Après trente ans de silence, une sonde spatiale dit bonjour à la Terre

Samedi 7 juin 2014
International Sun-Earth Explorer (ISEE-3)
ISEE-3(International Sun-Earth Explorer) a débuté en 1978 une mission d’étude de la magnétosphère de la Terre. En 1983, il est devenu ICE(International Cometary Explorer) et a été envoyé sur une nouvelle mission d’étude des comètes Giacobini-Zinner et Halley.

Et pourtant, elle tourne

Un groupe de passionnés d’espace et experts des vieilles technologies arpentent les couloirs d’un observatoire radio. Ils ont réussi à reprendre contact avec une sonde lancée en 1978. Ils ne comptent pas en rester là. Puisqu’elle fonctionne encore, ils vont tenter de lui attribuer une nouvelle mission.

Après une première mission de surveillance de la magnétosphère terrestre, elle avait été reprogrammée pour une étude des comètes Giacobini-Zinner et Halley en 1983. Depuis cette époque, elle tourne autour du soleil sur une orbite très proche de celle de la Terre.

Cette année, les lois de la mécanique céleste l’amène à proximité de la Terre.

L’équipe de redémarrage espère la lancer sur une nouvelle mission. Mais le challenge n’est pas anodin. En effet, l’équipe n’a que deux semaines pour localiser avec précision la sonde, choisir une mission, et relancer les propulseurs pour la mettre sur la bonne trajectoire. L’une des possibilités est de la placer au point de Lagrange L1 entre la Terre et le Soleil.

Un voyage complexe en orbite héliocentrique
Robert Farquhar conçu la trajectoire initiale ISEE-3/ICE qui a envoyé le vaisseau spatial sur une rencontre avec les comètes Giacobini-Zinner et Halley.

Pourquoi la NASA n’avait pas elle-même recontacté la sonde ? Parce qu’elle n’avait plus depuis bien longtemps les équipements requis pour communiquer avec l’engin. Les recréer aurait coûté bien trop cher. Mais Keith Cowing, rédacteur en chef de NASAWatch.com et SpaceRef.com, a décidé de chercher des moyens moins coûteux pour reprendre le contrôle de l’ISEE. Il a parlé avec Robert Farquhar, qui a calculé l’orbite initiale de l’engin spatial ; proposé quelques idées à John Grunsfeld, l’administrateur adjoint de la Direction des missions scientifiques de la NASA.

« Ils ne cessaient de dire non », a déclaré Cowing. « J’ai dit à la NASA,« Je vais commencer un projet de crowdfunding le 14 Avril. Soudain, nous avons eu une téléconférence et ils n’ont plus dit non ».

Grâce au crowdfunding, La science devient citoyenne

Cowing fait équipe avec Dennis Wingo, le PDG de Skycorp, qui développe des technologies de l’espace à faible coût. Ce n’est pas la première fois. Cowing et Wingo ont déjà travaillé ensemble. Le duo est la force motrice du projet Lunar Orbiter Image Recovery pour restaurer les photographies originales prises par les cinq Lunar Orbiter envoyés sur la lune en 1966 et 1967 avant les astronautes d’Apollo. L’équipe de LOIRP a récupéré et nettoyé de nombreuses vues uniques de la Lune, dont la fameuse première photo « Earthrise » capturé par Lunar Orbiter 1 en 1967.

Le crowdfunding a permis de collecter près de 160 000 dollars pour ce projet de relance de ISEE-3.

Mais comment y’m’cause, l’autre ?}}}

Parce que le matériel utilisé à l’origine pour communiquer avec ISEE-3 a été jeté il y a longtemps, l’équipe ISEE-3 a besoin de trouver une nouvelle façon de communiquer avec le vaisseau spatial. Ils ne seraient pas en mesure de dépenser les millions dont la NASA parlait pour reconstruire ce matériel à partir de zéro, de sorte qu’ils se sont tournés vers une alternative : Software Defined Radio (SDR).

Balint Seeber, spécialiste des SDR, a été appelé sur le projet ISEE. Les SDR (bien moins chers que les équipements d’origine) captent le signal radio brut et le renvoient vers un ordinateur. En utilisant un logiciel open source appelé GNU Radio, n’importe quel ordinateur, ou presque, peut interpréter et décoder le signal reçu en fonction de spécifications fournies par l’utilisateur.

De même pour envoyer des instructions à la sonde. Vous nourrissez le SDR de un et de zéro que seule la sonde peut comprendre. Le boîtier le traduit en un signal radio que la sonde peut interpréter, et il est émis vers l’espace dans la direction d’ISEE. Cette étape nécessite une grande antenne radio. C’est pour cette raison que l’observatoire radio d’Arecibo (Puerto Rico) a été sollicité. D’après Alessondra Springmann, analyste de données d’Arecibo, l’observatoire a contribué à sauver le milliard de dollars de SOHO après sa perte de contrôle et a perdu contact avec la Terre en 1998.

Ainsi, ISEE n’est à portée de l’observatoire que 2h45 par jour. Jusqu’au 29 mai, l’équipe de réveil et des radioamateurs du monde entier ont écouté avec attention et capté le signal porteur de la sonde. Elle était donc encore active.

