L’observatoire marégraphique de Marseille

La Science Illustrée N°146 - 13 septembre 1890
Mercredi 11 mars 2009

Dans une des dernières séances de l’Académie des sciences, M. Maurice Lévy disait que le zéro du nivellement de la France serait fixé exactement d’après le niveau moyen de la Méditerranée, grâce à l’observatoire marégraphique de Marseille.Nous allons donner, d’après le Génie civil, la description de cet observatoire et indiquer son but.

Chacun sait que le niveau de la mer varie à chaque instant sous l’influence du Soleil, de la Lune et de la pesanteur terrestre. La variation qui nous frappe surtout est l’onde semi-diurne, la marée, qui est due à l’action combinée du Soleil et de la Lune. A la marée viennent s’ajouter une onde semi-mensuelle, due aux variations de la déclinaison lunaire et une onde semi-annuelle due aux changements de latitude du Soleil avec les saisons. Ajoutons enfin à ces trois grands mouvements les oscillations dues à l’action du vent, les courants et les résistances apportées à la propagation de ces diverses ondes par les côtes.

C’est le niveau moyen, c’est-à-dire la moyenne des hauteurs successives de l’eau en un point donné pendant un laps de temps de plusieurs années, que l’on cherche à déterminer ; c’est à ce niveau moyen que sont rapportés les différents nivellements du sol. De plus, la variation lente de ce niveau moyen fournira de précieux renseignements sur l’avenir des continents.

Les observations sont faites sur toutes les mers, soit au moyen d’une échelle de port, soit au moyen d’appareils spéciaux, connus sous le nom de marégraphes, qui enregistrent sur un cylindre mû par une horloge les mouvements d’un flotteur placé dans un puits communiquant avec la mer. La détermination du niveau moyen s’effectue ensuite, soit à l’aide de formules, soit plus simplement en mesurant avec un planimètre l’aire des diagrammes fournis par l’appareil et en calculant la hauteur du rectangle équivalent de même base.

Mais, pour ce qui regarde spécialement le niveau moyen, il est peu de stations ne laissant à désirer sous quelque rapport. Ici, c’est un fleuve qui déverse à la surface de la mer des eaux douces plus légères, créant une surélévation anormale du niveau. Ailleurs, c’est le mode même d’observation qui n’offre pas toute l’exactitude désirable. Aussi, pour fournir une base aussi précise que possible aux nivellements de haute précision du nouveau réseau fondamental en cours d’exécution depuis 1884, le Comité du nivellement général de la France a-t-il proposé de créer à Marseille, sur un point dégagé de la côte et à l’abri des eaux douces, une nouvelle station marégraphique où l’on mettrait en œuvre les moyens les plus perfectionnés pour l’enregistrement des mouvements de la mer et pour la détermination du niveau moyen. L’administration des Travaux publics ayant adhéré à ces vues, le projet a reçu son exécution, et la France possède aujourd’hui un établissement modèle, supérieur à toutes les installations du même genre existant à l’étranger.

L’observatoire marégraphique de Marseille

La figure 3 donne une vue d’ensemble, la figure 1 une coupe des bâtiments qui ont été construits, en 1883 et 1884, dans l’anse Calvo, par les ingénieurs du port de Marseille.

L’appareil principal est un marégraphe totalisateur, système Reitz, modifié sur les indications de M. Ch. Lallemand. Il présente cette particularité essentielle , d’où il tire d’ailleurs son nom, de mesurer lui-même et de totaliser, à l’aide d’un planimètre, l’aire des diagrammes au fur et à mesure de leur production ; ce qui simplifie énormément le travail tout en augmentant les garanties d’exactitude.

Nous allons entrer dans quelques détails au sujet de cet ingénieux appareil. Il est installé au-dessus d’un puits P (fig, 1) communiquant avec la mer par une galerie G. Pour empêcher les oscillations parasites de la houle de se propager dans le puits, la galerie est fermée par un mur m percé inférieurement de quelques ouvertures abritées elles-mêmes derrière un écran maçonné. De plus, en arrière de ce mur, à l’entrée du puits, se trouve une porte en bronze percée de cinq trous dans le bas, avec une vanne permet, tant de découvrir un que plusieurs de ces trous, suivant l’état de la mer.

Dans le puits se meut un flotteur F (fig. 2) en cuivre, de grand diamètre, guidé par des rails verticaux, et suspendu à l’extrémité d’un fil f très fin et très résistant, de bronze siliceux. Les variations de longueur de ce fil, sous l’effet des changements de température, sont compensées au moyen d’un dispositif spécial formé d’un second fil f’, dit fil compensateur, et de deux poulies m et n, l’une m fixe, l’autre mobile à l’extrémité d’un bras de levier actionné par le fil compensateur. Le fil de suspension du flotteur vient passer sur ces poulies avant d’aller s’enrouler sur la poulie P de l’enregistreur. Quand, par l’effet de la chaleur, le fil de suspension s’allonge, le fil compensateur, fixé inférieurement, à la hauteur du niveau moyen de l’eau dans le puits, s’allonge d’à peu près autant, et la poulie n, sollicitée par un contre-poids p, s’abaisse d’une quantité correspondante. Le bras de levier portant la poulie n est calculé de manière que la longueur supplémentaire du fil suspenseur absorbée par cet abaissement égale l’allongement de ce fil et que, par suite, la poulie P ne soit pas actionnée.

La poulie P agit par un pignon p sur une crémaillère T et lui communique des mouvements de va-et-vient reproduisant, réduits au dixième de leur amplitude, les déplacements verticaux alternatifs du flotteur.

Les courbes de marée sont tracées en double exemplaire sur une bande sans fin de papier couché recouvert d’une très légère couche d’un vernis noir à l’encre de Chine. A cet effet, deux pointes de diamant s,s portées par la crémaillère T, écornent légèrement la pellicule de vernis et gravent sur le papier des sillons blancs d’une netteté et d’une finesse extrème.

En même temps, d’autres styles fixes tracent sur le papier les traits de repère qui répondent respectivement à des hauteurs d’eau de 0,50m, 1 mètre et 1,50m au-dessus du niveau de comparaison, entre lesquelles le niveau de l’eau reste toujours compris. Ces traits donnent ainsi l’échelle des ordonnées du diagramme, indépendamment des dilatations ou contractions que le papier peut ultérieurement subir.

De même, des pointes fixées sur la circonférence du cylindre enregistreur G marquent sur le diagramme, au fur et à mesure de son déroulement, des points espacés de deux en deux heures, qui déterminent l’échelle du temps.

Une molette tranchante sépare automatiquement, et au fur et à mesure de leur inscription, les deux diagrammes, qui viennent ensuite s’enrouler sur le cylindre.

Le dispositif du totalisateur, analogue au système introduit par le général Morin dans ses dynamomètres, est trop spécial pour que nous y insistions. L’installation de l’Observatoire marégraphique est complétée par un baromètre et un thermomètre en- registreurs, et par un baromètre et un thermomètre étalons. Les indications relatives au vent et à la pluie tombée sont prises à l’Observatoire astronomique de Marseille, mieux situé pour ce genre d’observations.

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