Histoire de la cuisine

R. Virchow, la Revue Scientifique, 6 octobre 1877
Jeudi 6 mai 2010 — Dernier ajout vendredi 26 juillet 2019

L’histoire des nombreux procédés dont l’homme a fait usage pour transformer les aliments par la cuisson, ne peut être établie qu’en partie, soit à l’aide des documents déjà recueillis, soit par des recherches directes. Beaucoup de ces procédés remontent en effet aux temps préhistoriques et antérieures à toute tradition. S’il est incontestable que l’art de cuire, c’est-à-dire l’ensemble des perfectionnements successivement apportés à la préparation des mets, appartient surtout aux peuples historiques, on est forcé de reconnaître que le point de départ de tous ces procédés, de toutes ces recettes, a été la cuisson elle-même ; ce qui revient à dire que la cuisson est une notion préhistorique et qu’elle était depuis longtemps connue lorsqu’on songea pour la première fois à fixer le souvenir des progrès accomplis pour le transmettre à la postérité.

Quand je dis que l’idée même de la cuisson des aliments a été le point de départ, la clé de l’art culinaire, mon intention n’est pas seulement de faire observer que dans toutes les branches des connaissances humaines, la découverte du principe est l’essentiel, et que tous les perfectionnements ultérieurs n’en sont que des conséquences naturelles. Cette vérité se montre encore bien plus évidente dans la question qui nous occupe, car il est certain qu’aucun des progrès accomplis dans l’art culinaire n’a de valeur comparable, même de très loin, à celle de la découverte de la cuisson pure et simple. Mais je tiens surtout à insister sur ce point, c’est que cette découverte a une autre importance bien plus considérable : elle sépare l’une de l’autre les deux grandes époques de civilisation qu’a traversées l’humanité.

Un physiologiste irlandais, Graves, a dit d’une manière significative que « l’homme est le seul animal cuisinant ». De fait, on pourrait dresser un singe ou un chien et lui faire préparer quelques mets simples. Mais de tous les animaux, pas un n’est capable d’apprendre l’ensemble des procédés que comporte la cuisine actuelle, et encore bien moins de les comprendre ou de les trouver. D’ailleurs l’homme seul éprouve le besoin de soumettre ses aliments à l’action du feu. Il y a bien certains animaux, tels que les oiseaux et les ruminants, que la nature a pourvus d’organes (gésiers et panses), destinés à faire subir en partie aux aliments les modifications préalables que nécessite leur complète digestion ; mais on n’en connaît pas qui, privés de ces organes naturels, aient jamais fait un effort pour suppléer artificiellement. L’instinct si vanté de quelques-uns ne va pas plus loin que de rechercher certaines substances ayant la propriété de se décomposer naturellement et dont la digestion est par cela même plus facile. Le génie de l’homme était seul, capable de réaliser ce grand progrès : la cuisson des aliments.

Arrêtons-nous un moment sur ce progrès, et tâchons d’en saisir toute l’importance. Il est indifférent que nous manquions de renseignements écrits sur l’état des peuples qui ont imaginé de soumettre les aliments à l’action du feu, sans douter des bienfaits immenses qui devaient en résulter plus tard. L’ethnologie supplée à ce défaut en nous faisant connaître certaines populations qui, de nos jours même, ignorent l’usage de la cuisson. Leur nombre toutefois n’est pas aussi grand qu’on se l’était figuré jusqu’à ces derniers temps. Ce sont de petites peuplades, pour ne pas dire de simples tribus, qui habitent des îles reculées, qui n’ont jamais connu de civilisation, et qui se nourrissent exclusivement des substances toutes préparées que la nature leur met sous la main. Tels sont certains Polynésiens des petits îlots de l’océan Pacifique, qui trouvent une nourriture suffisante dans les arbres à fruits de leurs pays, ou dans les plus simples produits de la mer, comme les coquillages, les crustacés et le menu poisson.

Sur les grands continents, l’usage de la cuisson est à peu près universellement connu ; et, dans les contrées où cet usage n’a pas reçu tous les perfectionnements désirables, comme en Australie, par exemple, il faut reconnaître qu’il a déjà fait quelques pas dans la voie du progrès. Mais ne nous égarons pas dans les digressions ; ce que je viens dire montre suffisamment en quoi diffèrent les pays où la cuisson est usitée, de ceux où elle n’est pas connue.

Remarquons maintenant combien la préparation des aliments au moyen du feu rend l’homme indépendant des hasards de la nature. Ce sont précisément les produits naturels dont se compose en général notre nourriture qui ont surtout besoin de préparation spéciale. Il est difficile d’admettre qu’il y ait eu jamais un temps où le froment, le millet, le riz, la pomme de terre, le maïs, tout à fait à l’état de nature, aient pu servir à l’homme de moyen régulier d’alimentation. Même aujourd’hui, l’Australien qui ne connaît pas la cuisson, passe avec indifférence devant les rizières qui sont, du moins dans le nord de la Nouvelle-Hollande, des productions naturelles du sol. Là, au contraire, où l’on écrase les grains, où on les moud, on les fait ordinairement détremper dans l’eau, puis on les soumet, d’une façon quelconque, à l’action du feu pour les rendre mangeables.

