami de la vérité à côté de Pline écrivant : « La mer des Indes produit des tortues d’une telle grandeur que l’écaille d’une suffit pour former le toit de cabanes habitables ; la navigation des îles de la mer Rouge se fait particulièrement avec ces écailles, qui servent de barques. » Diodore de Sicile, que nous nous dispenserons de citer, renchérit encore sur Pline.
Au moyen âge on semble avoir perdu l’usage de l’écaille. Au XVIe siècle, elle reparaît, grâce au grand développement du commerce et des expéditions maritimes. On en fait des vases qui préservaient d’une foule de maladies et jouissaient de bien d’autres vertus ; des peignes, souvent travaillés avec beaucoup d’art, des lames d’éventail et mille autres objets de marquèterie. Dès le début du XVIIe siècle apparaissent en Espagne de beaux meubles à marquèterie écaille, ivoire et argent.
Joachim Tielke, Louis Porg, les Tiefenbruckers et plusieurs autres artistes allemands décorent vers la même époque, les instruments de musique de marquèterie d’écaille et d’ivoire.
A la fin du même siècle, Boulle (1642-1732) imagine son procédé de marquèterie, cuivre et écaille, auquel il ajoute parfois l’étain. Pour éviter la perte considérable d’écaille résultant du découpage, il eut l’idée de donner au meuble dans lequel l’écaille fournissait les fonds et le cuivre le dessin, un pendant avec du cuivre comme fond et le reste du découpage de l’écaille comme dessin. C’est ce qu’on appelé le boulle ou premier effet et le contre-boulle, contre-partie ou deuxième effet. Le changement de rôle des deux substances cuivre et étain n’est pas aussi apparent qu’on serait tenté de le croire, et quand on regarde deux meubles dont l’un est en boule et l’autre en contre-boule, on se rend compte que la transposition des matières n’a aucunement nui à l’ensemble.
La couleur de l’écaille, blonde ou brune, ses mouchetures, ne sont pas choisies au hasard ; elles sont toujours appropriées soigneusement au décor. Nous reproduisons un beau meuble du célèbre ébéniste français ; il est orné d’une marquèterie cuivre et écaille.