Le niveau de la mer, on le sait, varie à chaque instant. Sous la double attraction de la Lune et du Soleil, combinée avec la rotation de la Terre sur elle-même, les eaux de la mer sont soumises à des oscillations périodiques complexes : marées journalière, mensuelle, annuelle, séculaire.
A ces oscillations viennent s’ajouter les mouvements plus ou moins irréguliers produits par le vent ou causés par les variations de la pression barométrique ; les courants provoqués par les différences le température et de salure de l’eau entre les diverses régions du globe, notamment entre le pôle et équateur ; enfin, les perturbations apportées par la configuration même des côtes à la propagation de ces diverses ondes. La connaissance de ces mouvements — dont nous observons seulement la résultante — est d’une importance capitale pour la navigation et pour les travaux maritimes. La détermination du niveau moyen (moyenne des hauteurs successives de l’eau en un point donné) ne présente pas moins d’utilité.
C’est au niveau moyen de la mer, en effet, que sont rapportés la plupart des nivellements. La variation lente, avec le temps de ce niveau moyen dans un même lieu, mettra en évidence les déplacements relatifs du sol et des eaux dans la suite des années, et fournira de précieuses indications touchant l’avenir réservé aux continents actuels. D’autre part, en rattachant au réseau général des nivellements, les cotes obtenues, on en déduira les hauteurs relatives des différentes mers les unes par rapport aux autres, et, par suite, la direction et la vitesse des courants marins.L’observatoire marégraphique de Marseille.
En raison de l’intérêt qu’elles présentent, ces questions sont étudiées depuis longtemps dans un assez grand nombre de stations échelonnées sur toutes les mers. Les observations y sont faites, soit directement sur une échelle de port fixée à un mur de quai, soit au moyen d’appareils spéciaux, connus sous le nom de marégraphes, qui enregistrent, sur un cylindre mû par une horloge, les mouvements d’un flotteur placé dans un puits communiquant avec la mer. La détermination du niveau moyen s’effectue ensuite, soit à l’aide de formules, soit plus simplement en mesurant avec un planimètre l’aire des diagrammes fournis par l’appareil et en calculant la hauteur du rectangle équivalent, de même base. Mais, pour ce qui regarde spécialement le niveau moyen, il est peu de stations ni aissant à désirer sous quelque rapport. lei, c’est un fleuve qui déverse, à la surface de la mer, des eaux douces plus légères, créant une surélévation anormale du niveau. Ailleurs, c’est le mode même d’observation qui n’offre pas toute l’exactitude désirable.
Aussi, pour fournir une base aussi précise que possible aux nivellements de haute précision du nouveau réseau fondamental, en cours d’exécution depuis 1884, le comité du nivellement général de la France a-t-il proposé de créer à Marseille, sur un point dégagé de la côte et à l’abri des eaux douces,une nouvelle station marégraphique où l’on mettrait à profit les moyens les plus perfectionnés pour l’enregistrement des mouvements de la mer et pour la détermination du niveau moyen. L’administration des travaux’ publics ayant adhéré à ces vues, le projet a reçu son exécution, et la France possède aujourd’hui un établissement modèle, supérieur à toutes les installations du même genre existant à l’étranger.
La figure 1 donne une vue d’ensemble, la figure 4 un plan et une coupe des bâtiments qui ont été construits en 1883 et 1884 par les ingénieurs du port de Marseille.L’observatoire marégraphique de Marseille
L’installation des instruments a été faite sons la direction de M. Ch. Lallemand, ingénieur des mines, secrétaire du comité du nivellement. L’appareil principal, représenté figure 2, est un marégraphe totalisateur 1, système Reitz, modifié sur les indications de M. Ch. Lallemand et construit par M. Dennert d’Altona. Il présente cette particularité essen- tielle — d’où il tire d’ailleurs son nom — de faire lui-même, à l’aide d’un planimètre 2, et dont la figure 3 montre la disposition, le calcul de l’aire des diagrammes au fur et à mesure de leur production ; ce qui simplifie énormément le travail tout en augmentant beaucoup les garanties d’exactitude.
Les courbes de marée sont tracées, en double exemplaire, sur une bande de papier couché, recouvert d’une très légère couche d’un vernis noir à l’encre de Chine. Des pointes de diamant, portées sur une crémaillère actionnée par le flotteur, écornent légèrement la pellicule de vernis et gravent ainsi sur le papier un sillon blanc d’une netteté et d’une finesse extrême. La figure 5 en donne un spécimen.
Enfin l’installation est complétée par un baromètre et un thermomètre enregistreurs, et par un baromètre et un thermomètre étalons. Les indications relatives au vent et à la pluie tombée sont prises à l’observatoire de Marseille, mieux situé pour ce genre d’observations.
A. LALLEMAND, Ancien élève de l’École polytechnique.