L’opinion d’après laquelle l’humanité aurait, à l’origine, exclusivement vécu de matières végétales qui ne subissaient aucune espèce de préparation, et que, sous l’influence de ce régime, elle aurait fait des progrès remarquables dans la civilisation, appartient à ces hypothèses, émises à une époque où l’on était occupé, avec raison sans doute, mais avec une connaissance imparfaite de l’antiquité, à ramener les hommes du cercle enchanteur d’une civilisation raffinée, vers un état bien plus conforme à l’ordre naturel des choses.

L’introduction de l’agriculture dans les usages de l’humanité présuppose la connaissance de la cuisson des aliments, - Le but principal de l’agriculture devait consister alors, tout comme à présent, à cultiver des plantes qui, seulement après une préparation artificielle, pouvaient servir à l’alimentation de l’homme. Celle remarque se trouve justifiée par l’habitude que l’on prit de faire des provisions pour l’hiver, et ces provisions ne purent être amassées en quantité suffisante qu’après que l’on fut parvenu à un certain degré de perfection agricole. Il fallut que l’on commençât par souffrir de la disette, ce qui fit que l’on s’inquiétât d’assurer, d’une manière quelconque, l’alimentation de la famille. On commença donc à raisonner, et à supputer le nombre des besoins qui pouvaient se faire sentir aux différentes époques de l’année.

C’est à partir de ce moment que la femme a pris, au centre de la famille, la place honorable qu’elle y occupe encore, et ce nouveau rôle de la femme caractérise particulièrement la civilisation nouvelle. A partir de ce moment, l’épouse est constituée l’économe du trésor amassé ; elle est chargée d’en ordonner le mode et la mesure de distribution et, par cela même, elle est désormais responsable de l’entretien de la famille, en proportion de la récolte amassée.

Assurément ce n’est point par un effet du hasard que la femme est devenue maîtresse de maison, dans les pays froids des zones tempérées, où règne un hiver véritable. L’hiver a été le grand maître de discipline, qui non-seulement a resserré les liens domestiques, mais qui a procuré à la femme, en sa qualité de gardienne du trésor alimentaire, une place honorable et reconnue vis-à-vis de l’homme, le nourrisseur proprement dit de la famille. Ce n’est que tout exceptionnellement que l’on voit çà et là un peuple, dans les régions tropicales ou sous-tropicales, atteindre ce point élevé de civilisation sociale. Plus la nature s’est montrée libérale, plus le souci du lendemain a été nul, et plus les liens de famille ont été relâchés ; plus la famille elle-même a souffert du fléau de la polygamie et de l’esclavage des femmes.

Et cependant, même au sein de ces organisations primitives de la vie sociale, même en ces climats heureux où l’agriculture n’engendre pas des soucis continuels, même là, disons-nous, la femme conserve en partie son importance ou sa considération, parce qu’elle donne aux soins agricoles le temps que la préparation des aliments ne lui absorbe pas. En aucun lieu du monde, plus qu’en pleine Afrique méridionale, la femme n’est à la fois maraîchère et paysanne, chargée non-seulement de cultiver la terre il la sueur de son front, mais encore de ramasser et de rentrer les céréales qui sont le fruit de son labeur. Au contraire, la tâche habituelle de l’homme, excepté dans ses heures de plaisir, consiste à chasser ou à guerroyer.

Et plus les hommes se consacrent à la chasse ou à la guerre, plus la vie de famille tend à s’effacer. La chasse exige de vastes territoires pour fournir des moyens suffisants de nourriture. Il s’ensuit qu’un peuple chasseur est par là même astreint à changer de résidence, quand il a détruit les animaux qui peuplaient la contrée où il s’est établi. La vie de maison est abandonnée, et, par conséquent, le sentiment de patrie ne saurait s’établir ou se conserver ; tout ce qui fait que l’on s’attache à son foyer et que l’on s’y plaît : non-seulement ce qui sert à l’embellir, ou à lui donner commodité tant en meubles qu’en ustensiles, mais la propreté même, l’ordre et l’économie, en un mot les vertus domestiques, disparaît ou, pour nous exprimer plus rigoureusement, n’a pas le temps de s’acquérir. Les habitudes moins importantes, bien qu’également caractéristiques, telles que par exemple la régularité dans les repas, font aussi presque totalement défaut. Y a-t-il quelque chose de plus significatif à cet égard que le sentiment exprimé par ce sauvage Tehuelche, que nous relevons dans le Voyage en Patagonie, de M. Musters : « Les Chiliens, dit-il, mangent à des heures régulières : c’est insensé ; nous ne mangeons, nous autres, que quand nous avons faim. » La conséquence naturelle, c’est que chacun mange là où la faim le prend, et où il trouve l’occasion de l’apaiser. Nulle part cette dissolution des liens de la famille n’apparaît de façon plus frappante que dans la Nouvelle-Hollande, et ce n’est pas sans raison, sinon sans exagération, qu’un Français enthousiaste, M. Foley, assurait dernièrement que, sous le rapport des soins et de l’attachement témoignés à sa femme et à son enfant, l’Australien lui paraît moins estimable que le chien sauvage de sa région, le dingo, et même ne venir qu’après l’ornithorynque, « Au point de vue, dit-il, des soins que tout être vivant quelque peu sociable doit à sa femelle et à son petit, le papou de la côte est australienne ne vaut pas encore l’ornithorynque. »

