Communications avec les planètes (?)

Amédée Guillemin, La Nature N°954 - 12 Septembre 1891
Lundi 13 juin 2011 — Dernier ajout mercredi 22 mai 2019

Les découvertes frappantes, de nature, j’entends, à émouvoir le grand public, sont rares en astronomie, depuis quelques années. Est-ce à dire qu’on ne travaille pas dans les observatoires et que les progrès de la science soient insensibles ? Personne de ceux qui se tiennent au courant des labeurs quotidiens des astronomes des deux mondes, qui ont l’occasion de lire ou tout au moins de parcourir les recueils périodiques où ces travaux sont exposés, ne le pense. Ne citons, en fait d’entreprise nouvelle et qui promet d’être féconde, que celle de la confection d’une carte du ciel, effectuée par la photographie, et qui donnera la position exacte des étoiles jusqu’à la quatorzième grandeur. Le concours des observatoires assure à cet immense travail, dès aujourd’hui en cours d’exécution, un succès certain. La Nature en a fait connaître les origines et a tenu ses lecteurs au courant des études préliminaires très minutieuses, très approfondies sans lesquelles la mise en œuvre d’opérations d’une extrême délicatesse aurait pu être compromise [1]. Elle a fait aussi ressortir l’importance des résultats à obtenir et les conséquences variées qui en sortiront nécessairement. Les problèmes de parallaxe, ou de distances stellaires, les mouvements propres des étoiles, des nébuleuses, la recherche des petites planètes et des comètes nouvelles, tout ce qui est relatif à la constitution des systèmes sidéraux pourront, par une étude attentive des clichés de la nouvelle carte céleste, recevoir des solutions positives. C’est tout un horizon ouvert à la science.

Ce ne sont pas là des nouvelles à sensation comme l’arrivée imprévue d’une comète au long panache nébuleux, qui tourne vers le ciel les regards des badauds ; mais l’importance des observations astronomiques ne se mesure pas au bruit qu’elles font dans le public. A coup sûr, si le prix de 100 000 francs qu’une honorable darne vient de léguer à notre Académie des sciences venait à être gagné, l’émotion qui en résulterait aurait quelque chose de fort légitime. Établir une communication volontaire et directe entre la Terre et une planète, disons mieux, entre les habitants du globe terrestre et les habitants de cette planète, serait quelque chose de bien fait pour piquer la curiosité de tout le monde. Je ne vois pas bien, pour mon compte, ce que l’astronomie ni même notre pauvre humanité, y gagnerait, mais que de conjectures, que de cervelles à l’envers, que d’imaginations montées !

On dit l’Académie disposée à accepter le legs, grâce à une clause semblable à celle qui a fait du prix Bréant une récompense annuelle décernée aux auteurs des découvertes qui ont avancé la question de la guérison du choléra. De même, l’annuité du capital légué par Mme Guzman servirait à favoriser les recherches relatives à la constitution des corps célestes.

Je ne sais si je vais m’avancer beaucoup en prédisant que le prix nouveau ne sera de longue date décerné, dans sa totalité tout au moins. Ce n’était pas la pensée de la testatrice sans aucun doute. Mais, sans approfondir la question, qui exigerait de plus longs développements, on peut justifier en quelques lignes la probabilité de la prédiction que je viens de me hasarder à faire.

Pour qui a quelques données précises sur les connaissances actuelles des astronomes relatives à l’aspect physique des astres de notre système, il est évident que deux seulement sont en état de fournir des espérances à ceux qui croient à la possibilité des communications interplanétaires : c’est, on l’a dit du reste, la Lune et Mars.

La Lune surtout. Sa faible distance, de moins de 400 000 kilomètres, la netteté de son disque, la facilité avec laquelle on y distingue, au télescope, des accidents d’une très faible dimension, l’absence de toute nébulosité de nature à masquer les taches, rendrait notre satellite éminemment propre à l’envoi de signaux visibles de la Terre. Il faut croire que les habitants de la Lune n’y ont pas encore songé, sans quoi les nombreux observateurs de son disque, les laborieux auteurs des cartes lunaires, les Beer et Mædler, les Schmidt, entre tous, auraient aperçu ces signaux. Mais voilà : y a-t-il, peut-il y avoir des habitants dans la Lune, où l’air et l’eau manquent ? S’il est un point généralement admis, c’est celui de la négative.

Dans ces conditions, il parait superflu de s’occuper, sur la Terre, des moyens de répondre aux habitants de la Lune ou de les provoquer eux-mêmes, et c’est dommage, car le second corps céleste à interroger, la planète Mars, est, hélas, infiniment moins favorable à l’établissement d’une télégraphie interastrale.

A ses oppositions les plus favorables, Mars est encore à 14 millions de lieues de nous, environ, soit 55 millions de kilomètres, ou cent soixante fois plus éloigné que la Lune ; alors le diamètre de son disque atteint 25". D’après Schiaparelli, les plus petits objets visibles à la surface, dans les circonstances les plus favorables, qu’il s’agisse d’une tache lumineuse sur fond obscur, ou d’une tache obscure sur fond lumineux, ont un diamètre égal à la cinquantième partie de celui de la planète, c’est-à-dire à 137 kilomètres environ. Cette limite inférieure pourra être franchie, il est vrai, par l’emploi d’objectifs à très grande ouverture, permettant des grossissements plus forts. Mais alors même, il est certain que des signaux lumineux, par exemple, visibles de la Terre, devraient avoir sur Mars des dimensions énormes.

Les habitants de Mars, plus avancés que nous dans la science astronomique, comme le suppose un de nos spirituels astronomes, s’ils songent à provoquer avec leurs voisins terrestres un échange de communications télégraphiques, devront donner à leurs signaux des diamètres se mesurant par des kilomètres dans tous les sens : Y songent-ils ? Mais c’est la réciproque surtout qui me semble inquiétante. La Terre, en effet, pendant leurs propres oppositions, est pour eux en conjonction : elle est perdue dans les rayons du Soleil et invisible de Mars, à moins qu’elle ne se trouve précisément à l’un de ses passages sur le disque radieux. Alors c’est une petite tache noire et ronde sur laquelle, hélas ! tout fait penser que les astronomes martiens ne distinguent rien. Aux quadratures, la Terre pour eux serait mieux postée, mais aussi à une distance beaucoup plus grande.

Je m’arrête ici, ne voulant pas absolument décourager les candidats au prix de 100 000 francs si généreusement et si imprudemment offert aux chercheurs. Mais ma conclusion, que j’ai assez laissé pressentir, c’est que le problème de la communication interplanétaire est encore loin de sa solution, et je crois que je ne serai pas désavoué par les astronomes sérieux. J’ai foi au progrès indéfini de la science, tout en étant convaincu que ce progrès a des limites ; mais je pense aussi qu’il n’y a aucun profit pour elle à laisser l’imagination se livrer à la poursuite des chimères, et je suis bien près d’avouer qu’à mes yeux la communication cherchée en est une.

Amédée Guillemin

[1Voy. notamment le tome 1 de 1887, p. 200, 321, 369 et le tome 1 de 1888, p. 122, 286, 355.

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