L’étape suivante consistait à déterminer la position exacte et l’état précis de la sonde. Elle est équipée de deux transpondeurs A et B. Après s’être penchée sur de vieilles documentation de la NASA, un premier jeu de commandes a été préparé à destination du transpondeur B, demandant à l’engin spatial de transmettre des données de télémétrie.

Rien ne s’est passé.

Un nouvel essai sur le transpondeur A a été réalisé, et une chose fantastique est arrivée : le signal porteur en provenance de l’engin spatial a changé. ISEE avait reçu la demande, correctement interprétée et a fait ce qu’il lui a été demandé. La télémétrie est parvenue en streaming vers la Terre. Seeber, avec Austin Epps, membre de l’équipe, ont vu le changement de signal sur leurs ordinateurs portables, et Seeber a dansé de joie. "C’était la première confirmation que l’ensemble de notre système a fonctionné », dit-il.

Vous pouvez lire l’explication complète de son travail avec SDR et ISEE-3 dans sa présentation de Seeber, « Communiquer avec une sonde spatiale en utilisant Software Defined Radio" (PDF).

Telemetrie de ISEE-3
Afin de confirmer que ISEE-3 transmettait bien sa télémétrie, le signal réel envoyé par l’engin a été superposé à une image du signal attendu.
Achim Vollhardt / Collège espace

Puisque ISEE-3 fonctionne encore, d’autres défis sont à relever

Le 10 aout, la sonde va frôler la Lune à 50 km d’altitude seulement. Cela ne serait rien si, après 36 ans passés dans l’espace, les batteries n’étaient pas hors-service. ISEE-3 ne fonctionne que grâce à ses panneaux solaires. Malheureusement, ce survol se fera dans l’ombre de la Lune. La sonde va s’arrêter. Pourra-t-elle sortir de cette petite mort ? Il n’y a aucun moyen de le savoir avec certitude. Survivre au survol lunaire est une condition préalable à toute nouvelle mission.

Le défit à relever est donc de lui faire changer de trajectoire avant la mi-juin afin que le vaisseau reste au large de la Terre et de la Lune en dépensant le moins de carburant possible.

L’équipe de Cowing a pu affiner la position et la trajectoire de ISEE, chaque fois qu’elle communique avec l’engin. Mais l’incertitude actuelle dans l’éphéméride de ISEE reste assez grande pour que l’équipe ne puisse dire avec certitude si son cours actuel ne sera pas de l’envoyer s’écraser sur la lune.

Une possibilité pour affiner notre connaissance de la trajectoire de ISEE est de le passer en mode Coherent and ranging. Ce mode consiste a donner l’instruction à la sonde de renvoyer tout ce qu’elle reçoit de la Terre vers la source et de commencer à émettre en continu un signal à une fréquence connue. Il sera ainsi permis de déterminer avec précision sa position dans le ciel, sa distance et sa vitesse.

Il y a aussi la question, plus terre à terre, de la propulsion. Peut-on réchauffer et envoyer l’hydrazine aux propulseurs, et ceux-ci fonctionnent-ils encore ? En supposant que les réponses à ces questions soient positives, il faudra les déclencher à de nombreuses reprises pour mettre ISEE sur sa nouvelle trajectoire.

Cowing a déclaré « C’est comme un papillon battant des ailes pour pousser un camion dans la rue".

L’équipe de redémarrage de l’ISEE analyse également des informations sur la santé de l’engin spatial. Le 5 Juin, ils ont signalé que les 13 instruments scientifiques du vaisseau spatial sont alimentés en électricité. Mais Cowing a été clair : que les instruments de l’ISEE reçoivent tous de l’énergie ne signifie pas nécessairement qu’ils sont en état de fonctionner. En fait, il a dit qu’il existe des preuves que certains ne le sont pas. Pourtant, le fait que la puissance est encore disponible après 36 ans est extraordinaire.

Pour Cowing, le projet de redémarrage de l’ISEE-3 peut-il constituer un précédent pour des missions que la NASA n’a plus les moyens de financer ? Il ne s’attend pas à ce que la NASA s’appuie sur le crowdfunding pour résoudre ses problèmes budgétaires, mais il est optimiste : le succès de projets comme ISEE montre qu’il y a des solutions alternatives et créatives à des questions de financement difficiles. Il a rappelé que la réticence initiale de la NASA à s’impliquer dans le projet est compréhensible, compte tenu de récentes mises en garde. Le manque d’argent met en danger l’avenir des missions comme le Lunar Reconnaissance Orbiter et Mars Exploration Rover Opportunity .

Source : http://www.planetary.org/blogs/jason-davis/2014/20140606-decades-silence-isee.html

ISEE-3 dance avec la Lune
Le 10 aout 2014, ISEE-3 va survoler la Lune à 50 km d’altitude. Dans l’ombre de celle-ci, l’engin va complètement s’éteindre pour la première fois depuis longtemps. Personne ne peut dire s’il redémarrera en retrouvant la lumière du Soleil.
Mark Maxwell / ISEE-3 Reboot Project
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