En quelque endroit du monde que nous regardions, pour ce qui est du temps passé, partout nous voyons que les progrès de la civilisation, le développement du sens moral sont en quelque sorte subordonnés à la possession d’un intérieur. Partout aussi nous voyons la maison de celui qui maintient cette civilisation, de l’homme sédentaire, toujours à proximité de son champ. L’arboriculture, la viticulture, l’oléiculture et le jardinage procurent plus tard les moyens d’améliorer et même d’embellir l’existence ; le symbole particulier de ce degré de civilisation, c’est le champ avec sa moisson dorée. C’est à partir de ces temps meilleurs que l’on commence à honorer la mère de famille et le foyer ; c’est à celle époque également que l’on songe à veiller sur le feu. Le sanctuaire de Vesta, dont les gardiennes sont des vierges, et qui est comme un témoignage de la ferveur de contemplation particulière aux peuples jeunes, affirme qu’ils considèrent le foyer comme la base de tout ordre social.

On ne saurait aucunement prétendre que l’agriculture ait fait naître l’idée de cuire les aliments. Mon avis là-dessus serait que la cuisson des aliments eut pour résultat de faire de l’agriculture un objectif plus soutenu de l’effort humain. Les peuples pasteurs, chasseurs, pêcheurs, au moins pour la plupart, n’ignorent pas la cuisson, et bien qu’ils ne la connaissent que très imparfaitement ; ils en font une application des plus variées. Mais il ne peut y avoir de doute sur ce point, que la vie pastorale, la vie de chasse ou de pêche marque un état inférieur de culture, et que dans la suite des temps, ce genre d’existence a précédé l’existence agricole. C’est ce que ne songent pas à nier les orthodoxes, et si j’avais à redouter une contradiction, ce serait bien plutôt de la part des végétariens.

Parmi les articles de foi des végétariens, se trouve d’abord celui-ci : « L’homme, en raison de sa nature et de son organisation, est un herbivore. Pour ce motif, l’alimentation végétale est la seule vraie, la seule naturelle. L’homme se place tout à côté du singe, et notamment du singe anthropoïde. » Il n’y a qu’un tout petit malheur à cela : c’est qu’une observation plus exacte a démontré que les singes anthropoïdes sont à l’occasion de vrais carnassiers, et qu’ils dévorent volontiers aussi, quand ils sont à l’état de liberté, les œufs, les jeunes animaux et une foule d’êtres inférieurs. Encore moins, chez les peuples à l’état sauvage, trouvons-nous les végétariens désignés. Précisément « les plus naturels », ou, si l’on veut, les plus éloignés de notre état de civilisation, les Botokudes, les Boshimans, les Australiens, sont de remarquables omnivores, des mange-tout, qui ne font pas même fi d’animaux assez rebutants, et pour lesquels en conséquence, un bon morceau de viande constitue un parfait régal. Le vrai végétarianisme n’est pas l’état primitif de l’ humanité, mais au contraire un état qui a fait son apparition très tard. Des végétariens, tels que le brahmanisme nous les montre, ne furent possibles qu’après que l’agriculture eut mis à la disposition des hommes les moyens d’alimentation que leur refusait la nature. Le végétarianisme ne constitue donc pas un genre de vie naturel, mais bien plutôt artificiel. On ne saurait en citer un seul exemple, pris chez les peuples à l’état de nature, si ce n’est parmi ceux des petites îles coraliennes des mers du Sud. Encore est-il présumable, au sujet des habitants de ces îles, Polynésiens d’origine malaisienne, que leurs ancêtres sont venus là avec de tout autres habitudes ; ce n’est que petit à petit, par le manque d’aliments, et par une espèce de dégradation progressive, qu’il s’est introduit chez eux un végétarianisme qui, ne manquons pas de l’observer, se mélange très également avec l’ichtyophagie.

