Une seul génération a pu assister à l’éclosion de la locomotion mécanique dans les bateaux à vapeur et son perfectionnement jusqu’à l’aéroplane. Après avoir conquis les mers, l’homme s’est adjugé l’empire des airs. Que reste-t’il à désirer maintenant, sinon de réaliser le rêve des romanciers et des poètes et de créer la locomotion interplanétaire.
On en a souvent parlé, sous forme de romans, mais sans jamais se préoccuper de l’ordre de grandeur des phénomènes qu’il faudrait mettre en jeu pour la réaliser ainsi que des difficultés d’ordre physiologique qui se présenteraient. M. R. ESNAULT-PELTERIE vient, à la société de Physique, d’examiner la question d’une façon plus scientifique.
Nos connaissances actuelles nous montrent que la matière est capable d’emmagasiner l’énergie et de transporter sous des formes infiniment plus condensées que celles que nous savons utiliser pratiquement. Supposons donc, pour un instant, que la limite d’allègement des moteurs soit infiniment éloignée de ce que nous savons faire maintenant et considérons le problème, sans plus nous préoccuper de cet allègement.
Existe-t-il un moteur capable d’assurer la propulsion d’un engin dans le vide interplanétaire ? Oui, un tel moteur existe, ou tout au moins le principe sur lequel il pourrait reposer. Ce moteur est la fusée, autrement dit le moteur à réaction. La fusée, en effet, s’élève par suite de la réaction qu’exercent sur elle, en s’échappant, les gaz de la déflagration de la poudre. Le milieu extérieur n’intervient pas, l’appareil marche mieux dans le vide que dans l’air : le moteur interstellaire serait donc une sorte d’énorme fusée.
Le rendement est malheureusement fort mauvais. En effet, pour éloigner à l’infini de la terre une masse de 100 kilogrammes, il faudrait lui fournir 6 371 103 kilogrammètres( [1]) et le moteur en dépenserait 2 172 000 000( [2]), soit un rendement de 0,0293 ; c’est peu.
La consommation de l’agent de propulsion devrait sans doute être plus considérable, si l’on tient compte de certaines conditions physiologiques. En effet, l’attraction terrestre n’existant plus une certaine distance de notre planète, les corps à l’intérieur du véhicule n’auraient plus de poids, en particulier le voyageur qui flotterait dans sa prison, ainsi que tous les objets environnants. S’il lui prenait alors l’envie de se nourrir, de boire par exemple, le liquide n’étant plus sollicité par la pesanteur n’aurait aucune raison pour passer de la bouteille dans le verre et l’estomac du buveur.
Pour supprimer ces inconvénients, on serai dans l’obligation de soumettre le véhicule à une accélération artificielle constante, le mouvement deviendrait uniformément accéléré. Cela permettrait, il est vrai, d’atteindre des vitesses formidables, fort utiles pour franchir les énormes espaces considérés, mais la dépense d’énergie deviendrait encore plus énorme.
Il faudrait arriver à l’emmagasiner sous une forme au moins 400 fois plus condensée qu’elle ne l’est dans la dynamite (pour le trajet Terre-Lune et retour seulement), peu-être même 40 000 fois plus condensée si on se heurte à certaines difficultés physiologiques et il faudrait consommer près de 300 kilogrammes de cet explosif extra-puissant par kilogramme transporté. Par contre, 25 kilogrammes de radium suffiraient, si l’on savait en extraire toute l’énergie, dans le court espace de temps nécessaire au trajet, mais il n’en est rien malheureusement, et la radium perd la moitié de son énergie en 1780 ans seulement !…
H. V.