Beaucoup de romanciers croiraient donner une bien faible idée des splendeurs d’une salle qu’ils décrivent s’ils nous en montraient les parois revêtues de tapisseries de basse-lisse. Ce sont toujours des tapisseries de haute-lisse qui sont mises par eux à contribution et le lecteur, qui parfois ne comprend pas la valeur du terme et ne fait pas de recherches pour en saisir le sens, croit que ce mot de haute-lisse se rapporte à la « haute » valeur artistique du tissu.
En réalité, les termes basse-lisse, haute-lisse se rapportent à deux métiers de formes spéciales employés par les tapissiers. Dans le premier, la chaîne du tissu est disposée horizontalement comme dans le métier du tisserand ; dans le second elle est verticale.
Nous ne nous occuperons aujourd’hui que de métier de basse-lisse.
La chaîne, c’est-à-dire l’ensemble des fils longitudinaux s’enroule sur deux rouleaux horizontaux et parallèles, les ensouples, dont l’on reçoit à mesure la partie faite comme dans le métier à broderie.
Pour former la trame, il est absolument nécessaire de laisser un passage à la navette chargée de laine colorée et pour cela il faut élever les fils de la chaîne de deux en deux, par exemple tous ceux de rang impair à la fois.
Pour obtenir ce résultat, l’ouvrier n’a qu’à presser l’une des deux longues pédales ou marches sur lesquelles ses pieds s’appuient. Chaque marche fait manœuvrer des lames de bois qui actionnent deux ensembles de cordelettes ou lisses dont l’une pince et soulève tous les fils de rang pair, l’autre les fils de rang impair.
C’est dans l’espace laissé entre les deux nappes de fils de la chaîne qu’on lance la navette ; elle y laisse un fil de laine.
Cette passée et la suivante en sens contraire obtenue en appuyant sur l’autre pédale forment une duite. Un grattoir, sorte de peigne, tasse et égalise les différentes duites. Des leviers de fer font tourner les ensouples pour tendre la chaîne, enrouler ou dérouler des parties de tapisserie.
En 1745, Vaucanson adapta au métier de basse-lisse un mécanisme permettant de le renverser, c’est-à-dire que l’ouvrier peut, à chaque instant, vérifier son œuvre pendant le travail même. Plus tard, Neilson apporta un nouveau perfectionnement à cette machine au point de vue de la disposition du modèle. On sait, en effet, que l’ouvrier travaille d’après un modèle ou carton qu’il voit à travers la chaîne en dessous.
Neilson imagina de faire le modèle sur une matière transparente, de telle sorte que le dessin du carton vu à l’envers et renversé par le tissu, se retrouvait à l’endroit sur la tapisserie.
Les Égyptiens ont connu le métier de basse-lisse, comme le montrent les sujets représentés par des bas-reliefs. Il fut aussi connu en Grèce où l’art de la tapisserie était fort en honneur et contribuait à l’ornementation des temples et des habitations.
En France, la première fabrique de tapisseries fut celle de Saint-Florent, près de Saumur, qui fonctionnait dès la fin du Xe siècle. En 1025, Poitiers en possédait une autre dont les produits s’exportaient jusqu’en Italie. A la même époque, des établissements analogues étaient en pleine prospérité dans les abbayes de Saint-Denis et de Saint-Waart et dans plusieurs églises de Picardie et de la Normandie.
Les croisades donnèrent une impulsion considérable à l’industrie des tapisseries en fournissant aux ouvriers chrétiens le moyen de s’initier aux procédés orientaux. Sous Saint Louis, il y eut, à Paris, une fabrique importante de tapis, façon d’Asie.
Au XIVe siècle, les tapisseries d’Arras étaient renommées dans toute l’Europe. Au siècle suivant, ce fut le tour de celles des Flandres et de l’Italie. Pour relever notre fabrication, François 1er, en 1535, fit venir des ouvriers flamands et italiens qu’il installa à Fontainebleau. Henri IV fonda trois nouveaux établissements à Paris, dont un en 1604, dans le bâtiment dit de la Savonnerie à Chaillot, pour les tapis de basse-lisse. La célèbre manufacture des Gobelins date de 1662, celle de Beauvais de 1664.
La basse-lisse est employée à Beauvais, à Aubussson, à Felletin pour la fabrication des tapisseries d’ameublement et des petites pièces. Elle permet une plus grande vitesse de travail que la haute-lisse - près du double - et par conséquent, les produits obtenus par ce procédé peuvent être cédés à meilleur marché, condition d’une grande importance à notre époque. Il est évident d’ailleurs que la valeur artistique d’une tapisserie ne dépend nullement du mode de fabrication à haute ou basse-lisse, mais bien de la valeur même de l’artiste et de son modèle.