Non certainement, je le répété, l’homme des premiers temps n’était pas végétarien. L’on se rapprocherait bien plus de la vérité en affirmant qu’il était surtout carnivore. Pour se procurer de la chair, il ne dut pas être uniquement chasseur ou pêcheur ; nous accordons volontiers pourtant qu’il fut l’un et l’autre de très bonne heure. Les bords de la mer offrent encore aujourd’hui, surtout dans les pays chauds, une très grande quantité de mollusques, crustacés, et d’autres animaux marins qui sont très faciles à prendre ; les marais et rivières de ces pays sont également riches en tortues et en amphibies qu’il n’est pas non plus difficile d’atteindre ; au pis aller, qui ne se rebute pas des chenilles, des araignées ou des escarbots, est assuré de ne pas mourir de faim dans une forêt. Or, telle a été en réalité la nourriture de beaucoup d’hommes à l’état sauvage. S’ils. sont devenus avec le temps pêcheurs et chasseurs, l’on ne doit pas oublier que la pêche et la chasse n’ont été que les résultats d’un développement progressif. La vie pastorale n’a pu naître évidemment que de la chasse, et c’est aussi par conséquence que le pasteur est devenu l’agriculteur.

Qui peut avoir inventé la cuisson ? Au déplaisir probable des végétariens, je dois dire que le laboureur, bien qu’il ait consacré toute son activité à la production des végétaux et céréales, ne doit pas avoir néanmoins consommé tels quels les aliments qu’il en tirait, mais qu’il connaissait déjà, par ses ancêtres les pasteurs, une préparation artificielle quelconque de ces mêmes aliments. Après avoir trouvé le moyen d’assouvir en tout temps sa faim par ces procédés, l’agriculteur, d’abord indigène d’un pays, a pu fort bien se faire émigrant et colon sur un sol étranger. Là, tout comme en son premier pays, il retirait de ce sol en le travaillant, des produits qui pouvaient nourrir, et lui-même, et sa famille, et son bétail. Cependant il importa des semences dans sa nouvelle patrie, il s’occupa de les y acclimater, autrement dit, il se mit à semer pour récolter. Mais remarquons que tout cela est déjà de l’art et de la civilisation.

L’ancêtre du laboureur et du colon, le pasteur, vivait bien plus à l’état de nature. Était-ce là du végétarianisme ? assurément non. Ou bien devons-nous admettre que ces hommes se bornaient à vivre de fromage ou de lait ? Un regard jeté sur les peuples pasteurs contemporains, suffit à montrer que l’usage de la viande, cuite ou saignante, s’est introduit partout. Qu’on interroge les Lapons ou les Tunguses, les Kalmouks ou les Kirgises, les Caffres ou les Hottentots, qu’on leur demande si la viande de leurs animaux domestiques ne leur convient pas, et s’ils n’en peuvent supporter le goût. On se convaincra qu’ils sont tous des carnivores accomplis. Beaucoup d’entre eux le sont même plus complètement que les peuples chasseurs, qui le sont pourtant à un si haut degré. Mais il est bien évident que le chasseur, qui ne tire sa proie que du hasard, ne peut se nourrir de viande avec autant d’abondance, ou tout au moins avec autant de régularité que le pasteur, qui élève lui-même son bétail, et qui peut en tout temps, à moins d’accident ou d’épizootie, le conduire à l’abattoir. Si l’on veut savoir maintenant quels sont les peuples qui ont la plus grande tendance à se nourrir de viande absolument crue, nous dirons qu’il n’y a pas un seul peuple chasseur qui se puisse comparer aux Kirgises. Tous les peuples chasseurs préparent leur nourriture artificiellement, et même autant qu’il leur est possible, au moyen du feu.

Pour ce dernier motif, je crois que le procédé de la cuisson des aliments est dû aux : chasseurs, et qu’il était déjà depuis longtemps en usage, avant que l’agriculture fût nulle part pratiquée. Je soumettrai plus tard quelques observations, puisées à la source des temps préhistoriques. Pour le moment, je me contenterai de remarquer que ce développement antique et primitif de l’art de cuire Il eu lieu par degrés, et qu’il faut y rapporter l’histoire primitive de quelques découvertes particulières.

Je mentionnerai tout d’abord la découverte du feu, de son action et de ses effets. Sans le feu, l’on ne peut ni cuire, ni commencer aucune des préparations de la viande ou du blé qui sont du ressort de la cuisson. Actuellement, les moyens de faire du feu sont tellement répandus et connus, qu’on peut se demander s’il existe un seul peuple qui les ignore. Peschel, que la science a récemment perdu, dans son remarquable ouvrage : De l’Ethnologie, a développé logiquement cette vérité : que sur toute la terre, le peuple qui n’aurait aucune connaissance du feu, reste encore à trouver. - Reconnaissons toutefois que les raisons qu’il en donne, et notamment les arguments qu’il oppose à sir John Lubbock, qui, dans son livre sur les « Temps préhistoriques », a émis une opinion contraire, ne sont pas inattaquables. En particulier, l’assertion de quelques voyageurs, établissant que dans la Nouvelle-Hollande et chez les Tasmaniens, il y a encore des peuples ou plutôt des tribus indigènes, qui ne savent que conserver le feu, et qui ignorent les moyens de le produire, n’est pas en contradiction formelle avec l’observation faite, au moment de la découverte de ces pays, à savoir, que d’autres tribus australiennes ou tasmaniennes connaissaient les moyens de faire du feu. Sur le premier point, il est établi par les relations de témoins dignes de foi, que dans leurs migrations, ces tribus australiennes et tasmaniennes portent avec elles du feu à l’état de braise allumée. Ce n’est pas sans un grand intérêt psychologique, que l’on peut remarquer que même ici, dans l’état le plus inférieur de la vie sociale, les femmes sont les gardiennes attitrées du feu. Toutefois, cette sollicitude apportée à la conservation du feu une fois obtenu, ne prouve pas absolument qu’on ignore les moyens de l’obtenir à nouveau, puisque ces moyens se trouvent partout sous la main, et que presque tous les peuples à l’état de nature connaissent l’action du frottement d’un bois contre un autre. A moins que l’on admette que, privés des moyens ordinaires d’obtenir le feu et forcés de se livrer pour se le procurer à un travail difficile, ils préfèrent se charger du soin de l’entretenir une fois qu’ils l’ont obtenu. C’est peut-être pour ne pas s’être rendu compte de ce fait, que MM. Stuart et Angas ont cru que certaines tribus australiennes se bornaient à tirer le feu des tribus voisines, soit à titre gracieux, soit comme article de commerce.

Il n’est pas essentiel, au point de vue où nous nous sommes placé dans cette étude, de déterminer exactement s’il existe quelque part une tribu qui sache ou non produire le feu. Aussi bien les exemples que nous venons de citer, des tribus qui se le procurent par elles-mêmes, ou qui le tirent de leurs voisins, ne sont pas de grande valeur pour notre démonstration. Nous constaterons seulement ce fait, qu’elles possèdent le feu, et qu’elles savent l’utiliser. Mais personne ne conclura de ce fait que, si actuellement il n’y a pas un peuple qui ne connaisse le feu, il a dû toujours en être de même. Au contraire, il fut un temps où l’humanité tout entière vivait privée de cet élément. Ceci est tellement incontestable qu’à toutes les époques la tradition populaire s’est efforcée de faire envisager la découverte du feu comme un événement capital dans l’histoire de la civilisation.

La vieille fable hellénique de Prométhée, bien que liée dans une certaine mesure avec le Caucase, nous renvoie chercher dans le ciel la source du feu, et nous montre dans l’éclair le premier inflammateur de la matière terrestre, et cela, bien qu’il existe dans le voisinage du Caucase, vers la région sud de la mer Caspienne, à Baku, des sources de pétrole qui dégagent des gaz spontanément inflammables. Bien des siècles avant que le christianisme n’eût changé en enfer le royaume de Pluton, il avait surgi dans les idées de l’homme une certaine opposition entre le feu souterrain et le feu céleste. Il considérait volontiers le premier comme un élément impur et destructeur, tandis qu’il voyait dans le second un élément pur et vivifiant. Il est parfaitement admissible que le feu du ciel ait apporté à l’homme la conception de la flamme, tandis qu’au contraire, les feux terrestres étant rares, et les volcans actifs espacés sur la surface du globe, on ne les voit pas facilement donner, comme le fait l’éclair, le beau spectacle de la flamme.

Mais l’homme ne devint pas pour cela maître du feu, et Prométhée sans doute, tout comme le sauvage australien de nos jours, dut emporter le bois, à l’état de braise, dans un récipient quelconque, pour en tirer une flamme nouvelle, qui fut ensuite indéfiniment propagée de foyer en foyer. L’élément ne fut réellement en la possession de l’homme, que le jour où l’homme sut le produire. Ce fut alors le renommé feu nouveau, auquel on a, jusqu’en des temps assez rapprochés de nous, attribué des effets tout particuliers. Dans le temple de Vesta, quand le feu sacré venait à s’éteindre par la négligence d’une vestale, on ne pouvait le rallumer avec une flamme existante apportée du dehors ; on en produisait de nouveau par le procédé du frottement. Ce serait ainsi dans le frottement, non dans le choc, qu’il faudrait voir la cause primitive de la production du feu ; ce fait est d’autant plus significatif que l’homme ne l’a pas connu par voie d’imitation, mais par voie d’observation et de raisonnement.

Qui pourrait dire quand et comment il s’est produit ? Dans toutes les habitations préhistoriques de l’homme que l’on a découvertes, quelle que soit l’antiquité qu’on leur attribue, on a pu recueillir des traces de charbons de Lois, qui permettent d’établir, et même d’affirmer qu’il y a été allumé des feux domestiques. Le plus grand nombre des cavernes préhistoriques, en France, en Angleterre, en Belgique et en Allemagne, y compris celles qui remontent à la période glaciaire, contiennent des vestiges de charbon de bois, à côté des ossements du renne ou des autres animaux contemporains. Dans la caverne de Balve, en Westphalie, j’ai constaté moi-même la présence de charbons végétaux parmi des ossements de renne, et tout récemment aussi, M. Ecker, dans certaines couches du diluvium de la vallée du Rhin, a découvert tout ensemble des charbons, des os de renne sculptés, et des silex taillés. Dans les cavernes plus anciennes encore de l’hyène, où l’on a constaté, avec les restes des hyènes et des animaux qu’elles y entraînaient pour les dévorer, des traces de l’homme, les charbons ne font pas défaut davantage. Si, dans une caverne de cette époque, à Lindenthal, près Géra, que M. Liebe a tout récemment explorée, ce savant n’a pu, signaler la présence que d’un seul fragment de charbon ; en revanche, M. Boyd Dawkins, dans l’exploration d’une autre caverne de hyènes, qu’il a faite à Wells, dans le comté de Somerset, a constaté des traces évidentes de feux domestiques, et il en conclut que l’homme a dû les allumer, pendant un séjour plus ou moins prolongé dans ces cavernes, dans le but d’en interdire l’accès aux fauves de l’époque.

On peut donc affirmer que l’antique race de chasseurs qui occupait le continent européen, aux époques du renne et de l’hyène, et même il l’époque du mammouth, se trouvait en possession du feu, bien que toute sa science industrielle consistât à travailler grossièrement le silex et à se façonner quelques ustensiles avec les os des animaux. L’on se saurait déterminer avec certitude, ou s’ils emportaient avec eux le feu obtenu, ou s’ils s’entendaient à le produire à nouveau par le frottement. Je pencherais pour cette dernière hypothèse, parce qu’il me semble que la façon dont ils s’y prenaient pour se fabriquer des outils ou des ustensiles, devait les amener à découvrir le feu par ce procédé. En effet, l’une des méthodes employées par les sauvages de nos jours pour obtenir du feu de cette manière, méthode qui paraît la meilleure, consiste à prendre un morceau de bois taillé en pointe, et en forme de perçoir, à le placer sur un autre morceau, et à le faire tourner sur lui-même le plus rapidement possible. Il est incontestable que des opérations de ce genre ont dû être faites de bonne heure, car ce ne sont pas seulement des dents et des os percés que l’on trouve, mais aussi des pierres et des coquilles percées, qui sont ce que l’âge de la pierre nous a laissé de plus ancien. On est donc naturellement conduit à admettre que cet échauffement rapide, qui se développe sous l’action du forage et du frottement, a dû être continué, dans ces opérations primitives, jusqu’à la production de la flamme. Une autre réflexion qui se présente, à savoir que les étincelles que l’on fait si facilement jaillir du silex, ont pu être utilisées pour la production du feu, est beaucoup moins justifiable, par la raison que ces étincelles, étant froides, n’ont pas d’action sur les matières ordinaires. Tout ce que l’on pourrait admettre à cet égard, c’est que les hommes de l’âge de la pierre, après avoir constaté l’échauffement des pierres sous la double action du forage et du frottement, ont fort bien pu pousser plus loin l’expérience, afin de voir si cet échauffement amènerait, ainsi que dans l’échauffement du bois, la production d’une flamme.

Si ce sont là seulement des hypothèses, il reste néanmoins un fait acquis : l’homme, à l’époque du renne et à celle de l’hyène, se trouvait déjà en possession du feu. Il connaissait par conséquent la condition essentielle à remplir pour la cuisson des aliments. Restait dès lors à inventer des ustensiles de cuisine, et l’on pourrait supposer que la chose était facile. Et pourtant il y a beaucoup de foyers remontant aux temps préhistoriques, il y a surtout beaucoup de stations et de lieux de sépulture de ces temps, où l’on n’a pu trouver des restes de ces ustensiles. Ce n’est qu’après l’époque de l’hyène qu’apparaissent les débris de poterie, lesquels nous fournissent un témoignage certain de la vie de famille primitive. Ce fut vers l’époque du renne et de l’ours des cavernes que l’on fabriqua les premiers pots ou vases. M. Dupont a presque entièrement reconstruit un vase avec les débris d’argile recueillis au Trou du frontal, dans la vallée de la Lesse, en Belgique, et M. Fraas a recueilli des fragments en forme de coupes, dans le Hohlefels, près Blaubeuren. J’ai trouvé moi-même, dans les interstices des stalactites, qui constituent le sol de la grotte d’Einhorn, au sud des montagnes du Hartz, une grande place à feu, où des débris d’argile étaient placés à côté d’ossements d’Ursus spelœus. Parmi les plus anciens vestiges que les hommes de l’âge de la pierre ont laissés, dans les Kjökkenmödding des cotes de Seeland et du Jutland, qui sont surtout constitués par des coquilles d’huîtres, se trouvent également des débris de poterie. Ce qui montre combien l’industrie des potiers est d’origine ancienne.

La poterie de cette époque n’était pourtant pas de nature à servir pour la cuisson, car il est démontré qu’un grand nombre des vases les plus anciens, étaient si peu cuits et si poreux, qu’on n’y pouvait même pas conserver de l’eau. On ne doit pourtant pas dédaigner, au point de vue de l’histoire de la cuisson des aliments, le premier pot que l’on connaisse. Je ferai tout d’abord observer qu’il y a différence, entre préparer de la soupe et cuire de la viande ; je suppose d’ailleurs que les cuisinières de ces temps-là ne tenaient pas pour bien grave le fait de la déperdition de l’eau, causée par une exsudation du vase pendant la cuisson. Si nous prétendions placer la première marmite au temps seulement où nous trouverions des pots entièrement cuits, de couleur jaune ou rouge, si nous les exigions même à peu près vernis, nous serions forcés d’enlever la cuisson des aliments à toute la période préhistorique. Et comme nous y trouvons partout de nombreux pots en terre incomplètement cuite, mais noircie par l’usage du feu, nous aurions à nous demander dans quel but on aurait mis ces ustensiles sur le feu. Personne évidemment ne voudra contester que ce but était bien la préparation des aliments.

Nous ne devons pas trop, sous ce rapport, prendre nos habitudes comme terme de comparaison. M. Hartt a vu, chez les Indiens Micmacs de Nouvelle-Écosse, des vases fabriqués avec l’écorce de certains bouleaux (Betula papyracea), et avec lesquels ils cuisent à feu nu. Hérodote, parlant des Scythes qui habitaient de son temps les steppes sans forêts de la Russie méridionale actuelle, dit qu’ils employaient les os des animaux comme combustible, et qu’ils faisaient bouillir les animaux eux-mêmes dans de l’eau, placée dans les peaux dont ils les dépouillaient.

Des procédés analogues sont utilisés encore de nos jours chez certains peuples chasseurs, avec cette particularité, que ces peuples ne cuisent pas sur le feu même, mais qu’ils emploient des pierres excessivement chauffées, qu’ils placent au-dessous et au-dessus de la substance à cuire, ou bien dans l’eau qui doit servir à la cuisson. Dans l’ouvrage déjà cité sur les Patagons, M. Musters nous a renseignés très exactement sur cet usage, quand il nous a décrit la façon dont ils préparent les autruches tuées à la chasse. « Lorsque la chasse est terminée, dit-il, on allume le feu, et pendant que les pierres chauffent, l’autruche est plumée, placée sur le dos et vidée ; les jambes sont désossées et la peau est soigneusement coupée en lanières. Le corps est ensuite partagé en deux moitiés, et la colonne vertébrale enlevée ; on découpe la viande en tranches, de façon que l’on puisse placer chaque tranche entre deux pierres brûlantes. On fait ensuite du tout un paquet, on le ficelle avec les lanières ci-dessus, lesquelles sont retenues par de petits os employés en guise d’épingles. On place le paquet sur la cendre encore brûlante, et quand on juge la viande cuite à point, on allume un feu de flammes, afin de la rôtir extérieurement. On retire le tout du feu, on coupe les lanières, on enlève les pierres, et il se trouve que la viande et le jus sont cuits aussi bien que possible. »

Ce procédé de cuisson, au moyen de pierres brûlantes, se prête naturellement à des préparations très variées. On peut placer la pierre, ainsi que font certaines tribus de l’Amérique septentrionale et du nord-est de l’Asie, dans des vases de bois, d’écorce d’arbres ou d’écales de fruits ; mais on procède encore plus simplement dans l’Australie du sud, où l’on creuse en terre de simples trous que l’on enduit d’argile. L’on a même conservé chez nous une sorte d’usage qui est comme un vestige des temps primitifs ; en Allemagne on se sert d’une pierre ou d’un fer à repasser pour chauffer le punch. M. Tyler a de même établi, d’après une description du « vrai sauvage irlandais » publiée en 1600 par Fyne Morisson, que l’on attiédissait alors en Irlande, au moyen d’une pierre chauffée, le lait que l’on voulait boire, et que l’on y préparait des morceaux de viande de bœuf ou de porc en les mettant sur le feu dans le creux d’un arbre, après les avoir préalablement enveloppés dans une peau de vache, entourée elle-même de boyaux non lavés.

En réfléchissant, d’après ces descriptions des voyageurs, à cette forme assez singulière de cuisson, il devient difficile de ne pas admettre que la cuisson au moyen de pierres chaudes a été comme le prélude de la cuisson actuelle. On admettra de même que ce procédé n’a pas été de si tôt abandonné, malgré la découverte et l’usage des marmites. L’homme se plaît à conserver certaines traditions du passé, tantôt matérielles et tantôt morales, et cela jusque dans des temps où ces traditions et ces usages sont devenus tout à fait incompréhensibles. Aussi ne devons-nous pas grandement nous étonner de ne trouver chez les races reculées aucun ustensile de terre qui réponde à notre exigence actuelle en fait de marmite. Il ne s’ensuit pas que la cuisson par des procédés de ce genre leur était chose inconnue, Pöppig nous apprend que les Pehuenches du Chili n’emportent pas leurs poteries avec eux lorsqu’ils abandonnent un campement, mais que leurs femmes en fabriquent de nouvelles dès qu’ils se sont fixés dans un autre pays. Ce ne sont pour eux que les préparations de peu de valeur et toujours provisoires, analogues à celles dont les débris abondent dans les forteresses et les habitations préhistoriques de notre pays.

Cependant la véritable cuisson, avec tous ses détails, et si l’on me permet de risquer ce terme, avec l’individualité d’action de l’eau bouillante, est étroitement liée à la découverte de la marmite. A l’apparition de cet ustensile se rattache l’organisation définitive du foyer, que nous ne devons pas supposer avoir été exclusivement installé dans la cuisine, mais aussi bien dans le salon, la chambre à coucher et le cabinet de toilette. Il est intéressant de constater qu’à partir de l’époque où cet événement s’est produit, la femme a pris possession de la marmite et n’a plus laissé à l’homme que la perspective, pour employer un bien bon mot germanique, de n’être plus qu’un tatillon, un chauffe-les-pots.

Dans une intéressante brochure sur la poterie chez les races sauvages, M. Hartt a tout récemment fait voir que dans la plus grande partie de l’Amérique, de l’Afrique et de la Polynésie, la fabrication de la poterie fait partie du travail des femmes. Ce n’est que beaucoup plus tard, quand elle devient un article de commerce, quand on la porte au marché, pour l’exposer au regard attentif de l’étranger, que la poterie s’élève au rang d’industrie et passe dans les mains des hommes. Autrement, c’est l’occupation des femmes, même dans le village où il n’y en a que quelques-unes capables de la fabriquer.

Un stade plus loin, nous revenons en arrière, c’est-à-dire au temps où la poterie est inconnue et où la femme est esclave. Cet état de chose existe encore chez maintes tribus sauvages. Bien que le nombre n’en soit pas aussi grand qu’on le croit communément, sir John Lubbock cite, en dehors des Australiens et des Tasmaniens, les Andamaniens, les Maoris de la Nouvelle-Zélande, les Tahitiens, les Veddas de Ceylan, les Patagoniens et les sauvages de la Terre de Feu, auxquels il faut ajouter, dans une certaine mesure, les Esquimaux du Groënland et des pays arctiques. Chez nombre d’entre eux, par exemple, chez les Andamaniens et les Patagoniens, l’on trouve des ustensiles de terre ou d’argile, mais si rares ou si imparfaits, que l’on serait tenté de croire que l’on a devant soi les vestiges de civilisations antérieures. Il est certain que les Kjokken mëddings des Andamaniens renferment des fragments d’une espèce de pot assez curieusement travaillé, et que les indigènes de nos jours paraissent absolument incapables de reproduire. Au même point de vue, les grandes urnes funéraires que renferment d’anciennes nécropoles de l’Amérique du Sud sont des preuves bien frappantes qu’il y a eu là, dans les temps passés, des populations dont l’habileté était bien supérieure, au moins dans cet art, à celle des populations qui leur ont succédé. Exceptons, si l’on veut, quelques-unes des peuplades désignées ; il n’en reste pas moins un très grand nombre de tribus sans poterie, et c’est assez vraiment pour décourager tous ceux qui se laissent prendre aux charmes de l’état de nature. Quand sa position sociale est telle que la femme se trouve avilie et réduite au servage, tout l’ordre de choses qui l’entoure est lui-même en un tel état d’abaissement que l’on n’y voit plus rien surgir de remarquable et de significatif. Il n’y a plus ni histoire, ni progrès, ni développement.

Le foyer domestique marque la limite la plus certaine entre ces deux états contraires, de même que l’ustensile de poterie caractérise le mieux l’époque nouvelle où l’humanité vit son existence assurée par son initiation à l’agriculture. Mais avant même qu’elle ne s’occupât de poterie, avant qu’elle ne marquât sa place au foyer, la femme, selon toute apparence, était partout la gardienne du feu. Elle s’initiait ainsi au rôle qui devait lui incomber plus tard, celui de gardienne et maîtresse du foyer domestique. L’homme poursuivait encore avec une ardeur sauvage les animaux de la steppe et de la forêt, que la femme avait commencé déjà à se préparer à l’organisation d’un intérieur assuré. Déjà apparaissent en elle les premiers germes de cet effort supérieur, qui devait plus tard produire le métier artistique. Elle put alors confectionner les vêtements de l’homme et les enjoliver d’ornements de couleurs variées ; elle tissa l’étoffe et l’ajusta en modèles agréables à l’œil. Elle tira de même la poterie de son état primitif, incommode et disgracieux, en lui donnant des formes plastiques, en la recouvrant de lignes et d’enjolivements, où elle représenta dans leur état primitif le tissu, la chaîne et la navette, ainsi que le dessin des trames de laine et de lin. De la plastique de ces pots d’argile sortirent et se développèrent plus tard, entre les mains des hommes, le bas-relief et la sculpture. Mais leur origine remonte à celle du foyer même et se rattache à l’histoire de la cuisson.

R. VIRCHOW.

Professeur à l’Université de Berlin, Membre de la Chambre des députés de Prusse.

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